Histoire de la Commune de 1871 (Lepelletier)/Volume 2/10

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LIVRE X

L’ÈRE DES ILLUSIONS

PREMIÈRE SÉANCE DE LA COMMUNE

Les membres de la Commune ignoraient, pour la plupart, les détours de l’Hôtel-de-Ville. Ils erraient par les salles et les couloirs à la recherche du local qu’ils supposaient disposé pour les recevoir. Pressés de se réunir et de siéger, avant la fin du défilé, auquel Brunel continuait de présider, ils s’étaient rendus à la grande salle Saint-Jean, connue de tous et accessible par le rez-de-chaussée. Mais ce local était trop vaste, dépourvu de sièges et de tables ; il était impossible d’y tenir une délibération. Rien n’avait été préparé pour les séances de la nouvelle assemblée. Ce devoir incombait au Comité Central. Il s’en dispensa. Il afficha ainsi, dès la première heure, sa mauvaise humeur. L’antagonisme si fâcheux qui exista, mais seulement jusqu’aux dernières journées, car le péril tout proche y mit fin, se manifesta, à l’issue de la proclamation, par cette mesquine et ridicule dérobade des membres du Comité. Avant de se séparer, le Comité avait cependant désigné des commissaires pour procéder à la convocation et à l’installation de la Commune. Cette commission s’évanouit, ne reparut que tard dans la soirée. Ceux qui la composaient montraient ainsi leur dépit de n’avoir pas été élus membres de la Commune, leur regret de quitter le pouvoir. Ils avaient pourtant mis assez de hâte à vouloir s’en débarrasser, disaient-ils. À peine eurent-ils cédé leurs sièges qu’ils souffrirent de leur abnégation. Ne pouvant reprendre leurs places, ils voyaient avec amertume d’autres les occuper. De là ce désintéressement subit de l’installation de leurs successeurs, et cette hâte à rentrer chacun chez soi, laissant les « bleus » se débrouiller comme ils le pourraient, à travers les corridors et les escaliers de l’Hôtel-de-Ville. Ce sentiment est à peu près général. Donuez un coup de sonde dans l’âme d’un modeste ou d’un résigné remplacé, et vous verrez jaillir l’orgueil et le regret.

Un des nouveaux élus, Arthur Arnould, a raconté, simplement, sans nulle récrimination, il était des triomphateurs, cette prise de possession de l’Hôtel-de-Ville, dépourvue de cérémonie, d’une impression plutôt mélancolique.

Rien n’était préparé, a-t-il dit, pour nous recevoir à l’Hôtel-de-Ville, lorsque nous nous y présentâmes.

Pas une salle qui ne fût en partie occupée par la suite du Comité Central.

Les premiers membres de la Commune arrivés erraient au hasard, ne sachant où nous devions nous réunir. On avait oublié de dire aux sentinelles de nous laisser entrer ; or, comme nous n’avions, à ce moment, ni le mot d’ordre, ni aucun signe qui pût nous faire reconnaître, il fallut parlementer longtemps à la grille, avant de pouvoir pénétrer à l’intérieur.

Plusieurs d’entre nous, ceux dont le nom et la figure étaient peu connus, durent, ce soir-là, se retirer devant la consigne sévère des hommes de faction.

Cependant, à dix heures, nous étions en nombre suffisant pour entrer en fonctions.

Me rappelant alors, en ma qualité d’ancien adjoint du 4 septembre, qu’il y avait à l’Hôtel-de-Ville une salle réservée aux séances du conseil municipal, j’y conduisis mes collègues embarrassés.

La porte en était fermée. Les membres du Comité Central étaient introuvables. Il fallut requérir un serrurier. La salle, qui n’avait plus servi depuis longtemps, était pleine de poussière. On manquait de lampes.

Beaucoup d’entre nous ressentaient une vive irritation contre le Comité Central, lui attribuant un parti-pris qui n’existait probablement pas, du moins d’une façon raisonnée et unanime. Enfin, nous pûmes nous installer tant bien que mal.

(Arthur Arnould. — Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris. — Bruxelles, librairie Kistemaeckers, 1878, t. II, p. 78.)

Il était dix heures passées, lorsque les membres présents, se trouvant assez nombreux, proposèrent d’ouvrir la séance. Il fallait un président. Des noms furent lancés, des dates d’années lointaines furent demandées et données. Charles Beslay, dont la date de naissance remontait au siècle précédent, fut invité, sans vote, à prendre la présidence de cette réunion, qui, par son défaut de cérémonial, ne pouvait être considérée comme séance d’installation.

Prenant place au fauteuil, avec Ferré et Raoul Rigault, qui paraissaient les plus jeunes membres, comme secrétaires provisoires, Charles Beslay, sans autre préambule, déclara la délibération ouverte.

CHARLES BESLAY

Ce fut donc à un fils de la bourgeoisie, Charles Beslay, qu’échut l’honneur de présider, comme, doyen d’âge, la première séance de la Commune. Charles Beslay avait déjà siégé dans les assemblées parlementaires ; il était ingénieur et ancien chef d’industrie. Un vieux et ardent républicain aussi, socialiste proudhonien.

Il était né à Dinan (Côtes-du-Nord), le 4 juillet 1795. Il avait donc tout près de 76 ans lorsqu’il fut élu membre de la Commune. Son père avait été député sous l’empire, sous la restauration, sous Louis-Philippe. Charles Beslay avait fait de bonnes études et, devenu ingénieur, il fut attaché aux travaux du canal de Nantes à Brest. En 1830, il dirigeait les travaux du canal à Pontivy, et empêcha une collision entre les ouvriers. Signalé par son intervention conciliante, les électeurs de Pontivy l’envoyèrent à la Chambre. Il siégea à gauche. Il était aussi conseiller général du Morbihan. Non réélu à Pontivy, il vint à Paris, et établit une usine de construction de machines à vapeur dans le quartier Popincourt. Il essaya d’y mettre en pratique ses excellentes théories sur l’association du capital et du travail. Bientôt la révolution de 1848 amenait ses amis au pouvoir, et il espéra voir appliquer ses idées socialistes. Il accepta donc les fonctions de commissaire général de la République dans le Morbihan, le département dont il avait été le député. Il donna sa démission pour se présenter aux élections pour l’assemblée constituante. Il fut élu le premier de la liste du Morbihan par 95,000 suffrages. À l’assemblée, il vota avec la gauche, et comme tant d’autres républicains abusés, il soutint Cavaignac, le prédécesseur en massacres de Mac-Mahon. On est surpris en voyant un socialiste aussi convaincu, un républicain aussi ferme que Beslay, prendre parti contre les travailleurs réduits au chômage et exaspérés par la faillite républicaine, les trois mois de misère consentis s’étant écoulés inutilement. Il ne parut pas deviner le péril napoléonien, et n’eut qu’un rôle effacé à la Chambre. Il ne fut pas réélu à la Législative.

Sous l’empire, il dut renoncer à la politique militante, mais il s’occupa de propagande économique et sociale, et entreprit de fonder une banque d’escompte et d’échange d’après les théories de Proudhon, dont il était l’ami et le disciple. Il continua en même temps à diriger son usine de construction, d’après les principes mutuellistes qu’il préconisait. Cet essai de participation ouvrière ne donna que des résultats négatifs. Il ne put continuer les affaires, et dut déposer son bilan, le 31 janvier 1851. Il obtint son concordat, mais sa fortune, qui était assez considérable, fut fortement endommagée. Il fut, sous l’empire, en relations suivies avec les fondateurs de l’internationale et les principaux organisateurs des réunions publiques. Il traita, dans plusieurs de ces réunions, des questions économiques et sociales, avec compétence et modération.

