Histoire de l’abbaye d’Hautecombe en Savoie/II-CHAPITRE XVII

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CHAPITRE XVII


Naissance et premières années du règne d’Amédée VI, le Comte Vert. — Historique des fours et moulins de Chambéry jusqu’au xve siècle.


Guichenon commence l’histoire du règne d’Amédée VI par les paroles suivantes, dont le lecteur saura dégager la part d’emphase et de flatterie, duc à l’influence du siècle de Louis XIV, pendant lequel elles furent écrites et à la qualité d’historiographe de la Maison de Savoie, dont leur auteur était honoré :

« Les actions héroïques de ce prince, sa conduite judicieuse, son bonheur extraordinaire et ses mémorables et généreuses entreprises lui ont érigé un monument immortel de gloire et de grandeur : Et quoy que ses ancêtres se soient rendus recommandables à tous les siècles par leurs éminentes vertus, il semble que luy seul les ayt tnus surpassé et que tant de belles qualités qui ont esclaté en ses prédécesseurs, se soient unies avec excès en sa personne pour en faire le modèle d’un prince le plus parlait, le plus illustre et le plus glorieux de la terre, comparable aux plus grands héros de l’Antiquité. »

Il vint au monde à Chambéry, le 4 janvier 1334, et y fut baptisé solennellement, le 11 du mois suivant, par Aymon de Miolans, évêque de Maurienne. Amé. comte de Genève, son cousin germain, lui donna son nom. N’ayant que neuf années et demie quand il monta sur le trône, il donnait lieu de craindre que les troubles qui accompagnaient fréquemment la minorité des souverains, n’agitassent également la sienne ; mais, grâce aux sages précautions prises par son père Aymon dans l’organisation de sa tutelle, ces troubles furent conjurés, les finances furent sagement administrées, la justice rendue, les frontières gardées et même reculées.

En 1317, une alliance conclue entre la Savoie et la Bourgogne est cimentée par les fiançailles du jeune Amédée avec Jeanne, fille de Philippe, duc de Bourgogne. D’un âge encore trop peu avancé pour contracter mariage, elle fut, suivant l’usage de cette époque, conduite dans le pays de son fiancé pour y être élevée et habituée à sa future patrie ; le château du Bourget fut sa résidence. C’est à l’occasion de son arrivée qu’eurent lieu à Chambéry au mois de janvier suivant, ces fêtes célèbres dont le souvenir est resté vivant dans les annales de cette ville. Le comte convoqua la fleur de la noblesse des provinces de deçà les monts, soit de la Savoie, du Viennois, de l’Helvétie et de la Bresse. Pendant trois jours, il y eut joutes et tournois, surpassant tout ce qu’on avait vu précédemment dans ce genre ; Amédée avait 14 ans et fit preuve d’une force et d’une vaillance bien supérieures à son âge. Ce fut dans ces fêtes qu’il parut, le premier jour, portant un costume vert, monté sur un cheval caparaçonné en vert, suivi d’un nombreux cortège aux mêmes couleurs ; aussi le nom de Comte-Vert lui fut donné, et c’est sous cette appellation que l’histoire en a glorieusement transmis le souvenir à la postérité.

Ces réjouissances devaient être bientôt suivies d’un des plus grands fléaux qui aient affligé l’Europe. La peste, venue d’Orient, s’étendit sur tout l’Occident et y fit des ravages que l’on a peine à s’imaginer. Les comptes du conseil résident de Chambéry nous apprennent que la mortalité dura, dans cette ville, du commencement du mois d’août au mois de novembre 1348 ; ce fut alors que mourut Georges d’Aquila, le décorateur de la Chapelle des Princes[1].

