Histoire de la vie et des ouvrages de Saint-Évremond/Chapitre IV

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IV. Maladie du duc d’Enghien. — Campagne de 1646–47. — La société parisienne en 1647.
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CHAPITRE IV.
Maladie du duc d’Enghien. — Campagne de 1646-47. — La société
parisienne en 1647.

Le duc d’Enghien avoit eu trois chevaux tués sous lui, à la bataille de Nordlingue (3 août 1645) et il y avoit été blessé. On l’avoit vu partout, au plus fort de la mêlée, entraîné par cette valeur bouillante, qui lui faisoit braver tous les périls ; et la France admiroit ce capitaine de vingt-quatre ans, qui venoit de vaincre, dans trois batailles, les généraux les plus renommés de l’Europe, lorsqu’elle apprit que, succombant aux fatigues de la guerre, il étoit attaqué d’une maladie si grave, qu’on désespéroit de le sauver. Le jeune prince remit le commandement de l’armée à M. de Turenne et se fit transporter en litière à Philipsbourg, où les funestes symptômes du mal disparurent peu à peu. On connoît les appréhensions de la population émue, à la nouvelle du danger que couroit le héros. « Tout le monde, dit Voiture1, se rappela les courtes et précipitées prospérités de Gaston de Foix ; la mort du duc de Weymar, au milieu de ses triomphes, et celle du roi de Suède, qui fut tué comme entre les bras de la fortune et de la gloire. »

Saint-Évremond, à peine remis lui-même de sa blessure, accourut auprès du prince, et lui offrit des soins qui furent reçus avec satisfaction. Le prince lui confia comme l’intendance de son esprit, et Saint-Évremond remplit avec succès la charge de le distraire, pendant sa convalescence, par des lectures intéressantes, agréables, ou profitables. Voulant d’abord le divertir, il lui lut Rabelais ; mais ce prince, qui étoit tout grandeur, y prit peu de plaisir ; son esprit fut révolté des grossièretés qui déparent dans Rabelais tant de traits inimitables et un talent si original. Saint-Évremond réussit mieux en présentant Pétrone, parce qu’avec la joyeuseté du sujet, qui ne déplaisoit point, il y avoit une bonne part de délicatesse et de goût. Pétrone a été l’un des auteurs anciens pour lesquels l’aristocratie lettrée de cette époque a montré le plus d’affection. Bussy adoroit ce bel esprit libertin de l’ancienne Rome, et il l’a souvent traduit ou imité avec bonheur. Saint-Évremond nous a laissé lui-même une étude critique où l’on voit toute l’inclination des beaux esprits de son temps pour le peintre piquant des débauches romaines sous l’Empire.

Indépendamment de ses qualités militaires, le duc d’Enghien étoit doué d’une intelligence vive, délicate, et très-cultivée ; il aimoit les lettres, non-seulement pour les goûter, mais encore pour s’y exercer heureusement. « Il avoit beaucoup d’esprit et de gaieté, dit M. Cousin, et il faisoit très-volontiers la partie des beaux esprits qui l’entouroient. Au milieu de la Fronde, quand la guerre se faisoit aussi avec des chansons, il en avoit composé plus d’une, marquée au coin de son humeur libre et moqueuse. » N’y eût-il que le fameux triolet :

C’est un tigre affamé de sang
Que ce brave comte de Maure ;
Quand il combat au premier rang,
C’est un tigre affamé de sang.
Mais il n’y combat pas souvent,
C’est pourquoi Condé vit encore.
C’est un tigre affamé de sang
Que ce brave comte de Maure.

Il est d’une touche fine, poétique, et de la plus aimable causticité2. Le commerce d’un homme comme Saint-Évremond devoit être d’un agrément inappréciable pour le duc d’Enghien. Aussi le prince accorda-t-il au gentilhomme son estime et son amitié ; il le chargea même, avec confiance, des affaires les plus importantes.

Ayant recouvré la santé, le duc d’Enghien revint en France et reparut à la cour : on sait l’accueil qu’il y reçut, et l’état dans lequel il trouva les esprits. Le mois de mai revenu (1646), il ne souhaita point retourner en Allemagne. Il aima mieux aller servir en Flandre, en qualité de lieutenant général du duc d’Orléans, Gaston : prince à qui étoit venue tard l’ambition de la gloire militaire, mais qui, à la tête d’une armée excellente, où servoient La Meilleraye, Gassion et Rantzaw, avoit eu des succès dans les campagnes de 1644–45, et qui s’en promettoit de nouveaux, pour celle de 1646. Saint-Évremond assistoit à l’entretien que les deux grands capitaines du siècle eurent ensemble, à Paris, au moment de retourner à leurs armées, et il a rendu compte des conseils que Turenne donna au jeune duc, en cette occasion3. Il suivit encore le duc d’Enghien dans cette campagne et joignit l’armée à Arras, toujours plus avancé dans l’intimité du prince. Il prit part au siége et à la prise de Courtrai ; au siége de Mardyk, où le duc d’Enghien eut le visage brûlé ; et bientôt après il vit Gaston d’Orléans quitter l’armée, par un secret dépit de jalousie, abandonnant la place au duc d’Enghien, dont l’habileté, le brillant courage, et les allures héroïques enthousiasmoient tous les esprits. Dans cette campagne de Flandre, Saint-Évremond rencontra pour la première fois Bussy-Rabutin, qui commandoit un régiment : officier de la plus haute distinction, qui a consigné dans ses Mémoires le récit instructif des événements dont nous venons de parler, ainsi que les services qu’y rendit Saint-Évremond, dont plus tard il épousa la cousine germaine.

