Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Comité de Salut public

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Administration du grand dictionnaire universel (4, part. 3p. 703-704).

Comité de Salut public. L’Assemblée législative avait institué, après le 10 août, un comité de défense générale, qui fut continué sous la Convention avec une partie des mêmes membres, et reconstitué au commencement de janvier 1793. Ce comité était fort nombreux ; en outre, tous les représentants avaient entrée aux séances, qui se tenaient le soir, à l’hôtel d’Elbeuf, sur la place du Carrousel ; c’était une sorte de succursale de l’Assemblée ; les ministres y venaient exposer leurs projets, et le temps se consumait en débats souvent stériles ; de plus, des affaires qui eussent exigé le secret, des projets de défense ou d’attaque, livrés ainsi aux polémiques retentissantes, étaient ébruités avant l’exécution.

Les périls croissants de la République firent bientôt sentir le besoin de concentrer l’action du pouvoir. Le 26 mars 1793, sur la proposition de Quinette, appuyée par Isnard, création d’un comité de défense et de salut public, composé de vingt-cinq membres. Isnard, Vergniaud, Gensonné, Pétion y siégeaient côte à côte avec Robespierre, Danton, Camille Desmoulins. Ce comité, formé d’éléments hétérogènes, troublé par les dissensions habituelles entre girondins et montagnards, n’eut d’ailleurs qu’une durée de dix jours et peu d’importance politique, et même les historiens ne le distinguent pas du comité de défense générale.

Enfin, à la nouvelle de la trahison de Dumouriez, proposition de Barère, et rapport d’Isnard le 6 avril pour la formation d’un nouveau comité de Salut public, composé de neuf membres, tous conventionnels. Cette fois, tous les girondins furent exclus. L’Assemblée nomma Barère, Delmas, Bréard, Cambon, Jean Debry, Danton, Guyton-Morveau, Treilhard, Lacroix. Jean Debry, n’ayant pas accepté, fut remplacé par Robert Lindet, désigné d’abord comme l’un des suppléants.

Aux termes de son institution, le comité devait être renommé de mois en mois ; il était chargé simplement de surveiller et d’accélérer l’action du conseil exécutif (le ministère), mais autorisé à suspendre les arrêts qui lui paraîtraient contraires à l’intérêt public et à prendre, dans les circonstances urgentes, les mesures de défense générale extérieure et intérieure. Il était tenu, d’ailleurs, de rendre compte de ses actes à la Convention.

Comme on le voit, les pouvoirs du comité n’étaient, dans l’origine, ni très-étendus ni parfaitement définis. La force des choses ne tarda pas à lui donner toute l’autorité exécutive ; il réduisit promptement les ministres au rôle de simples commis, pour les supprimer ensuite tout à fait.

Plusieurs de ses membres, effrayés par l’énormité de la tâche et par les revers militaires de cette époque, donnèrent leur démission. Enfin, après plusieurs modifications partielles, un remaniement intégral eut lieu le 10 juillet. Barère et Lindet furent seuls conservés. Les nouveaux membres élus furent les suivants : Jean-Bon Saint-André, Hérault de Séchelles, Prieur (de la. Marne), Gasp’arin, Thuriot, Saint-Just, Couthon. À la fin du même mois, Robespierre fut élu en remplacement de Gasparin, démissionnaire pour cause de santé. Enfin Thuriot donna également sa démission ; Hérault tomba avec le parti Danton, et, d’un autre côté, Prieur (de la Côte-d’Or), Carnot (14 août), Billaud-Varennes et Collot d’Herbois (6 septembre) entrèrent au comité, qui compta définitivement douze membres. La Convention pouvait remplacer trois d’entre eux chaque mois ; mais, avec un sentiment profond des circonstances, elle ne voulut point entamer l’unité gouvernementale tant que durèrent les périls de la patrie, et, par des élections renouvelées chaque mois, elle maintint les mêmes citoyens au pouvoir pendant une année.

