Histoire du parlement de Francfort/02

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HISTOIRE


DU


PARLEMENT DE FRANCFORT.




DEUXIÈME PARTIE.[1]
Premiers travaux du parlement – Création du pouvoir central – L’archiduc Jean élu vicaire de l’empire – La politique extérieure – Les journées de septembre.




Le 18 mai 1848, la ville de Francfort était plus animée et plus radieuse encore que le 31 mars et le 3 avril. Cette fois, ce n’était plus seulement une réunion de notables, une assemblée arbitrairement choisie, qui allait siéger sur les bancs de l’église Saint-Paul ; c’était l’Allemagne tout entière qui envoyait ses députés au vrai parlement national. Dès le malin, les tambours battaient, et la garde civique occupait la ville ; les couleurs de l’empire étaient arborées partout ; pas une maison qui ne fût pavoisée, pas un drapeau qui ne fît flotter au vent les symboles de l’unité germanique Une population heureuse, triomphante, allait et venait de l’hôtel du Roemer à l’église Saint-Paul. Tous les pays voisins, toutes les villes, tous les villages avaient là des députations sans nombre, toutes sous une même bannière, toutes sous le drapeau rouge, noir et or. Cette charmante cité de Francfort, avec ses vieilles rues sombres et ses riches quartiers neufs, avec ses antique maisons recouvertes d’ardoises et ses rians boulevards garnis de villas italiennes, semblait s’être parée de ses meilleures richesses pour être le digne berceau de l’avenir. Quel est l’empereur qu’on va sacrer aujourd’hui ? À qui appartiendront la couronne d’or et la couronne de fer ? S’appellera-t-il Othon, Frédéric Barberousse, Rodolphe de Habsbourg ? En vérité, ces souvenirs du moyen-âge ne sont pas déplacés ici ; les imaginations allemandes, si promptes à se nourrir de songes, évoquaient involontairement les héros d’un autre âge, et déjà l’on croyait voir reparaître rehaussé par les progrès du monde moderne, cet empire du XIIIe siècle qui prétendait continuer les Césars. Il n’y a pas de croyance plus populaire que celle-là d’un bout de l’Allemagne à l’autre : philosophes et publicistes, poètes, peintres, statuaires, tous ceux qui, par la pensée ou par les arts, ont une action quelconque sur le peuple, tous ont contribué, depuis quarante ans, à éveiller, à entretenir ce patriotisme, le plus orgueilleux et le plus exigeant qui fût jamais. Depuis le profond et effrayant Hegel jusqu’au gracieux poète de la Souabe, depuis le constructeur de formules abstraites jusqu’au peintre de Munich ou de Dusseldorf, combien de talens divers se sont donné la tâche de glorifier la miraculeuse mission de l’Allemagne ! Tantôt c’est une philosophie de l’histoire qui supprime le christianisme, et ne voit dans le monde moderne que l’influence du sang et des idées germaniques : — signé du nom de Hegel ce système enthousiaste est bientôt reproduit par une innombrable phalange d’écrivains, et devient la foi de plusieurs millions d’hommes ; — tantôt ce sont des chansons populaires ou la gloire du vieil empire est célébrée comme l’idéal de la patrie : — une légion de trouvères s’est formée en Souabe pour continuer les chantres de la Wartbourg ; Uhland est l’héritier de Walther de Vogelweide, et l’homme du peuple qui répète ses lieder entretient confusément dans son esprit cette grande image de l’unité avec laquelle on lui promet tant de merveilles ; — tantôt enfin ce sont les arts, ce sont les statuaires et les peintres, qui font briller aux yeux dans les musées de Francfort, dans les palais de Munich et de Berlin, dans les magnifiques salles du Walhalla, les glorieux souvenirs de ces vieux temps, modèles retrouvés du grand avenir prédit aux races du Nord. Pendant près d’un demi-siècle, une nation tout entière s’est enivrée de ces espérances ; elle croit tenir aujourd’hui son rêve, elle croit posséder sa chimère : brillantes illusions qui vont se prolonger long-temps et ne se dissiperont qu’au bord des abîmes !

C’est à quatre heures de l’après-midi que les députés se réunirent à Saint-Paul ; environ quatre cents membres étaient présens au rendez-vous. L’assemblée, sous la présidence de son doyen d’âge, décide aussitôt que ses travaux vont commencer. Le comité des cinquante siégeait encore dans la salle impériale du Roemer ; dès qu’il est informé par un message officiel de la constitution de l’assemblée, il déclare que sa mission est finie et résigne ses pouvoirs. Une foule tumultueuse a déjà envahi l’église. Presque rien n’est changé dans la disposition des lieux ; seulement, les bancs qui s’élèvent en amphithéâtre derrière les colonnes ne sont plus tous destinés aux spectateurs ; dans la partie qui fait face à la tribune, c’est-à-dire au centre droit et au centre gauche, tous les bancs sont occupés jusqu’en haut par les députés ; à l’extrême droite et à l’extrême gauche, des tribunes réservées viennent s’adosser à l’estrade du président. Quant à l’immense galerie que supportent les colonnes et qui circule à l’intérieur du dôme, elle est toujours remplie par une multitude bruyant dont les allures révolutionnaires présagent d’orageuses séances au parlement. Le président d’âge, M. le docteur Lang, est au fauteuil ; le vice-président est un ministre du royaume de Saxe, le vénérable M. de Lindenau.

Le président se lève et lit à l’assemblée un message de la diète ; c’est une lettre de félicitations et une promesse de concours pour le grand travail de l’unité germanique. Répondra-t-on à ce message ? Un avocat viennois, M. de Mühlefeld, propose de nommer une commission qui préparera la réponse ; M. Zitz (de Mayence) s’y oppose avec dédain. L’assemblée décide qu’elle confie cette tâche aux soins de son futur président. Alors s’engage une discussion violente sur l’ordre des travaux du parlement. Dans toute assemblée qui débute, les démagogues nouveaux venus sont pressés de se faire connaître ; ajoutez à cela que la présidence d’un vieillard, au lieu d’inspirer le respect et de contenir les passions, semble encourager les matamores. M. Lang eut beau faire ; on ne respecta ni sa voix ni sa sonnette, et la confusion dès le premier jour atteignit ses dernières limites. Enfin, après bien des violences, le programme de l’extrême gauche, présenté par M. Wesendonck, est repoussé et la préférence est donnée au programme du parti modéré, soutenu par MM. Robert Mohl, Mürschel et Schwarzenberg. On décide aussi que la nomination du président aura lieu dès le lendemain, avant la vérification des pouvoirs. Enfin plusieurs propositions inattendues viennent étonner et égayer les derniers momens de la séance ; ici, c’est Un député de la gauche qui invite l’assemblée à comparaître devant je ne sais quel club, qui a arboré, comme un drapeau, la doctrine de la souveraineté du peuple ; là, au contraire, c’est un député du centre qui supplie le parlement de se réunir le lendemain matin dans les jardins du Mainlust pour y faire une solennelle adhésion au principe de la monarchie constitutionnelle La proposition de l’évêque de Münster est plus sérieuse ; il demande que le service divin soit célébré le lendemain avant que l’assemblée commence ses délibérations. — Aide-toi, le ciel t’aidera, lui crie durement M. Raveaux (de Cologne), et l’assemblée, encore tout agitée par les discussions précédentes, abrége, sans rien décider, les exhortations du prélat.

La séance du lendemain ne commença pas sous de meilleurs auspices. Le docteur Lang faisait d’inutiles efforts pour maintenir l’ordre et les orateurs montaient à la tribune, parlaient, gesticulaient, redescendaient enfin au milieu d’un tumulte épouvantable, répété par l’écho des galeries. Il était bien temps qu’un président plus énergique prît place au fauteuil. Tous les députés n’ayant pas encore pu se rendre à leur poste, on convint que la mission du président ne serait que provisoire, et l’on en fixa la durée à quinze jours. Enfin le scrutin fut ouvert ; la majorité absolue était de 196 voix ; M. Henri de Gagern en obtint 305, et M. de Soiron 85. Au seul nom de M. Henri de Gagern, la confiance rentra dans les cœurs : nul n’avait plus de dignité unie à plus de présence d’esprit, personne n’avait une parole plus impérieuse au service d’un plus ferme courage. Et comment eût-on mieux représenté les espérances libérales et les illusions de la patrie ? M. de Gagern était l’apôtre dévoué de toutes les réformes, et cette grande promesse de l’unité allemande, qui enivrait tant l’intelligences, était inscrite à la première ligne de son programme. À peine installé au fauteuil, M. de Gagern s’exprima ainsi : « Je suis trop ému, messieurs pour vous adresser un long discours. Sans doute, ce n’est qu’une fonction provisoire dont je suis investi, et bien peu de jours me sont accordés pour répondre à la confiance de cette noble assemblée ; quelle que soit cependant la courte durée de ma présidence, j’ai le droit de vous demander votre appui. C’est avec joie que j’en prends l’engagement devant la nation tout entière, les intérêts des peuples allemands seront pour moi les plus sacrés de tous, et je n’aurai pas une autre règle de conduite tant qu’une goutte de sang coulera dans mes veines. Comptez sur ma parfaite impartialité dans la direction des débats. L’assemblée a la plus grande tâche à accomplir ; elle est chargée de la constitution de l’Allemagne. Sa mission et sa force pour une telle œuvre résident dans la souveraineté de la nation. » À ces mots, des applaudissemens prolongés éclatent sur presque tous les bancs. M. de Gagern craint cependant de s’être trop avancé, et, atténuant aussitôt ses paroles, appelant à son aide les gouvernemens et leur promettant une part dans l’œuvre commune, il ajoute : « Ce qui fait le droit du parlement, c’est la difficulté, c’est l’impossibilité de confier cette tâche à aucun autre pouvoir. L’assemblée de Francfort sera donc une assemblée constituante. L’Allemagne veut être une, elle veut être un grand empire régi par la volonté nationale, avec le concours de toutes les classes de citoyens et de tous les gouvernemens. Voilà l’idéal que l’assemblée devra réaliser. S’il y a des divisions sur d’autres points, aucun doute, aucune contestation n’est possible sur celui-la. L’Allemagne veut l’unité, et nous la lui donnerons. L’unité ! c’est notre seule sauvegarde et au dedans et au dehors. » Quelle que soit l’intelligence politique de M. de Gagern, on voit trop que ses doctrines n’étaient pas parfaitement arrêtées. Quel devait être le rôle du parlement de Francfort ? Quelle était l’étendue de son droit et de son action ? Sur quels points et dans quelles limites s’exercerait le concours des gouvernemens ? À toutes ces questions, M. de Gagern n’avait pas alors de réponse précise, et c’est pour n’avoir pas su, dès le premier jour, s’enfermer dans le cercle des choses possibles c’est pour avoir indiqué le but sans se préoccuper des moyen, que le parlement de Francfort a accumulé les obstacles où il devait infailliblement se briser.

Il restait à nommer le vice-président. M. de Soiron, le président du comité des cinquante, fut élu par 341 voix sur 392 ; les autres suffrages s’étaient partagés entre MM. Robert Blum, Dahlmann, Mühlefeld, Hermann Uhland, Henri Simon (de Breslau), Heckscher et Roemer, qui appartenaient tous, excepté Robert Blum, au parti constitutionnel. L’extrême gauche attendait encore la meilleure partie de ses troupes.