Mardyk rendu, on assiégea Furnes, qui ne résista point ; et comme toutes ces opérations n’avoient été dirigées que dans la vue d’entreprendre, avec succès, le siége de Dunkerque, affaire capitale par les difficultés qu’elle présentoit, et par les résultats qu’on en devoit recueillir, le duc d’Enghien, qui avoit besoin de faire approuver ses plans par le cardinal Mazarin, chargea Saint-Évremond de la mission apparente d’aller porter à la cour la nouvelle de la prise de Furnes, et de la mission secrète de faire comprendre au cardinal l’importance de l’entreprise sur Dunkerque, et de concerter avec le puissant ministre les moyens d’exécution. Ce n’étoit pas la première fois que le duc d’Enghien confioit des messages analoges à Saint-Évremond4, qui s’en tira cette fois comme toujours, avec intelligence, discrétion et succès. Ce mémorable siége de Dunkerque, qui a tant honoré le duc d’Enghien et dont l’histoire est aujourd’hui si bien connue, a donc eu Saint-Évremond parmi ses promoteurs et ses acteurs les plus distingués ! La ville se rendit le 10 octobre 1646 ; après quoi l’on prit les quartiers d’hiver, et nos guerriers victorieux revinrent à Paris, où ils trouvèrent, en récompense de leur gloire, des déceptions et des intrigues.

À cette époque remonte la première froideur qui se produisit entre le duc d’Enghien et la cour, à l’occasion de la charge de surintendant des mers, que le beau-frère du prince, Armand de Brezé, tué au siège d’Orbitello, laissoit vacante par sa mort, et que le cardinal retint pour la reine régente elle-même, craignant de donner trop de puissance au jeune duc, que sa renommée élevoit déjà si haut. Le prince de Condé, père du duc d’Enghien, en éprouva surtout le plus violent dépit, et, en accusant Anne d’Autriche d’ingratitude, il excitoit son fils à témoigner son déplaisir, par sa retraite du service ; il s’éloigna lui-même de la cour, et s’exila dans son gouvernement de Bourgogne, où il mourut le 26 décembre 1646. Le duc d’Enghien s’appela dès lors le prince de Condé ; et livré à ses inspirations personnelles, son mécontentement ne résista point aux caresses de Mazarin, qui fit tout pour l’apaiser.

Saint-Évremond passa l’hiver de 1646–47 à Paris et n’accompagna point le nouveau prince de Condé, que la mort de son père appeloit à Dijon, où il resta plusieurs mois, occupé à régler la succession paternelle et à prendre possession du gouvernement de la province, qui lui avoit été substitué. Ce fut alors que Monsieur le Prince, comme on le nomma depuis, s’attacha un serviteur en qui le prince mort avoit mis toute sa confiance, et qui demeura invariablement dévoué aux intérêts du fils, dans toutes les fortunes : un ami véritable trouvé, par occasion, dans l’héritage, Lenet, procureur général au parlement de Bourgogne, plus tard conseiller d’État, qui a joué un rôle si actif dans les affaires des Condé, et qui nous a laissé des papiers et Mémoires fort importants pour l’histoire de cette maison5. On peut s’étonner de ne trouver dans ces Mémoires aucune mention de Saint-Évremond. Mais ce silence s’explique facilement. La partie des Mémoires de Lenet qui se rapporte aux années 1645–46, pendant lesquelles les relations de Saint-Évremond avec le prince ont été les plus étroites, n’a pas été rédigée ; elle est restée en simples notes et fort incomplètes. Lenet n’a été employé auprès de la personne même du grand Condé qu’à partir de 1650. Jusqu’alors il est resté à Dijon, chargé des affaires privées du prince. Or, comme Saint-Évremond a quitté le service du prince en 1648, ainsi que nous le verrons bientôt ; et comme, depuis cette dernière époque, où ont commencé les troubles de la Fronde, Saint-Évremond a suivi le parti de la cour, tandis que Lenet a suivi les Condé, dans les rangs opposés, il n’y a jamais eu de rapports, ni même de rencontre, entre ces deux personnages.

Pendant cet hiver de 1647, que le prince employait à Dijon aux affaires de la succession paternelle, Saint-Évremond occupoit la société parisienne de trois compositions qui sont parvenues jusqu’à nous, et dont il est bon d’entretenir nos lecteurs. Mais il importe de connoître, auparavant, le public d’élite au milieu duquel ces ouvrages furent lancés.

