Gouvernement des Lacédémoniens (Trad. Talbot)/14

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Gouvernement des Lacédémoniens (Trad. Talbot)
Traduction par Eugène Talbot.
Œuvres complètes de XénophonHachetteTome 2 (p. 476-478).



CHAPITRE XIV (XIII).


Autorité et fonctions du roi à la guerre.


Je vais exposer maintenant la puissance et l’autorité que Lycurgue accorde au roi dans l’armée. D’abord l’État nourrit à la guerre le roi et sa maison. Les polémarques, toutefois, logent dans la même tente que lui : on veut qu’étant toujours avec le roi, ils puissent, au besoin, l’aider de leurs conseils. Dans la même tente se trouvent aussi trois hommes de la classe des égaux, qui leur procurent toutes les choses nécessaires à la vie afin qu’ils aient tout le temps de s’occuper des affaires de la guerre.

Prenons les faits au moment où le roi se met en marche avec l’armée. Il commence par offrir dans la ville un sacrifice à Jupiter Agétor[1], et aux autres dieux invoqués avec lui. Si dès lors les signes sont favorables, le pyrophore[2], prenant le feu de l’autel, marche en tête de l’armée jusqu’aux frontières du pays ; là le roi offre un nouveau sacrifice à Jupiter et à Minerve. Si ces deux divinités donnent d’heureux présages, il franchit les frontières du pays ; le feu ravi aux autels est porté en avant ; on ne le laisse jamais s’éteindre et on le fait suivre de toutes sortes de victimes.

Chaque fois que le roi sacrifie, il commence cette opération dès le point du jour, afin d’obtenir, avant tout le monde, la bienveillance de la divinité. Au sacrifice sont présents les polémarques, les lochages, les pentécostères, les chefs de troupes mercenaires, ceux des skeuophores, et tous ceux des généraux des villes alliées qui le désirent. Il y assiste aussi deux éphores, qui ne se mêlent de rien, à moins que le roi ne les appelle, mais qui, ayant l’œil sur ce que chacun fait, contiennent tout le monde dans le devoir. Le sacrifice terminé, le roi convoque les officiers et donne ses ordres. Si vous voyiez ce qui se passe alors, vous croiriez que les autres peuples sont des amateurs en fait d’art militaire, et qu’on ne trouve qu’à Sparte de vrais artistes en ce genre.

Quand le roi marche à la tête des troupes, s’il ne se montre aucun ennemi, personne ne le précède, et il n’a devant lui que les Scirites et les cavaliers envoyés en éclaireurs. Mais si l’on pense qu’il y aura combat, le roi prend le commandement de la première more, et fait faire une conversion par le côté de la lance, de manière à se trouver entre deux mores et deux polémarques. Ce qui reste à ranger est mis en ordre par le plus âgé de ceux qui campent sous la tente nationale. Or, ce sont tous les compagnons de chambrée des égaux[3], devins, médecins, joueurs de flûte, chefs de troupes, quiconque enfin veut prendre part à l’expédition. Cela fait qu’on ne manque jamais du nécessaire, puisqu’il n’est rien qui n’ait été prévu.

Voici encore quelques pratiques de Lycurgue fort utilement imaginées, selon moi, pour la lutte à main armée. Lorsqu’on est en présence des ennemis, on immole une chèvre, et la loi ordonne à tous les joueurs de flûte présents de jouer de leur instrument, et à chaque Lacédémonien de porter une couronne : il leur est également prescrit d’avoir leurs armes bien polies. On permet de même aux soldats des jeunes recrues de s’avancer au combat parés et brillants[4] Ils servent à transmettre les ordres à chaque énomotarque, qui, placé à l’extrémité de son énomotie, n’est pas à portée d’entendre ; tandis que c’est l’affaire du polémarque, de veiller à ce que tout aille comme il faut. D’ailleurs l’opportunité et l’emplacement convenables à l’assiette du camp sont entièrement laissés à la disposition du roi. C’est aussi lui qui envoie les députations aux peuples amis ou ennemis ; en un mot, du roi dépend toute initiative. S’il s’agit de justice, il renvoie aux hellanodices[5] ; d’argent, aux trésoriers ; de butin pris sur l’ennemi, aux laphyropoles[6] : cela réglé, le roi n’a plus d’autre soin envers les dieux que les fonctions de prêtre, envers les hommes que celles de général.



  1. C’est-à-dire conducteur.
  2. Prêtre de Mars.
  3. On ne sait rien de bien précis sur celle classe de citoyens. Xénophon semble en avoir affecté les attributs et presque le nom aux homotimes de la Cyropédie.
  4. Passage controversé.
  5. Juges.
  6. Commissaires chargés de vendre le butin.