Hector Servadac/II/03

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Hetzel (p. 30-49).
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CHAPITRE III


QUELQUES VARIATIONS SUR LE VIEUX THÈME SI CONNU DES COMÈTES DU MONDE SOLAIRE ET AUTRES.


Lorsque le professeur Palmyrin Rosette faisait une conférence sur la cométographie, voici comment, d’après les meilleurs astronomes, il définissait, les comètes :

« Astres composés d’un point central qu’on appelle noyau, d’une nébulosité qu’on appelle chevelure, d’une traînée lumineuse qu’on appelle queue, lesdits astres n’étant visibles pour les habitants de la terre que dans une partie de leur cours, grâce à la très-grande excentricité de l’orbite qu’ils décrivent autour du soleil. »

Puis, Palmyrin Rosette ne manquait jamais d’ajouter que sa définition était rigoureusement exacte, — à cela près, toutefois, que ces astres pouvaient se passer soit de noyau, soif de queue, soit de chevelure, et n’en être pas moins des comètes.

Aussi avait-il soin d’ajouter, suivant Arago, que, pour mériter ce beau nom de comète, un astre devait : 1o être doué d’un mouvement propre ; 2o décrire une ellipse très-allongée, et par conséquent s’en aller à une distance telle qu’il fût invisible du soleil et de la terre. La première condition remplie, l’astre ne pouvait plus être confondu avec une étoile, et la seconde empêchait qu’il ne pût être pris pour une planète. Or, ne pouvant appartenir à la classe des météores, n’étant point planète, n’étant point étoile, l’astre était nécessairement comète.

Le professeur Palmyrin Rosette, quand il professait ainsi dans son fauteuil de conférencier, ne se doutait guère qu’un jour il serait emporté par une comète à travers le monde solaire. Il avait toujours eu pour ces astres, chevelus ou non, une particulière prédilection. Peut-être pressentait-il ce que lui réservait l’avenir ? Aussi était-il très-ferré en cométographie. Ce qu’il dut particulièrement regretter à Formentera, après le choc, ce fut sans doute de ne pas avoir un auditoire sous la main, car il eût immédiatement commencé une conférence sur les comètes et traité son sujet dans l’ordre suivant :

1o Quel est le nombre des comètes dans l’espace ?

2o Quelles sont les comètes périodiques, c’est-à-dire celles qui reviennent dans un temps déterminé, et les comètes non périodiques ?

3o Quelles sont les probabilités d’un choc entre la terre et l’une quelconque de ces comètes ?

4o Quelles seraient les conséquences du choc, suivant que la comète aurait un noyau dur ou non ?

Palmyrin Rosette, après avoir répondu à ces quatre questions, eût certainement satisfait les plus exigeants de ses auditeurs.

C’est ce qui va être fait pour lui dans ce chapitre.

Sur la première question : Quel est le nombre des comètes dans l’espace ?

Kepler a prétendu que les comètes sont aussi nombreuses dans le ciel que les poissons dans l’eau.

Arago, se fondant sur le nombre de ces astres qui gravitent entre Mercure et le soleil, a porté à dix-sept millions le chiffre de celles qui pérégrinent rien que dans les limites du monde solaire.

Lambert dit qu’il y en a cinq cents millions jusqu’à Saturne seulement, c’est-à-dire dans un rayon de trois cent soixante-quatre millions de lieues.

D’autres calculs ont même donné soixante-quatorze millions de milliards de comètes.

La vérité est qu’on ne sait rien du nombre de ces astres chevelus, qu’on ne les a pas comptés, qu’on ne les comptera jamais, mais qu’ils sont très-nombreux. Pour continuer et même amplifier la comparaison imaginée par Kepler, un pêcheur, placé à la surface du soleil, ne pourrait pas jeter sa ligne dans l’espace sans accrocher l’une de ces comètes.

Et ce n’est pas tout. Bien d’autres courent l’univers, qui ont échappé à l’influence du soleil. Il en est de si vagabondes, de si déréglées, qu’elles quittent capricieusement un centre d’attraction pour entrer dans un autre. Elles changent de monde solaire avec une facilité déplorable, les unes apparaissant sur l’horizon terrestre, qu’on n’avait jamais vues encore, les autres disparaissant et qu’on ne doit plus revoir.