C’était la plus brillante compagnie du temps, dans laquelle Saint-Évremond étoit fort répandu. Il éloit allié des meilleures maisons du royaume : les de Pons, les Fontaine-Martel, les Tillières. Ces derniers avoient une grande existence à Paris ; Loret parle de la mort de la comtesse de Tillières, qui étoit Bassompierre, comme d’une affliction publique. Par les Tillières, Saint-Évremond étoit issu de germain avec le duc de Lorraine, Charles IV ; sa position dans le grand monde parisien, étoit donc excellente. Or, dans cette première moitié du dix-septième siècle, le grand seigneur est, presque toujours, homme de lettres en même temps qu’homme de guerre. Dans la seconde moitié, l’homme de lettres proprement dit se dégage du tiers état, s’élève, et sort du rang de serviteur précaire où il avoit vécu jusqu’alors ; le grand seigneur garde son rang, toutefois, et reste au pair avec l’homme de lettres, en ce qui touche l’esprit. Au dix-huitième siècle, l’homme de lettres monte en dignité, son influence publique s’accroit ; et le grand seigneur est subalterné, au simple point de vue du grand art d’écrire. Ainsi, à tout prendre, le grand seigneur est demeuré le maître, en fait d’esprit, dans la société du dix-septième siècle. Un autre genre de supériorité lui assuroit alors une influence dominante : je veux parler de la conversation, et de l’esprit de salon.

Avec le seizième siècle, finit, à vrai dire, la vie de château, et commence la vie de salon. L’idée de la société même, c’est-à-dire du commerce du monde, par l’échange des idées, la politesse de l’esprit et des manières, se produit, au début du dix-septième siècle. Pendant les guerres civiles, l’ancienne noblesse Françoise s’étoit passionnée tout à la fois pour la discussion religieuse, et pour l’antiquité classique : l’une provoquée par la réforme, l’autre remise en nouveauté par la découverte de l’imprimerie. Dans cette participation vive et profonde à la discussion religieuse, et à la culture littéraire, la noblesse avoit acquis une finesse d’esprit, autrefois inconnue dans la vie féodale. Les gentilshommes de ce temps tiennent la plupart, d’une main aussi ferme, la plume que l’épée. Voyez Montluc, d’Aubigné, Brantôme et Sully. D’un autre côté, la vénalité des offices avoit changé la haute bourgeoisie, née du barreau et du négoce, en aristocratie parlementaire. La réputation d’avocat, acquise au parlement, conduisoit, alors, aux plus grandes charges de l’État. En outre, la centralisation monarchique avoit fait naître la spéculation financière. De là venoit une notabilité d’ordre nouveau, composée de parvenus par la fortune et les emplois, qui rivalisoit d’intelligence et de distinction avec la noblesse d’épée ; et ce cortége d’officiers civils, de fonctionnaires et d’agents financiers, sortis de la bourgeoisie des villes, et quelquefois du peuple, entouroit la monarchie administrative qui avoit remplacé la royauté féodale, et créoit un foyer particulier de lumières, d’activité, de politesse, dans la capitale du royaume. Tout cela étoit représenté dans les salons du dix-septième siècle.

Une France transformée étoit donc sortie de la tourmente du seizième siècle ; tout avoit changé avec l’avènement de la maison de Bourbon au trône de France. Ce premier siècle des Bourbons ne ressembloit pas plus au siècle des Valois que la France née de la révolution ne ressemble à la France du dix-huitième siècle ; et le temps avoit marché si vite, qu’on se moqua de Sully et du duc d’Épernon, jadis si importants personnages, lorsqu’ils reparurent dans le monde, après une éclipse de dix ans. La résidence à Paris des deux derniers Valois, et le séjour constant de Henri IV et de Louis XIII, dans cette ville, hâtèrent cette révolution de la vie parisienne, en donnant à la capitale le spectacle continu d’une cour polie, dont l’accès n’étoit fermé à personne, et où la bourgeoisie de judicature, tout comme celle de l’hôtel de ville, se confondoient avec la noblesse d’armes, sortie de ses châteaux. On y voyoit une société choisie, constamment réunie ; et bientôt la courtoisie italienne, mêlée à la bienséance espagnole, y répandirent un charme inconnu jusqu’alors. La France et Paris offrent pour la première fois cet aspect, vers le milieu du dix-septième siècle.