C’est ce gouvernement, dont les actes seront à jamais mémorables, auquel on donna et qui a conservé dans l’histoire le nom de Grand comité. Ses membres convinrent d’abord de délibérer en commun ; mais l’énorme affluence des affaires (de 400 à 500 par jour) démontra bientôt que ce plan était irréalisable, au moins pour les infinis détails des services. Chacun eut donc ses attributions distinctes, une sorte de ministère, avec une autorité presque illimitée ; mais les deux tiers des signatures étaient nécessaires pour la validité des actes. Ces contre-seings n’étaient souvent, il faut le dire, qu’une simple formalité, par suite de l’immensité du travail dont chacun était accablé ; il arrivait même que, des membres étant en mission ou malades, il n’était pas possible de réunir la majorité voulue. Dans ce cas, et quand il s’agissait d’une pièce qui ne souffrait pas d’ajournement, on inscrivait d’office quelques signatures sur l’expédition. Il est inutile de signaler les vices d’une telle organisation, qui imposait à tout le comité la solidarité des actes de chaque service particulier ; mais une situation sans exemple, des circonstances impérieuses, n’avaient pas permis de concilier autrement la responsabilité collective et la division du travail. Il y eut de graves abus, on ne saurait le nier, et, pour ne citer qu’un exemple, Carnot eut plus tard à se défendre de sa signature apposée sur certaines pièces qu’il n’avait même pas lues ; mais l’expédition d’une masse aussi considérable d’affaires créait des impossibilités physiques qu’il fallait cependant surmonter. La rapidité d’expédition, on ne doit pas l’oublier, était alors une des conditions suprêmes du salut public.

Le travail avait été réparti entre ces formidables travailleurs, suivant les aptitudes et les précédents de chacun : Billaud-Varennes et Collot d’Herbois étaient chargés de la correspondance journalière avec les autorités civiles et des instructions destinées aux représentants en mission ; Saint-Just avait le domaine de la législation constitutionnelle ; Robespierre s’occupa d’abord de l’instruction publique, puis des exposés de principes et de la direction de l’esprit public. Plus tard, les trois amis, Robespierre, Saint-Just et Couthon, formèrent un bureau de haute police révolutionnaire qui donna lieu à des conflits d’attributions avec le comité de Sûreté générale ; Jean-Bon Saint-André, ancien marin, fut chargé de l’administration navale et des missions dans les ports et sur les flottes ; Carnot eut le personnel et le mouvement des armées, les plans de campagne, etc. ; Prieur (de la Côte-d’Or), les armes, les munitions, les hôpitaux, les expéditions aux municipalités, aux armées, aux représentants en mission ; Robert Lindet et Prieur (de la Marne), les subsistances, l’habillement, les transports, les approvisionnements généraux ; Barère, les affaires étrangères, les secours publics, les monuments, les théâtres, etc. ; il était en outre le rapporteur habituel du comité auprès de la Convention, fonction qu’il remplissait avec une rare facilité.

Plusieurs membres étaient presque constamment en mission, et le comité actif, à Paris, ne se composa presque toujours que de neuf membres : ce ne fut donc jamais, ni de nombre ni de fait, un décemvirat, bien qu’il ait reçu et qu’il ait conservé ce nom.

La division du travail avait formé dans son sein trois groupes qu’on désignait communément par des noms significatifs, en raison de leurs fonctions et de leurs tendances : Barère, Collot et Billaud étaient les gens révolutionnaires ; Carnot, Prieur et Lindet, les travailleurs ; Robespierre, Saint-Just et Couthon, les gens de la haute main. Ces derniers étaient aussi désignés collectivement sous le nom de triumvirat, en raison de leur intimité et des idées de domination qui leur étaient attribuées.

Les pouvoirs exercés par le comité, ainsi que nous l’avons indiqué, s’accrurent successivement, surtout à partir de l’établissement du gouvernement révolutionnaire (octobre) et de la suppression des ministres, remplacés par douze commissions administratives, placées sous sa direction. Il exerça dès lors une véritable dictature, sous la haute surveillance de la Convention et du peuple. Les périls publics justifiaient suffisamment cette concentration de pouvoir, la création de cette forte machine gouvernementale, et les citoyens que la confiance nationale avait placés à ce poste de combat, et qui étaient investis d’une telle autorité, n’avaient d’ailleurs que les soucis, les fatigues et les dangers du pouvoir, sans rien de ce qui en fait le prix pour les âmes vulgaires, aucun de ces privilèges qui flattent l’orgueil et l’ambition. Leur traitement était à peine suffisant pour la vie privée ; aucun luxe ne les environnait ; ils ne commandaient point les armées en personne ; ils n’étaient entourés d’aucun appareil ; ils n’avaient aucune gestion pécuniaire ; leurs travaux étaient collectifs, et nul d’entre eux ne faisait œuvre distincte et personnelle. Simples citoyens, ils rentreront demain dans la foule ; leur tête répond de leurs actes, et, quand ils sortiront du pouvoir, aucune récompense matérielle ne soldera leur dévouement à la patrie.