On vit commencer cependant, à la séance du soir, un engagement très vif, prélude d’une bataille qui dura huit jours et qui servit à mettre en évidence les différens partis de l’assemblée. Un député de Cologne, M. Raveaux, esprit turbulent, mais habile, le même que nous avons vu, dans l’assemblée des notables, résister à une misérable intrigue de son parti, porta devant le parlement un problème de la plus haute importance. La chambre des députés de Berlin était sur le point de se réunir. Quel serait le rôle de la chambre prussienne en face de l’assemblée nationale ? Pouvait-il y avoir une délibération parlementaire à Berlin tant que la constitution de l’Allemagne n’aurait pas été votée à Francfort ? Quels conflits, si la constitution prussienne n’était pas d’accord avec la constitution des peuples germaniques ! En présence de l’assemblée souveraine qui va statuer sur le sort de l’Allemagne entière, ne faut-il pas provisoirement fermer toutes les tribunes ? Graves et urgentes questions dont M. Raveaux voulut saisir immédiatement l’assemblée. M. Raveaux proposait de déclarer que les députés de Francfort, nommés aussi députés Berlin, pourraient accepter ce double mandat ; il ajoutait que la chambre des députés de Berlin, bien qu’autorisée à se réunir ne pourrait voter que des mesures générales, parer aux nécessités du moment, maintenir l’ordre, mais qu’elle ne travaillerait pas à une constitution. « Ma proposition se compose de deux parties, disait M. Raveaux : la première autorise la réunion de la chambre prussienne, car après une révolution, au milieu de l’effervescence des esprits, en présence d’une réaction ardente à se venger, il ne faut pas désarmer le ministère, il ne faut pas le priver de l’appui qu’il trouvera dans les représentans du pays ; mais, ce péril écarté, un autre danger se révèle : il importe que la chambre prussienne ne s’engage pas dans des travaux d’où sortiraient des conflits sérieux avec le parlement national de Francfort. Ne fermons donc pas la tribune de Berlin ; fixons seulement la limite de son droit. » Trois opinions principales se formèrent sur la proposition Raveaux. L’extrême gauche en repoussait la première partie ; elle voulait fermer toutes les assemblées délibérantes, et que le parlement de Francfort, investi seul de la souveraineté absolue, dictât la loi à l’Allemagne. D’autres, au contraire (c’était le centre gauche), voyaient un abus de pouvoir dans la demande de M. Raveaux ; ils désiraient que la chambre prussienne fût complètement libre de faire la constitution particulière de ce pays, à la condition toutefois de revenir plus tard, s’il le fallait, sur ses votes et de se mettre d’accord avec les décisions du parlement national. Les derniers enfin auraient souhaité l’ajournement de cette discussion. Pourquoi aller au-devant du péril ? Ne serait-il pas temps de résoudre le problème lorsqu’on fixerait dans la constitution de Francfort les devoirs des citoyens allemands à l’égard des constitutions particulières ? Les membres de la droite, en s’exprimant ainsi, ne songeaient qu’à gagner du temps. Ils comptaient bien que les événemens relèveraient peu à peu l’influence de chaque pays et diminueraient l’autorité dictatoriale du parlement. Ces trois opinions furent représentées et dans les conférences secrètes des députés prussiens, qui se réunirent à l’hôtel de Hollande pour délibérer sur la question, et à la tribune du parlement, où la lutte dura plus d’une semaine. Des amendemens sans nombre furent proposés ; l’extrême gauche, la gauche, les centres, la droite ; toutes ces fractions du parlement, manifestées désormais par cette discussion même, imaginèrent chacune leur théorie. La commission nommée à ce sujet adopta le système du centre gauche ; elle proposa de voter que les constitutions particulières devraient être révisées par les chambres et mises d’accord avec la constitution nationale. C’était reconnaître la souveraineté du parlement en même temps qu’on évitait de proclamer trop haut ce principe. Le rapporteur, M. Rœmer (de Stuttgard), défendit habilement cette opinion, qui fut soutenue aussi par MM. Heckscher, Welcker et de Beckerath. M. Schaffrath l’attaqua comme réactionnaire, M. Eisenmann comme trop avancée. Enfin, M. le comte d’Arnim et M. le baron de Vincke, organes de la droite, demandèrent énergiquement l’ordre du jour, c’est-à-dire l’ajournement de la difficulté. Après bien des débats, et quand une nuée d’orateurs eut passé à la tribune, un député du centre gauche, M. Wernher, formula une nouvelle proposition destinée à concilier les partis. La majorité qui l’adopta fut, en effet, considérable. M. Schaffrath et l’extrême gauche d’un côté, de l’autre M. Rœmer et les députés du centre abandonnèrent leurs propositions pour se rallier à celle de M. Wernher. Cette rédaction ne fut repoussée que par 20 ou 25 membres de la droite, parmi lesquels on remarqua M. de Vincke, M. d’Arnim, le prince de Radowitz. La proposition Wernher était conçue ainsi : « L’assemblée nationale allemande, appelée par la volonté et les suffrages du peuple à constituer l’unité et la liberté politique de l’Allemagne, décrète ce qui suit : Toutes les dispositions des constitutions particulières qui ne seraient pas en harmonie avec la constitution générale, œuvre de l’assemblée allemande, n’auront de vigueur que d’après la mesure de cette constitution même, sans préjudice, d’ailleurs, de leur complète efficacité jusqu’au moment où sera promulguée la constitution de Francfort. » M. Roemer, M. de Beckerath, M. Welcker et leurs amis n’eurent pas de peine à adopter cette formule, qui ne modifiait que très légèrement le projet de la commission. Mécontente de ne pouvoir établir la dictature du parlement, la gauche se rallia cependant à la proposition Wernher pour ne pas donner gain de cause à ceux qui demandaient l’ordre du jour. Enfin les membres du centre droit l’acceptèrent aussi, quoiqu’ils eussent mieux aimé ne pas reconnaître le principe de la souveraineté nationale implicitement contenu dans la rédaction proposée ; il leur parut que ce principe était indiqué sans fracas, et, puisqu’il fallait accorder cette satisfaction à l’assemblée, ils préférèrent une occasion comme celle-ci, espérant bien, disait naïvement l’un d’eux, que c’en était fait une fois pour toutes de cette proclamation de la souveraineté du peuple. C’est ainsi que, sur une question périlleuse, 25 voix à peine empêchèrent l’unanimité du parlement. Une explosion de bravos retentit dans la salle et dans les tribunes, quand on vit l’ordre du jour rejeté et la proposition Wernher admise par cette majorité immense.

Pendant le cours de ces débats, et tandis que la commission préparait son travail, une autre affaire, bien grave aussi, s’était produite devant le parlement. C’était, au fond, une question analogue à celle qui occupait déjà l’assemblée ; il s’agissait de la dictature du parlement de Francfort. Une lutte sanglante avait éclaté à Mayence entre les troupes et une bande d’insurgés ; M. Zitz, exagérant la gravité du conflit, dénaturant les faits, et rejetant sur l’armée toute la responsabilité du sang répandu, demandait à l’assemblée d’intervenir directement et de châtier les coupables. Une enquête fut ordonnée. Décréter l’enquête, c’était peut-être une mesure imprudente ; l’assemblée sortait de ses attributions, et, ajoutant sans aucun droit le pouvoir exécutif à l’autorité législative, elle semblait entrer dans les voies révolutionnaires où la poussait l’extrême gauche. « Si nous franchîmes cette fois les limites de notre mandat, dit très bien M. Haym, député du centre droit[2], c’était pour mieux le fixer à l’avenir. » L’assemblée, en effet, fit acte de gouvernement, mais ce fut pour déclarer d’une manière plus solennelle que le pouvoir exécutif ne lui appartenait pas. Après le rapport des commissaires envoyés à Mayence, et malgré tous les efforts de la gauche, l’assemblée adopta un ordre du jour parfaitement motivé, qui ne laissait pas de doute sur ses intentions. De ce vote résultaient trois conséquences également graves : d’abord, l’assemblée se déclarait pouvoir législatif et proclamait que l’autorité exécutive n’était pas dans ses mains ; en second lieu, elle accordait son appui aux gouvernemens affaiblis par la révolution ; troisièmement enfin, les insurgés de Mayence étant l’avant-garde des factions, l’assemblée, par un vote indirect, repoussait la république et affermissait la monarchie constitutionnelle.


II

Ce ne fut pas dans un débat accessoire et par voie d’allusion, ce fut directement, à la clarté du soleil et sur le champ de bataille le plus propice qu’on fut amené bientôt à décider cette question capitale : la monarchie ou la république. Les deux discussions que je viens de résumer remplirent toute la fin du mois de mai ; dès les premiers jours de juin, l’assemblée eut une tâche plus difficile à accomplir ; il s’agissait de consacrer par avance l’unité de la patrie, il fallait créer l’autorité centrale.

Déjà, depuis la réunion du parlement, ce grand problème préoccupait tous les esprits sérieux. Il importait d’organiser au plus tôt le pouvoir qui représenterait l’unité dans le gouvernement de l’Allemagne. L’ancienne diète était, pour ainsi dire, annihilée, et ses membres n’étaient plus, selon l’expression de M. Venedey, que les gens d’affaires de l’assemblée nationale. Fallait-il donc que cette assemblée elle-même, héritant de la diète, remplaçât le pouvoir qu’elle venait de renverser ? Tel était sans doute le vœu de la démagogie, et c’est précisément pour écarter, dès le début, toutes ces folles prétentions révolutionnaires, qu’il était urgent d’installer sans délai le gouvernement central. Une commission de quinze membres fut nommée le 3 juin ; la gauche n’avait pu y introduire que deux de ses membres, MM. Robert Blum et Trüschler. Pendant le travail de cette commission, l’opinion publique travaillait aussi, et les projets, les systèmes, les théories les plus opposées, se succédaient sans relâche. Je ne parle pas des points principaux sur lesquels les partis ne pouvaient varier ; d’un côté était le système républicain, qui prétendait transformer I’assemblée en une convention souveraine et investir son président de la puissance absolue ; de l’autre était l’opinion vraiment sage et politique, la seule opinion sérieuse, celle qui voulait un pouvoir exécutif distinct de l’assemblée nationale. Entre ces deux points bien arrêtés, que de combinaisons différentes, que de projets particuliers étaient possibles et furent proposés en effet ! Donnerait-on ce pouvoir à un seul homme ? serait-ce un prince ? le choisirait-on parmi les souverains ou seulement dans leur famille ? ou bien, au lieu de confier le pouvoir à un seul, ne vaudrait-il pas mieux créer un directoire, de manière à ce que les différentes parties de l’Allemagne divisées encore par des mœurs, des sympathies et des intérêts contraires, eussent chacune leur représentant au sein du pouvoir supérieur ? On voit combien de systèmes opposés se trouvaient en présence. Depuis le centre gauche jusqu’à la droite, presque tous les députés d’accord sur le fond du débat, ne pouvaient s’entendre sur l’applications, et troublés, incertains, renonçaient à leur opinion de la veille pour un nouveau système qu’ils devaient abandonner le lendemain. Ce n’était plus, au moins de ce côté de la chambre, une affaire de lutte et de discipline ; toutes les nuances étaient confondues, et chacun, se loi ses vues personnelles, adoptait soit le directoire, soit le pouvoir unique, en dehors de tout intérêt de parti. Ajoutez à cela l’opinion de l’extrême droite, qui réclamait exclusivement pour les souverains le droit de constituer le pouvoir central, tandis que plusieurs membres de la droite auraient voulu que cette organisation se fît concurremment par les souverains et l’assemblée. Ainsi, d’un côté, l’extrême gauche avec son programme républicain ; en face, l’extrême droite avec un programme monarchique, qui refusait toute concession à l’esprit révolutionnaire ; au centre, différens partis qui autorisaient volontiers l’élection du pouvoir central par le parlement, mais qui se montraient plus incertains que jamais sur le système définitif qu’il convenait d’adopter : telle était la situation de l’assemblée nationale, lorsque la commission, par l’organe de son rapporteur, M. Dahlmann, vint proposer aussi son système et commencer la lutte.

Le rapport de M. Dahlmann concluait à l’adoption de ces huit articles : 1° Jusqu’à l’établissement définitif de la puissance exécutive en Allemagne, un directoire fédéral sera institué pour exercer provisoirement cette puissance dans toutes les affaires communes des peuples allemands. 2° Ce directoire se composera de trois membres, désignés par les gouvernemens et nommés par eux, après que l’assemblée nationale, au moyen d’un simple vote, sans discussion, aura accepté les choix proposés. 3° ce directoire aura provisoirement les attributions suivantes : il exercera le pouvoir exécutif dans toutes les affaires qui intéressent la sûreté et le bien-être de l’Allemagne ; il prendra le commandement en chef de l’armée et nommera tous les officiers supérieurs des troupes de la confédération ; il sera chargé de tout ce qui concerne la représentation de l’Allemagne auprès des autres peuples, et nominera par conséquent les ambassadeurs et les consuls. 4° Sur la paix et la guerre, sur les traités avec les puissances étrangères, le directoire fédéral ne peut rien décider sans le concours de l’assemblée nationale, 5° L’œuvre de la constitution est et demeure soustraite à l’action du directoire. 6° Le directoire exerce sa puissance par des ministres qu’il nomme et qui sont responsables devant l’assemblée. Tous les arrêtés du directoire ont besoin, pour être valables, de porter au moins la signature d’un ministre. 7° Les ministres ont le droit d’assister aux délibérations de l’assemblée nationale et d’être entendus quand ils le demandent, mais ils ne peuvent prendre part au vote que s’ils sont membres de l’assemblée. Au contraire, les fonctions de membres du directoire et de député au parlement sont incompatibles. 8° Dès que la constitution allemande sera achevée et mise en vigueur, les fonctions du directoire et de ses ministres cesseront aussitôt. — Ces huit articles avaient été adoptés par la majorité. Dix membres sur quinze avaient voté cette rédaction : c’étaient MM. Dahlmann, Claussen, Dunker. Max de Gagern, de Mayern, de Raumer, de Saucken, Wippermann, de Würth et de Zenetti.