L’année suivante fut marquée par un événement de haute importance pour les destinées de la monarchie de Savoie : ce fut la réunion du Dauphiné à la France. Le Dauphiné, obéré de dettes, était gouverné par Humbert II, dont l’unique fils était mort en 1343. Depuis lors, le dauphin pensa vendre ses États. Après diverses négociations avec le comte de Savoie et d’autres princes voisins, qui tous en convoitaient la possession, il les céda définitivement à Philippe VI, à condition que le Dauphiné serait l’apanage du fils aîné des rois de France. Cette cession fut bien reçue de la noblesse dauphinoise ; elle espéra voir ainsi le terme de leurs querelles séculaires avec les Savoisiens, qui n’oseraient plus se mesurer avec les sujets du roi de France. Néanmoins, l’enchevêtrement des possessions du dauphin et du comte était tel que de nouvelles incursions vinrent encore semer la dévastation et la ruine sur les terres ennemies, et procurèrent aux troupes savoisiennes la victoire des Abrets, où toute la noblesse du Dauphiné qui y prit part, fut prisonnière (avril 1334)[2]. Un traité de paix et de rectification de frontières s’ensuivit par la médiation du roi de France, Jean II, le Bon. Le 5 janvier 1355, à Paris, il fut convenu que le comte de Savoie céderait au dauphin de France le Viennois et toutes ses possessions situées au delà du Guiers, et qu’en retour le dauphin lui abandonnerait les seigneuries de Gex, de Faucigny, un grand nombre de châteaux et terres, et généralement tout ce qu’il possédait en deçà des rivières de l’Ain et de l’Albarine. Le comte rendra à ses parents Jeanne de Bourgogne, avec qui l’union projetée n’eut point lieu[3] ; alliance et amitié existeront entre France et Savoie, sauf contre l’empereur.

Pour cimenter ce traité, Amédée VI épousa Bonne de Bourbon, cousine du roi, qui entra en Savoie par Yenne, suivie de 80 cavaliers, et y fut reçue solennellement[4].

Ces traités rendirent plus compactes les possessions de la Maison de Savoie ; mais, en substituant le roi de France au dauphin de Viennois, ils firent cesser pour elle tout espoir d’agrandissement de ce côté. Aussi, dés ce moment, ses vues se portèrent vers l’Italie et vers la grande source de la puissance séculière au moyen-âge, le saint empire romain.

Ces événements, malgré leur grande importance politique, n’empêchaient point le Comte-Vert de se mêlera des questions d’administration locale.

Déjà, quelques années auparavant, en 13i9, nous le voyons, tout jeune encore, intervenir personnellement à un traité passé entre lui, l’abbaye d’Hautecombe et la ville de Chambéry, relativement aux fours de cette ville. Nous sommes ainsi ramenés à notre monastère, et nous allons exposer ici l’historique de ses droits sur les fours et moulins de Chambéry, depuis leur origine jusqu’à la fin du siècle dont nous nous occupons.

Les droits de mouture et de fournage formaient une catégorie de ces nombreux droits féodaux désignés sous le nom générique de banalités. Cette classe de privilèges enlassait tellement le serf, qu’il ne pouvait ni chasser sur ses terres, ni moudre à son moulin, ni cuire à son four, ni fouler ses draps à son usine, ni aiguiser ses outils à sa meule, ni faire son vin à son pressoir, ni vendre ses denrées au marché public, ni tenir pigeons dans son colombier, ni avoir lapins dans son clapier, etc. Au seigneur seul étaient réservées ces prérogatives[5]. Aussi, quand Amédée IV donna à l’abbaye d’Hautecombe les fours et moulins de Chambéry, en 1253, à titre d’aumône, il accomplit une libéralité importante. Tous les habitants de cette ville, obligés d’y avoir recours et ne pouvant en créer d’autres, étaient placés sous la dépendance de l’abbaye en même temps qu’ils contribuaient à grossir ses revenus.

Ces propriétés, situées dans une localité assez éloignée, séparée du monastère par un lac et une plaine marécageuse, étaient d’une administration difficile pour la communauté d’Hautecombe. Aussi voyons-nous qu’elle s’associa les successeurs d’Amédée IV, puis les syndics de Chambéry et d’autres particuliers, pour se la rendre moins onéreuse.

Les fours cédés originairement[6] étaient au nombre de deux : celui de la porte Paneterie et celui de Bourgneuf. En 1349, il en existait cinq, ainsi désignés dans l’acte de leur albergement aux syndics de la ville : le four de « Forsporte (foris portam), près de la maison de Jean Vienz. » Il était situé à l’angle actuel de la rue Croix-d’Or et de la place Saint-Léger.