Beslay n’était pas communiste. Il a dit avec énergie :

Je voudrais en quelque sorte doubler mes forces pour crier par dessus les toits que le communisme est irréalisable comme organisation sociale, Depuis quatre mille ans que l’humanité s’étudie à tenter des conceptions sociales, il n’est pas un peuple qui nous ait encore présenté un système de communisme généralement et régulièrement appliqué. De nos jours, les essais aussi infructueux que chimériques que nous avons vu essayer, n’ont fait que démontrer, par des arguments sans réplique, l’impossibilité pratique que je constate dans l’histoire et la vie des sociétés. Le communisme n’est réalisable que dans le système des communautés religieuses ; là il ne présente que l’abrutissement et la servitude, complète, absolue, de l’individu au profit de la communauté. Le communisme n’est possible et réalisable qu’au moyen d’une réglementation générale, complète, absolue de tous les actes de l’homme, et par conséquent au moyen d’une destruction pleine et entière du principe de liberté, et l’histoire des revendications de la démocratie est précisément l’histoire des revendications de cette liberté.

(Ch. Beslay, La Vérité sur la Commune. Neuchâtel, 1878. Librairie Jules Sanson, p. 123.)

Il avait été liquidateur d’un journal d’opposition violente sous l’empire, le Courrier Français, dirigé par Vermorel, et comme tel s’était trouvé dépositaire de fonds provenant d’une souscription dite de la Liberté Individuelle, ouverte pour payer les amendes des journalistes condamnés. L’auteur d’une biographie des hommes de la Commune, M. Delion, allégue que le liquidateur eut « différents débats avec le gérant du journal, qui ne semblent pas contribuer à donner une haute idée de la délicatesse de M. Beslay : 2,700 fr. recueillis par le Courrier Français, et totalement disparus, furent le sujet de la contestation. L’affaire alla jusques devant le procureur impérial qui l’étouffa ».

Cette calomnie, inspirée par la passion réactionnaire, ne tient pas debout. Le caractère et la probité incontestable de Charles Beslay eussent suffi à la réfuter. Rien que l’assertion qu’une plainte, pouvant porter atteinte à l’honorabilité d’un adversaire de l’empire comme le liquidateur du Courrier Français, avait bénévolement été jetée au panier par le procureur impérial, suffirait à démontrer l’absurdité de l’allégation.

M. Beslay, avec vivacité, répondit à son calomniateur et le confondit. Le passage de sa réponse est intéressant à signaler, surtout parce qu’il contient un éloge d’un honorable et vaillant républicain, qui fut injustement soupçonné aussi, Vermorel, à qui les députés de la gauche, sous l’empire, ne pardonnaient pas ses attaques souvent vives, mais inspirées par un violent amour de la démocratie.

Comme liquidateur du journal, écrivit Beslay, en 1878, alors réfugié en Suisse, à Neuchâtel, je dois dire que l’affaire présentait de grandes difficultés, vu le passif assez considérable de la liquidation. C’est dans le règlement de cette affaire que j’ai pu apprécier toute la valeur morale de Vermorel, qui m’avait inspiré longtemps, comme à beaucoup de membres du parti démocratique, de vives préventions. Quand je présentai à Vermorel, à la fois gérant et rédacteur en chef, le bilan actif et passif, il n’hésita pas à vendre tous ses biens pour désintéresser tous les créanciers. C’est donc avec Vermorel que j’eus à régler tous les comptes, au sujet desquels il ne s’est élevé aucune contestation. Vérmorel a été, plus tard, comme moi membre de la Commune, et il a payé de sa vie son dévouement à la cause du peuple. Je suis heureux de pouvoir attester sur sa tombe que c’était un esprit élevé, un socialiste convaincu, un caractère ferme et d’une probité irréprochable.

M. Beslay, après cet hommage rendu à celui avec qui on l’accusait d’avoir eu, pour sa gestion, des rapports difficultueux, établit les versements qu’il fit, entre les mains des avoués et des débiteurs condamnés (Perrachon, procès de l’Internationale ; Mme Vve Haury, procès contre le commissaire de police Crépy, etc.), avec l’approbation du comité de surveillance. Les fonds de la souscription furent donc employés justement et le solde fut remis, contre quitus, au trésorier des associations ouvrières, Constant Martin.

Il ne reste donc rien des inventions diffamatoires du biographe réactionnaire.

Charles Beslay, au moment de l’invasion, s’engagea bravement au 23e de ligne et se rendit à Metz. Ce conscrit de 75 ans ne put, malgré son désir de participer à la défense du pays, résister aux fatigues de cette terrible campagne et on l’obligea à déposer les armes.

Il revint à Paris et fit dès lors partie des commissions d’armement et de vigilance du VIe arrondissement. Il participa aux divers manifestes patriotiques, qui furent alors discutés dans les clubs et affichés dans Paris. Aux élections du 26 mars, il fut nommé membre de la Commune dans le VIe arrondissement (Luxembourg), par 3,714 suffrages. Ce fut à lui, par le bénéfice de l’âge, qu’échut la présidence de la séance d’installation. Il prononça en cette qualité un discours important dont on trouvera plus loin le texte.

Il fut nommé membre de la commissions des finances, puis délégué à la Banque de France. Son rôle, en cette fonction, fut de la plus haute importance. Nous l’examinerons en détail, dans le chapitre du prochain volume consacré aux Finances de la Commune. Il a été critiqué attaqué, pour sa conduite modérée et prévoyante, vis-à-vis de la Banque de France et de son gouverneur, le marquis de Plœuc. C’est l’une des questions les plus controversées que celle du respect de la Banque par la Commune. Comme nous l’avons déjà indiqué, elle a été, elle est encore discutée ; elle sera traitée avec les développements et les arguments qu’elle comporte.

Comme Beslay s’était opposé énergiquement à l’envahissement de la Banque, dont la sécurité fut, grâce à ses efforts, assurée seulement par les employés de l’administration, organisés en un bataillon spécial, et comme il avait maintenu à son poste et protégé le marquis de Plœuc, sous gouverneur, celui-ci, après l’entrée des troupes, s’entremit pour lui faire obtenir un laissez-passer. Il réussit, en l’accompagnent jusqu’à Neuchâtel, à lui faire franchir sans danger la frontière.

Charles Beslay, absorbé par sa délégation à la Banque de France, a peu participé aux délibérations de la Commune. Il fit partie de la minorité et vota contre le Comité de salut public. Il avait protesté contre la démolition de la maison de M. Thiers, et, dans son discours d’installation de la Commune, avait offert sa démission, qu’on lui fit retirer. C’était un républicain de l’école de 48, mais un sincère partisan des réformes sociales. Il avait refusé dignement de faire partie du bureau de l’Association internationale des travailleurs. Il a expliqué en ces termes son refus :

Je puis revendiquer l’honneur d’avoir été le premier bourgeois inscrit sur les listes de l’Internationale, à Paris, et quand le premier comité fut constitué, les ouvriers qui en faisaient partie me comprirent parmi les membres de bureau. Je dus refuser, en leur faisant remarquer que, dans l’intérêt de la cause, il importait au plus haut degré de ne pas laisser usurper la place des travailleurs par des bourgeois. La place que l’on m’avait réservée était une fissure, qui aurait plus tard laissé passer les ambitieux, qui ne sont en réalité que les mouches du coche dans la lutte poursuivie pour l’affranchissement du travail. Mais le refus motivé de ma part ne m’empêcha pas de m’occuper activement des questions ouvrières, et je puis dire que j’ai contribué, dans la mesure de tous mes moyens, à la création et à la marche des associations ouvrières de Paris.