C’est le 19 juin que la délibération commença. Elle menaçait d’être longue, et sans le talent de quelques orateurs, elle n’aurait réussi qu’à embrouiller davantage une question déjà bien confuse. Plus de quarante propositions, sans compter les amendemens, avaient été déposées sur le bureau. Quant au nombre des orateurs il était vraiment effrayant : ceux qui étaient inscrits pour attaquer le projet de la commission n’étaient pas moins de soixante-douze ; il en avait trente qui s’apprêtaient à le soutenir, et onze qui devaient parler sur la question générale : cent treize discours sur le même sujet ! Le débat s’ouvrit d’abord sur le point le plus étendu de la question : Y a-t-il lieu de constituer un pouvoir central ? Après quelques paroles de M. Dahlmann, la lutte s’engagea très vivement entre la république et la monarchie constitutionnelle M. Heckscher, l’un des membres éminens du centre gauche, adopte le projet, à l’exception de l’article 2 : — que les gouvernemens proposent leurs candidats, rien de plus légitime ; mais c’est l’assemblée seule qui doit les nommer. M. le docteur Wiesner (de Vienne) parle le premier au nom de la montagne, et la montagne, il faut le dire, aurait pu envoyer sans trop de peine un combattant plus habile. M. Wiesner ne réussit guère qu’à divertir l’assemblée quand il exprime grotesquement sa profonde surprise au sujet du projet de loi, quand il dénonce avec une indignation factice l’insolence de la réaction et s’écrie, pour terminer, qu’on ne doit pas installer le pouvoir central avant de lui avoir sondé les reins. Après quelques orateurs obscurs, M. le général de Radowitz monte à la tribune. M. de Radowitz est l’homme le plus éminent de l’extrême droite. S’il ne possède ni l’éclat chevaleresque du Prince Lichnowsky, ni la redoutable ironie de M. de Vincke, c’est par la fermeté du caractère, c’est par l’inflexible gravité du langage qu’il a pris la direction de son parti. L’austérité de son maintien, l’aspect sévère de son visage, tout est imposant chez lui, tout concourt à exprimer le commandement. Nous entendrons M. de Radowitz dans des occasions plus graves, et nous verrons l’exaltation réfléchie de ses croyances religieuses lui assigner un nouveau rôle au sein du parlement. Si M. de Radowitz prend aujourd’hui la parole, c’est seulement pour rétablir, contre les orateurs de la gauche et même contre les députés du centre, les vrais principes constitutionnels. « On se demande, s’écrie M. de Radowitz, si c’est aux princes ou aux peuples qu’il faut attribuer la nomination du pouvoir central ; cette hésitation est une méprise profonde. Le régime constitutionnel existe ; or, les décisions du gouvernement, dans un état constitutionnel, ne sont pas l’œuvre des souverains ; elles appartiennent aux ministres, à des ministres responsables qui représentent la majorité dans les chambres, comme les chambres représentent la majorité du pays. Voilà la vraie théorie constitutionnelle. Maintenant, l’unité de la patrie que nous désirons tous, est-ce cette tyrannique unité, qui anéantit l’esprit particulier de chaque peuple et ses libertés provinciales ? Unité et variété tout ensemble, telle est la nature même de l’Allemagne, et pour que notre œuvre soit durable, il faut que ces deux élémens s’y retrouvent. Aujourd’hui donc, en renonçant, au nom de la nation entière, à établir nous-mêmes l’autorité centrale, en chargeant de cette mission la sagesse des états constitutionnels, nous contribuerions à l’unité de la famille allemande, sans rien enlever aux droits particuliers de chacun de ses enfans. » Le discours de M. de Radowitz, bien que contraire à l’opinion générale de l’assemblée, fut accueilli avec une sympathie très vive sur un grand nombre de bancs ; on ne s’étonnera pas cependant que de violens murmures, réprimés, aussitôt par l’énergie du président, aient éclaté dans les tribunes. M. Wesendonck, qui répond à M. de Radowitz, ne s’attirera pas la colère du peuple ; il soutient de son mieux la proposition de MM. Robert Blum et Trüchler, laquelle demande tout simplement un comité souverain choisi dans l’assemblée et chargé d’exécuter ses volontés. Les conclusions de MM. Robert Blum et Trüschler viennent d’être défendues à la tribune ; il convient qu’une voix bien autorisée porte les premiers coups à l’ennemi ; c’est à M. Bassermann qu’est dévolu, cet honneur, et l’habile orateur, par une argumentation invincible, met en pièces le prétentieux édifice de la gauche. Il produit surtout une impression profonde quand il reproche aux théoriciens de la montagne le vieux péché, le péché originel de l’Allemagne, l’abus des formules, l’enivrement des abstractions et l’ignorance absolue des choses possibles. « En Angleterre, s’écrie-t-il, et il n’a malheureusement que trop raison, on parle peu de la souveraineté du peuple, et cependant la liberté de l’individu, la force et la dignité de la nation, n’y sont-elles pas mieux garanties qu’en France, bien que la France ait toujours ce mot de souveraineté à la bouche ? » Et plus loin : — « Comment gouvernera votre comité exécutif, n’ayant à lui ni un homme ni un thaler ? Cela ira bien tant que les gouvernemens obéiront à ses ordres ; à la première résistance, que ferez-vous ? Un seul moyen restera : l’appel à la révolution. Est-ce là-dessus que vous comptez pour calmer la juste inquiétude de l’Allemagne, pour relever le crédit, pour donner une impulsion nouvelle au travail ? Prenez garde à l’inévitable réaction qui s’opère dans les esprits dès qu’on abuse de la liberté. » Le discours de M. Bassermann obtint le plus grand succès. Il y avait bien dans ses dernières paroles des argumens sérieux qui ne s’appliquaient pas seulement à la gauche les dangers signalés par l’orateur ne menaçaient pas seulement le comité, c’étaient les dangers mêmes du pouvoir central et de la constitution future ; mais dans l’effervescence du débat l’avertissement ne fut pas compris.

Parmi les principaux orateurs qui se firent entendre le lendemain, il faut citer MM. Robert Blum, Welcker et de Beckerath. Doué d’une véritable éloquence et d’une habileté rare, M. Robert Blum est bien supérieur à tous les démagogues qui l’entourent. Il défend le système républicain de manière à s’attirer les bravos des galeries sans trop heurter cependant les opinions bien connues de l’assemblée. Ce ne sont pas les galeries qui applaudiront M. Welcker ; elles l’interrompent au contraire, et le sifflent même à outrance. Intelligence droite, caractère franc et tout d’une pièce, M. Welcker avait déclaré une guerre ouverte à l’ancien régime ; depuis le triomphe de la révolution, il s’est tourné avec la même vigueur contre le danger nouveau. Faire face à tous les périls et changer ses batteries selon les nécessités de la lutte, n’est-ce pas là ce qui constitue l’homme d’état ? Le secret des contradictions apparentes reprochées à tant d’hommes éminens n’est pas bien difficile à trouver, et au lendemain des commotions révolutionnaires, en présence de l’anarchie et du crime, ce secret leur fait toujours honneur. Où est la trahison, en vérité, lorsque l’homme qui combattait le despotisme du pouvoir absolu combat, après la victoire, les excès de la démagogie, c’est-à-dire le despotisme de la violence et de la stupidité. N’est-ce pas, au contraire, persévérer dans sa voie tandis que tout a changé, et maintenir fidèlement son drapeau au milieu des bouleversemens publics ? C’est ce que fit M. Welcker. Par la fermeté de son attitude, par l’ardeur de sa colère et l’impétuosité de sa parole, M. Welcker rappelle souvent Casimir Périer. Déjà, à l’assemblée des notables, il avait énergiquement défendu les droits des gouvernemens ; déjà, au sein de la diète, en luttant contre le comité des cinquante, il avait redoublé d’efforts pour empêcher la dictature de l’assemblée ; c’est encore là ce qui le préoccupe aujourd’hui. M. Welcker reproche au projet de loi de faire une part trop petite aux cabinets de l’Allemagne. M. de Beckerath appartient au même parti ; mais, plus confiant que M. Welcker, il adhère complètement au projet de la commission. Le discours de M. de Beckerath fut un des événemens de la séance ; M. de Beckcrath est un des hommes les plus éminens qu’ait produits la session parlementaire de Berlin en 1847 : ame élevée, poétique, pleine de grace, intelligence claire et fine, M. de Beckerath a la réputation de conserver, au milieu des affaires les plus ardues, cette distinction supérieure qui est le caractère de son talent. Un habile publiciste[3] l’a comparé à M. Guillaume de Humboldt, à ce noble écrivain qui ne laissa jamais altérer, au milieu des embarras de la politique, la grace de son esprit et la sérénité de son ame.

Le triomphe du lendemain fut pour M. de Vincke. J’ai déjà dit que M. de Vincke est l’un des membres les plus brillans de la droite, avec le prince de Lichnowsky et le général de Radowitz. Il avait fait aussi, comme M. de Beckerath, comme M. de Lichnowsky, sa première éducation parlementaire à Berlin, dans la session de 1847. M. de Vincke était alors l’adversaire déclaré des tendances rétrogrades du gouvernement prussien ; rien n’était plus antipathique à cet esprit si sensé et si net que le mysticisme illibéral de Frédéric-Guillaume IV. Malgré son audacieuse opposition, M. de Vincke appartenait de cœur et d’ame à l’aristocratie ; sa famille est l’une des plus anciennes de la Westphalie, et quand ce fier gentilhomme défendait si bien les droits du peuple, ce n’était pas qu’il fût disposé à abandonner les siens. Esprit agile et militant, M. de Vincke se faisait gloire d’avoir choisi le vrai terrain, le terrain du droit (Rechtsboden). Tout son libéralisme était dans ce mot. « Mais s’il triomphe dans la lutte, écrivait il y a deux ans le publiciste que je viens de citer, si les légitimes exigences du peuple prussien sont remplies un jour, l’assemblée de Berlin verra M. de Vincke reprendre sa place au milieu de la noblesse et défendre les droits de sa classe. » Cette prédiction, qui dut surprendre beaucoup de lecteurs à la fin de 1847, au moment où le nom de Vincke jouissait d’une popularité immense, cette prédiction de M. Robert Haym s’est complètement réalisée au parlement de Francfort. M. de Vincke est un de ces talens supérieurs à qui bien des hardiesses sont permises ; armé d’une dialectique invincible et d’une ironie toujours prête, capable de s’élever par momens à la plus haute éloquence, M. de Vincke est aussi bien préparé que possible à tous les chocs d’une tumultueuse assemblée. Il osa donc attaquer résolûment le dogme de la souveraineté du peuple. « L’assemblée nationale, disait M. de Vincke, ne représente pas seulement les droits du peuple, mais les droits des souverains. Quant à moi, je me considère ici comme le mandataire de ces deux ordres, comme le représentant de ces deux droits. Pourquoi le dissimulerais-je ? je n’admets pas la souveraineté du peuple, mot équivoque, formule perfide d’où peuvent sortir de grands mots et où je cherche vainement une idée claire. » Après avoir brillamment défendu cette opinion, M. de Vincke, comme M. de Radowitz, réclamait exclusivement pour les souverains le droit de constituer l’autorité centrale ; il ne voulait pas que l’assemblée, suivant le projet Dahlmann, pût intervenir par son veto dans une affaire de cette gravité et gêner le libre mouvement des états constitutionnels. « Nous aimons nos princes, s’écriait M. de Vincke sans se laisser intimider par les clameurs de la galerie, nous aimons nos princes, nous autres Westphaliens, et nous sommes fiers que le grand-électeur nous ait appelés ses meilleurs, ses plus fidèles sujets ; nous aimons nos princes non pas comme des poupées, non pas comme un mal nécessaire, nous les aimons comme la libre Angleterre les aime. C’est pour cela que nous voulons maintenir leurs droits, afin que l’union des souverains et des peuples s’accomplisse sans dommage pour la dignité de chacun. » Toute cette partie du discours de M. de Vincke fut interrompue presque à chaque mot par les cris furieux des tribunes, tandis que la majorité de l’assemblée, peu favorable aux conclusions de l’orateur, applaudissait à son talent et à son courage. M. de Vincke ne protestait pas seulement contre l’intervention de l’assemblée dans l’établissement du pouvoir central ; il attaquait aussi le projet de former un directoire et soutenait avec force les avantages de l’unité. Point de directoire, mais un lieutenant de l’empire, telle était la conclusion de M. de Vincke. Cette opinion fut d’abord accueillie avec peu de faveur ; un membre très distingué de la droite, M. d’Auerswald, la combattit par des raisons judicieuses empruntées au rapport de M. Dahlmann et fort habilement mises en œuvre. L’assemblée paraissait incliner de ce côté ; mais, je l’ai déjà dit, la majorité hésita jusqu’au dernier jour entre les deux systèmes, et l’on sait qu’au moment décisif ce fut, sur ce seul point il est vrai, le programme de M. de Vincke qui triompha.

Pendant que les esprit sérieusement politiques, pendant que M. Heckscher, M. Bassermann, M. Welcker, M. de Beckerath, M. de Vincke, quoique divisés sur bien des détails, défendaient si brillamment la monarchie constitutionnelle, que faisaient les orateurs républicains ? M. Robert Blum est le seul qu’on puisse citer avec estime ; il évite presque toujours les lieux communs de ses confrères ; il est éloquent, il est habile, et sait se modérer à propos. Les autres M. Wesendonck, M. Trüschler, M. Eisenstück, M. Zitz, n’inquiéteront jamais les partisans de l’égalité démagogique ; ils fraternisent parfaitement sous le même niveau. MM. Schaffrath et Vogt méritent une place à part ; le premier est un avocat saxon, esprit turbulent, ambitieux de bas étage, qui ne manque pas d’une certaine dextérité de parole ; le second, professeur d’histoire naturelle à l’université de Giessen, a appris l’athéisme en étudiant les merveilles de la création. Ce logicien est enrôlé dans les corps francs de l’école hégélienne, et il serait le spécimen le plus complet de l’athéisme germanique au parlement de Francfort, si le parlement n’avait le bonheur de posséder l’un des maîtres de M. Vogt, le fondateur des Annales de Halle, M. Arnold Ruge. M. Arnold Ruge est un homme d’un incontestable talent. Il y a chez lui un écrivain habile, une intelligence prompte, subtile, originale, en dépit des folies hégéliennes, plusieurs qualités estimables. Par malheur, cet esprit, qui s’était soustrait tant bien que mal à l’action dissolvante de l’athéisme hégélien, a été comme dérangé subitement par la fièvre révolutionnaire. C’était hier un docteur qui extravaguait spirituellement la plume à la main ; c’est aujourd’hui un tribun qui a perdu la raison en faisant ses débuts sur la place publique. M. Arnold Ruge est un médiocre orateur, et il ne brille guère à la tribune de Saint-Paul ; en revanche, le publiciste hégélien réussit beaucoup dans les clubs, où il résume à sa manière les discussions de l’assemblée. C’est ainsi qu’à l’occasion du débat sur le pouvoir central : il condamnait tout simplement à la potence l’immense majorité du parlement. Les clubs avaient encore une autre façon de venger l’infériorité des orateurs démagogiques ; les cris et les menaces ne suffisant pas, on en vint aux outrages directs. Dans la soirée du 2 juin, le digne président qui dirigeait si imparfaitement les débats vit sa maison entourée par une bande d’insulteurs à gages. L’ordre fut promptement rétabli ; mais cette tentative seule, exécutée contre un homme tel que de M. de Gagern, indiquait assez la stupide brutalité des démagogues.

Il ne suffisait pas cependant d’avoir écarté le programme de la gauche : la question n’avançait pas, et les différentes fractions du parti constitutionnel étaient bien loin de s’entendre. Propositions et amendemens se croisaient en tous sens. Enfin, au moment où le dernier des orateurs inscrits descendait de la tribune, M. de Gagern, laissant le fauteuil de la présidence à M. de Soiron, résolut de jeter dans la balance l’autorité de son opinion et de mettre fin une bonne fois à toutes les fluctuations de l’assemblée. C’était le 24 juin, à la séance du soir. M. de Gagern commence par rendre hommage aux principes de la droite. – « Il n’est pas bon, dit-il, absolument parlant, que cette création de l’autorité centrale ait lieu sans le concours des cabinets de Vienne et de Berlin, de Stuttgard et de Munich ; mais il ne s’agit pas ici de théorie absolue : la nécessité parle, la nécessité nous presse et nous entraîne. En de telles occasions, hardiesse c’est sagesse. Messieurs c’est à nous de créer seuls le pouvoir central. » — À ces mots, la gauche et le centre gauche applaudissent. Le centre et une partie du centre droit, sollicités depuis deux jours par des amendemens de toute espèce, indécis, déconcertés, trop heureux de suivre un guide si résolu et si ferme, éclatent aussi en bravos. — « Et pourquoi est-ce à nous de créer ce pouvoir ? reprend vivement l’orateur. C’est à nous de le créer parce que nous en avons besoin, et parce que nous ne sommes pas sûrs de l’avoir aussi promptement qu’il nous le faut, soit que nous réservions cette tâche aux gouvernemens, soit que nous voulions seulement les associer à notre œuvre. Si ce pouvoir central devait être un directoire de trois membres, la difficulté serait moins grande, les gouvernemens auraient moins de peine à faire leurs choix ; mais la majorité de cette assemblée incline à l’opinion contraire, qui est aussi la mienne : elle veut la force exécutive dans une seule main, elle veut un vicaire de l’empire entouré de ministres responsables ; de là des difficultés sans nombre pour les gouvernemens à qui ce choix serait confié, de là des lenteurs sans fin, des embarras inextricables, et c’est pour cela que nous devons créer nous-mêmes l’autorité centrale. » M. de Gagern ajoute que le vicaire de l’empire devra être nécessairement choisi parmi les membres des maisons souveraines. « Il nous faut, dit-il, un homme haut placé, un homme qui puisse compter sur l’appui de tous les états de l’Allemagne. » L’archiduc Jean d’Autriche, déjà désigné par l’opinion, par les journaux, par les comités particuliers est présenté à l’assemblée aussi clairement et aussi solennellement que possible dans le discours du noble orateur.