Mais, pour s’en tenir aux comètes qui appartiennent réellement au monde solaire, ont-elles, au moins, des orbites fixes, que rien ne peut changer, et qui, par conséquent, rendent impossible tout choc de ces corps, soit entre eux, soit avec la terre ? Eh bien ! non ! Ces orbites ne sont point à l’abri des influences étrangères. D’elliptiques, elles peuvent devenir paraboliques ou hyperboliques. Et, pour ne parler que de Jupiter, cet astre est le plus grand « dérangeur » d’orbites qui soit. Comme l’ont remarqué les astronomes, il semble toujours être sur la grande route des comètes, et exerce sur ces faibles astéroïdes une influence qui peut leur être funeste, mais qu’explique sa puissance attractive.

Tel est donc, en gros, le monde cométaire, qui compte par millions les astres dont il se compose.

Sur la seconde question : Quelles sont les comètes périodiques et les comètes non périodiques ?

En parcourant les annales astronomiques, on trouve environ cinq à six cents comètes qui ont été l’objet d’observations sérieuses à différentes époques. Mais, sur ce chiffre, il n’en est guère qu’une quarantaine dont les périodes de révolution soient exactement connues.

Ces quarante astres se divisent en comètes périodiques et en comètes non périodiques. Les premières reparaissent sur l’horizon terrestre, après un intervalle de temps plus ou moins long, mais presque régulier. Les secondes, dont le retour ne saurait être assigné, s’éloignent du soleil à des distances véritablement incommensurables.

Parmi les comètes périodiques, il en est dix qui sont dites « à courtes périodes » et dont les mouvements sont calculés avec une extrême précision. Ce sont les comètes de Halley, d’Encke, de Gambart, de Faye, de Brörsen, d’Arrest, de Tuttle, de Winecke, de Vico et de Tempel.

Il est bon de dire quelques mots de leur histoire, car l’une d’elles s’est précisément comportée à l’égard du globe terrestre comme venait de le faire la comète Gallia.

La comète de Halley est la plus anciennement connue. On suppose qu’elle a été vue en l’an 134 et l’an 52 avant Jésus-Christ, puis en les années 400, 855, 930, 1006, 1230, 1305, 1380, 1456, 1531, 1607, 1682, 1759 et 1835. Elle se meut d’orient en occident, c’est-à-dire en sens inverse du mouvement des planètes autour du soleil. Les intervalles qui séparent ses apparitions sont de soixante-quinze à soixante-seize ans, suivant qu’elle est plus ou moins troublée dans sa révolution par le voisinage de Jupiter et de Saturne, — retards qui peuvent dépasser six cents jours. L’illustre Herschell, installé au cap de Bonne-Espérance, lors de l’apparition de cette comète en 1835, et dans de meilleures conditions que les astronomes de l’hémisphère boréal, put la suivre jusqu’à la fin de mars 1836, époque à laquelle sa trop grande distance de la terre la rendit invisible. À son périhélie, la comète de Halley passe à vingt-deux millions de lieues du soleil, soit une distance moindre que celle de Vénus, — ce qui semblait s’être produit pour Gallia. À son aphélie, elle s’en éloigne de treize cents millions de lieues, c’est-à-dire au delà de l’orbe de Neptune.

La comète d’Encke est celle qui accomplit sa révolution dans la période la plus courte, puisque cette période n’est en moyenne que de douze cent cinq jours, soit moins de trois ans et demi. Elle se meut en sens direct, d’occident en orient. Elle fut découverte le 26 novembre 1818, et, après calcul de ses éléments, on reconnut qu’elle s’identifiait avec la comète observée en 1805. Ainsi que les astronomes l’avaient prédit, on la revit en 1822, 1825, 1829, 1832, 1835, 1838, 1842, 1845, 1848, 1852, etc., et elle n’a jamais cessé de se montrer sur l’horizon terrestre aux époques déterminées. Son orbite est contenue dans celle de Jupiter. Elle ne s’éloigne donc pas du soleil de plus de cent cinquante-six millions de lieues, et elle s’en rapproche à treize millions, c’est-à-dire plus près que ne le fait Mercure. Observation importante : on a remarqué que le grand diamètre de l’orbite elliptique de cette comète diminue progressivement, et que, par conséquent, sa moyenne distance au soleil devient de plus en plus petite. Il est donc probable que la comète d’Encke finira par tomber sur l’astre radieux, qui l’absorbera, à moins qu’elle ne se soit volatilisée auparavant à sa trop grande chaleur.