Ils dirigeaient les finances, mais seulement à titre d’administration générale, ayant toujours repoussé toute espèce de maniement de fonds. Danton, qui regardait l’argent comme un moyen de gouvernement, avait plusieurs fois proposé qu’on mît des fonds à la disposition du comité (dont lui-même ne faisait plus partie). Un jour, il lui fit allouer spontanément 50 millions par la Convention, Il y eut dans le comité une véritable explosion d’indignation contre les pratiques traditionnelles des dépenses secrètes, qui leur paraissaient une souillure pour la République, une honte des mœurs monarchiques. À la première occasion, ils motivèrent leur refus avec une simplicité pleine de grandeur : « Le comité de Salut public n’a personne à corrompre ni à tromper. Il combat les ennemis de la patrie et de la liberté à la lumière du soleil. Il ignore les dépenses secrètes. »

Le comité de Salut public occupait les appartements démeublés des Tuileries, à portée de la Convention ; les bureaux avaient été établis suivant les exigences du local, avec un nombre assez restreint d’employés (l’administration militaire en comptait seulement une vingtaine). Comment ce gouvernement suffisait-il à son œuvre colossale ? En travaillant toujours. Il avait supprimé le sommeil, il avait supprimé la table ; car souvent ses membres réparaient leurs forces à l’aide d’un morceau de pain rompu devant leur bureau. On ne sait, à proprement parler, quand ils prenaient quelque repos, car on les voit toujours en action. Le matin, délibération commune sur les affaires générales ; puis séance de la Convention, où le rapporteur et quelques-uns des membres étaient souvent appelés par quelque affaire ; ensuite, travail dans les bureaux, expéditions, correspondance ; enfin, le soir, nouvelle séance commune, qui se prolongeait souvent pendant la nuit entière.

Indépendamment des chefs, veut-on savoir quels hommes se sont formés à cette forte école ? Citons seulement quelques noms parmi les simples employés du comité de Salut public, et dont la plupart ont occupé depuis les plus hautes positions : Clarke et Dupont, tous deux ministres de la guerre ; Faypoult, Otto et Reinhard, ambassadeurs et ministres ; Bailly de Monthyon, aide-major général de la grande armée ; le général Caffarelli ; l’amiral Grivel ; Préville et Gau, conseillers d’État ; l’helléniste Boissonade ; Guibert de Pixérécourt, le fameux dramaturge ; Fain, secrétaire particulier de Napoléon, puis intendant de Louis-Philippe ; le chimiste Adet, ambassadeur, préfet et conseiller à la Cour des comptes ; d’Arçon, le célèbre ingénieur, etc.

Il serait superflu de rappeler ici tous les hommes de haute capacité que le comité mit en action, et dont il fit des coopérateurs actifs et dévoués de son œuvre, les Monge, les Berthollet, les Fourcroy, les Guyton-Morveau, les Lagrange et tant d’autres.