La séance du juin fut plus tumultueuse que jamais. Il s’agissait de poser la question, et les propositions se disputaient la priorité avec une vivacité extraordinaire. La gauche surtout semblait employer tous les moyens pour prolonger indéfiniment le débat. Quelques sévères paroles de M. Heckscher soulevèrent du côté de la montagne et dans les galeries un épouvantable tumulte. M. Hecksher est une belliqueuse nature qui provoque un peu trop volontiers les orages, sachant bien qu’il les supportera sans pâlir. En vain M. de Soiron, avec sa voix de stentor, espérait-il dominer le vacarme ; la gauche demandait impérieusement que M. Heckscher fût rappelé à l’ordre ; M. de Soiron s’y refusait. Le désordre devint si violent, que M. de Soiron fut obligé de se couvrir, et la séance fut renvoyée au lendemain. Le lendemain 26 après quelques paroles conciliantes de M. de Gagern, le vote put commencer ; il eut lieu presque constamment par appel nominal. Excepté pour les parties les moins importantes du projet de loi, et ne dura pas moins de deux jours. Voici les principales dispositions votées par l’assemblée. Au lieu d’un directoire composé de trois membres, un vicaire de l’empire ; le titre de président était expressément rejeté : 255 voix contre 171 adoptèrent cette disposition. — Le vicaire de l’empire sera irresponsable (372 voix contre 175). — Le vicaire de l’empire sera nommé par l’assemblée (403 voix contre 135. Applaudissemens prolongés dans les galeries) — La diète sera dissoute aussitôt après l’installation du pouvoir central (510 voix contre 35). — Enfin, l’ensemble de la loi fut adopté par 450 voix contre 100. — Sur les cent membres qui repoussèrent la loi, soixante dix environ appartenaient à la gauche et une trentaine à la droite. Les uns, tels que M. le baron de Vincke, n’admettaient pas que l’organisation de l’autorité centrale pût être faite sans les gouvernemens ; les gens de la gauche, au contraire, M. Ruge et ses amis, se refusa à consacrer un pouvoir irresponsable, le peuple seul, disaient-ils, étant vraiment souverain. Plusieurs membres de la droite, et entre autres M. de Radowitz, expliquèrent à la tribune comment ils avaient voté la loi : c’était sous la réserve expresse que les cabinets y donneraient leur assentiment. Malgré ces protestations et ces réserves, la majorité avait été considérable ; on avait fait les premiers pas dans la voie de l’unité, et il ne restait plus qu’à nommer le chef du nouveau pouvoir, le vicaire de l’empire d’Allemagne. C’est le lendemain 28 juin que ce grand acte devait être accompli.

Il y avait alors, je l’ai déjà dit, un homme vers qui se tournaient toutes les pensées, depuis que le projet d’un directoire était abandonné de l’opinion. Membre de la maison d’Autriche, fils et frère des deux derniers empereurs d’Allemagne, l’archiduc Jean représentait pour beaucoup d’esprits la vieille dignité impériale. Investi d’un pouvoir tout nouveau, il serait aussi, disait-on, l’héritier le plus direct de l’ancienne Allemagne. La chaîne d’or interrompue depuis 1806 allait se renouer et s’agrandir. L’empire germanique s’était éteint avec François II ; il renaîtrait jeune et vivace, avec son frère l’archiduc Jean. En même temps qu’il représentait si bien la tradition, l’archiduc était mieux disposé que personne à régénérer le vieil empire, en acceptant le baptême de la démocratie. L’unité allemande était le plus cher de ses rêves. Né le 20 janvier 1782, l’archiduc Jean avait traversé dignement les plus mauvais jours de son pays. Bien jeune encore, il s’était distingué par son enthousiasme patriotique, et son amour du progrès libéral. Il avait parcouru toutes les provinces de la monarchie autrichienne, étudiant partout le caractère et les besoins des populations diverses s’occupant de réformes, devenant enfin l’espoir du peuple et le centre de toutes les tentatives généreuses. Ses lettres à Jean de Muller, écrites de 1804 à 1806, révèlent tous les nobles sentimens qui fécondaient son ame : ce n’était pas l’esprit autrichien, c’était l’esprit allemand qui l’inspirait. Au moment de la plus grande division de la patrie, au moment où l’empire d’Allemagne, moins affaibli par les victoires de Napoléon que par les hostilités de ses membres, allait infailliblement se dissoudre, l’archiduc Jean entretenait avec le mâle historien du patriotisme germanique une correspondance remplie d’une seule idée, animée d’un seul désir, la reconstitution des forces nationales. Plus tard, pendant les guerres de 1813, il prit rang parmi les plus dévoués défenseurs du pays. Il resta fidèle, après la victoire, aux principes de sa loyale jeunesse. Eloigné de la cour, suspect à son frère et à M. de Metternich, il ne s’associa jamais à cette politique que la révolution de 1848 a renversée. Sa vie était modeste, son libéralisme sans fracas. On aimait à citer bien des faits inconnus de cette existence si digne. Des événemens domestiques, les circonstances romanesques de son mariage, ajoutaient encore au prestige de ses vertus patriarcales : c’était vraiment l’homme simple et bon, c’était le braver Mann si cher à nos voisins. Quel autre prince aurait mieux répondu aux nécessités de la situation ? Qui avait mieux mérité cette récompense de garder la couronne et l’épée de l’empire, en attendant qu’un bras plus fort ou un politique plus exercé acceptât définitivement cette laborieuse mission ?

Le 28 juin, à une heure, en présence d’une foule immense qui remplissait jusqu’au faîte les tribunes et les galeries de l’église Saint-Paul, M. de Gagern ouvrit la séance par ces paroles : « L’heure a sonné où pour la première fois depuis des siècles le peuple allemand est appelé à se donner lui-même un gouvernement pour régler les affaires de la patrie commune. L’unité de l’Allemagne, qui n’existait jusqu’ici qu’au fond de nos consciences va devenir un fait et occuper sa place dans le monde. Nous allons exercer un droit qui sera respecté de tous ; accomplissons ce grand acte avec un esprit de paix. » Plusieurs propositions avaient été faites pour régler le vote ; consultée par le président, l’assemblée décide que chaque représentant votera de sa place, à haute voix, et que l’élu devra réunir la majorité absolue des suffrages. Alors M. de Gagern : « Quel que soit l’élu, messieurs, soyons bien déterminés à le soutenir de toutes nos forces. » Presque toute l’assemblée se lève en applaudissant ; M. Arnold Ruge et M. d’ltztein demeurent assis. Un des secrétaires, M. Simson, monte à la tribune et commence l’appel nominal. — M. Albrech (de Leipsig) : L’archiduc Jean d’Autriche ! — M. Braun : l’archiduc Jean d’Autriche ! — M. Compes (de Berlin) : L’archiduc Jean d’Autriche ! — Les vingt députés qui ouvrent le vote répètent ainsi le nom de l’archiduc. M. Jordan (de Berlin) est le premier qui rompe cet accord en proclamant M. d’Itztein. D’autres membres de la gauche, en plus grand nombre, donnent leurs voix à M. de Gagern. D’autres s’abstiennent de voter en répétant cette phrase : Point de pouvoir irresponsable ! Enfin l’appel nominal est terminé, le compte des votes donne le résultat suivant : L’archiduc Jean 436 voix, M. Henri de Gagern 52, M. d’Itztein 32, l’archiduc Étienne 1 ; vingt-cinq députés de la gauche se sont abstenus. M. de Gagern prend aussitôt la parole : « Je proclame l’archiduc Jean d’Autriche vicaire de l’empire d’Allemagne. » L’assemblée se lève, et un tonnerre de vivats se prolonge sous les voûtes. Qu’il soit, continue le président, qu’il soit le fondateur de notre unité, le gardien de notre liberté ! qu’il rétablisse l’ordre et la confiance ! Et, encore une fois, vive le vicaire de l’empire ! » Les acclamations redoublent, et une députation composée de MM. Andrian, Jucho, Raveaux, Saucken, Rotenhan, Franke et Heckscher, est envoyée à Vienne pour porter à l’archiduc Jean le titre que lui a conféré l’assemblée nationale.


III

C’est le 5 juillet 1848 que la députation de l’assemblée nationale avait salué à Vienne le vicaire de l’empire ; six jours après, l’archiduc Jean faisait son entrée à Francfort au milieu d’un immense concours des populations voisines. Dès le matin, la ville entière était sur pied. Soldats, gardes civiques, corporations de toute espèce, les autorités, les administrations, les écoles, tous, bannières déployées, attendaient le représentant suprême de la patrie commune. Vers six heures du soir, de nombreuses salves d’artillerie annoncèrent l’arrivée du prince. Un arc de triomphe, orné de fleurs et de couronnes, pavoisé de mille drapeaux, s’élevait devant la porte de Tous-les-Saints avec cette inscription : La ville libre de Francfort au vicaire de l’empire d’Allemagne ! C’est par là qu’entra l’archiduc, escorté aussitôt par un bataillon de garde nationale et accueilli à chaque pas par des acclamations enthousiastes. Toutes les cloches sonnant à pleine volée répondaient aux saluts du canton. C’était une fête à la fois solennelle et naïve, pleine de magnificence et de cordialité. Dans la rue de Tous-les-Saints, la corporation des tonneliers offrit au prince une coupe d’argent remplie de vin ; c’était la même qui avait été présentée, lors des fêtes du couronnement, à son père et à son frère ; c’est à cette coupe qu’avaient bu Léopold et François II, les deux derniers empereurs d’Allemagne. « Videz-la à votre tour, disait le tonnelier, et que ce soit à la prospérité de la patrie ! » Ces scènes patriarcales augmentaient la joie et l’enthousiasme de toutes les fenêtres, des fleurs et des couronnes tombaient aux pieds du vieillard. Le cortége, avançant avec lenteur au milieu de cette multitude, arriva enfin à l’hôtel de Russie, où le vicaire de l’empire fut reçu par une députation, de l’assemblée nationale et du sénat de Francfort M. de Gagern lui adressa quelques paroles de félicitation, et le pria, au nom de l’assemblée, de vouloir bien se rendre à l’église. Saint-Paul pour y recevoir officiellement l’investiture. « Messieurs, répondit l’archiduc, je vous remercie de cet accueil. Quand j’ai appris le choix du peuple allemand, j’ai été bien étonné que ma grande patrie eût songé à l’un de ses plus modestes enfans, à un vieillard tel que moi ; mais il y a des invitations auxquelles on ne peut se soustraire. Quand le pays nous appelle, c’est un devoir de lui consacrer nos derniers jours et nos derniers efforts. Voilà ce qui m’a décidé à accepter votre mandat, afin d’accomplir avec vous, avec des frères, une entreprise grande et sainte. Me voici ; je vous appartiens. » Les députations répondirent par des vivats qui furent entendus de la rue et répétés au loin. Alors les fenêtres s’ouvrirent, et le vicaire de l’empire parut au balcon. La foule avide put le contempler à l’aise ; sous ses cheveux blancs, son visage était encore plein de vie et de jeunesse ; un simple uniforme bleu et gris le distinguait de son entourage ; sa casquette militaire à la main, il saluait affectueusement ces milliers de spectateurs enivrés. Il fit signe qu’il voulait parler, et le silence s’établit. D’abord le prince salua les habitans de Francfort, et, répétant ce qu’il avait dit aux députés de l’assemblée, il s’exprima chaleureusement sur l’avenir de l’Allemagne. « J’atteindrai ce grand but, ajoutait-il en mettant la main sur le bras de M. de Gagern, j’atteindrai ce but glorieux, si les bons conseils et les bons appuis ne me manquent pas. Vive Francfort ! vive l’Allemagne ! » Alors commença le défilé de toutes les corporations, et ce furent jusque dans la nuit des danses, des concerts, des processions aux torches, des illuminations sans fin, toutes les fêtes et toutes les joies d’un triomphe.