Celui de « la Grenaterie, près de la maison du nommé Affeitaz, » situé sur la place Saint-Léger. Une partie de cette place portait le nom de rue de la Grenaterie ou rue Tupin, avant rétablissement de la rue de Boigne.

« Le four près de la maison qui appartenait autrefois à Jean Bonivard et maintenant à Aymon Bonivard. » Il a existé, jusqu’à ces dernières années, dans la petite rue Apollonie, appelée autrefois rue du Four.

« Le four de Bourgneuf, près de la maison de Pierre Moine, » rue Juiverie actuelle, prés de la maison Morand. C’était un des deux cédés par Amédée IV.

Enfin « le four Neuf sous le Château », qui devait être dans la rue actuelle de la Trésorerie.

Le 17 février 1349, l’abbaye céda la moitié indivise de ces fours au comte Amédée VI, moyennant la rente annuelle de 25 sols tournois[7] ; puis, le mois suivant, l’abbaye et le comte les donnèrent en emphytéose et albergement, avec toutes leurs dépendances et revenus, à la ville de Chambéry, représentée par Jean Bonivard et Jacquemet Bouczan, ses syndics, moyennant la redevance annuelle de 80 florins d’or de Florence, bon poids[8], payables au comte et à l’abbaye qui se les diviseront, moitié le jour de la fête de saint Michel, moitié le jour de l’Annonciation. Puis, suivant l’usage de l’époque, des garants pour l’accomplissement des engagements réciproques sont donnés par chaque partie. Au nom de la ville, les deux syndics ci-dessus et quatre autres bourgeois et habitants, Guillaume Bon, Pierre Bonivard, Rolet Candie et Guillaume de Clet, garantissent par leur serment et par l’hypothèque de tous leurs biens présents et futurs le payement de la rente stipulée et des dépenses dont elle pourrait être l’occasion. De la part du comte et de l’abbaye, cinquante personnes, tant bourgeois qu’habitants de Chambéry, assurent de la même manière l’exécution de leurs engagements.

En outre, les albergateurs promettent aux représentants de la ville de leur maintenir et défendre la possession desdits fours, à leurs propres dépens ; le comte prend spécialement cet engagement pour l’abbaye et en assure l’exécution par l’hypothèque de tous ses biens.

L’acte est passé dans la grande salle du Château de Chambéry, le 25 mars 1349, en présence du comte Amédée « se disant majeur de 14 ans », de frère Jean Bouczan, moine et procureur d’Hautecombe, des représentants et garants de la ville ci-dessus nommés et d’un grand nombre d’autres personnes appelées comme témoins, parmi lesquelles on remarque l’évêque d’Yvrée, Amédée de Savoie, évêque élu de Maurienne ; Pierre, seigneur des Hurtières ; Pierre de Montagny ; Étienne de Compeys, chanoine de Genève ; Georges de Solier, chancelier de Savoie[9].

Trois ans après, le juin 1352, suivant Chapperon[10], l’abbé d’Hautecombe céda au comte de Savoie 25 florins gros tournois, qu’il possédait sur la leyde de Chambéry, et en reçut en échange une pareille somme sur les droits qui revenaient un comte dans les servis dus par les syndics à raison des fours, suivant l’acte précédent. De sorte qu’à partir de ce moment, la ville devait 63 florins à l’abbaye d’Hautecombe et 15 au comte.