Les Médicis avoient apporté en France le goût de l’architecture qu’on pourroit appeler privée. Il se développa, lorsqu’on fut sorti des émotions, et de la misère, où la guerre civile avoit plongé le pays, avant et après la mort de Henri III. L’administration, les finances, le commerce, tout se raviva, se ranima, sous le gouvernement réparateur de Henri IV, avec une promptitude incroyuble ; et la France reprit, en peu de temps, à l’extérieur, le rang que lui assurent sa force et sa puissance, quand elle est bien gouvernée. À l’intérieur, la vie matérielle s’amélioroit ; on apprenoit à se loger avec grandeur, et commodément. Le mouvement de rénovation que les Valois avoient imprimé à tous les arts, s’etoit tout d’abord appliqué à l’architecture des résidences royales et princières. Le logement du roi n’étoit plus le vieux palais des Thermes, qui des Césars avoit passé aux deux premières races de nos rois ; ni cette forteresse de Hugues Capet ou de Robert, bâtie dans l’ancienne cité, sur la rive même du fleuve, comme pour la défendre contre les invasions du Nord ; palais aux tours crénelées, aux voûtes sombres, dont les salles d’armes, presque à niveau du fleuve, étoient tous les hivers inondées, tant on avoit peu songé à l’agrément du logis de la royauté féodale. Ce n’étoit plus cet hôtel Saint-Paul, bâti par le sage Charles V (1364), sur un terrain plus plaisant, sans doute, entouré de vastes jardins fruitiers, dont quelques rues retiennent encore les noms aujourd’hui, mais dont les fenêtres garnies de vitraux peints, comme celles de nos anciennes églises, recevoient un jour encore assombri par le voisinage de la Bastille. Ce n’étoit plus le palais des Tournelles, siége du gouvernement, pendant l’occupation angloise, et où résidèrent après le duc de Bedfort, Charles VII, et ses successeurs, jusqu’à la mort de Henri II : palais rasé par Catherine de Médicis, pour abolir la mémoire de la mort funeste de son époux. C’étoit le Louvre, alors nouveau, vieux aujourd’hui, édifié sur les fondations des vieilles tours des comtes de Paris ou de Philippe Auguste ; commencé par François Ier, continué, de règne en règne, avec un luxe royal ; orné de toutes les élégances de l’art du seizième siècle. La vie rude et militante des temps anciens avoit cessé ; et pour vivifier cette belle habitation, la porte du roi s’étoit ouverte à tout le monde. Une société, composée de tous honnêtes gens qui portaient une cotte ou un chaperon, dans Paris, s’y réunissoit, par habitude, et le respect s’y concilioit avec la familiarité, dans les relations paternelles du monarque avec ses sujets ; relations faciles qui ont duré jusqu’au mariage de Louis XIV, avec l’infante d’Espagne.

Auprès de la résidence royale, on admiroit la ravissante galerie du Louvre, qui fait encore l’orgueil de Paris, et où la tradition absurde, s’obstine à voir, dans les chiffres enlacés de Catherine et de Henri III, constructeurs de l’édifice, les chiffres de Henri II et de Diane de Poitiers. Passant aux demeures princières, l’œil se portoit, de l’autre côté du Louvre, sur le bel hôtel de Soissons, ancienne habitation de la reine Blanche, rebâtie par Catherine de Médicis, et dont le marteau du dix-huitième siècle n’a respecté que quelques pierres, celles de la colonne astrologique de Ruggieri ; hôtel alors embelli par de magnifiques jardins ouverts au public, et représentés aujourd’hui par le quartier le plus entassé de Paris, et les contructions les plus indignes d’une grande capitale. Plus loin, s’élevoit le délicieux château des Tuileries, encore bâti par Catherine, que Henri IV relia au Louvre, et qu’habita Louis XIII ; mais qui primitivement, étoit hors de l’enceinte de Paris ; chef-d’œuvre de Philibert Delorme, déparé, au point de vue de l’art, par les constructions juxtaposées d’une autre époque. Son jardin étoit alors bien différent toutefois, de ce qu’il est aujourd’hui, soit pour l’étendue, soit pour l’ornement. Une rue, longeant le palais, le séparoit des Tuileries.

Après l’exemple donné par les princes, étoit venu le tour de l’imitation des sujets. Le riche financier Zamet, amené par les Médicis, avoit comme donné le signal, à la fin du seizième siècle, en faisant bâtir ce bel hôtel de la rue de la Cérisaye, où venoit s’ébattre Henri IV, où mourut tragiquement Gabrielle d’Estrées, où logea royalement Pierre le Grand, dans son voyage à Paris, et qui est aujourd’hui divisé en lambeaux méconnaissables.