Le lendemain 12 juillet, après un intéressant rapport de M. Heckscher sur le voyage de la commission à Vienne, le vicaire de l’empire, introduit par une députation de cinquante membres de l’assemblée, entrait à l’église Saint-Paul, et prenait place sur un siége d’honneur. M. de Gagern, président de l’assemblée, lui adressa la parole en ces termes : « De cette heure, de ce moment, où les puissances récemment constituées de l’Allemagne unie viennent de sceller leur alliance, de cette heure datera notre ère nouvelle et notre nouvelle histoire. Très auguste archiduc, vicaire de l’empire, vous êtes le bien venu dans le sein de cette assemblée nationale, qui s’est promis à elle-même et qui a promis à la patrie de soutenir de toutes ses forces votre altesse impériale, pour l’accomplissement de la difficile tâche qui vous est dévolue. Pour tout ce qui doit contribuer à fortifier les liens de l’unité, à assurer la liberté du peuple, à rétablir l’ordre public, à ranimer la confiance, à augmenter enfin la prospérité commune, le gouvernement du vicaire de l’empire peut compter sur l’appui de l’assemblée nationale. Le peuple allemand proclame avec reconnaissance le patriotisme de votre altesse ; mais il demande que toute la force, que toute l’activité de l’archiduc Jean soit consacrée sans partage aux intérêts généraux du pays. Votre altesse me permettra de lui lire la loi sur l’installation du pouvoir central. » M. de Gagern fait cette lecture, puis il termine ainsi : « Au nom de l’assemblée, je prie votre altesse impériale de vouloir bien déclarer de nouveau, en présence du parlement national, qu’elle maintiendra et fera maintenir cette loi pour la gloire et la prospérité de l’Allemagne. » Le vicaire de l’empire répond aussitôt : « Messieurs, l’empressement que j’ai mis à me rendre dans cette ville, afin de paraître au milieu de vous, doit vous prouver le plus clairement possible le haut prix que j’attache à la dignité de vicaire de l’empire et à la confiance que m’ont témoignée dans cette occasion les représentans de la nation allemande. En prenant ici possession de mes fonctions, je déclare de nouveau que je maintiendrai et ferai maintenir pour la gloire et la prospérité de l’Allemagne la loi qui vient de m’être lue sur l’organisation du pouvoir central. Je déclare en même temps que je me consacrerai sans partage à ces fonctions, et que je prierai immédiatement sa majesté l’empereur d’Autriche de me décharger du soin de le représenter à Vienne, aussitôt que j’aurai ouvert la diète, comme je le lui avais précédemment promis. Une fois ma résolution prise, je dois m’y dévouer tout entier ; j’appartiens à la nation allemande. » L’assemblée, qui avait gardé le silence au moment où l’archiduc entrait dans la salle, applaudit à ces paroles avec transport, et le noble élu, toujours accompagné de la grande députation, se retira aux cris cent fois répétés de vive le vicaire de l’empire ! Ce fut le sacre et le couronnement du nouveau pouvoir.

Le même jour, aux termes de la loi sur le pouvoir central, la diète devait se séparer. Image de l’ancienne unité, la diète ne pouvait subsister plus long-temps en face des représentans de l’unité nouvelle. Le premier acte du vicaire de l’empire fut d’aller lui-même fermer les séances de ce conseil déchu, qui, depuis le 8 juin 1815 jusqu’au 12 juillet 1848, avait représenté les cabinets allemands. Au sortir de l’église Saint-Paul, l’archiduc Jean se dirigea vers le palais Taxis, escorté par la troupe et accompagné d’une foule de représentans. Quand on entra, les cloches sonnaient, cloches des funérailles, disait-on autour de l’archiduc, et les triomphateurs de l’église Saint-Paul s’en allaient gaiement, comme le curé de La Fontaine, enterrer le mort au plus vite ; mais, comme dans la fable aussi, il eût mieux valu ne pas être si gai, et songer que la situation était grave. L’assemblée nationale et le vicaire de empire sont désormais les seules autorités qui aient le droit de décider et d’agir pour tout ce qui concerne les intérêts généraux de l’Allemagne : responsabilité sérieuse à laquelle les dangers ne manqueront pas. Il semble même que l’assemblée, toute fière d’avoir créé l’unité politique et comme pour essayer la force de l’instrument qu’elle s’est donne, prenne plaisir à provoquer les tempêtes. Dans sa dernière séance, la diète a félicité l’archiduc Jean, et lui a exprimé la confiance de tous les gouvernemens qu’elle représente ; le roi de Wurtemberg, les grands ducs de Bade, de Hesse, de Hesse-Darmstadt, sont venus en personne complimenter l’élu et lui promettre leur concours ; toutes ces démonstrations sont regardées comme une victoire, et l’assemblée croit n’avoir plus qu’à donner des ordres pour que l’unité complète soit établie. C’est ainsi que, dès le début du nouveau pouvoir et avant même d’avoir commencé la constitution, elle va créer au vicaire de l’empire des embarras inextricables. Pendant les mois de juillet et d’août, il semblera que le parlement ait l’intention de mettre le feu aux quatre coins du pays. Persuadé que l’unité existe, persuadé qu’il parle au nom de cette unité puissante et véritablement enivré de sa dictature, il voudra terminer les plus graves affaires en notifiant sa volonté souveraine. Point de négociations, point de diplomatie ; l’Allemagne parle, c’est assez. Rien n’arrêtera cette assemblée infatuée d’elle-même, ni la guerre extérieure, ni la guerre civile, ni les dangers du dedans, ni les difficultés du dehors ; elle menacera la Hollande et le Hanovre, elle outragera le Danemark et la Pologne, elle s’aliénera l’Autriche et inquiétera la Prusse ; enfin, dans cette ardeur insensée qui l’emporte et qu’elle communique autour d’elle, elle ne se réveillera qu’en face de la réalité la plus sinistre, sous les coups de l’émeute et de l’assassinat.


IV

Le 15 juillet, avant de repartir pour Vienne, le vicaire de l’empire, n’ayant pas eu le temps d’organiser tout un ministère, fit savoir à l’assemblée par un message qu’il avait nommé provisoirement trois ministres chargés de l’expédition des affaires courantes. C’étaient M. le chevalier de Schmerling pour l’intérieur et les relations étrangères, M. Heckscher pour la justice, et M. de Peucker pour la guerre. Le 9 août, le ministère fut définitivement constitué comme il suit : M. le prince Charles de Leinigen, président du conseil des ministres ; M. Heckscher, ministre des affaires étrangères ; M. de Peucker, ministre de la guerre ; M. de Schmerling, ministre de l’intérieur ; M. de Beckerath, ministre des finances ; M. Robert Mohl, ministre de la justice ; M. Arnole Dücwitz, ministre du commerce. Le vicaire appelait en même temps au poste de sous-secrétaires d’état MM. Max de Gagern et Max-Louis de Biegeleben pour les affaires étrangères, Charles Mathy pour les finances. Frédéric Bassermann et Joseph de Würth pour l’intérieur, Widenmann pour la justice, Gustave Mevissen et Jean Fallati pour le commerce.

Les hommes importans de ce cabinet étaient M. de Schmerling. M. de Peucker, M. Heckscher et M. de Beckerath. Les deux premiers, très honorablement connus à Vienne et à Berlin, n’avaient pas encore eu l’occasion d’asseoir leur renommée dans le pays. M. Heckscher commençait à attirer l’attention par le rôle qu’il avait rempli à l’assemblée des notables et dans les débuts du parlement. Quant à M. de Beckerath, ce n’était un inconnu pour personne depuis les belles luttes de la chambre des députés i de Berlin en 1847. — M. le chevalier Antoine de Schmerling est né à Vienne en 1808. Il étudia le droit avec succès, devint un jurisconsulte exercé, et, nommé à un poste administratif dans une province de la Basse-Autriche, il y soutint une lutte très vive contre les entraves et les routines de la bureaucratie : c’était la seule opposition possible sous le gouvernement de M. de Metternich. L’opposition de M. de Schmerling se montra toujours sérieuse, et fut parfaitement justifiée par les effets. La Basse-Autriche doit à son intelligente activité d’utiles réformes accomplies sans fracas : des établissemens de crédit, des diminutions de charges, l’affranchissement des communes sur bien des points importans, telles furent les principales conquêtes de l’habile et opiniâtre administrateur. Au moment où la révolution de 1848 éclata, M. de Schmerling était l’une des lumières du parti libéral. Le 13 mars, il entra l’un des premiers dans le palais impérial, essayant à la fois de guider et de contenir la révolution ; ce fut lui qui, le soir de ce même jour, décida M. de Metternich à prendre la fuite. Après les journées de mars, il organisa la garde nationale, et se rendit à Francfort, au commencement d’avril, pour siéger à la diète. Il y remplaça M. le comte Colloredo, et fut, avec M. Welcker, le plus énergique soutien de ce pouvoir, attaqué chaque jour par le comité des cinquante. — M. Édouard de Peucker est né, en 1792, à Schmiedeberg, petite ville de la Silésie. Il entra au service en 1809 ; nommé officier deux ans après, il se distingua dans les guerres de 1812 et de 1813. Depuis 1915, il n’a pas cessé de remplir des fonctions importantes à Berlin, auprès du ministre de la guerre ; il fut chargé, en 1822, de la direction supérieure de l’artillerie et des fortifications ; personne, en un mot, n’a mieux contribué que lui à l’organisation des forces militaires de la Prusse. — M. Jules Heckscher est né à Hambourg, vers la fin du siècle dernier, d’un riche banquier israélite converti au christianisme : c’est un esprit énergique et ardent. Doué d’un remarquable talent de parole et profondément initié à la science du droit, M. Heckscher a suivi la carrière du barreau. Si la rudesse de sa nature lui fut assez long-temps nuisible, la supériorité de son talent triompha cependant des obstacles, et, en 1848, M. Heckscher pouvait être cité comme l’un des grands avocats de l’Allemagne du nord. — J’ai déjà dit quelle est la valeur de M. de Beckerath, j’ai déjà signalé la rare distinction de cet esprit, qui sait se mouvoir avec tant d’aisance au milieu des plus laborieuses affaires, sans rien perdre de l’élévation de sa pensée et de la brillante facilité de sa parole. Tels sont les hommes que l’archiduc Jean associait à son pouvoir, et dont nous devrons juger les œuvres.

La première discussion qui occupa le parlement après l’installation du pouvoir central fut celle des droits fondamentaux (Grandrechte). L’assemblée y perdit un temps précieux pour un médiocre résultat. Commencée au mois de juin, cette discussion ne se termina qu’en décembre. Six grands mois de débats métaphysiques sur l’état, sur l’église, sur les universités, sur les communes, ce n’était pas beaucoup peut-être pour l’ancienne Allemagne ; c’était infiniment trop pour cette Allemagne nouvelle qui venait de se poser des problèmes si redoutables, et qui était harcelée chaque jour par le bruit de la guerre extérieure ou les entreprises de la démagogie. Il faut à ces controverses abstraites une société plus régulière et des loisirs mieux assurés : c’est là ce que n’ont pas voulu comprendre les savans professeurs réunis à l’église Saint-Paul. D’où vient la confusion de l’Allemagne actuelle, d’où vient l’irréparable échec du parlement de Francfort, sinon de cette obstination aveugle à se préoccuper de théories scholastiques, il ne poursuivre que des abstractions et des formules, sans souci de la réalité ? On le verra bien quand la constitution sera décrétée ; on put le pressentir, dès le mois de juin à l’occasion des droits fondamentaux. Pendant six mois, de juin à décembre, ce parlement établit un tournoi scientifique et littéraire à propos de la grande charte des droits de l’homme ; au lieu de fixer dans les termes les plus simples une déclaration de principes qui pouvait être rédigée et votée dans l’espace d’une semaine, il renouvela les luttes des universités du XIIIe siècle, il ouvrit des séances académiques, et convoqua tous les docteurs à l’assaut ou à la défense des thèses. Telle est la frivolité du pédantisme chez ce peuple réputé si grave, tel est l’irrésistible entraînement de l’habitude chez des hommes qui se vantent d’avoir rompu pour toujours avec le génie de la vieille Allemagne.

Les droits fondamentaux furent discutés au milieu de l’inattention générale. La foule, qui avait envahi jusque-là les galeries et les tribunes de l’église Saint-Paul, ne prit pas le même goût que les députés à ces dissertations savantes ; elle abandonna les séances du parlement. Deux tentatives furent faites pour abréger cet interminable travail ; un député de la gauche, M. Schoder, à la fin du mois d’août, proposa de voter sans délibération tous les principes qui restaient à établir : la proposition fut repoussée, et les débats recommencèrent. M. Bassermann renouvela cette tentative quelques semaines après, et, comme il demandait moins, il fut plus heureux. M. Bassermann obtint qu’il n’y eût qu’une seule discussion, une seule lecture au lieu de deux, chaque fois que cette demande serait appuyée par cent députés au moins : c’était là certainement une proposition bien modeste ; il n’est pas sûr pourtant qu’elle eût obtenu la majorité des voix, si elle ne se fût recommandée du nom de M. Bassermann.

Qu’étaient-ce donc que ces droits fondamentaux ? Une constitution philosophique en attendant la constitution politique, l’unité morale en attendant l’unité administrative de la patrie. Rien de mieux assurément, si l’on eût su se borner. Une déclaration de principes conçue et rédigée nettement aurait eu ici un double avantage : on se serait débarrassé d’abord de tout ce grand étalage scientifique, on aurait évité surtout de confondre une proclamation de droits avec une loi constitutive. Ces Grundrechte sont-ils, comme on disait à l’assemblée des notables, un grand idéal proposé aux peuples allemands et destiné à rallier dans les mauvais jours tous les serviteurs du progrès et de la vérité ? ou bien forment-ils déjà une loi, une constitution obligatoire ? Dans la pensée du parlement, les Grundrechte sont à la fois ces deux choses, et de là bien des embarras. Tandis que tel gouvernement, n’y voyant qu’une charte philosophique, admettra sans peine les droits fondamentaux, celui-ci, frappé avant tout du caractère positif de la loi et des conséquences démocratiques qu’elle renferme, refusera ouvertement sa sanction : il y aura lutte, en un mot, à l’occasion de ces principes, que chacun devait saluer comme l’expression la plus haute de la société moderne. Proclamer la liberté individuelle, l’égalité devant la loi, l’inviolabilité du droit de propriété, l’abolition des privilèges de la noblesse, la suppression de la dîme et des servitudes féodales, c’est rendre un hommage bien naturel à l’esprit des temps nouveaux et faire briller aux yeux des peuples allemands l’idéal qu’ils doivent poursuivre en commun ; mais, quand le parlement de Francfort ajoute à cette proclamation de principes des injonctions positives qui doivent lier tous les gouvernemens de l’Allemagne, il commet la faute dont il se rendra coupable en créant la constitution politique il s’attaque étourdiment à des difficultés qu’il ne pourra vaincre.