La ville de Chambéry, à ce qu’il paraît, avait mal calculé les conséquences de l’albergemeat de 1349. Les frais d’entretien des fours, la difficulté de les affermer dans les années de peste ou de disette, furent tels que, dès 1360, elle refusa presque constamment de payer le servis. En 1362, les syndics ayant persisté dans leur refus, ils furent excommuniés. Il leur fallut faire beaucoup de démarches et subir plusieurs comparutions devant l’évêque de Belley pour être relevés de cette censure, qui dura depuis le 6 septembre 1362 jusqu’au 10 avril 1363. Néanmoins, le servis était trop onéreux ; après bien des discussions, un arrangement intervint entre l’abbé d’Hautecombe et les syndics. L’abbé, usant d’une certaine autorisation accordée à son monastère d’aliéner diverses propriétés, réduisit de 30 florins la rente annuelle des fours, et les 50 florins restant durent être payés annuellement à raison de 15 entre les mains du comte et de 35 à l’abbaye. Cet accord fut consenti moyennant le payement fait par la ville d’une autre somme de 450 florins. L’acte passé à cette occasion, le fut à Hautecombe, le 29 juin 1368, par Me Cohenno, notaire, en présence d’Antoine de La Conche, sacristain d’Aix ; Pierre d’Orlier et Antoine de Montfalcon, damoiseaux, etc.[11].

Peu d’années après avoir associé le comte de Savoie et la ville de Chambéry à la possession de ses fours, l’abbé désira en faire autant pour ses moulins. Grâce aux nombreux canaux par lesquels l’Albane entourait la ville, ces artifices étaient assez multipliés. Ceux donnés à l’abbaye, en 1253, étaient au nombre de cinq, savoir :

Celui des Charmettes (Chalmete de Thoveriis), au-dessous de la maison forte des Charmettes, existant encore, en 1861, sous le nom de moulin Collomb.

Le moulin Neuf, situé vers Porte-Reine, à côté du cimetière qui, autrefois, entourait l’église de Saint-Pierre-sous-le-Château.

Le moulin de la Porte, au pied des murs du Château, entre la tour de la Trésorerie et l’ancienne porte de Maché[12].

Le moulin de la Place, appelé aussi moulin d’Hautecombe, s’élevant dans le bas du faubourg de Maché, au fond de la place actuelle de l’abbatoir. Après avoir été longtemps affecté à d’autres usages, le bâtiment a été détruit en 1849, dans les transformations qu’a subies ce quartier. L’abbaye possédait encore une maison qui n’était séparée du moulin que par la rue qui le desservait.

Le cinquième était celui du Verney, situé prés du clos actuel du Bon-Pasteur. On l’appelait, en 1381, moulin de Pichardéry et, plus tard, moulin de Falcoz, probablement du nom de ses possesseurs. Il n’a disparu qu’en 1866, lors de l’établissement de l’avenue de Maché[13].

Cette propriété féodale avait subi quelques modifirations, lorsque, un siècle plus tard, l’abbaye voulut la partager avec le comte de Savoie. A cet effet, toute la communauté se réunit dans la salle capitulaire et donne plein pouvoir à deux de ses membres, Jacques de Bordeaux, premier cellerier ; Jean Bouczan, trésorier du monastère, et encore à Pierre de La Chapelle, notaire de l’abbaye, de les représenter dans toutes affaires et spécialement dans l’échange de tout ou partie de leurs moulins de Chambéry avec le comte Amédée. L’acte est reçu par Guillaume Genevois, de Clarafond, notaire impérial et secrétaire du comte de Savoie, le 21 décembre 1355[14], en présence d’Étienne de Montclair, de Johannon de Cheyndri[15] et de Berthet Barbier, témoins requis, et de tous les religieux du couvent, dont voici les noms : Jean de Montclair, abbé ; Hugues de Rumilly, prieur ; Pierre de Chevelu ; Aymon de Bruysson[16], portier ; Jacques Cuenno ; Guychard d’Albiez ; P. de Cessens ; Robert de Rumilly ; Antoine du Pont ; Jean de Lustrin ; P. de Belley ; François de Chaux, sacristain ; Jean d’Aix ; Antoine de Rossy ; Hugues Courti ; Étienne Painvin[17] ; P. de Gecz ; Henri de Charencinay ; Girard de Desingy ; G. de Alondeza ; Corenzii de Viry ; P. Candie ; Amédée de Peladru, sous-prieur ; Guiffred de Bruysson ; G. Corbel ; Thomas de Chaux ; Antelme Cornavin ; P. de Mons ; Hugues de Eymavinea ; Aymon de Thonon ; P. de Lavours ; Guigue de Chambéry ; P. de Massigny ; Jean de Rumilly et Jacques de Viry. Le « jour de la fête des Saints-Innocents » (28 décembre 1356), les mandataires de l’abbaye se rendent au château du Bourget, auprès de leur souverain. Là, en sa présence et devant les principaux gentilshommes de sa cour, Jean de Saint-Amour ; Guillaume de la Baume, seigneur de l’Albergement ; Louis Rivoire, seigneur de Domessin ; Humbert, bâtard, seigneur d’Arvillars et des Mollettes ; Aymon de Challant, seigneur de Fenicy, et Aymé Ville, ils exposent que les nobles bourgeois et habitants de Chambéry avaient usurpé les droits de l’abbaye, s’en maintenaient en possession par la force, refusaient de payer le servis, et que, pour faire cesser ce mépris de leurs droits, l’abbé et les religieux d’Hautecombe avaient résolu d’offrir au comte de Savoie la moitié des moulins du Verney, de la Porte, de Viviand-le-Vieil[18], des Charmettes et de tous autres que l’abbaye possédait à Chambéry, moyennant une rente annuelle de 30 veissels de froment et diverses autres condition que le comte s’engagerait à remplir.