La comète dite de Gambart ou de Biéla a été aperçue en 1772, 1789, 1795, 1805, mais c’est seulement le 28 février 1826 que ses éléments furent déterminés. Son mouvement est direct. Sa révolution dure deux mille quatre cent dix jours, environ sept ans. À son périhélie, elle passe à trente-deux millions sept cent dix mille lieues du soleil, c’est-à-dire un peu plus près que n’en passe la terre ; à son aphélie, à deux cent trente-cinq millions trois cent soixante-dix mille lieues, soit au delà de l’orbite de Jupiter. Un curieux phénomène s’est produit en 1846. La comète de Biéla a reparu en deux morceaux sur l’horizon terrestre. Elle s’était dédoublée en route, sans doute sous l’action d’une force intérieure. Les deux fragments voyageaient alors de conserve à soixante mille lieues l’un de l’autre ; mais, en 1852, cette distance était déjà de cinq cent mille lieues.

La comète de Faye a été signalée pour la première fois le 22 novembre 1843, accomplissant sa révolution en sens direct. Les éléments de son orbite furent calculés, et l’on prédit qu’elle reviendrait en 1850 et 1851, après sept ans et demi, ou deux mille sept cent dix-huit jours. La prédiction se réalisa : l’astre reparut à l’époque, indiquée et aux époques ultérieures, après être passé à soixante-quatre millions six cent cinquante mille lieues du soleil, soit plus loin que Mars, et s’en être éloigné à deux cent vingt-six millions cinq cent soixante mille lieues, soit plus loin que Jupiter.

La comète de Brörsen, douée d’un mouvement direct, a été découverte le 26 février 1846. Elle accomplit sa révolution en cinq ans et demi, ou deux mille quarante-deux jours. Sa distance périhélique est de vingt-quatre millions six cent quatorze mille lieues ; sa distance aphélique est de deux cent seize millions de lieues.

Quant aux autres comètes à courte période, celle d’Arrest accomplit sa révolution en un peu plus de six ans et demi, et a passé en 1862 à onze millions de lieues seulement de Jupiter ; celle de Tuttle se meut en treize ans deux tiers, celle de Winecke en cinq ans et demi, celle de Tempel en un temps à peu près égal, et celle de Vico semble s’être égarée dans les espaces célestes. Mais ces astres n’ont point été l’objet d’observations aussi complètes que les cinq comètes précédemment citées.

Reste à énumérer maintenant les principales comètes « à longues périodes », dont quarante ont été étudiées avec plus ou moins de précision.

La comète de 1556, dite « comète de Charles-Quint », attendue vers 1860, n’a pas été réaperçue.

La comète de 1680, étudiée par Newton, et qui, d’après Whiston, aurait causé le déluge en s’approchant trop près de la terre, aurait été vue l’an 619 et l’an 43 avant Jésus-Christ, puis en 531 et en 1106 Sa révolution serait de six cent soixante-quinze ans, et, à son périhélie, elle passe si près du soleil qu’elle en reçoit une chaleur vingt-huit mille fois plus considérable que celle que reçoit la terre, soit deux mille fois la température du fer en fusion.

La comète de 1586 serait comparable pour la vivacité de son éclat à une étoile de première grandeur.

La comète de 1744 traînait plusieurs queues après elle, comme un de ces pachas qui gravitent autour du Grand Turc.

La comète de 1811, qui a donné son nom à l’année de son apparition, possédait un anneau mesurant cent soixante et onze lieues de diamètre, une nébulosité de quatre cent cinquante mille lieues, et une queue de quarante-cinq millions.

La comète de 1843, que l’on a cru devoir identifier avec celle de 1668, de 1494 et de 1317, fut observée par Cassini, mais les astronomes ne sont aucunement d’accord sur la durée de sa révolution. Elle ne passe qu’à douze mille lieues de l’astre radieux, avec une vitesse de quinze mille lieues par seconde. La chaleur qu’elle reçoit alors est égale à celle que quarante-sept mille soleils enverraient à la terre. Sa queue était visible même en plein jour, tant cette effroyable température en accroissait la densité.

La comète de Donati, qui brillait avec tant de splendeur au milieu des constellations boréales, a une masse évaluée à la sept centième partie de celle de la terre.

La comète de 1862, ornée d’aigrettes lumineuses, ressemblait à quelque fantaisiste coquillage.

Enfin, la comète de 1864, dans sa révolution qui ne s’accomplit pas en moins de deux mille huit cents siècles, va se perdre pour ainsi dire dans l’espace infini.

Sur la troisième question : Quelles sont les probabilités d’un choc entre la terre et l’une quelconque de ces comètes ?