Charles Beslay fut un citoyen utile à son pays, un patriote ardent, un socialiste modéré, et par conséquent plus apte que les violents et les utopistes à faire comprendre et souhaiter la République démocratique et sociale. Une des plus remarquables figures de 1871.

Cet excellent homme eut un fils aux idées bien différentes des siennes : François Beslay, né à Paris en 1835, avocat et journaliste, fut un réactionnaire militant et un clérical ardent et venimeux. Il fonda, en 1868, un journal catholique, le Français, qui, sous le siège, passait pour inspiré par Trochu, et qui fut, pendant la réaction qui suivit la défaite de la Commune, le journal des conspirateurs de la monarchie, l’organe de M. de Broglie. Comme au moment du 16 mai, ce champion de l’ordre moral réclamait furieusement des poursuites contre les républicains et ne laissait pas passer un jour sans outrager et calomnier le gouvernement de la Commune, dont son père avait fait partie, on lui avait donné, dans les polémiques, le surnom de Beslay bon fils, pour le distinguer de son père et du reste des hommes.

L’honorable Charles Beslay est mort en exil, avant l’amnistie, à Neuchâtel, en Suisse, le 30 mars 1878. Il avait 83 ans.

Il a laissé deux ouvrages intéressants : Mes Souvenirs (1830-1870) et la Vérité sur la Commune, publiés tous deux à Neuchâtel, l’un en 1878, le dernier, l’année de sa mort.

LES PREMIÈRES MOTIONS

Quand le vénérable doyen eut déclaré la séance ouverte, il y eut un instant de confusion. Plusieurs membres s’approchèrent du bureau, donnant leurs noms aux secrétaires, indiquant les propositions qu’ils entendaient faire inscrire pour la discussion, d’autres demandaient la parole directement au président, d’autres enfin la prenaient. Il n’y eut, malgré la présence des deux secrétaires, aucun procès-verbal de rédigé, à peine quelques notes informes prises au courant de la plume.

Cette première séance fut tumultueuse et eut plutôt l’apparence d’une réunion électorale. Les motions diverses s’entrecroisèrent, se suivirent sans ordre, sans délibération sérieuse.

Les nouveaux élus s’étaient casés à peu près au hasard. Un petit nombre d’entre eux se connaissaient déjà personnellement. Arthur Arnould a déclaré qu’il n’était en relations qu’avec deux ou trois de ses collègues : Jules Vallès, Vermorel, Lefrançais. Il en était de même des autres élus. On se regardait avec une curiosité où il entrait quelque défiance. La présidence du doyen d’âge avait été acceptée sans discussion. Instinctivement on suivait l’usage parlementaire. Au milieu du brouhaha qui suivit la prise de possession du fauteuil, des voix réclamèrent la nomination d’un président d’honneur, et le nom de Blanqui fut lancé. Raoul Rigault l’appuya. La proposition fut interrompue par une autre : « Il faut déclarer que la garde nationale et le Comité Central ont bien mérité de Paris et de la République ! » demanda Lefrançais. Cette motion fut adoptée sans discussion, et en même temps on décida qu’une proclamation serait adressée au peuple parisien et à la garde nationale, annonçant l’installation du Conseil communal. Les citoyens Lefrançais, Jules Vallès et Ranc furent désignés pour la rédiger. On demanda que le Comité Central eût un ou deux de ses membres adjoints à la commission. Quelqu’un fit alors observer que les délégués de ce comité attendaient dans l’une des salles de l’Hôtel-de-Ville qu’on leur fit connaître quand ils devraient remettre leurs pouvoirs officiellement. Le citoyen Lefrançais fut chargé de se rendre auprès de ces délégués et de fixer avec eux l’heure de cette solennité, pour la séance du lendemain.

Une autre motion assez inattendue se produisit : elle visait la publicité des séances. Paschal Grousset avait préparé un projet, portant que les séances seraient secrètes. Il disait : « La Commune doit être un conseil des Dix. » Arthur Arnould combattit la proposition. Selon lui : « des séances secrètes, un conseil des Dix lançant des décrets élaborés dans le mystère, loin de la place publique, en dehors de tout concours de l’opinion, c’était la négation de l’idée communaliste. C’était manquer à la véritable tradition révolutionnaire. La Convention avait toujours délibéré sous les yeux du peuple, et les montagnards allaient tous dans les clubs soumettre au peuple, ou discuter avec lui, les motions qu’ils proposaient ensuite au vole de l’assemblée souveraine. »

Le Conseil des Dix, les montagnards, l’exemple des clubs jacobins, c’était aller chercher des précédents bien lointains, et les circonstances étaient différentes. Une assemblée d’origine aussi populaire que celle du 26 mars pouvait difficilement siéger à huis clos et prendre la procédure d’un tyrannique pouvoir vénitien d’autrefois. Mais on était en révolution, des décisions pouvaient être prises d’un jour à l’autre, qui, sous peine de voir leur exécution compromise, devaient être tenues secrètes. « Nous sommes en conseil de guerre, disait Paschal Grousset, nous n’avons pas à faire connaître nos résolutions à nos ennemis ! » Sa proposition pour le secret des séances fut adoptée, mais par la suite elle ne fut pas maintenue.

Les projets les moins urgents vinrent se produire dans cette séance désordonnée. Loiseau-Pinson, Futur démissionnaire, crut devoir proposer l’abolition de la peine de mort. Cette sentimentale mesure fut suivie de la demande de suppression de la conscription. Un membre demanda l’envoi de délégués par toute la France, afin de propager l’idée de la Commune et de faire reconnaître son pouvoir sur tout le territoire.

Alors s’éleva la proposition de vérifier, sur-le-champ, les pouvoirs des élus du 26 mars, car tant que la validation de ses membres n’aurait pas été faite, l’assemblée ne pourrait se dire régulièrement constituée. On demanda que toutes les élections fussent déclarées validées, même celles où le 8e des suffrages n’aurait pas été obtenu, car la loi qu’on pourrait invoquer pour s’opposer à la validation était une loi de 1849, et l’on n’avait pas à se soumettre à des lois antérieures en cette matière. Les élections furent donc validées. La proposition fut ensuite faite de demander l’invalidation des députés de Paris nommés membres de la Commune. Il y avait incompatibilité entre les deux mandats, soutinrent plusieurs membres. Le nom de Tirard, député, élu membre de la Commune, fut prononcé. Un membre réclama aussitôt l’arrestation de M. Tirard qui avait cherché à amener un conflit entre les gardes nationaux. Le président Beslay dit qu’on avait autre chose à faire que de s’occuper de questions de personnes.