Entre autres conditions, le comte obligerait nobles, bourgeois et autres personnes, habitant dans l’étendue des franchises de la ville, de moudre à ces moulins ; il s’opposerait à ce que personne, de quelque condition, état ou dignité qu’elle fût, vint établir d’autres artifices sans la permission des religieux ; et si le comte en établissait, avec le consentement préalable desdits religieux, la moitié des revenus de ces nouveaux moulins leur appartiendrait. Le comte et ses héritiers s’opposeront aussi à ce que des meuniers (mugnerii) étrangers viennent prendre des blés dans la ville et ses faubourgs, pour les faire moudre ailleurs, et ils n’accorderont aucune autorisation de ce genre sans le consentement des religieux. C’était revenir aux termes de la donation d’Amédée IV.

S’il arrivait qu’un ou plusieurs de ces artifices ne pussent être ascensés, ils seraient exploités à frais communs : leurs revenus seraient déposés dans une caisse commune, fermée à deux clés, dont chaque partie en garderait une. Les dépenses nécessitées par cette exploitation seraient supportées par égale part.

Un acte fut érigé en conformité de ces clauses[19].

Pour compléter ce que nous avons à dire de cette propriété de l’abbaye pendant le xive siècle, nous ajouterons que, vers la fin de cette époque, le moulin des Charmettes et un pré voisin étaient affermés à noble Pierre de Lompnes, l’infortuné pharmacien du comte Rouge, qui eut le malheur de préparer, ensuite des prescriptions de Jean de Granville, les remèdes auxquels on attribue la mort de son maître. Arrêté en mai 1392, deux ans après il fut condamné à mort. L’exécution de la sentence eut lieu, au mois de juillet suivant, sur la butte de Leschaud, apud calces, où s’élevaient alors les fourches patibulaires de Chambéry, et elle fut horrible. Brisé par la torture, son corps fut attaché à la queue d’un cheval, traîné par les rues de Chambéry, puis divisé en quatre quartiers. Le bourreau les sala soigneusement, et ils furent aussitôt expédiés, pour y être exposés, dans les quatre villes les plus importantes des quatre principaux États de la monarchie : Moudon, Yvrée, Avigliana et Bourg, à qui fut réservée la tête du « trayteur[20] ». C’est ainsi qu’à cette époque l’on comprenait l’exemplarité de la peine.

Inutile d’ajouter que ses biens furent confisqués.

Hautecombe continua cependant à percevoir la moitié de la cense du moulin des Charmettes.