Si l’on trace sur le papier les orbites planétaires et les orbites cométaires, on voit qu’elles s’entre-croisent en maint endroit. Mais il n’en est pas ainsi dans l’espace. Les plans qui contiennent ces orbites sont inclinés sous des angles différents par rapport à l’écliptique, qui est le plan de l’orbite terrestre. Malgré cette « précaution » du Créateur, ne peut-il arriver, tant est grand le nombre de ces comètes, que l’une d’elles vienne heurter la terre ?

Voici ce que l’on peut répondre :

La terre, on le sait, ne sort jamais du plan de l’écliptique, et l’orbite qu’elle décrit autour du soleil est tout entière contenue dans ce plan.

Que faut-il donc pour que la terre soit heurtée par une comète ? Il faut :

1o Que cette comète la rencontre dans le plan de l’écliptique ;

2o Que le point que la comète traverse à ce moment précis soit le point même de la courbe que décrit la terre ;

3o Que la distance qui sépare le centre des deux astres soit moindre que leur rayon.

Or, ces trois circonstances peuvent-elles se produire simultanément, et, par conséquent, amener le choc ?

Lorsqu’on demandait à Arago son avis à ce sujet, il répondait :

« Le calcul des probabilités fournit le moyen d’évaluer les chances d’une pareille rencontre, et il montre qu’à l’apparition d’une comète inconnue, il y a deux cent quatre-vingts millions à parier contre un qu’elle ne viendra pas choquer notre globe. »

Laplace ne rejetait pas la possibilité d’une pareille rencontre, et il en a décrit les conséquences dans son Exposition du système du monde.

Ces chances sont-elles suffisamment rassurantes ? Chacun en décidera suivant son tempérament. Il faut, d’ailleurs, observer que le calcul de l’illustre astronome repose sur deux éléments qui peuvent varier à l’infini. Il exige, en effet : 1o qu’à son périhélie la comète soit plus près du soleil que la terre ; 2o que le diamètre de cette comète soit égal au quart de celui de la terre.

Et encore ne s’agit-il, dans ce calcul, que de la rencontre du noyau cométaire avec le globe terrestre. Si l’on voulait chiffrer les chances d’une rencontre avec la nébulosité, il faudrait les décupler, soit deux cent quatre-vingt-un millions contre dix ou vingt-huit millions cent mille contre un.

Mais, en restant dans les termes du premier problème, Arago ajoute :

« Admettons un moment que la comète qui viendrait heurter la terre anéantirait l’espèce humaine tout entière ; alors le danger de mort qui résulterait pour chaque individu de l’apparition d’une comète inconnue serait exactement égal à la chance qu’il courrait, s’il n’y avait dans une urne qu’une seule boule blanche sur un total de deux cent quatre-vingt-un millions de boules, et que sa condamnation à mort fût la conséquence inévitable de la sortie de cette boule blanche au premier tirage ! »

De tout ceci, il résulte donc qu’il n’y a aucune impossibilité à ce que la terre soit choquée par une comète.

L’a-t-elle été autrefois ?

Non, répondent les astronomes, parce que « de ce que la terre tourne autour d’un axe invariable, dit Arago, on peut conclure avec certitude qu’elle n’a pas été rencontrée par une comète. En effet, à la suite de cet ancien choc, un axe instantané de rotation eût remplacé l’axe principal, et les latitudes terrestres se trouveraient soumises à des variations continuelles que les observations n’ont pas signalées, La constance des latitudes terrestres prouve donc que, depuis l’origine, notre globe n’a pas été heurté par une comète… Donc aussi, comme quelques savants l’ont fait, on ne peut attribuer au choc d’une comète la dépression de cent mètres au-dessous du niveau de l’Océan, formée par la mer Caspienne. »

Il n’y a donc pas eu choc dans le passé, cela paraît certain, mais a-t-il pu s’en produire un ?

Ici se place naturellement l’incident Gambart.

En 1832, la réapparition de la comète Gambart provoqua dans le monde un effet de terreur certain. Une assez bizarre coïncidence cosmographique fait que l’orbite de cette comète coupe presque celle de la terre. Or, le 29 octobre, avant minuit, la comète devait passer très-près de l’un des points de l’orbite terrestre. La terre y serait-elle au même moment ? Si elle y était, il y aurait rencontre, car, suivant les observations d’Olbers, la longueur du rayon de la comète étant égale à cinq rayons terrestres, une portion de l’orbite terrestre était noyée dans la nébulosité.