Mais M. Tirard, qui n’attendait qu’un prétexte pour donner bruyamment sa démission, se leva aussitôt et prit la parole :

Je commençai par dire à ces messieurs, a-t-il déclaré dans l’Enquête, qu’ils avaient trompé les électeurs ; que d’après leurs affiches et les publications faites dans leur journal officiel, ils n’avaient fait autre chose que d’appeler les électeurs à élire un conseil municipal ; que jamais ils n’avaient déclaré que ce conseil aurait des attributions politiques ; qu’ils avaient toujours déclaré que leurs pouvoirs seraient circonscrits à Paris ; qu’ils usurpaient donc un mandat ; et que, quant à moi, bien persuadé que je n’avais rien qu’un mandat exclusivement municipal, je ne pouvais faire partie de leur assemblée. Je fus interpellé très vivement, Enfin on me posa cette question : Etes-vous pour Paris ou pour Versailles ? Je répondis : « Je suis investi d’un mandat parfaitement régulier à Versailles ; celui-là je ne l’abandonne pas. Quant au mandat dont les électeurs m’ont investi ici, d’abord c’est un mandat très irrégulier dans la forme, ensuite vous le faussez de telle façon que je ne puis l’accepter. » J’allais me retirer, quand Paschal Grousset se leva et me reprocha d’avoir dit à l’assemblée de Versailles que, lorsqu’on entrait à l’Hôtel-de-Ville, on n’était pas toujours sûr d’en sortir. Enfin on me laissa tranquille. Lorsque l’émotion fut un peu calmée, je me levai et je partis…

(Enquête Parlementaire. Déposition de M. Tirard, t. I, p. 343.)

Ce récit reproduit assez exactement les faits. Il faut reconnaître que l’organisateur principal de la résistance des maires dans Paris eut, en cette circonstance, une crânerie qui fit défaut à ses complices de la capitulation. Ils se contentèrent d’envoyer leurs démissions par la poste, ce qui était moins périlleux. M. Tirard brava ses adversaires en face, et bien que son arrestation fût demandée, débita avec hardiesse sa protestation. On le laissa se retirer paisiblement, sans donner suite à la proposition d’Assi de le mettre en prison. On eut sans doute raison ; le dédain était la plus digne réponse à ses provocatrices invectives, et puis on voulut prouver qu’il n’était question d’assassiner personne à l’Hôtel-de-Ville. Il est vrai que l’exemple donné encouragea plusieurs des collègues de M. Tirard à se retirer successivement, ce qui était à la fois servir M. Thiers, contestant la légalité de ce conseil, élu pourtant avec son autorisation, et desservir et affaiblir moralement l’assemblée parisienne, en lui enlevant les membres de son opposition modérée, mais républicaine, et comme telle rassurante pour une partie de la population, surtout pour la province.

Après le départ du démissionnaire Tirard, le député Cournet fit connaître qu’il donnait sa démission de membre de l’assemblée de Versailles, pour rester membre de la Commune. On applaudit. Delescluze, partisan de l’incompatibilité, déclara se retirer également de l’assemblée de Versailles, mais en même temps il offrit sa démission de membre de la Commune.

« Je suis vieux, fatigué, dit-il, malade même, il ne me reste que peu de mois à vivre. Ne pouvant rendre ici que peu de services, je préfère me retirer aussi. Je me contenterai de servir de ma plume la cause de la République. »

On insista ensuite pour le faire revenir sur sa décision. Il consentit et demeura à son poste, où il devait trouver bientôt la mort glorieuse que l’on sait.

Cette première séance ne fut terminée qu’à minuit, et l’on fixa la prochaine réunion, véritable séance d’installation, au lendemain, pour recevoir les délégués du Comité Central remettant leurs pouvoirs, entendre le discours du doyen d’âge et constituer le bureau définitif et les diverses commissions.

DISCOURS DU PRÉSIDENT D’ÂGE

La seconde séance, celle du mercredi 29 mars, fut en réalité la première, car la réunion improvisée le mardi 28, à l’issue de la belle parade de la place de l’Hôtel-de-Ville, n’avait pas eu le caractère d’une délibération régulière. Charles Beslay présida, comme doyen d’âge.

On procéda à la constitution du bureau. Il fut décidé qu’il se composerait d’un président avec deux assesseurs, et que la présidence serait hebdomadaire. Le citoyen Lefrançais fut nommé président. Avant de lui céder le fauteuil, le président d’âge, Charles Beslay, prononça le discours suivant :

Citoyens,

Votre présence ici atteste à Paris et à la France que la Commune est faite, et l’affranchissement de la Commune de Paris c’est, nous n’en doutons pas, l’affranchissement de toutes les communes de la République.

Depuis cinquante ans, les routiniers de la vieille politique nous bernaient avec les grands mots de décentralisation et de gouvernement du pays par le pays. Grandes phrases qui ne nous ont rien donné.

Plus vaillants que vos devanciers, vous avez fait comme le sage qui marchait pour prouver le mouvement, vous avez marché et l’on peut compter que la République marchera avec vous !

C’est là, en effet, le couronnement de votre victoire pacifique. Vos adversaires ont dit que vous frappiez la République ; nous répondons, nous, que si nous l’avons frappée, c’est comme le pieu que l’on enfonce plus profondément dans la terre.

Oui, c’est par la liberté complète de la Commune que la République va s’enraciner chez nous. La République n’est plus aujourd’hui ce qu’elle était aux grands jours de notre Révolution. La République de 93 était un soldat, qui, pour combattre au dehors et au dedans, avait besoin de centraliser sous sa main toutes les forces de la patrie ; la République de 1871 est un travailleur qui a surtout besoin de liberté pour féconder la paix.

Paix et Travail ! voilà notre avenir ! voilà la certitude de notre revanche et de notre régénération sociale, et, ainsi comprise, la République peut encore faire de la France le soutien des faibles, la protectrice des travailleurs, l’espérance des opprimés dans le monde, et le fondement de la République universelle.

L’affranchissement de la Commune est donc, je le répète, l’affranchissement de la République elle-même, chacun des groupes sociaux va retrouver sa pleine indépendance et Sa complète liberté d’action.

La Commune s’occupera de ce qui est local.

Le département s’occupera de ce qui est régional.

Le gouvernement s’occupera de ce qui est national.

Et, disons-le hautement, la Commune que nous fondons sera la commune modèle. Qui dit travail dit ordre, économie, honnêteté, contrôle sévère, et ce n’est pas dans la Commune républicaine que Paris trouvera des fraudes de 400 millions.

De son côté, ainsi réduit de moitié, le gouvernement ne pourra plus être que le mandataire docile du suffrage universel et le gardien de la République.

Voilà, à mon avis, citoyens, la route à suivre ; entrez-y hardiment et résolument. Ne dépassons pas cette limite fixée par notre programme, et le pays et le gouvernement seront heureux et fiers d’applaudir à cette révolution de notre histoire.

Pour moi, citoyens, je regarde comme le plus beau jour de ma vie d’avoir pu assister à cette grande journée, qui est pour nous la journée du salut. Mon âge ne me permet pas de prendre part à vos travaux comme membre de la Commune de Paris ; mes forces trahiraient trop mon courage, et vous avez besoin de vigoureux athlètes. Dans l’intérêt de la propagande, je serai donc obligé de donner ma démission, mais soyez sûrs qu’à côté de vous, comme auprès de vous, je saurai, dans la mesure de mes forces, vous continuer mon concours le plus dévoué, et servir comme vous la sainte cause du travail et de la République.

Vive la République ! Vive la Commune !

Le doyen d’âge avait fait entendre là d’excellentes paroles, animées d’un esprit généreux et d’un grand désir pacifique. En même temps, il avait, par son langage conciliant et optimiste, voulu inspirer à tous confiance dans le régime qui commençait. C’était le véritable discours d’un président âgé, celui qu’on devait attendre d’un vétéran des luttes politiques, et l’on ne pouvait, membre de l’assemblée communale, simple électeur ou garde national, qu’approuver celui qui disait : que la République avait besoin de liberté pour féconder la Cité, et qui donnait à l’avenir comme formule : Paix et Travail !