Faut-il imiter le parlement de Francfort et s’arrêter longuement à ces discussions inopportunes ? Faut-il mettre aux prises les différens systèmes qui s’agitent à propos des rapports de l’église avec l’état ? Tout cela n’est ni bien neuf ni bien important. Les ultramontains de la Bavière, M. le professeur Doellinger, M. le docteur Sepp, M. de Lasaulx, élevant des prétentions insoutenables, engagent la lutte la plus vive contre M. de Beisler, et accessoirement contre M. Jordan (de Marbourg) et M. Vogt. M. Vogt et M. Jordan représentent ici le radicalisme hautain, lequel, dans son mépris suprême pour les croyances et les institutions religieuses, accorde volontiers toutes les libertés que réclament les fanatiques c’est-à-dire l’indépendance absolue de l’église vis-à-vis de l’état. M. de Beisler, au contraire, ministre de l’instruction et des cultes à Munich, est un esprit plus prévoyant et plus sage. Intelligence pratique, il veut que l’église ait des rapports avec l’état, et que ces rapports soient bien réglés ; l’église à ses yeux, n’y est pas moins intéressée que la société civile. Cette sage opinion, quoique soutenue par la froide parole de M. de Beisler, quoique très vivement attaquée par le zèle fougueux des ultramontains et l’insolente ironie de M. Vogt, finit par triompher complètement. 355 voix contre 90 décident que l’église, comme toutes les autres associations, est et restera soumise aux lois générales de la société, aux prescriptions du droit, commun. Encore une fois, l’intérêt de ces débats est médiocre en présence des événemens qui se pressent et des difficultés qui s’accumulent. La politique étrangère nous appelle ; c’est là que le parlement va lâcher la bride à toutes les passions du teutonisme.

En discutant les droits fondamentaux, et c’est peut-être là leur excuse, les députés de Francfort semblaient impatiens de s’entretenir avec la nation allemande. Le premier parlement national, si long-temps invoqué, était réuni enfin. Chacun se crut obligé d’exprimer sa joie d’apporter sa théorie à la tribune, d’offrir à la grande patrie l’hommage de ses chères études, de ses longues et silencieuses méditations. Même empressement, et plus ardent encore, pour les questions de politique extérieure. Seulement, au lieu de converser avec l’Allemagne, c’est à l’Europe que s’adressent les législateurs de Saint-Paul. Tout fiers de ce pouvoir central qu’ils prennent déjà pour l’unité politique, ils veulent faire savoir aux pays voisins que l’Allemagne, maîtresse de toutes ses forces, libre dans tous ses mouvemens, est désormais une nation puissante à qui il convient de parler haut. Ce manifeste à l’Europe n’avait rien d’abord de très inquiétant. On discuta de nombreuses propositions, dont le but était de proclamer les principes qui guideraient désormais la politique extérieure de l’Allemagne, et de ces différentes propositions résulta un programme assez vague. « La première préoccupation de notre politique, disait l’assemblée, sera toujours de maintenir le droit et l’honneur de l’Allemagne. » Ces mots, le droit de l’Allemagne, ouvraient une large porte aux convoitises du patriotisme, et nous verrons que le parlement a bien su en profiter. Il est vrai que l’assemblée ajoutait aussitôt : « L’Allemagne n’arrêtera jamais d’aucune manière le développement intérieur des pays étrangers ; elle n’interviendra jamais, pour tel ou tel principe politique, dans les événemens et les luttes qui diviseront les nations voisines. » C’était, pour peu qu’on fût sincère, se tracer la voie la plus sûre ; c’était proclamer sans ambages ce principe de non-intervention que l’assemblée oubliera si promptement. Je ne parle pas des folles théories de la gauche à l’occasion de ce programme ; M. Arnold Ruge crut nécessaire de porter à la tribune les conclusions de sa philosophie et le résumé de ses livres, je veux dire l’abolition de la patrie. Une fois la patrie supprimée, une fois cet exécrable sentiment déraciné du fond des cœurs, plus de rivalités, plus de haines, plus de guerres ; chaque race d’hommes renonce à son patrimoine de souvenirs ; les peuples renversent leurs barrières, les gouvernemens désarment, et la fraternité dans le chaos inaugure une civilisation nouvelle. Les deux fléaux de la société présente, selon M. Ruge, ce n’est pas cette concurrence à laquelle M. Louis Blanc jette l’anathème, ce n’est pas cet infernal capital que maudit M. Proudhon : c’est la religion et la patrie, c’est le prêtre et le soldat. Or, si la religion effraie peu les jeunes hégéliens, le culte de la patrie leur inspire encore de sérieuses inquiétudes. Voilà pourquoi M. Arnold Ruge, après avoir attaqué le patriotisme dans ses ouvrages, formule aujourd’hui contre ce fléau corrupteur les propositions les plus hardies. M. Ruge ne demande pas moins que la convocation d’un congrès européen pour substituer les théories cosmopolites à l’étroite religion de la patrie et opérer le désarmement de tous les états. Malgré la répulsion qu’il inspire, M. Ruge revient sans cesse à la charge. « Je ne quitterai cette tribune, s’écriait-il un jour, qu’après vous avoir convaincus de la nécessité de ce congrès. » Par bonheur, M. Ruge voulut bien oublier cet héroïque serment ; il retourna bientôt à sa place, au milieu des éclats de rire d’une majorité moins convaincue que jamais.

Les doctrines de M. Ruge ne sont pas seulement ridicules, elles sont coupables. Il y avait sans doute un beau rôle à jouer pour un homme d’un sens droit qui serait venu défendre la politique de la paix devant l’assemblée de Francfort et mettre un frein aux ambitions patriotiques ; mais la démagogie ne flétrit-elle pas tout ce qu’elle touche ? Au lieu de contenir le patriotisme, M. Ruge l’outrage, et par là il irrite encore son impatiente ardeur. Le soulèvement de la Lombardie occupait alors l’Autriche ; chassé de Milan au mois de mars, Radetzky était sur le point d’y rentrer. On comprend que de généreux esprits aient pu conseiller à l’Allemagne l’abandon de ses possessions italiennes ; ce qui ne se comprend pas, ce sont les outrages adressés du haut de la tribune nationale aux chefs et aux soldats de l’armée allemande, pendant que l’armée allemande est au feu. Lorsque M. de Radowitz soutenait la nécessité pour l’Autriche de s’établir fortement en Lombardie, les argumens ne manquaient pas pour lui répondre ; en substituant les injures à la réfutation, en déclamant avec fureur contre le patriotisme, en foulant aux pieds le drapeau du pays dans une assemblée réunie tout exprès pour relever ce drapeau, les orateurs de la gauche ne faisaient qu’exciter le dégoût du parlement et enflammer de plus en plus son avidité conquérante. Qu’arriva-t-il en effet ? L’assemblée qui tout à l’heure parlait si bien du respect des nationalités, et qui, disait-elle, malgré tant de causes de bouleversemens, avait la plus ferme confiance dans le maintien de la paix européenne, l’assemblée va se donner à elle-même le plus éclatant démenti ; elle réclamera d’un côté le principe des nationalités et le violera d’un autre ; elle sera toute prête, enfin, à souffler le feu de la guerre au nord et au sud, à l’est et à l’ouest des états germaniques.

On sait que les frontières de l’Allemagne ne sont pas nettement définies. Il y a tout autour de ce pays des provinces à la fois allemandes et non allemandes, les unes appartenant à des souverains allemands et indépendantes de la confédération germanique, les autres faisant partie de cette confédération et obéissant à des souverains étrangers. Les duchés de Limbourg et de Luxembourg sont compris dans la confédération germanique, bien qu’ils appartiennent au royaume de Hollande ; il en est de même des duchés de Holstein et de Lauenbourg, qui appartiennent au Danemark. Au contraire, le grand-duché de Posen fait partie des états prussiens et reste indépendant de la confédération, de même que les pays hongrois et polonais de la monarchie autrichienne, Hongrie, Transylvanie, Croatie, Gallicie, etc., dépendent du gouvernement établi à Vienne, mais non de celui qui siège à Francfort. C’est sur tous ces points que l’assemblée portera ses prétentions. Ces frontières indécises, elle voudra les fixer nettement, et pour cela elle décidera que l’empire doit absorber les provinces que je viens de nommer. Le teutonisme publia hautement, dans cette circonstance, l’orgueilleuse naïveté de son ambition. Ses principes étaient clairs ; toute province où l’on parle allemand doit être rattachée à la grande patrie ; tout pays étranger soumis à une puissance allemande doit aussi, tôt ou tard, appartenir à l’empire. Ainsi cette loi des nationalités qu’on invoque contre le Danemark pour s’emparer du Schleswig, on la viole contre les Polonais pour conquérir le duché de Posen. On parle de droit naturel, on invoque la liberté des races, on s’apitoie éloquemment, sur les membres dispersés de la famille allemande ; qu’y a-t-il au fond de ces vertueuses colères ? — Une ambition jalouse, inquiète, impatiente, qua s’étale plutôt qu’elle ne se cache sous une maladroite hypocrisie.

Voyez l’assemblée à l’œuvre ! Par suite du traité d’avril 1939, le duché de Limbourg a été annexé à la confédération germanique en échange de la partie occidentale du grand-duché de Luxembourg, cédez à la Belgique. Depuis cette annexion à l’Allemagne, le duché de Limbourg n’a pas cessé néanmoins d’être régi par la constitution hollandaise. Le Limbourg envoya donc deux représentans à Francfort, tandis que trois autres députés siégeaient à La Haye, aux états-généraux du royaume de Hollande. Assurément, la situation du duché de Limbourg était étrange, et ces députés envoyés les uns à Francfort, les autres à La Haye, révélaient dans le sein de cette province la présence de deux populations hostiles. Ce n’étaient pas des Allemands, à coup sûr, qui avaient envoyé trois députés à la chambre hollandaise. Qu’y avait-il à taire pour des gens qui venaient de proclamer si haut le droit imprescriptible des nationalités ? Le cas eût été embarrassant pour un patriotisme moins impétueux. L’assemblée de Francfort n’hésita pas ; elle déclara, sur une interpellation de M. Stedtmann, que « cette réunion du Limbourg avec le royaume de Hollande était inconciliable avec la nouvelle constitution de l’empire, » et elle ordonna au ministère « de terminer cette affaire à la satisfaction de l’honneur allemand. Ainsi, point de scrupules, aucune hésitation ; les principes qu’on a posés ont droit au respect tant qu’ils peuvent être utiles ; dès qu’ils s’opposent à l’ambition allemande, on les viole effrontément ! Ici, du moins, l’Allemagne n’avait pas tout-à-fait tort ; le duché de Limbourg, en vertu d’un traité, faisait partie de l’Allemagne et ne pouvait être représenté aux états-généraux de la Hollande : c’est par l’arrogance de la forme que le parlement germanique mettait les torts de son côté, et surtout par cette violation flagrante d’un principe proclamé la veille ; mais comment excuser ces grands apôtres des nationalités, ces hommes si prompts à s’indigner de l’oppression des Allemands dans les duchés danois, et qui, tout en faisant une guerre injuste sous ce prétexte hypocrite, maintiennent en Italie l’odieuse domination de l’Autriche, prétendent absorber la famille slave, applaudissent au bombardement de Prague, triomphent de l’abaissement de la Bohême, et, décrétant l’annexion du duché de Posen à l’empire, détruisent le dernier simulacre d’indépendance laissé à cette malheureuse. Pologne !

Cette discussion sur la Pologne mérite qu’on s’y arrête un instant. Le duché de Posen fera-t-il partie de l’empire ou bien faut-il réserver les droits de la Pologne et ne point enlever un dernier espoir, une dernière lueur d’existence à ce peuple martyr ? et elle était, au fond, la véritable question posée devant le parlement de Francfort, quand la discussion s’ouvrit le 22 juillet 1848. Un des plus grands malheurs de la Pologne (dernier outrage après tant d’outrages !), c’est d’être défendue par les plus mauvaises passions et de servir de prétexte aux plus stupides violences de la démagogie. M. Arnold Ruge le prouva bien lorsqu’il vint plaider la cause du duché de Posen. Il paraît que M. Ruge change de masque et de costume selon les discussions où il joue un rôle ; nous l’avons vu tout à l’heure fort irrité contre le patriotisme : c’est le patriotisme (celui des étrangers, il est vrai) qui inspire sa prétentieuse parole ; M. Ruge souhaite la reconstitution de la Pologne, l’indépendance de l’Italie, et fait des vœux ardens pour la défaite de Radetzky et de ses troupes. Figurez-vous l’effet de ces paroles sur une assemblée allemande ! Une majorité immense se lève : « A l’ordre ! à l’ordre ! » Et, comme si ce n’était pas assez de rappeler l’orateur à l’ordre : « A bas de la tribune ! » s’écrie un concert de voix indignées. Alors M. de Gagern, dominant le tumulte : « Je ne rappellerai pas Arnold Ruge à l’ordre, car je ne puis lui enlever sa philosophie ; je lui dirai seulement que souhaiter une défaite à notre armée est un acte de trahison envers l’Allemagne. » À ces mots, prononcés avec un dédain superbe, avec une dignité formidable, un tonnerre d’applaudissemens éclate. M. Arnold Ruge, ébranlé un instant, continue d’exposer sa philosophie ; mais le triste orateur ne peut plus compter sur cette curiosité naïve qui le faisait écouter : on connaît trop bien désormais le dernier mot de la science hégélienne.