Très-heureusement, la terre n’arriva à ce point de l’écliptique qu’un mois plus tard, le 30 novembre, et comme elle est animée d’une vitesse de translation de six cent soixante-quatorze mille lieues par jour, lorsqu’elle y passa, la comète était déjà à plus de vingt millions de lieues d’elle.

Très-bien ; mais si la terre fût arrivée à ce point de son orbite un mois plus tôt ou la comète un mois plus tard, la rencontre avait lieu. Or, ce fait pouvait-il arriver ? Évidemment, car si l’on ne doit pas admettre que quelque perturbation modifie la marche du sphéroïde terrestre, nul n’oserait prétendre que la marche d’une comète ne puisse être retardée, — ces astres étant soumis à tant d’influences redoutables sur leur route.

Donc, si le choc ne s’est pas produit dans le passé, il est certain qu’il pouvait se produire.

D’ailleurs, ladite comète Gambart, en 1805, avait déjà passé dix fois plus près de la terre, à deux millions de lieues seulement. Mais, comme on l’ignorait, ce passage ne provoqua aucune panique. Il n’en fut pas tout à fait de même pour la comète de 1843, car on craignit que le globe terrestre ne fût tout au moins englobé dans sa queue, ce qui pouvait vicier son atmosphère.

Sur la quatrième question : Étant donné qu’une collision peut se produire entre la terre et une comète, quels seraient les effets de cette collision ?

Ils seront différents, selon que la comète heurtante aura ou n’aura pas de noyau.

En effet, de ces astres vagabonds, les uns sont à noyau, comme certains fruits, les autres en sont dépourvus.

Quand le noyau manque aux comètes, celles-ci sont formées d’une nébulosité si ténue, qu’on a pu, à travers leur masse, apercevoir des étoiles de dixième grandeur. De là, des changements de forme que subissent fréquemment ces astres et la difficulté de les reconnaître. La même matière subtile entre dans la composition de leur queue. C’est comme une évaporation d’elle-même qui se fait sous l’influence de la chaleur solaire. La preuve, c’est que cette queue ne commence à se développer, soit comme un long plumeau, soit comme un éventail à plusieurs branches, que dès que les comètes ne sont plus qu’à trente millions de lieues du soleil, distance inférieure à celle qui sépare celui-ci de la terre. D’ailleurs, il arrive souvent que certaines comètes, faites évidemment d’une matière plus dense, plus résistante, plus réfractaire à l’action des hautes températures, ne présentent aucun appendice de ce genre.

Dans le cas où la rencontre s’effectuerait entre le sphéroïde terrestre et une comète sans noyau, il n’y aurait pas choc dans la véritable acception du mot. L’astronome Faye a dit que la toile d’araignée opposerait peut-être plus d’obstacle à la balle d’un fusil qu’une nébulosité cométaire. Si la matière qui compose la queue ou la chevelure n’est pas insalubre, il n’y a rien à redouter. Mais ce que l’on pourrait craindre serait ceci : ou que les vapeurs des appendices fussent incandescentes, et dans ce cas elles brûleraient tout à la surface du globe, ou qu’elles introduisissent dans l’atmosphère des éléments gazeux impropres à la vie. Cependant, il paraît difficile que cette dernière éventualité se réalise. En effet selon Babinet, l’atmosphère terrestre, si ténue qu’elle soit à ses limites supérieures, possède encore une densité très-considérable par rapport à celle des nébulosités ou appendices cométaires, et elle ne se laisserait pas pénétrer. Telle est, en effet, la ténuité de ces vapeurs, que Newton a pu affirmer que si une comète sans noyau, d’un rayon de trois cent soixante-cinq millions de lieues, était portée au degré de condensation de l’atmosphère terrestre, elle tiendrait tout entière dans un dé de vingt cinq millimètres de diamètre.

Donc, pour les cas de comètes à simple nébulosité, peu de danger à craindre en cas de rencontre. Mais qu’arriverait-il si l’astre chevelu était formé d’un noyau dur ?

Et d’abord, existe-t-il de ces noyaux ? On répondra qu’il doit en exister, lorsque la comète a atteint un degré de concentration suffisant pour être passée de l’état gazeux à l’état solide. Dans ce cas, lorsqu’elle s’interpose entre une étoile et un observateur placé sur la terre, il y a occultation de l’étoile.