L’activité des constructions, pendant les premières cinquante années du dix-septième siècle, ne se ralentit pas d’un instant. Allez voir ces demeures monumentales, désertes aujourd’hui, alors si animées, qui entourent la place Royale, qui peuplent les rues voisines, dorénavant abandonnées aux pensionnats, au commerce encombrant, aux menues fabriques : alors quartiers neufs de Paris, habités par la fleur de la belle compagnie ; saluez l’hôtel de Carnavalet, qu’une administration publique avoit dégradé, que conserve un propriétaire éclairé ; l’hôtel de Sully, rue Saint-Antoine ; l’hôtel de Beauvais, dont parle si souvent Mme de Motteville ; les hôtels en ruine du quai des Célestins ; les magnifiques résidences, encore subsistantes, de la rue du Chaume, de la rue de Jouy, de la rue Culture Sainte-Catherine, de la rue Paradis, de la rue du Parc-Royal, de la rue Vieille du Temple, de la rue Sainte-Avoie, de la rue de Braque, de la rue des Francs-Bourgeois, de la rue Barbette, de la rue Thorigny, dégradées par le changement de leur destination ; souvenez-vous du palais Mazarin et des autres hôtels de la rue Richelieu dont nous avons vu les derniers restes ; voyez l’hôtel Tubeuf aujourd’hui trop restauré, voyez les débris des hôtels qui commençoient à peupler les rues Neuve des Petits-Champs et Neuve Saint-Augustin, le Palais Royal enfin, dont les constructions du dix-huitième siècle ont tant altéré le caractère primitif, en aveuglant les belles maisons qui bordoient son jardin, sur les rues de Valois et de Montpensier ; et où Anne d’Autriche avec le jeune roi furent s’établir, à la mort de Louis XIII. Telles étoient, avec de belles habitations aujourd’hui démolies, telles que l’hôtel de Condé, l’hôtel de la Rochefoucauld, et bien d’autres, les demeures, alors riantes et seigneuriales, que peuploit la société parisienne ; elles étoient dignes d’une population riche, attentive au soin de la vie, et polie dans ses habitudes. Il est facile de se figurer, en parcourant ce qui reste du Paris démoli, par exemple, les quartiers du Temple et du Marais, ce que devoit être l’aspect de ces hôtels, tous bâtis entre cour et jardin, sur des rues dont l’étroite dimension ne choquoit pas, avant qu’on eût monté six étages sur toutes les portes cochères, pour augmenter le produit des locations. Paris n’avoit pas alors plus de 500 000 habitants ; parmi lesquels, la masse plébéienne encombroit les vieux quartiers de l’Hôtel de Ville, des Halles, de la Cité et de la Montagne Sainte-Geneviève, dont heureusement il reste quelques hideux débris, pour nous faire apprécier les bienfaits de la civilisation moderne. L’enceinte de Paris, en 1650, sur la rive droite, étoit formée, à peu près, par le demi-cercle des boulevards jusqu’à la rue Royale, alors simple fossé, qu’on franchissoit en entrant par la porte Saint-Honoré, et se dirigeant vers le quai des Tuileries, barré plus tard par la porte de la Conférence. La Bastille d’un côté, le jardin des Tuileries de l’autre, fermoient ce demi-cercle. Sur la rive gauche, l’enceinte partoit de la porte Saint-Bernard, au quai de la Tournelle, et suivoit les rues des Fossés Saint-Bernard, des Fossés Saint-Victor, des Fossés Saint-Jacques ; trouvoit la porte de ce nom, à l’entrée du faubourg ; prenoit la rue Saint-Hyacinthe, aujourd’hui à demi disparue ; la rue des Fossés Monsieur le Prince, celle des Fossés Saint-Germain, plus tard de la Comédie-Françoise, et celle des Fossés de Nesle, aujourd’hui Mazarine, au bout de laquelle étoit la fameuse tour qui faisoit face à celle du Louvre. Ce n’est qu’après la pacification des troubles de la Fronde que la ville a franchi ces limites.

La location des maisons étoit déjà, cependant, une source importante de revenus pour les bourgeois ; mais les principaux propriétaires de loyers étoient les couvents, que l’on comptoit par centaines, dans Paris ; ils possédoient des terrains considérables qu’ils songèrent de bonne heure à couvrir de constructions pour locataires. Nous voyons les Augustins en discussion avec Henri IV, au sujet des rues Dauphine et d’Anjou, nouvellement percées, et qui changeoient les points de vue de leurs terrains à bâtir. Les carmes déchaussés ont bâti une partie de la rue de Vaugirard et des rues environnantes, où ils avoient, au dernier siècle, pour plus de cent mille livres de rente en loyers de maisons. Si l’on en croit Saint-Foix, le total des loyers des maisons de Paris se montait à la somme de 312 000 livres, sous François Ier. Au témoignage de Germain Brice, il étoit de 20 millions, au commencement du dix-huitième siècle. On avoit alors un petit hôtel, à porte cochère, pour 2000 livres de loyer annuel. Les loyers des maisons avoient beaucoup augmenté après la Fronde.

La circulation en voiture étoit impossible à Paris, dans la plupart des rues du seizième siècle. La chaise à porteurs n’y a même pénétré qu’au siècle suivant. La mule, le pied du marcheur, étaient les moyens de locomotion les plus usuels. On offroit la croupe de sa mule ou de son cheval, comme aujourd’hui on offre une place dans sa voiture. Mais, au dix-septième siècle, si au milieu de la cour du Palais, on voyoit encore le montoir de Messieurs les conseillers, il est certain qu’on n’en usoit plus. À cette époque, le docteur médecin voyage bien en mule dans Paris ; mais l’avocat ne se rend plus à pied et en robe au palais, suivi du cortège de ses clients ; le nombre des carrosses est devenu si considérable qu’il excite l’étonnement. C’est une nouveauté qui émerveille l’exact et véridique Pierre Petit, collaborateur de Comboust, et auteur de notices curieuses, jointes au célèbre plan de Paris, de 1652. « Les carrosses y sont si communs, dit Pierre Petit, que plusieurs maisons en ont deux ou trois ; quantité d’avocats, de marchands et de simples bourgeois s’en servent ordinairement, et l’on a même quelque pudeur d’aller à cheval ou à pied par les rues, dans lesquelles le menu peuple est fort insolent. »

Pour ce menu peuple lui-même, on imagina les carrosses à cinq sous, précurseurs avortés de l’omnibus, où grimpa plus d’une fois, avec bonheur, le vicomte de Turenne, et dont l’édilité parisienne laissa tomber l’entreprise, pour deux siècles, par défaut d’encouragement6.