Divers actes nous apprennent que les fermiers de ces artifices changeaient fréquemment. Suivant l’usage d’alors, le contrat de louage était souvent transformé en emphytéose ou albergement, et nous voyons, en effet, ceux qui les tenaient à bail les vendre à des tiers, sous la seule réserve de l’approbation de l’abbaye. Ainsi, en 1390, Amédée Polmier vend, tant en son nom qu’en celui de son frère Jean, à Viviand-le-Vieil, pour 200 florins d’or, les deux moulins qu’il possède sous le Château et qui relèvent d’Hautecombe. Quelques années après, Viviand revend la moitié de ces moulins à dame Jeannette Vallard, femme Lageret, et cette vente est approuvée par Pierre du Bourg, moine et procureur d’Hautecombe, le 2 avril 1395[21].

Trois ans plus tard, le moulin de la porte de Maché est donné en albergement perpétuel, et cette fois par le comte et l’abbaye, à Pierre et Jean Pervoin, sous le cens annuel de 20 veissels de froment.

Le moulin Neuf (à Porte-Reine) était possédé par Jeannette, fille de Jean Torombert, vers 1392. Le 14 août de cette même année, l’abbé et les religieux d’Hautecombe approuvèrent la vente qu’elle avait consentie de la moitié du domaine utile de ce moulin à Jean Lageret et aussi l’investiture qui s’ensuivit en faveur de sa veuve, comme tutrice de ses enfants, moyennant le servis annuel 2 veissels de froment dus à l’abbaye[22].

  1. Cibrario, Savoia, t. III, p. 102.
  2. Cibrario, Specc. cron.
  3. On ne voulut, disent les historiens contemporains, qu’une des plus riches héritières de la chrétienté sortît de France pour agrandir une puissance qui déjà prenait, à son gré, trop d’accroissement. Ce fut donc un motif politique qui empêcha ce mariage.
  4. Cibrario, Savoia, t. III, p. 126.
  5. Championnière, Traité des Eaux courantes, n° 332.
  6. Suprà, chap. x.
  7. Archives de Cour, Abbaye d’Hautecombe, paquet I, n° 11. — Mém. et Doc. de la Soc. sav. d’hist., t. III, p. 89.
    Voir, aux Documents, n° 25, la procuration donnée par l’abbé Étienne et tout le couvent d’Hautecombe au frère Jean Bouczan. le 10 février 1349, pour représenter l’abbaye à cet acte de cession.
  8. Ce florin valait, en monnaie métallique de nos jours. 12 fr. 36 c. : en froment. 24 fr. 44 c.
  9. Mém. de la Soc. sav. d’hist., t. III. p. 87.
  10. Chappeaux, Chambéry au XIVe siècle, p. 291.
  11. Chapperon, Chambéry au XIVe siècle, p. 494.
  12. C’est le lieu que lui assigne Chapperon. M. Dufour, dans les Mém. de la Soc. sav. d’hist., le place en dehors de la porte de Montmélian, qui se trouvait près du théâtre actuel.
  13. Chapperon, Chambéry au XIVe siècle.
  14. C’est peut-être en 1356 qu’il faut lire, car l’acte pour lequel cette procuration a été donnée, a été passé le 28 décembre 1356. Ce sera une erreur de copiste, comme l’a pensé M. le général Dufour, qui a publié ce document dans les Mém. de la Société sav. d’hist., t. V, p. 356.
  15. Chindrieux ?
  16. Brison ?
  17. Stephano pani et vini.
  18. Cet artifice n’existait pas en 1253. Il se trouvait près du Pont-d’Enfer, rue Juiverie.
  19. Mém. de la Soc. sav. d’hist., t. V, p. 350.
  20. Chapperon, Chambéry, p. 286. — Mis Costa, Matériaux Hist. (Mém. de l’Acad. de Sav., Ire série, t. XI, p. 172.)
    Le messager de Tarentaise reçut pour l’y porter 11 florins, petit poids.
  21. Préfecture de Chambéry, Inventaire des écritures des duché et province de Savoie, existant aux Archives de Cour.
  22. Archives de Cour, Abbaye d’Hautecombe, paquet I, n° 14.
    Ce Jean Lageret avait été condamné à mort pour sortilège. En 1422, Amédée VIII, dont il avait été le conseiller, vendit à Humbert, bâtard de Savoie, pour 880 florins d’or, les biens que possédait Lageret à Chambéry.