Or, il paraît que quatre cent quatre-vingts ans avant Jésus-Christ, au temps de Xerxès, suivant Anaxagore, le soleil fut éclipsé par une comète. De même, quelques jours avant la mort d’Auguste, Dion observa une éclipse de ce genre, éclipse qui ne pouvait être due à l’interposition de la lune, puisque la lune, ce jour-là, se trouvait en opposition.

Il faut dire cependant que les cométographes récusent ce double témoignage, et ils n’ont peut-être pas tort. Mais deux observations plus récentes ne permettent pas de mettre en doute l’existence des noyaux cométaires. En effet, les comètes de 1774 et de 1828 produisirent l’occultation d’étoiles de huitième grandeur. Il est également admis, après observations directes, que les comètes de 1402, 1532, 1744, ont des noyaux durs. Pour la comète de 1843, le fait est d’autant plus certain qu’on pouvait apercevoir l’astre en plein midi, près du soleil, et sans l’aide d’aucun instrument.

Non-seulement les noyaux durs existent dans certaines comètes, mais on les a même mesurés. C’est ainsi que l’on connaît des diamètres réels, depuis onze et douze lieues pour les comètes de 1798 et 1803 (Gambart), jusqu’à trois mille deux cents lieues pour celle de 1845. Cette dernière aurait donc un noyau plus gros que le globe terrestre, si bien qu’en cas de rencontre, l’avantage resterait peut-être à la comète.

Quant aux quelques nébulosités les plus remarquables qui ont été mesurées, on trouve qu’elles varient entre sept mille deux cents et quatre cent cinquante mille lieues.

Pour conclure, il faut dire avec Arago :

Il existe ou peut exister :

1o Des comètes sans noyaux ;

2o Des comètes dont le noyau est peut-être diaphane ;

3o Des comètes plus brillantes que les planètes, ayant un noyau probablement solide et opaque.

Et maintenant, avant de rechercher quelles seraient les conséquences d’une rencontre de la terre et l’un de ces astres, il est à propos de remarquer que, même au cas où il n’y aurait pas choc direct, les phénomènes les plus graves pourraient se produire.

En effet, le passage à petite distance d’une comète, si sa masse est suffisamment considérable, ne serait pas sans danger. Avec une masse inférieure, rien à craindre. C’est ainsi que la comète de 1770, qui s’est approchée de la terre à six cent mille lieues, n’a pas fait varier d’une seconde la durée de l’année terrestre, tandis que l’action de la terre avait retardé de deux jours la révolution de la comète.

Mais, au cas où les masses des deux corps seraient égales, si la comète passait à cinquante-cinq mille lieues seulement de la terre, elle augmenterait la durée de l’année terrestre de seize heures cinq minutes et changerait de deux degrés l’obliquité de l’écliptique. Peut-être aussi capterait-elle la lune en passant.

Enfin quelles seraient les conséquences d’un choc ? On va les connaître.

Ou la comète, effleurant seulement le globe terrestre, y laisserait un morceau d’elle-même, ou elle en arracherait quelques parcelles, — et c’est le cas de Gallia, — ou bien elle s’y appliquerait de manière à former à sa surface un continent nouveau.

Dans tous ces cas, la vitesse tangentielle de translation de la terre pourrait être subitement anéantie. Alors, êtres, arbres, maisons seraient projetés avec cette vitesse de huit lieues par seconde dont ils étaient animés avant le choc. Les mers s’élanceraient hors de leurs bassins naturels pour tout anéantir. Les parties centrales du globe, qui sont encore liquides, l’éventrant par contre-coup, tendraient à s’échapper au dehors. L’axe de la terre étant changé, un nouvel équateur se substituerait à l’ancien. Enfin la vitesse du globe pourrait être absolument enrayée, et, par conséquent, la force attractive du soleil n’étant plus contrebalancée, la terre tomberait vers lui en ligne droite, pour s’y absorber après une chute de soixante-quatre jours et demi.

Et même, par application de la théorie de Tyndall, que la chaleur n’est qu’un mode du mouvement, la vitesse du globe, subitement interrompue, se transformerait mécaniquement en chaleur. La terre, alors, sous l’action d’une température portée à des millions de degrés, se volatiliserait en quelques secondes.

Mais, et pour finir ce rapide résumé, il y a deux cent quatre-vingt-un millions de chances contre une qu’une collision entre la terre et une comète ne s’effectuera pas.

« Sans doute, ainsi que le dit plus tard Palmyrin Rosette, sans doute, mais nous avons tiré la boule blanche. »