Certes, comme son président d’âge, l’assemblée ne pouvait se refuser à admettre cette devise ; elle savait que la population, avec Beslay, voulait la paix et le travail. Mais si c’étaient là de belles paroles, ce n’étaient que des paroles. Le citoyen Beslay s’illusionnait sur la situation, et il voyait Presque en rose un avenir qui, visiblement, s’assombrissait de plus en plus, et n’allait pas tarder à devenir rouge sang.

Par la suite, plusieurs des écrivains qui ont apprécié les paroles de Beslay l’ont fait avec peu d’indulgence :

La révolution municipale rêvée était celle en effet que, dans un langage parfois élevé, définissait le vieux républicain qu’était Beslay, mais il s’agissait bien de cela ! Est-ce que le grave conflit entre Versailles et Paris cessait par ce fait que les élections municipales avaient eu lieu ? Le Pauvre doyen ne voulait rien voir ni surtout rien dire du péril imminent où l’on était. Extraordinaire naïveté !…

C’est là l’opinion de Gaston Da Costa (la Commune vécue). Et, plus rudement, Lissagaray dit, dans son excellente Histoire de la Commune :

Naïve illusion d’un vieillard qui avait cependant l’expérience d’une longue vie politique !

Beslay, par la suite, parut piqué au vif par cette dédaigneuse critique. Il voulut y répondre :

J’estime trop le talent de M. Lissagaray et la droiture de son esprit pour ne pas relever la sévère appréciation de son livre… À la vue de la fournaise qui s’allume, à la pensée des flots de gang qui vont couler, n’est-ce donc pas un devoir de chercher le contrat qui pourrait faire jeter les armes et l’étreinte qui pourrait unir les mains prêtes à se déchirer ? Illusion ! s’écrie-t-on. Je pourrais répondre : Illusion généreuse en tout cas !.… À l’heure où la Commune montait à l’Hôtel-de-Ville, ce programme de conciliation s’imposait d’autant plus impérieusement à mon esprit, que je le croyais en quelque sorte dicté par le moment critique que nous traversions, et mis en avant par le Comité Central lui-même et par la population toute entière… Le programme de mon discours était le programme de la situation ; j’affirme, l’histoire à la main, que la Commune, dans le premier mois de son installation, a tout fait, s’est prêtée à toutes les démarches, à toutes les négociations pour arriver à une entente et pour éviter la guerre civile…

(Charles Beslay. La Vérité sur la Commune, p. 501.)

Charles Beslay, en se défendant contre les reproches de naïveté et de crédulité, a exprimé une grande vérité : le Comité central, et après lui la Commune, ont voulu, disons pour être plus exact, ont rêvé la pacification sérieuse et définitive, les armes déposées, les outils enfin repris et la conciliation durable entre Paris, Versailles et la France entière. Le doyen d’Âge avait parfaitement défini les termes de l’accord souhaité. À la commune, ce qui était local, au département, ce qui était régional, au gouvernement, qui pouvait choisir son siège, le placer à Versailles, à Paris où dans toute autre ville, ce qui était national.

Mais il eut le tort de ne pas ajouter dans son discours optimiste : « Malheureusement, citoyens, ce programme et cet accord sont pour le moment irréalisables ! » À un certain point de vue, son rôle, durant la courte durée de son pouvoir occasionnel, n’était pas de décourager les esprits, et il ne devait guère parler autrement qu’il ne l’a fait. Mais il y avait, ce jour-là, à l’Hôtel-de-Ville, dans les rangs de la garde nationale, dans la ville, d’autres gens qui auraient pu se montrer plus clairvoyants et crier tout haut ce qu’ils auraient dû discerner : « Il ne s’agit pas d’appeler de tous nos désirs la paix et le travail ! Rien n’est fait parce qu’on a installé à l’Hôtel-de-Ville une Commune ! Pendant de longs jours encore les ateliers chômeront, les affaires seront en suspens, et ce n’est pas encore l’outil, mais le fusil qui va être dans nos mains ! Notre cher doyen prend des désirs, qui sont les nôtres aussi, pour des réalités. Le mot d’ordre n’a rien de pacifique ni de laborieux : il se compose de ces deux termes redoutables : Misère et Combat ! »

L’illusion fut sans doute de courte durée ; mais elle fut profonde et universelle. Le vieux Beslay partagea et exprima la crédulité de ses contemporains. La période qui s’écoula, du 20 mars au 2 avril, fut l’interrègne de l’illusion. On ne parut s’apercevoir, ni au Comité Central, ni à la Commune, que, pendant qu’on échafaudait à Paris des projets de constitution, d’organisation, de réformes et de régime populaire devenu régulier et légal, M. Thiers, à Versailles, poursuivait l’exécution de son plan, et n’allait pas tarder à le révéler à coups de canon aux membres de la Commune et aux Parisiens, également effarés et surpris. On votait, à l’Hôtel-de-Ville, la proposition de Félix Pyat, abolissant la conscription, c’est-à-dire une loi générale susceptible de s’appliquer à toute la France, quand déjà les gendarmes de Ladmirault, le chassepot à la main, s’avançaient vers le pont de Neuilly, et, enfermant Paris dans son enceinte fortifiée, allaient crier aux Parisiens, en les couchant en joue : On ne passe plus !

Il eût fallu passer plus tôt. Le Comité Central n’avait pas voulu, et la Commune suivit son exemple. Elle chercha à se frayer un passage, quand la route était déjà barrée, balayée par les escadrons de Gallifet et les obus du Mont-Valérien.

Il fut donc nécessaire de se battre, quand on ne voulait que s’embrasser. C’est noble et humanitaire de vouloir tendre la main à un rival, à un adversaire, mais c’est absurde quand celui vers qui vous venez, la paume ouverte, garde le poing fermé. Il faut être deux pour signer un accord, et Paris était seul à vouloir transaction. Dans Versailles en armes, M. Thiers répondait par la guerre à Paris qui voulait, malgré tout, lui déclarer la paix. Non, l’excellent Charles Beslay n’était pas, à cette époque, l’unique illusionniste !

LE COMITÉ CENTRAL REMET SES POUVOIRS

L’Assemblée tint deux séances dans l’ancienne salle de la commission municipale du baron Hausmans, le mercredi 29 mars ; la première de 1 heure à 7 heures et la seconde de 9 heures à minuit. Le Comité Central remit ses pouvoirs. L’orateur de la délégation, le citoyen Boursier, dit avec une certaine solennité :

Citoyens élus de Paris, le Comité Central vient remettre entre vos mains ses pouvoirs révolutionnaires. Nous rentrons dans nos attributions définies par nos statuts, le Comité Central ne saurait s’immiscer dans les actes de la Commune, le seul pouvoir régulier. Il les fera respecter et se bornera à réorganiser la garde nationale.

Acte fut donné, avec félicitations, aux délégués du Comité Central de leur déclaration, et nul ne songea à considérer comme une illusion encore la formule de l’orateur, affirmant « que le Comité Central ne saurait s’immiscer dans les actes de la Commune ».