Le seizième siècle, il faut le reconnoître, avoit dû certains avantages aux conditions anciennes et sévères de la vie privée, en ce temps-là : de fortes études, d’énergiques caractères, des travaux prodigieux d’érudition, la discipline du foyer domestique. Les grands magistrats, les grands avocats, comme les Brisson, les Molé, les Pasquier, les Dumoulin, passoient leur soirée d’hiver au coin du feu, à lire un Corpus juris, à méditer sur Aristote, ou à écrire de gros livres, en face de leurs femmes qui tournoient le rouet ; il n’y avoit point de temps perdu, pour les agréments et les politesses de la vie. Vers le début du dix-septième siècle, la scène change. Le salon s’ouvre à l’esprit françois, qui est celui de la conversation, de la libre discussion, et de la sociabilité élégante. Ce fut d’abord une innovation, autant dans la disposition des logements, que dans les habitudes de la vie : mais elle fit révolution dans les mœurs, et se tourna graduellement en une habitude universelle. Son influence sur le génie national ne tarda point à se manifester, et fut aussi heureuse que prompte en ses effets. Les applications diverses de l’intelligence devinrent plus actives. En gagnant de la clarté, la science parut plus familière et plus accessible. Les conceptions de l’esprit se dépouillèrent des formes du pédantisme et revêtirent une expression plus nette, plus correcte et plus facile. On échangea ses idées, sur toute chose, dans les conférences du salon ; et, par cet exercice habituel, l’esprit acquit plus de souplesse et de vigueur. Si le fonds national de la littérature étoit pauvre, on emprunta et l’on s’appropria les richesses de deux littératures voisines ; et la politesse des manières, comme celle de l’esprit, étant désormais la condition nécessaire du bien-vivre, leur réunion s’appela l’honnêteté. L’ajustement du langage aux besoins nouveaux de l’intelligence devenue plus cultivée, occupa surtout l’attention des salons. Le raffinement fut quelquefois poussé à l’excès ; mais la langue devint ce qu’elle n’avoit jamais été, un art. On s’étudia curieusement à la polir, à la régler ; et l’usage du beau monde fut reconnu comme la meilleure de ses lois. Le discours de Méré, de la Justesse, malgré son chien de style, ainsi que dit Mme de Sévigné, prouve combien l’analyse subtile du langage étoit à la mode dans les salons ; nous en avons un autre mémorable exemple, dans la dissertation de Saint-Évremond sur l’acception du mot vaste, qu’avoit employé la duchesse Mazarin, en l’appliquant à l’esprit de Richelieu7.

Mais ce seroit une erreur de croire, avec M. Rœderer, dans son Histoire de la société polie, livre toujours fort agréable à lire, qu’au début du dix-septième siècle, l’esprit cultivé s’est exclusivement appliqué, soit à l’hôtel de Rambouillet, soit dans les autres salons des Précieuses, aux délicatesses de la parole et aux recherches de la galanterie.

La discussion philosophique, ainsi que les théories diverses de la politique, ont pris une grande place dans la littérature et dans les conversations de la première moitié du dix-septième siècle. Aucune époque n’est plus féconde en écrits politiques du premier ordre. Je ne citerai que le Prince, de Balzac, le Testament politique, de Richelieu, et la correspondance de nos plénipotentiaires à Munster : monument admirable, qui restera comme un modèle achevé du style diplomatique. La conversation des salons n’a point été au-dessous de cette élévation de la littérature politique. La conversation philosophique, en particulier, a été le triomphe des beaux esprits du temps. Les femmes de cette époque, merveilleusement élevées, déployoient dans leur parole la même supériorité qui nous étonne dans les ouvrages de leur plume. Elles donnoient beaucoup au sentiment, à la passion, au plaisir ; elles lisoient aussi Platon, discutoient Épicure, Aristote et Descartes. Aucun des grands intérêts de la vie publique ou de la vie intellectuelle ne leur étoit indifférent. Tout, dans leurs actions, avoit un caractère d’élévation généreuse : les sacrifices du salut, les abandons du cœur, les libertés de la pensée et jusqu’aux témérités de la conduite.