Cette discussion fut d’autant plus fatale à M. Ruge, qu’une partie de la gauche l’abandonna et se déclara avec fureur contre les Polonais. Ce fut l’un des membres de la montagne, ce fut M. Jordan (de Berlin) qui infligea à cette malheureuse nation le plus cruel et le plus insolent des réquisitoires. M. le prince Lichnowsky avait attaqué vigoureusement les Polonais. « La Pologne ! s’était écrié le brillant orateur, qui n’a de sympathies pour elle ? Nous avons grandi en l’aimant et en pleurant sur ses malheurs. Comment donc se fait-il que ces sympathies soient devenues aujourd’hui la propriété exclusive de certains hommes ? — Parce que la Pologne, depuis dix ans, a fourni des soldats à toutes les émeutes, des chefs à toutes les barricades, des démagogues à toutes les révolutions ! » Rien de plus naturel que cet argument dans la bouche du prince Lichnowsky ; mais M. Jordan (de Berlin) sera bien plus dur et plus terrible. Il combattra par tous les moyens la reconstitution de la Pologne ; il la montrera abattue, décomposée, morte et incapable de se régénérer jamais. « Les peuples ne ressuscitent pas, s’écrie l’impitoyable orateur ; vouloir les ressusciter, c’est la chimère d’un esprit qui rêve, et, si une fois vous mettez la main à l’œuvre, autant vaudrait rouler éternellement le rocher de Sisyphe, qui éternellement retombera sur vous. La prudence, dit-on, la justice, l’humanité, nous conseillent de rétablir la Pologne. Quelle prudence, vraiment, de reconstituer un peuple animé contre nous d’inflexibles rancunes, et qui lui-même sera absorbé tôt ou tard par le plus redoutable et le plus détesté de nos ennemis, par la puissance russe ! Que parle-t-on de justice ! continue M. Jordan ; le seul droit en ces matières, c’est le droit du plus fort. Nous avons conquis la Pologne, nous garderons notre conquête. Aussi bien, ce n’est pas tant une conquête de l’épée qu’une victoire de la civilisation. Qu’on cesse donc d’invoquer l’humanité ! en nous emparant de la Pologne, nous affranchissons une terre barbare. » Ce discours produisit un effet terrible ; le fiévreux patriotisme des Allemands ne s’était jamais emporté avec une passion plus sauvage. Il est facile d’y reconnaître l’effet des prédications de M. Arnold Ruge. M. Vogt eut beau combattre M. Jordan, il ne fit que donner une force nouvelle à ses paroles ; entre les sophismes éhontés de la jeune école hégélienne et le patriotisme, si insensé qu’il fût, l’assemblée ne pouvait rester indécise. À la séance suivante, un Polonais, M. Janiczewsky, essaya de plaider la cause de sa malheureuse patrie. Sa parole était froide, son raisonnement ferme et serré ; mais sous ce langage de l’avocat, on sentait gronder la colère du patriote, une colère sourde qui s’échappait çà et là en de sinistres éclairs. M. Janiczewsky ne pouvait triompher. À cette apparition tragique d’un homme qui vient seul défendre sa patrie dans le sénat des oppresseurs, on opposa je ne sais quelle parade sentimentale, on fit défiler à la tribune les députés du duché de Posen, réclamant tous pour leurs frères et demandant en leur nom à ne pas être exclus de l’empire d’Allemagne. L’issue n’était pas douteuse ; la plus grande partie du duché de Posen fut incorporée à l’empire par une majorité considérable. Ce n’est là sans doute qu’un premier essai ; n’y a-t-il pas aussi des Allemands en Hongrie ? n’y en a-t-il pas à Venise et à Milan ? Pourquoi le parlement de Francfort n’a-t-il pas déclaré que la Hongrie et le royaume lombardo-Vénitien feraient partie du futur empire ? Avec ce principe-là, on peut aller loin, et, selon le système de Hegel, l’Allemagne, en vérité, ne finirait nulle part.

Ce vote sur le duché de Posen sera expié un jour. Si c’est un défi à ces populations slaves qui tendent à absorber l’Autriche et à la séparer de l’Allemagne, ce défi imprudent sera relevé par l’avenir. Déjà les Polonais de Posen, avec un vigoureux publiciste, peuvent répondre aux docteurs de Francfort : « Les Polonais et les Slaves peuvent et doivent s’unir. Ils le feront, n’en doutez pas ; ils le feront, même sur les cadavres de leurs frères, beaucoup plus tôt que les Allemagnes du nord et du midi ne réussiront à s’entendre sur la question impériale. Si divisés que nous soyons, votre unité ne nous fait pas envie[4]. »

La question du Schleswig-Holstein fut plus grave encore. L’iniquité du teutonisme s’y révéla avec une fureur nouvelle et entraîna d’odieuses conséquences. On connaît l’histoire de cette grande contestation qui s’agite depuis quatre ans déjà. La monarchie danoise menaçait de s’éteindre sans héritiers. Le fils unique du roi Christian VIII, marié deux fois et deux fois divorcé, n’avait pas eu d’enfans. Or, des trois duchés qui, avec le Jutland et les îles, composent cette monarchie, le Holstein et le Lauenbourg font partie de la confédération germanique ; le troisième, le Schleswig, renferme des Allemands en nombre assez considérable. Dès qu’on put prévoir l’ouverture prochaine de la succession danoise, le patriotisme germanique s’émut et convoita les trois duchés. La mort de Christian VIII, arrivée au mois de Janvier 1848, enflamma encore la cupidité allemande. Le dernier représentant de la dynastie, le nouveau roi Frédéric VII s’apprêtait à donner une constitution à ses états, afin de rallier plus intimement le Schleswig aux autres parties du royaume. Quelle serait la position du Holstein dans cet arrangement ? Le Schleswig serait-il enlevé aux espérances du teutonisme ? Toutes ces questions agitaient les esprits, quand notre révolution de février amena celle du 17 mars à Berlin ; humilié par les vainqueurs des barricades et cherchant un appui dans l’ardeur envahissante de l’ambition germanique, Frédéric-Guillaume s’était proclamé le roi allemand ; l’espoir de la prochaine conquête des duchés se réveilla plus fortement que jamais. Alors, par un contrecoup facile à prévoir, une effervescence extraordinaire se manifesta dans toutes les parties allemandes du Danemark. Une insurrection éclata, et un gouvernement provisoire de cinq membres s’établit à Kiel, capitale du duché de Holstein ; le teutonisme triomphait. Les insurgés furent soutenus aussitôt par la Prusse ; le 6 avril, sans aucune déclaration de guerre, l’armée prussienne, soutenue par des Hanovriens et des Mecklembourgeois, franchit les frontières du Holstein. La guerre était engagée ; le Danemark l’accepta résolûment. À une agression injuste, à une odieuse violation du droit des gens ; il opposa non-seulement la justice de sa cause, mais la loyauté et le courage de la plus digne résistance. La Suède, la Russie, l’Angleterre, la France même, malgré sa fâcheuse indifférence pendant les premiers mois de la république, comprirent enfin la nécessité d’intervenir par les moyens diplomatiques. De là des négociations, des armistices, qui donnèrent lieu, dans le sein du parlement de Francfort, aux plus fougueux emportemens des passions allemandes.

La première discussion sur les affaires de Schleswig eut lieu à l’église Saint-Paul dans la séance du 9 juin. Un armistice proposé le 18 mai par le cabinet britannique avait été rejeté par la Prusse ; la Prusse cependant protestait de ses bonnes dispositions, et, tout en continuant d’occuper le Schleswig et le Holstein, elle retirait ses troupes du Jutland. Cette évacuation du Jutland mit les esprits en émoi à l’élise Saint-Paul ; des interpellations furent adressées au ministère de l’empire ; et, après des discours de MM. Dahlmann et Waitz, l’assemblée vota un ordre du jour qui recommandait au pouvoir central « les plus énergiques mesures pour sauver le droit et l’honneur de l’Allemagne dans l’affaire du Schleswig-Holstein. » M. Waitz aurait même voulu que les conditions de la paix, si la paix devait être signée, fussent soumises au parlement ; un sage discours de M. Heckscher fit rejeter cette proposition. Un mois après, des bruits alarmans pour les convoitises germaniques se répandent à Francfort ; on parle d’un armistice signé à Malmoe, lequel imposerait à l’Allemagne d’humiliantes conditions, bien loin de donner satisfaction à ses espérances. Il y avait eu, en effet, un armistice signé, le 2 juillet, à Malmoe entre le Danemark et la Prusse, sous la médiation de la Suède, avec l’appui de l’Angleterre et de la Russie. D’après ce traité, les Prussiens devaient évacuer les duchés ; le gouvernement provisoire né de l’insurrection se retirait immédiatement, et l’administration était rétablie telle qu’elle existait avant la révolte. Le Danemark ne cédait que sur un point : il aurait voulu une administration spéciale pour chacun des duchés ; l’armistice donnait une administration commune aux duchés de Schleswig et de Holstein. On sait que cet armistice du 2 juillet, quoique signé par la Prusse, fut obstinément et insolemment rejeté par le général Wrangel, chef de l’armée prussienne[5]. Le général Wrangel avait-il reçu des instructions secrètes ? ou bien la Prusse, sincère dans ses négociations avec le Danemark, était-elle obligée, de plier devant un général qui en appelait au vicaire de l’empire ? L’explication, quelle qu’elle fût, ne pouvait être que fâcheuse pour le gouvernement prussien. Toujours est-il que l’audace du général Wrangel fournit aux ministres de l’archiduc Jean une triomphante attitude devant l’assemblée nationale. M. de Schmerling, alors ministre des affaires étrangères et M de Peucker, ministre de la guerre, répondirent victorieusement aux interpellations : l’armistice n’était pas reconnu, le général Wrangel annonçait au ministère de l’empire qu’il ne ratifierait jamais des conditions contraires à l’honneur et aux justes prétentions de la patrie allemande. C’est ainsi que le ministère de l’empire, c’est ainsi que des esprits éclairés et graves, M. de Schmerling, M. de Peucker, entretenaient dans cette assemblée déjà si ardente les exigences aveugles qui les renverseront bientôt eux-mêmes.

Le 26 août, après une intervention diplomatique de la France, qui donnait une autorité nouvelle aux puissances amies du Danemark, une convention fut signée entre le Danemark et la Prusse. Ce traité ne terminait pas, il s’en faut bien, la contestation des deux pays ; il accordait seulement une suspension d’armes de sept mois, et, quant à la situation des duchés pendant cet intervalle de temps, les intérêts des deux parties contractantes étaient équitablement ménagés. Cette nouvelle fut communiquée à l’assemblée nationale, le 4 septembre, par M. Heckscher, qui venait de remplacer M. de Schmerling aux affaires étrangères. Pour aller au-devant des interpellations, M. Heckscher lut le traité d’un bout à l’autre. À cette lecture, on le pense bien, l’indignation fut extrême. Le ministère payait la peine de ses fautes ; il avait exalté le patriotisme ombrageux du parlement : il avait promis la conquête des duchés aux hommes qui venaient de faire un nouveau partage de la Pologne, et maintenant que leur apporte-t-il ? — Une modeste convention où les avantages sont égaux de part et d’autre. Ce n’est pas même ce que vît l’orgueil teutonique ; il se crut vaincu, et sa rage fit explosion. Voyez monter à la tribune le vieux Dahlmann, le grave professeur de Goettingue et de Bonn, le sévère historien des révolutions d’Angleterre et de France, un des chefs du centre droit à l’église Saint-Paul. M. Dahlmann est Suédois par sa famille ; né en 1785 à Wismar dans le Mecklembourg, il appartient, par son éducation et les travaux de sa jeunesse, à cette colonie d’Allemands établie au sein du Danemark, et qui voudrait aujourd’hui reculer les frontières germaniques jusqu’au Jutland. Son oncle, le professeur Jensen, était établi à Copenhague, et lui-même il étudia dans cette ville au commencement du siècle. C’est à Copenhague aussi qu’il publia ses premiers écrits, et fit ses premiers pas dans la carrière de l’enseignement. En 1813, il fut appelé à l’université de Kiel, et depuis ce moment il ne cessa de prendre une part très active à tous les efforts du parti allemand dans le duché de Holstein. Il resta seize ans ; ce n’est qu’en 1829 qu’il fut nommé professeur à Goettingue. On voit que la question du Schleswig n’était pas nouvelle pour M. Dahlmann ; le vieillard croyait atteindre enfin le but qui avait passionné sa jeunesse. Quelle déception à la lecture de l’armistice du 26 août ! il monte à la tribune, et d’un ton grave, solennel, il prononce ces simples paroles : « Messieurs, vous avez appris officiellement les conditions de l’armistice ; je n’ai qu’une seule chose à vous rappeler : — Il n’y a pas encore trois mois, le 9 juin, ici, à l’église Saint-Paul, il a été décidé que, dans les affaires du Schleswig, l’honneur de l’Allemagne serait sauf ; — entendez-vous ? l’honneur de l’Allemagne ! » À ces mots, une émotion qu’on ne saurait rendre parcourt l’assemblée entière. Les uns veulent voter et rejeter par acclamations le traité du 26 août ; d’autres soit modération, soit désir de donner plus d’éclat et de solennité au vote, demandent le renvoi des pièces à une commission qui devra lire son rapport le lendemain.

La soirée fut inquiète ; les orateurs des clubs se déchaînaient contre le ministère, et l’on apercevait au milieu de l’effervescence publique quelques uns de ces signes orageux qui présagent les combats de la rue. Le lendemain 5 septembre, M. Dahlmann lit son rapport au nom de la commission ; il conclut à ce que tous les mouvemens des troupes prêtes à évacuer le Danemark soient immédiatement suspendus. Le ministère combat le rapport de M. Dahlmann, et M. de Schmerling en fait une question de cabinet. Cette menace n’arrête ni M. Dahlmann ni ses amis ; ils ne voient pas que la gauche est là, fort indifférente aux affaires du Schleswig et décidée à s’emparer de la victoire dans le seul intérêt des idées révolutionnaires. M. Bassermann cherche vainement à éclairer ce patriotisme aveugle. « Messieurs, s’écrie-t-il, peut-être qu’au moment même où vous nous donnez ce spectacle, une agitation pareille se manifeste à Copenhague. Oui, nous le savons par des renseignemens certains, l’orage a éclaté aussi sur le gouvernement danois : on lui reproche un armistice qui est la honte du Danemark. Comment avez-vous pu, disent-ils, signer une convention qui amène l’Allemagne au cœur de nos provinces ? » Et reprenant avec une éloquente habileté les griefs des patriotes danois, il fait ressortir tous les avantages que l’Allemagne doit trouver à l’armistice. M. Bassermann n’avait que trop raison ; mais la passion sait-elle écouter et comprendre ? Sut-elle comprendre M. de Radowitz et M. de Beckcrath, l’un si lumineux, si droit, si grave, l’autre si pressant, malgré sa douceur habituelle, et si ardemment convaincu ? Le parti Dahlmann, le parti des professeurs, comme on l’a appelé, cette réunion de teutomanes qui jouera un rôle si fâcheux pendant les débats de la constitution, resta inflexible jusqu’au bout, et donna la victoire à la gauche : 238 voix contre 221 adoptèrent les conclusions de M. Dahlmann.