Le Comité Central avait rédigé, avant de se retirer, une proclamation qui fut affichée le lendemain avec l’en-tête : Fédération de la Garde nationale, et ainsi conçue :

Citoyens,

Nous venons de remettre entre vos mains l’œuvre que vous nous avez chargés d’établir, et, à ce dernier moment de notre éphémère pouvoir, avant de rentrer définitivement dans les attributions du Comité de la garde nationale, attributions d’où les événements nous avaient fait sortir, nous voulons vous dire un mot de remerciement.

Aidés dans notre tâche par votre admirable patriotisme et par votre sagesse, nous avons, sans violence, mais sans faiblesse, accompli les clauses de notre mandat.

Entravés dans notre marche par la loyauté qui nous interdisait de faire acte de gouvernement, nous avons néanmoins pu, en pous appuyant sur vous, préparer en huit jours une révolution radicale.

Nos actes vous sont connus, et c’est avec l’orgueil du devoir accompli que nous nous soumettons à votre jugement. Mais avant de passer nous-mêmes au tribunal de votre opinion, nous voulons dire que rien n’a été fait en bien que par vous. Nous voulions proclamer bien haut que, maître absolu et légitime, vous avez affirmé votre force, surtout par votre générosité, et que si vous avez réclamé et imposé les revendications, vous n’avez jamais usé de représailles.

La France, coupable de vingt années de faiblesse, a besoin de se régénérer des tyrannies et des mollesses passées par une liberté calme et par un travail assidu. Votre liberté, les élus d’aujourd’hui la garantiront avec énergie et la consacreront à tout jamais : le travail dépend de vous seuls. Groupez-vous donc avec confiance autour de votre Commune, facilitez ses travaux en vous prêtant aux réformes indispensables ; frères entre vous, laissez-vous guider par des frères, marchez dans la voie de l’avenir avec fermeté, avec vaillance ; prêchez l’exemple en prouvant la valeur de la liberté et vous arriverez sûrement au but prochain : la République Universelle.

Hôtel-de-Ville de Paris, 28 mars 1871.
Les membres du Comité Central :

Avoine fils, Ant. Arnaud, G. Arnold, Assi, Andignoux, Bouit, J. Bergeret, Babick, Barroud, Billioray, Blanchet, L. Boursier, Castioni, Chouteau, C. Dupont, Ferrat, Fabre, Fleury, Fougeret, G. Gaudier, Gouhier, Géresme, Grélier, Grollard, Josselin, Fr. Jourde, Lavalette, Fortuné Henry, Maljournal, E. Moreau, Mortier, Prudhomme, Rousseau, Ranvier, Varlin, A. du Camp.

LES COMMISSIONS

La Commune se partagea les diverses attributions qui devaient lui incomber en neuf commissions, représentant à peu près les départements ministériels des gouvernements précédents. La dénomination et la formation de plusieurs de ces commissions indiquaient que l’assemblée entendait étendre ses pouvoirs au delà de la compétence purement communale. Ces commissions furent qualifiées et composées ainsi :

1. Commission militaire. — Son importance devait être considérable, puisqu’elle était à la tête de la Défense et qu’elle avait dans ses attributions l’organisation, la discipline, l’armement et l’équipement de la garde nationale. Elle devait constituer la délégation à la guerre, et un conseil souverain de la force militaire de Paris.

Elle fut composée des citoyens : Gustave Flourens, Du-val, Bergeret, Eudes, Chardon, Pindy et Ranvier.

2. Commission de sûreté générale. — Elle était chargée de la police, de la sécurité et de l’ordre public.

Membres : les citoyens Raoul Rigault, Ferré, Assi, Cournet, Oudet, Chalain, Gérardin.

3. Commission de justice. — Membres : les citoyens Protot, Ranc, Léo Meillet, Vermorel, Ledroit, Babick.

4. Commission des finances. — Membres : les citoyens Jourde, Varlin, Victor Clément, Régère, Beslay.

5. Commission des subsistances. — Membres : les citoyens Parisel, Dereure, Champy, Ostyn, Clément (J.-B.), Clément (Émile), Fortuné Henry.

6. Commission du travail, industrie, échange. — Membres : les citoyens Malon, Frankel, Theisz, Dupont, Avrial, Loiseau-Pinson, Eugène Girardin, Puget.

7. Commissions des services publics. — Membres : les citoyens Billioray, Martelet, Mortier, Rastoul.

Cette commission au titre modeste avait des attributions considérables, et beaucoup de besogne en perspective. Elle comprenait toute l’administration municipale. Elle avait la haute main sur les postes, télégraphes, chemins de fer, assistance publique, la voirie, etc., etc. Elle fut cependant peu sollicitée, et l’on n’y voit figurer que des personnalités très secondaires de la Commune.

8. Commission de l’enseignement. — Membres : Jules Vallès, Goupil, Ernest Lefèvre, Albert Leroy, Urbain, Demay, Robinet, Verdure.

Cette commission était le ministère de l’instruction publique de la Commune, et la plupart de ses membres avaient appartenu à l’enseignement. Elle avait, dans le programme de ses attributions, la préparation d’un projet établissant l’instruction gratuite, obligatoire et entièrement laïque. C’était évidemment excellent, et la Commune de 1871 traçait la voie, et donnait l’exemple à la commission parlementaire qui fut par la suite organisée par Jules Ferry ; mais c’était dépasser le mandat d’une assemblée municipale. Cette commission avait ainsi un caractère général et un mandat non plus local, mais national. On lui donnait également mission de « réformer les plans d’instruction et d’augmenter le nombre des bourses dans les lycées ». Louable préoccupation, mais il y avait assurément, pour les élus de Paris assiégé, des tâches plus urgentes et des besognes moins théoriques.

9. Commission des relations extérieures, correspondant au ministère des Affaires Etrangères. Elle était composée des citoyens Paschal Grousset, Delescluze, Ulysse Parent. Arthur Arnould, Antoine Arnaud, Charles Gérardin.

On a généralement pris peu au sérieux cette commission. Henri Rochefort, qui a toujours su, avec des plaisanteries, détourner l’opinion des choses graves, s’est moqué très drôlement du délégué remplissant les fonctions de ministre des affaires étrangères : Paschal Grousset, « élégant jeune homme, a-t-il dit, qui avait plus d’extérieur que de relations. » C’était spirituel, mais absurde. La Commune était investie, isolée, mais il y avait pour elle des relations obligatoires délicates avec l’extérieur, ne fût-ce qu’avec les généraux prussiens ayant les canons du fort de l’Est et du Nord braqués sur Paris, et posant des sentinelles à toutes les portes de sortie, de Vincennes à Saint-Denis.

Le défaut évident du mandat donné à ces commissions était de comprendre des attributions d’ordre général et national, comme l’obligation et la gratuité de l’enseignement laïcisé, comme la réforme de la justice et de l’impôt, ou des tâches, sans doute louables, comme la propagande des idées socialistes et l’égalisation des salaires, mais peu commodes non pas seulement à réaliser, mais même à entreprendre, sous la grêle des projectiles qui allaient s’abattre sur les commissaires. Il est difficile, au milieu d’un combat, de s’occuper de propagande socialiste et de l’équivalence du salaire et du travail.