Au dix-septième siècle, la conversation s’éleva donc tout à coup, des petits riens de la futilité, à l’analyse ingénieuse des formes du langage, et bientôt à l’essence même de la pensée : à la religion, à la philosophie, à la méditation de la destinée de l’homme. Ces graves sujets d’entretien étoient alors dans toutes les bouches, et préoccupèrent les personnes les plus adonnées à la dissipation du monde. Je ne veux point retracer ici l’influence du christianisme en général, des doctrines de Port Royal en particulier, et surtout de la philosophie cartésienne, sur la société françoise du dix-septième siècle. Après avoir lu les livres de M. Cousin, il ne reste qu’à se taire. Mais là n’est pas toute l’histoire du dix-septième siècle : il faut, pour être complet et vrai, y tenir compte d’autres influences marquées, et par exemple de celle du scepticisme du siècle précédent. Nous rencontrons, en effet, en plein dix-septième siècle, à côté ou à la suite d’autres philosophes sceptiques comme lui, Saint-Évremond, procédant à la fois de Montaigne et de Gassendi, c’est-à-dire représensant Épicure et Pyrrhon, en un seul homme ; Épicure et Pyrrhon vêtus à la françoise, et vivant à côté de Pascal et de Descartes. Nous découvrons, à quatre pas des grands jésuites et de la prison de Saint-Cyran, un coin de société, païenne au fond, chrétienne par bienséance, avec ses doctrines indépendantes, sa littérature leste, et une influence incontestable sur la direction des idées et des esprits. À côté des salons des Précieuses, où tout étoit affectation, d’autres salons non moins attrayants, non moins recherchés avoient pour devise la liberté de penser et l’esprit fort. Quoique signalé déjà par La Bruyère, cet aspect de la société Françoise n’a point encore été, ce me semble, l’objet d’une attention proportionnée à son importance.

Au milieu du mouvement si animé du dix-septième siècle, les femmes ont conquis la prééminence sociale, désormais assurée à leur sexe, dans nos mœurs. La femme règne dans nos salons. En prenant part à toutes les conversations, elle y porte le goût, la finesse et le tour délicat qui est propre à son génie. Le savant, pour lui plaire, sera clair, élégant ; l’homme de guerre sera courtois et poli ; l’homme de lettres dépouillera les formes du pédantisme. Il n’y a point de langue, en Europe, sur laquelle les femmes aient exercé autant d’influence que sur la nôtre, parce qu’il n’est pas de pays où la femme ait un empire pareil à celui de nos salons. De par tous les diables, on ne sait comment parler céans, disoient les mal-appris, chez Mme de Rambouillet. Du langage aux manières il n’y a qu’un pas, et l’harmonie s’est ainsi établie entre la langue et les usages.

La conversation, telle que nous l’entendons, étoit chose inconnue, en général, au seizième siècle. On étoit fort pédant, à l’assemblée du conseiller Gillot, bien que la satire Ménippée en soit sortie8. C’est avec lui-même que Montaigne cause, et non avec autrui. Voyez, lorsqu’il trace les règles de l’institution des enfants : il n’a garde d’oublier l’eschole du commerce des hommes ; mais ce qu’il trouve de mieux à recommander, en ce commerce, c’est le silence et la modestie ; et pour la pratique des hommes, il la met bien au-dessous de la mémoire des livres. N’est-ce pas à son insu que, par le charme de son esprit, et l’application de sa morale facile, il prépare à la société du salon un incomparable agrément ? Avant les constructions du dix-septième siècle, on ne pouvoit pas réunir commodément une assemblée ; le conseiller Gillot recevoit la sienne dans sa chambre à coucher. Personne n’avoit été logé comme Mme de Beauvais, au seizième siècle ; et tout Paris vint admirer, comme une curiosité, son hôtel de la rue Saint-Antoine, qu’Anne d’Autriche honora, plus d’une fois, de sa présence. Dans ces réunions, les diverses classes de la société polie ont commencé à se mêler, sans se confondre : la noblesse de l’esprit avec la noblesse de robe ou d’épée, et même la noblesse de fortune, née des affaires et de la spéculation. Mlle Paulet étoit reçue à la cour, comme au Marais. La commodité du logement est pour beaucoup dans le développement du goût des sociétés ; et le salon a naturellement fait ressortir des qualités personnelles, dont la lecture des anciens n’avoit donné aucune idée. En effet, la conversation qui auroit le ton didactique du livre, feroit périr d’ennui.

Ce fut, au reste, avec le concours empressé des contemporains que cette influence de la conversation sur l’esprit se produisit et se propagea. Le dix-septième siècle apprécia le bienfait dès qu’il put en jouir. Nous voyons, dans les mémoires du temps et dans les correspondances, combien étoient fréquentés les cercles et les salons qu’ouvroient d’opulents personnages, ou même de pauvres femmes de lettres, comme Mlle de Scudéry ; et quelle supériorité y prenoient, sans contradiction, l’intelligence et l’esprit, sur les avantages de convention dans la société, tels que la fortune et la naissance. On demeure étonné des privautés que s’arrogeoient les gens de lettres chez Mme de Rambouillet et à la place Royale, ou chez le cardinal de Richelieu, et même au Louvre. Nul homme de lettres n’auroit osé, peut-être, au dix-huitième siècle prendre les libertés que s’y donnoit Voiture, à la vérité le plus impertinent des hommes. La disgrâce de Voltaire, à la cour de Berlin, commença au madrigal que tout le monde connoît, adressé à la sœur du grand Frédéric, et bien autrement délicat9 que des vers dont Anne d’Autriche permit la lecture, en tête-à-tête, au bel esprit à la mode, à Voiture10. L’influence des hommes de lettres sur la société françoise a commencé dès ce temps-là. L’opinion des salons acquit même une telle autorité, que Richelieu voulut la subjuguer, et Mazarin l’acheter. Le salon étoit une forme anticipée de la discussion publique, et chacun y cherchant un appui, appliqua ses soins à s’en rendre maître. Il étoit naturel que les hommes d’État voulussent disposer d’une force aussi active et aussi digne de considération.