Le comité de Salut public n’exerçait le droit d’arrestation qu’à l’égard des fonctionnaires de l’ordre civil et militaire. Toute mesure de ce genre touchant les particuliers rentrait dans les attributions du comité de Sûreté générale, également seul chargé de ce qui concernait les prisons ; mais, comme nous l’avons dit plus haut, le bureau de police dirigé par ceux qu’on nommait, à tort ou à raison, les triumvirs, empiéta plus d’une fois sur les attributions de l’autre comité. En outre, le caractère soupçonneux de Robespierre, sa personnalité absorbante, causèrent plus dune fois des dissensions intérieures, dont rien d’ailleurs ne transpirait au dehors, pas même à la Convention. Divisés en partis bien dessinés, les membres du grand comité, avec une abnégation sans exemple, dissimulaient avec un soin patriotique leurs dissentiments, pour ne pas entraver la marche des affaires ni compromettre l’unité de direction. Ils acceptaient même en silence la responsabilité d’actes que souvent plusieurs d’entre eux désapprouvaient. Mais les discordes, longtemps étouffées, éclatèrent enfin au dehors pour le malheur de la République. Par sa fête de l’Être suprême, Robespierre blessa plusieurs de ses collègues, qui lui reprochèrent de réveiller le fanatisme et les prétentions cléricales. La loi du 22 prairial, présentée à la Convention par Robespierre et Couthon, à l’insu du comité, loi qui dépouillait l’Assemblée du droit exclusif de décréter ses membres d’accusation, et qui donnait ce droit au comité, c’est-à-dire aux triumvirs, directeurs du bureau de police générale, et en possession de lancer les mandats d’accusation, maîtres en outre du tribunal révolutionnaire, cette loi, disons-nous, acheva de rendre les inimitiés irréconciliables. Des scènes terribles eurent lieu dans l’intérieur du comité, Robespierre et ses amis furent accusés d’aspirer à la dictature, et de conspirer la proscription des représentants du peuple. À la Convention, les divisions n’étaient pas moins tranchées. Les députés menacés par Robespierre, et ils étaient nombreux, se liguèrent pour prévenir ce qu’ils nommaient les complots du tyran, qui affecta dès lors de ne plus paraître au comité. À la veille même du 9 thermidor, Saint-Just fut surpris rédigeant l’acte d’accusation de ses collègues. On connaît le dénoûment tragique de ces grandes luttes, qui sont d’ailleurs étrangères au sujet de cet article. Après la chute des triumvirs, les vides du comité de Salut public furent remplis par des thermidoriens, et la Convention décréta que le comité serait renouvelé par quart tous les mois. Les anciens membres disparurent successivement. Billaud et Collot, fatigués par les accusations auxquelles ils étaient en butte, donnèrent leur démission, en attendant qu’ils fussent, avec Barère, proscrits par les réactionnaires. Carnot se retira en ventôse de l’an III. Les grands dangers étaient d’ailleurs conjurés, et les comités de gouvernement, remplis de médiocrités réactionnaires, continuèrent à diriger les affaires, mais sous l’influence directe de la Convention. Le comité de Salut public prolongea son existence, désormais sans éclat, jusqu’à la fin de la session conventionnelle.

L’histoire du comité de Salut public se lie intimement à celle de la Convention et de la République : nous ne pouvons donc que présenter ici d’une manière succincte les résultats de son administration. Quand ces grands citoyens prirent le pouvoir, après la trahison de Dumouriez, notre frontière du Nord était ouverte, Mayence était rendue, ainsi que le Palatinat et le cours du Rhin ; Condé, Valenciennes, le Quesnoy étaient livrés à Cobourg ; Landrecies était menacé, Dunkerque convoité par le duc d’York ; Maubeuge et Cambrai étaient près d’être livrés par trahison. La Vendée se soulevait, le Midi préparait sa défection, Lyon se mettait en révolte ouverte ; les complots royalistes et fédéralistes éclataient de toutes parts ; nos années des Pyrénées n’essuyaient que des revers ; les arsenaux étaient vides, la marine désorganisée ; armes, munitions, subsistances, tout manquait à la fois ; le trésor était vide, le commerce et l’industrie presque anéantis, la République inondée de faux assignats, l’armée découragée par des trahisons multipliées ou par l’incurie des chefs.

Après une année de travaux surhumains, quatorze armées en pleine activité avaient repoussé l’ennemi et continuaient le cours de leurs glorieux succès ; les approvisionnements d’armes, de vivres, de munitions avaient été improvisés sous le feu de l’ennemi et au milieu de difficultés inouïes ; 20 millions de livres de salpêtre étaient sorties des caves pour foudroyer l’ennemi ; une série de victoires, dont on trouvera ailleurs l’énumération, avait sauvé la patrie et porté la gloire de la jeune République jusqu’aux extrémités du monde ; Lyon était rentré sous les lois du pays ; Toulon avait été repris ; le Midi était pacifié, la Vendée contenue ; les peuples se donnaient à nous dans les entraînements de l’enthousiasme ; des manufactures, des écoles, de grandes institutions avaient été créées ; les sciences et les arts industriels avaient pris un essor immense ; enfin, après avoir inscrit dans nos annales la plus belle page militaire de l’histoire moderne, le grand Comité, de concert avec la Convention et la nation entière, avait inauguré l’ère des grandes créations scientifiques et industrielles qui font la force et la gloire de notre époque.

Que ceux qui l’accusent relisent les glorieuses éphémérides de ce temps !