Tous ces républicains sincères et dévoués, socialistes pour la plupart bien intentionnés, et désireux de remplir de leur mieux la fonction qu’ils s’assignaient, s’imaginaient qu’ils n’avaient qu’à faire œuvre de bureaucrates, de paisibles et méticuleux administrateurs. Ils ne semblaient pas se douter, qu’avant de s’attacher à réformer la justice, les finances, l’enseignement et l’impôt, il fallait d’abord être les maîtres du pouvoir, devenir le gouvernement, faire la loi. Ignoraient-ils que ce n’était pas avec des phrases, des discours, des décrets qu’ils deviendraient des législateurs, mais par la victoire, par la force du sabre et des fusils, argument supérieur et seule raison morale des rois, des gouvernements, des insurgés aussi ? Ces commissions théoriques étaient bien les rouages fictifs qui convenaient au régime des Illusions.

LA COMMISSION EXÉCUTIVE

Enfin une commission centrale et principale, nommée Commission exécutive, constituait le pouvoir, le gouvernement de la Commune. Elle remplaçait le Comité Central. Elle était nommée pour un mois, mais renouvelable. Elle signait et faisait exécuter les décisions de la Commune.

Elle comprenait les citoyens : Tridon, Eudes, Vaillant, Duval, Bergeret, Félix Pyat et Lefrançais.

Les blanquistes dominaient, avaient quatre sièges sur sept dans la commission : Tridon, Eudes, Vaillant, Duval.

Le Comité Central n’y avait qu’un de ses membres : l’incapable et vaniteux Bergeret.

Enfin deux hommes de valeur, mais de mérites bien différents et tous deux peu pratiques : Félix Pyat et Lefrançais, complétaient le pouvoir exécutif de la Commune.

Félix Pyat personnifiait l’ancienne école révolutionnaire, romantique et traditionnelle. Il était de ceux qui voulaient décrocher dans le vestiaire du passé les défroques démodées et surannées, et s’en affubler, pour jouer une reprise de la Commune de 92. Lefrançais représentait l’Internationale.

LEFRANÇAIS

Lefrançais, qui fut le premier président élu de la Commune, appartenait, comme le président d’âge à la bourgeoisie. Il avait été instituteur à Macon, et était devenu comptable intéressé dans une entreprise rivale de la célèbre maison Richer, ce qui lui valut de la part des échotiers des feuilles réactionnaires d’interminables et sottes plaisanteries. C’était un proscrit de 51.

Gustave Lefrançois, dit Lefrançais, était né à Angers, le 28 janvier 1826. Il était de taille plutôt petite, courtaud, d’aspect vigoureux, très barbu, les cheveux épais et très noirs, la tête fine et la physionomie intelligente et grave, ne paraissant point son âge. Il imposait l’attention et les égards par la dignité tranquille de son maintien et l’assurance de ses affirmations. Sa parole était nette et précise. Sans emballement, il débitait les formules es plus hardies, et froidement énonçait les plus violentes mesures, qu’il eût été d’ailleurs incapable d’exécuter. C’était un terroriste en paroles et un exécuteur des œuvres de la République d’utopie. Les solennels et les gourmés en imposent toujours aux assemblées parlantes. L’autorité de ce magister, qui présida comme il eût fait la classe, était grande sur la Commune.

Il avait vécu en Suisse, à la suite des événements de décembre, et y avait pris le ponctualité et le prudence des négociants génevois. Rentré en France, il s’occupa d’affaires commerciales ; il se sépara de son associé, Chéron, à la suite d’un procès qu’il gagna. Dès que la tribune fut rendue au peuple, il s’y montra, et fut, avec Briosne, l’orateur le plus applaudi des réunions publiques.

Au Pré-aux-Clercs, à la Redoute, et au Waux-Hall, il développa ses théories sur la propriété, sur l’hérédité, sur l’union libre. Son éloquence était sèche, mais pénétrante ; son ton ne cessait jamais d’être doctoral. On ne le vit pas s’emporter, on n’entendit point sortir d’épithètes injurieuses ou d’apostrophes brutales de sa bouche pincée de prédicateur socialiste. Il se présenta aux élections, en 1869, dans la circonscription d’Ernest Picard, à Paris, et ne fut pas nommé. Candidat à l’Assemblée nationale aux élections du 8 février 1871, il obtint un peu plus de 62,000 voix, et se trouva donc parmi les plus rapprochés des derniers élus. Pendant le siège, il avait été nommé adjoint à la mairie du XXe arrondissement (Belleville) par 8,619 voix.

Lefrançais, doctrinaire du socialisme plutôt que révolutionnaire militant, avait formulé le premier, dans les réunions publiques sous l’empire, le système collectiviste. À la réunion du Pré-aux-Clercs du 29 janvier 1868, il avait fait adopter cette motion, dont il avait développé les termes :

« Considérant que l’hérédité est contraire à la justice, la réunion conclut non point à la modification de la loi actuelle sur l’hérédité, mais à sa suppression, et décide que l’on doit substituer la propriété collective à la propriété individuelle. »

Gaston Da Costa a dit de lui :

Lefrançais fut un puritain de la vieille école. Homme d’études, mais peu fait pour l’action, imbu des principes de droit proclamés par la Constituante et qui ne résolvent aucune des questions sociales dont la solution passionne notre époque.

(La Commune vécue.)

L’un des biographes des hommes de la Commune, M. Jules Clère, a tracé de lui ce portrait, en 1871 :

Lefrançais, froid et énergique révolutionnaire, sut gagner au communisme bien des esprits peu éclairés que l’habileté de son argumentation avait séduits. Au 4 septembre, il continua d’être comme aux élections de 1869, l’adversaire acharné des députés de la gauche auxquels il avait maintes fois reproché, dans des réunions tenues chez Budaille, au boulevard Clichy, d’ignorer complètement les questions sociales et de les étouffer dans leurs vagues et banales revendications politiques.

Un autre biographe, M. Paul Delion, l’a ainsi défini :

Révolutionnaire au dehors et père de famille au dedans, dénonçant le mariage comme immoral et la propriété comme un vol, dans les salles de bal transformées en salles de prêche, mais une fois rentré chez lui, doux et bon, aimant particulièrement les petits enfants, leur faisant des joujoux, et incapable de la moindre indélicatesse à l’endroit de cette propriété qu’il vient de décrier, tel est Lefrançais… Il joua un rôle important dans la Commune et eut le bon sens de s’opposer aux violences des écervelés qui l’entouraient…

(Paul Delion. Les Membres de La Commune, p. 124.)

Lefrançais, nommé membre de la Commission exécutive, fit ensuite partie de la Commission des finances, où il se trouvait mieux à sa place. Cet homme de bureau, ce comptable, était très brave. Il le prouva, en allant se promener tranquillement, au pas, sans broncher ni pâlir, à la Porte-Maillot, le long des fortifications, d’un secteur à l’autre, sous une pluie de projectiles, à la suite d’un article de Vermersch dans le Père Duchéne, où il était dit que les membres de la Commune avaient eu peur d’aller au feu. Il avait proposé, en guise de duel, la promenade périlleuse à son critique, qui ne jugea pas à propos d’accepter cette rencontre à l’obus.