Saint-Évremond connoissoit bien les ressorts puissants de la conversation, quand il écrivoit ces paroles : « L’étude est la plus solide nourriture de l’esprit ; c’est la source de ses plus belles lumières. Elle féconde les talents donnés par la nature ; mais c’est la conversation qui les met en œuvre, qui les polit, qui les épure. C’est le grand livre du monde qui apprend le bon usage des autres livres, et qui d’un homme savant peut faire un honnête homme. » L’on a donc vu les esprits ingénieux de ce temps étudier, analyser les qualités que doit avoir l’homme du monde, et les défauts dont il doit se défendre. La Bruyère a écrit un chapitre, de la Société et de la conversation, qui est comme le résumé des observations de tout le siècle à ce sujet. On n’y eût point songé au siècle précédent ; et il ne se peut pas que cette analyse soit une pensée singulière du moraliste. Le grand écrivain est évidemment l’interprète de son temps, le traducteur de la pensée de tout le monde. Paris n’étoit pas, au reste, le seul théâtre de cette révolution dans les habitudes. Les provinces y participoient ; et leurs capitales, surtout celles où siégeoient des gouverneurs et des parlements, avoient des salons, des précieuses et des académies. Sur ces précieuses de province, le Dictionnaire de Somaize fournit de curieux renseignements.

On fit même des Conversations en forme de compositions littéraires, qui avoient certes leur modèle dans les Dialogues de l’antiquité, mais qui gardèrent la couleur moderne, avec le nom même de la chose qu’elles représentoient : à savoir, une causerie de salon. Les Conversations furent une littérature à la mode, dans certains salons, chez Mme Scarron, chez Mlle de Scudéry, et ailleurs ; comme les Portraits chez Mademoiselle, comme les Caractères à l’hôtel de Condé, comme les Maximes chez Mme de Sablé, comme les Contes de fées chez Mme de Murat. Saint-Évremond, si brillant causeur au salon, s’est illustré entre bien d’autres, par la Conversation du maréchal d’Hocquincourt, par la Conversation de M. d’Aubigny, par la Conversation du duc de Candale. Le chevalier de Méré, bel esprit de ce temps, et normand comme Saint-Évremond, nous a laissé les Conversations du maréchal de Clérembaut. Ainsi, le talent de conversation occupoit les hommes du monde, inspiroit les moralistes, les philosophes ; dominoit dans les assemblées de l’époque. La conversation tenoit lieu, au dix-septième siècle, des journaux d’un autre temps. Le chevalier de Méré dans son Discours de la conversation ose dire que le plus grand usage de la parole, parmi les hommes, c’est la conversation. Par elle, en effet, le salon est devenu, dans la société moderne, une puissance. L’un des mémorables effets de la civilisation françoise, est même d’avoir propagé, de proche en proche, l’influence des salons dans les autres pays de l’Europe ; et bien que la supériorité sociale qui se manifeste par les succès de la conversation échappe, en dehors du salon, à l’appréciation du commun des hommes et de la postérité, puisqu’il n’en reste rien ni pour l’un ni pour l’autre (que reste-t-il du célèbre Tréville ?), cependant son œuvre survit à la conversation, car elle se traduit presque toujours en opinion générale.


NOTES

1. Voy. les Œuvres de Voiture, édit. d’Ubicini, tom. I, pag. 25.

2. Voy. dans Tallemant, III, pag. 161 et suiv., les autres Triolets qui sont de Bachaumont et de Bautru.

3. Voy. infra, tome II, page 222.

4. Voy. Silvestre, préface citée ; Des Maizeaux, Vie de Saint-Évremond ; Bussy-Rabutin, Mémoires, sur 1646.

5. Voy. l’édition des Mémoires donnée par M. Aimé Champollion, pour la collection de Michaud et Poujoulat, tom. II de la 3e série.

6. Voy. les carrosses à cinq sous, de M. de Monmerqué. Paris, 1828, 62 pag. in-8º.

7. Voy. infra.

8. Jacques Gillot logeoit rue de Jérusalem. Voy. le Paris démoli, de M. Édouard Fournier. 1855, in-12, pag. 116 et suiv.

9.                     Souvent un peu de vérité
                         Se mêle au plus grossier mensonge.
                         Cette nuit, dans l’erreur d’un songe,
                         Au rang des rois j’étois monté.
                 Je vous aimois, princesse, et j’osois vous le dire.
                 Les dieux à mon réveil ne m’ont pas tout ôté :
                         Je n’ai perdu que mon empire.

10. Voy. dans les Œuvres de Voiture, édit. Ubicini, tom. II, p. 306 et suiv.