Histoire de France (Jules Michelet)/édition 1893/Guerres de religion/Chapitre 19

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Œuvres complètes de J. Michelet
(Histoire de Francep. 302-303).

CHAPITRE XIX

Suite. — Conquête de la liberté religieuse. (1568-1570.)


Pie V et Philippe II, l’inflexible grandeur du parti catholique, l’idéal du pape et du roi, au point de vue de l’Inquisition, voilà ce que présente ce moment mémorable (1568).

La place de Bruxelles et d’Anvers montre les échafauds du duc d’Albe et l’Escurial achevé, de ses grises murailles, dérobe à l’Europe effrayée le supplice inconnu de don Carlos.

Cruelles, implacables justices ! Mais Philippe II les avait annoncées dès son avènement. En livrant à l’Inquisition son bras droit, son maître et son guide, l’archevêque de Tolède (1559), il avait dit : « Si j’ai du sang hérétique, moi-même je donnerai mon sang. »

Cela est neuf, grand et terrible. Le ciel catholique sur la terre. Dieu a donné son fils, et Philippe II en fait autant.

Le 24 janvier 1568, il écrit au pape : « En reconnaissance des bienfaits de Dieu, j’ai préféré le salut de la religion à mon propre sang et sacrifié ma chair et mon unique fils. » Que devint don Carlos ? Les historiens espagnols assurent qu’il mourut naturellement.

Toute la vie de Philippe II paraît un sacrifice. Renfermé nuit et jour, ne voyant rien que ses papiers, ne présidant pas même son conseil, ne communiquant jamais que par écrit, vit-il réellement ? On en douterait sans les notes de sa grosse écriture qu’on trouve sur les dépêches. Cependant ce fantôme a une femme, une jeune Française, qui se meurt de mélancolie.

Madrid, sur sa plate plaine grise, était trop gaie encore. Dans un paysage sinistre, propre aux gibets ou à l’assassinat, parmi des rochers désolés, s’est élevée en dix ans la maison de plaisance du roi d’Espagne, l’Escurial, palais, monastère et sépulcre, où il doit s’enterrer vivant. Ses hauts murs de granit, surplombant des cloîtres étroits, des fontaines sans eau et des jardins sans arbres, ont déjà étonné, en 1565, le comte d’Egmont. C’est de là que Philippe II, en 1566, écrit lettre sur lettre pour hâter le supplice du comte. Le duc d’Albe répond (13 avril) qu’il ne peut pas aller plus vite, qu’il faut bien, pour l’honneur du roi, quelque forme de justice. Mais le soir du même jour, craignant en bon courtisan d’avoir mécontenté le roi, il écrit que la semaine sainte fait un peu tarder les exécutions ; on n’y perdra rien ; il coupera, après Pâques, huit cents têtes pour commencer (Gach. Phil. II, t. II, p. 23).


À compléter