Mais, comme l’a dit Gaston Da Costa, ce philosophe, ce théoricien du communisme, ce propagandiste de l’Internationale, n’était pas un homme d’action. Or ce n’était pas de théoriciens que la Commune avait besoin. Le choix de ce socialiste à belle barbe noire, pourvu de toute la correction bourgeoise, aux allures de bureaucrate, solennel, pontifiant, et un peu raseur, disaient irrévérencieusement les chroniqueurs de l’opposition, ne réalisait pas absolument l’idéal d’un membre de la Commission exécutive de la Commune. Le président hebdomadaire des premières séances était aussi convenable, aussi éloquent, et aussi inoffensif que le digne Beslay, le président d’âge auquel il succédait. Ni l’un ni l’autre ne parurent se rendre un compte exact de la situation, vivant leurs rêves, mutuellisme ou communisme, heureux de se trouver à la tête d’une assemblée municipale, poursuivant en de paisibles délibérations la discussion des réformes sociales qu’ils avaient à cœur de voir voter et discuter. Ils ne parurent se douter, ni l’aîné, ni le cadet, en parlant à cette assemblée d’insurgés trop régularisés, trop désireux de légiférer, impatients de réclamer la parole, attentifs à la discussion et au vote d’ordres du jour, que, pendant ces parlottes, M. Thiers, après avoir été reconnaître les hauteurs de Bellevue et de Saint-Cloud, avec ses généraux, contrairement à ceux-ci qui estimaient suffisante une batterie de vingt canons placés sur la hauteur de Brimborion dominant Paris au sud-ouest, décidait l’établissement d’une formidable batterie de cent pièces. Cette artillerie, jugée superflue par les culottes de peau, paraissait indispensable au stratège en redingote pour éteindre les feux des forts de Vanves et d’Issy, gardiens bientôt impuissants de la brèche pratiquée dans les remparts de la cité condamnée.

ADOPTION DU NOM DE « COMMUNE DE PARIS »

Avant de clore la première séance, l’assemblée, sur La proposition d’Émile Eudes, décida qu’elle prendrait le nom de : Commune de Paris.

Au point de vue linguistique et juridique ce terme était mal employé pour désigner une assemblée délibérante et un gouvernement agissant. Il désignait plutôt l’ensemble iles citoyens d’une ville, d’une agglomération. Les Communes de Paris, de Lyon, de Beauvais, de Noyon, de Laon, pouvaient exister sous l’autorité d’un empereur, d’un roi, d’un évêque. Ce terme de Commune était indépendant du régime établi. Sous Napoléon III, les administrateurs, les juristes, les publicistes, avaient souvent parlé des droits, des capacités, des intérêts de la commune, soit à Paris, soit dans chaque région de la France. Mais, dans le langage courant, depuis le siège, on entendait désigner sous ce nom un ensemble de gouvernement populaire, démocratique, au caractère révolutionnaire, et aux pouvoirs mal déterminés. Comme au 4 septembre, au 31 octobre, au 22 janvier, au 18 mars, on espérait en ce mot. C’était une formule d’espoir, une lettre de change tirée sur l’avenir. La Commune, c’était la Révolution opposée à la Réaction, Paris contre Versailles. Eudes fit bien, en proposant cette dénomination vulgarisée, comme devant être le nom légal du régime issu de l’insurrection du Dix-Huit mars et des élections municipales du 26. Dans sa pensée d’hébertiste, il s’y mêlait un souvenir de 92, et le désir de rappeler et d’imiter la Révolution Française. En ceci il avait tort, mais la population n’entendit guère en ce sens le nouveau terme légal. Depuis longtemps elle en usait pour désigner un gouvernement plébéien, et les adversaires même avaient employé cette terminologie.

L’assemblée eut raison d’adopter le nom habituel et familier aux oreilles parisiennes. Elles l’entendaient d’ailleurs à contre-sens. La Commune, cela signifiait surtout un gouvernement municipal, la cellule de l’organisme politique de Paris, ayant pour conséquence logique l’accord et l’union avec les autres communes de France, c’est-à-dire la constitution et l’organisation d’une République Fédérale.

Plusieurs villes, principalement dans le midi, l’interprétèrent en ce sens, mais les événements allaient changer la signification du terme et la commune de Paris isolée, séparée des autres communes de Lyon, de Marseille, de Narbonne, de Saint-Étienne, de Toulouse, de Limoges, qui elles aussi avaient prétendu décentraliser et se déclarer autonomes, n’allait plus être considérée que comme une cité en révolte contre le pacte national, destinée à être domptée et ramenée violemment sous le joug centralisateur, par la victoire de l’armée de Versailles, instrument de l’unité française.

La Commune fit, le 29 mars, afficher la proclamation suivante :

Citoyens,

Votre Commune est constituée.

Le vote du 26 mars a sanctionné la Révolution victorieuse.

Un pouvoir lâchement agresseur vous avait pris à la gorge : Vous avez dans votre légitime défense, repoussé de vos murs ce gouvernement, qui voulait vous déshonorer en vous imposant un roi.

Aujourd’hui, les criminels que vous n’avez même pas voulu Poursuivre abusent de votre magnanimité, pour organiser aux portes même de la cité un foyer de conspirations monarchiques. Ils invoquent la guerre civile ; ils mettent en œuvre toutes les corruptions ; ils acceptent toutes les complicités ; ils ont osé mendier jusqu’à l’appui de l’étranger.

Nous en appelons de ces menées exécrables au jugement de la France et du monde !

Citoyens,

Vous venez de vous donner des institutions qui défient toutes les tentatives.

Vous êtes maîtres de vos destinées. Forte de votre appui, la représentation que vous venez d’établir va réparer les désastres causés par le pouvoir déchu : l’industrie compromise, le travail suspendu, Îles transactions commerciales paralysées vont recevoir une impulsion vigoureuse.

Dès aujourd’hui, la décision attendue sur les loyers ; demain celle des échéances.

Tous les services publics rétablis et simplifiés.

La garde nationale, désormais seule force armée de la cité, réorganisée sans délai.

Tels seront nos premiers actes.

Les élus du peuple ne lui demandent, pour assurer le triomphe de la République, que de les soutenir de sa confiance.

Quant à eux ils feront leur devoir.

Hôtel-de-Ville, 29 mars 1871.
La Commune de Paris.

Cette proclamation était conçue en termes trop généraux et contenait une exagération évidente. Au Dix-Huit mars, M. Thiers n’avait pas du tout voulu imposer un roi. Deux autres décrets parurent en même temps à l’Officiel : l’un abolissant la conscription et appelant tous les citoyens valides à faire partie de la garde nationale ; l’autre faisant remise générale aux locataires des termes d’octobre, janvier, et avril échus. Tous les baux étaient résiliables à la volonté des locataires, pendant une durée de six mois.

Le premier de ces décrets, nous l’avons dit, s’appliquait à toute la France, en ce qui concernait la conscription et ne pouvait avoir aucune sanction. Le second : la levée en masse de la garde nationale et Les locations résiliables au gré du seul locataire, ne pouvait être appliqué que si la Commune durait. Les illusionnistes de l’Hôtel-de-Ville auraient dû commencer par assurer cette durée.

À l’heure même où Paris se constituait en Commune, les grandes villes, un instant soulevées et agitées, s’apaisaient, renonçaient à imiter Paris et se soumettaient. La Province ne vint pas au secours de Paris et laissa s’accomplir, sans trop de protestations, l’étranglement de la capitale, méconnue, jalousée, et le massacre de ses habitants, qu’elle considérait, d’après les dépêches de M. Thiers et les affiches des préfets, comme un ramassis de bandits et de gens sans aveu ni foi politique.

Dans sa première séance, la Commune de Paris avait parlé de l’adhésion de la France et discuté l’envoi de délégués dans les grands centres, pour exhorter les républicains des villes et des campagnes à proclamer aussi la Commune et à suivre l’exemple de Paris. Ce fut là encore une illusion profonde, suivie bientôt d’une brutale déception.

fin
du 2e volume de l’Histoire de la Commune.