Le ministère était renversé, et M. Dahlmann avait reçu mission d’en recomposer un autre. Comment trouver cependant les élémens d’une administration sérieuse au milieu de cette majorité factice ? M. Dahlmann dut y renoncer bientôt. Il avait fait ce qu’il fera si souvent dans la dernière période du parlement de Francfort : il avait introduit dans les esprits une passion opiniâtre. Il avait créé le parti de la teutomanie, il avait désorganisé la majorité et le pouvoir ; ce pouvoir, il ne sut pas le prendre d’une main forte et réparer le mal qu’il avait causé. Cependant une nouvelle bataille parlementaire se préparait. Toutes les pièces relatives à l’armistice étaient imprimées ; on allait discuter, non plus seulement sur les mouvemens des troupes prussiennes, mais sur le sort même de la convention du 26 août. Faut-il approuver, faut-il rejeter l’armistice de Malmoe ? Cette question, on le comprend sans peine, était tout autrement grave que celle qui renversa le ministère après les débats du 5 septembre. Les adversaires de l’armistice proposaient purement et simplement la continuation de la guerre. Cette décision eût forcé le pouvoir central d’entrer en lutte avec la Prusse ; incapable d’engager cette lutte, dénué de tous moyens d’action, n’ayant ni armée ni finances, le pouvoir central n’avait plus qu’à choisir entre l’abdication ou un coup d’état, et l’assemblée devenait une convention révolutionnaire. M. Vogt ne dissimulait pas ses espérances : « On s’effraie, disait-il, de notre situation, si l’armistice est rejeté ! Notre situation sera celle de la France en 93 ; menacée comme nous au dedans et au dehors, elle s’appuya sur les forces populaires, elle créa des hommes, elle fit sortir de terre des armées, et l’Europe fut vaincue ! Seulement, ne l’oubliez pas, c’est une convention qui fit cela, et il n’y a qu’une convention qui puisse reproduire ces grandes choses ! » M. Vogt eût été bien maladroit de parler de la sorte, s’il ne s’était adressé surtout à la galerie et aux gens de la rue. C’était pour répondre à l’exaltation des clubs, ce n’était pas pour le succès de la cause que le jeune hégélien faisait apparaître aux yeux de l’assemblée cette grande et sinistre image de 93. Cela dut donner à réfléchir ; quelques membres du parti Dahlmann, bien tardivement éclairés, se tinrent pour avertis. Un énergique discours de M. de Vincke acheva de redresser certains esprits. Enfin, après une lutte acharnée de plusieurs jours, après une dernière séance qui ne dura pas moins de onze heures, après des cris, des vociférations, des violences capables, dit un témoin, de déraciner un chêne ([6], l’appel nominal commença, et la proposition de rejeter l’armistice fut repoussée par 258 voix contre 237.


V

Si M. Vogt, en repoussant l’armistice de Malmoe, avait fait pressentir la possibilité d’une convention, d’autres orateurs du même parti signalaient l’approbation du traité comme l’infaillible signal d’une révolution nouvelle. Quoi qu’il arrivât en un mot, les factions étaient bien décidées à profiter de l’effervescence des esprits. On avait, pour ainsi dire, donné le signal de l’insurrection du haut de la tribune ; dès que le vote fût connu, le cri aux armes ! fut répété par les échos des clubs C’est le 16 septembre que le vote avait eu lieu ; les agitateurs ne perdirent pas leur soirée, et le lendemain 17, une grande assemblée populaire était bruyamment convoquée aux portes de la ville. Elle se réunit de quatre à six heures du soir ; toutes les réunions démocratiques, toutes les associations ouvrières de Francfort, de Mayence, d’Offenbach, de Hanau, s’y étaient rendues bannière en tête ; environ vingt mille hommes, dit-on, avaient répondu à l’appel. Les meneurs étaient des hommes jeunes, presque tous étrangers à Francfort, troupe de condottieri au service des passions révolutionnaires, et qu’on voit apparaître subitement dès qu’une barricade s’élève. Les ouvriers étaient armés de bâtons ; quelques-uns avaient des pistolets et portaient une plume rouge à leur casquette. Des députés de la gauche, M. Simon (de Trèves), M. Wesendonck, M. Zitz, M. Schlœffel, parlèrent du haut d’une tribune improvisée, ainsi que les chefs des club, tels que M. le docteur Rheinganum et M. Metternich (de Mayence). Ces derniers ne vociféraient que des motions incendiaires ; ce n’était pas une manifestation politique qu’ils voulaient, c’était une révolution sociale, l’anéantissement de la bourgeoisie, la suppression de la propriété, et les autres formules empruntées à notre démagogie parisienne. Enfin, après une délibération désordonnée, l’assemblée vota par acclamations les mesures que voici : « 1° L’assemblée du peuple déclare les députés qui ont approuvé l’armistice de Malmoe traîtres envers le peuple allemand, traîtres envers sa liberté et son honneur ; 2° cette déclaration sera portée dans le plus bref délai à la connaissance de la nation allemande ; 3° une députation se rendra demain à l’église Saint-Paul pour signifier cet arrêt à la majorité. »

Une bataille était donc annoncée pour le lendemain ; les troupes hessoises firent des patrouilles pendant la soirée et maintinrent l’ordre. La nuit fut calme. Avant le lever du jour, trois mille hommes de troupes prussiennes et autrichiennes, sur l’ordre du pouvoir central, arrivaient de Mayence par le chemin de fer, et occupaient les abords de Saint-Paul. La séance de l’assemblée commença de bonne heure ; les députés de la gauche, selon l’habitude, protestèrent contre la présence des troupes qui menaçaient, disaient-ils, la liberté parlementaire. Si la gauche, dans tous les pays, fait volontiers appel aux armes, elle s’indigne toujours que la société entende ce cri, et qu’elle sache y répondre. L’ordre du jour fit justice de ces hypocrisies. Dès le début de la séance, M. de Schmerling écrivit au président que M. Dahlmann et M. de Hermann, tour à tour chargés de recomposer un ministère, ayant renoncé à cette tâche, le ministère de l’empire reprendrait ses fonctions jusqu’au parfait rétablissement de la tranquillité publique. Bientôt les délégués qui vont porter au parlement la déclaration des clubistes sont arrêtés par les Prussiens ; on croise la baïonnette, et quatre hommes sont blessés. C’est le signal de la lutte. En un instant, les barricades s’élèvent et le feu commence ; il est deux heures. La troupe est maîtresse des grandes rues et des places ; une partie de la vieille ville, avec ses rues sombres et tortueuses, est au pouvoir de l’insurrection. Les troupes s’élancent, et, bravant la fusillade des fenêtres, elles emportent d’assaut les positions de l’ennemi. Le canon est braqué à l’entrée de la vieille ville ; les barricades les plus menaçantes sont renversées par les boulets. Il est facile de prévoir que le combat ne durera pas long-temps, les insurgés ont peu d’armes à feu ; vainement ont-ils pillé un armurier, la plupart d’entre eux sont armés de haches, de crocs, de pioches, de vieilles arquebuses rouillées, d’instrumens et d’outils de toute espèce. Leur fureur n’en sera que plus grande ; malheur à qui tombera dans leurs mains ! Vers cinq heures, les députes de la gauche, réunis à l’hôtel d’Allemagne, envoient une députation au vicaire de l’empire ; ils demandent que les Prussiens sortent de la ville, et aussitôt, ils s’en portent garans, les barricades seront abandonnées. L’archiduc Jean semble prêt à céder, mais le ministère repousse toute condition ; force doit rester à la loi. On accorde seulement, par humanité, un armistice d’une heure, pour laisser le temps de la réflexion à ces malheureux égarés. À six heures, la lutte recommence sur plusieurs points. Alors un décret signé de M. de Schmerling déclare la ville en état de siége et proclame La loi martiale. Des troupes nouvelles arrivent de la Hesse et du Wurtemberg, le feu se ralentit, la dernière barricade est prise, et, pendant toute la nuit, l’armée, bivouaquant dans la rue, occupe la ville entière comme une place conquise.

La victoire de l’ordre fut chèrement achetée. L’armée éprouva de nombreuses pertes ; des officiers d’élite périrent sous des balles fratricides. L’assemblée nationale ne fut pas épargnée non plus ; M. Heckscher, poursuivi par d’implacables haines, avait été obligé de prendre la fuite, dès le 17, pour ne pas être égorgé dans la rue ; moins heureux que lui, deux des membres les plus distingues du parlement, M. le prince Lichnowsky et M. le général d’Auerswald, tombèrent victimes de la rage féroce des insurgés. Vers cinq heures, M. le prince Lichnowsky et M. d’Auerswald étaient montés à cheval pour porter un message au vicaire de l’empire ; ils apprennent, chemin faisant, l’arrivée de la cavalerie wurtemlergeoise, et, changeant de direction, ils vont au-devant des troupes hors des portes de la ville. Reconnus par des forgerons de Bornheim, ils sont bientôt entourés ; ils enfoncent leurs éperons dans les flancs de leurs chevaux, fendent la foule et se jettent dans les jardins qui bordent la route. Ils trouvent un asile dans la maison d’un pépiniériste ; mais, au bout de quelques minutes, la maison est enveloppée et fouillée : les deux fugitifs, sans armes, sans défense, sont à la merci des furieux. Frappé d’une balle à la tête, Auerswald est achevé à coups de pioche, à coups de faux, à coups de massue ; ses bras, sa seule défense, sont littéralement en pièces et en lambeaux. Lichnowsky est atteint aussi d’un coup de feu à la tête ; on le traîne à demi mort dans la prairie de Bornheim, et là on le place comme un but où chacun à son tour vient décharger son arme. Enfin, quelques soldats arrivent, attirés par la fusillade. Les meurtriers prennent la fuite ; on rapporte à Francfort le cadavre du général d’Auerswald et le corps de Lichnowsky mourant ; le malheureux rendit le dernier soupir vers onze heures du soir, au milieu d’épouvantables souffrances, supportées avec la noblesse du gentilhomme et la résignation du chrétien.

L’infame assassinat de Bornheim enlevait au parlement deux de ses plus illustres membres, deux de ses orateurs les mieux écoutés. Le général d’Auerswald s’était fait remarquer déjà aux états de Berlin en 1847, par l’élévation de son caractère et la sûreté de son esprit. Quoiqu’il eût rarement parlé à la tribune de Saint-Paul, il y avait pris place parmi les orateurs d’élite, et ses qualités, chaque jour agrandies, promettaient un homme d’état au ministère de l’empire. On admirait chez lui la promptitude de l’intelligence, la rapidité et la précision du coup d’œil ; dans tout occasion difficile, il trouvait des ressources subites, qui attestaient la fertilité d’une nature supérieure. Son caractère surtout excitait des sympathies profondes ; il possédait cette vraie noblesse de l’ame incapable de soupçonner le mal et toujours disposée, dans sa bienveillante candeur, à honorer ses plus indignes adversaires. Ardent au contraire et prompt à la lutte, le jeune prince Lichnowsky avait tout l’éclat des vieilles races chevaleresques ; il était né pour les coups de main et les brillantes aventures. Engagé à vingt ans dans un régiment de hussards prussiens, il a honte de son repos, tandis que la légitimité est en cause sur les champs de bataille de l’Espagne ; cette idée, ce remords, le tourmentent pendant trois ans ; il part enfin et arrive en 1837 au camp de don Carlos. nommé général du brigade et attaché à l’infant don Sébastien, il fait toutes les campagnes de cette année ; il se bat à Huesca, à Barbastro, à Herrera, et, traversant la Castille, le voilà avec l’armée carliste sous les murs de Madrid. Les succès de don Carlos ne se prolongent pas, et le prince Lichnowsky est envoyé par le prétendant en mission diplomatique. Il revient en Espagne en 1839, prend encore part à plusieurs combats, et s’éloigne décidément du théâtre de la guerre. Il publie alors le récit de ses aventures dans un livre intitulé Souvenirs des années 1837, 1838 et 1839. Trois ans plus tard, il va en Portugal, et ce voyage lui fournit encore, l’occasion d’un curieux et spirituel ouvrage, Souvenirs du Portugal en 1842. IL justifiait bien sa fière devise :

Dextra tenet calamum, strictum tenet altera ferrum.


Retourné enfin dans sa patrie, il est envoyé à la chambre des députés de Berlin en 1847, et il prend place parmi les plus brillans, parmi les plus chevaleresques défenseurs de l’aristocratie. M. le prince Lichnowsky était dans les rangs de nos adversaires ; sa foi dans le droit divin des royautés n’est pas la foi du monde moderne ; représentant d’une société qui ne saurait revivre, invinciblement attaché aux traditions féodales, ce téméraire jeune homme aimait à lutter contre l’impossible. Nous l’aurions combattu assurément dans la session de 1847 ; depuis notre révolution de 1848, les choses sont bien changées ; en face de l’odieux despotisme de la démagogie, ne faut-il pas que les divisions s’effacent ? Le prince Lichnowsky a rendit de grands services et donné de mâles exemples à l’église Saint-Paul ; personne mieux que lui ne savait tenir tête à l’insolence de la gauche et aux furieuses clameurs de la galerie. Vaincu si souvent par son dédain et son audace, le parti démagogique, à la première occasion, s’est vengé avec rage ; les misérables qui l’ont tué, bien certainement, avaient plus d’une fois senti ; du haut de la galerie de Saint-Paul, les coups de cette intrépide éloquence. Auerswald et Lichnowsky ce n’est pas vous que je plains ; je plains votre patrie, déshonorée comme la France de juin, par d’effroyables forfaits !


SAINT-RENÉ TAILLANDIER.

  1. Voyez la livraison du 1er juin.
  2. Die deutsche Nationalversammlung, ein Bericht aus der Partei des rechten Centrum, von Haym. Francfort, 1848.
  3. Reden und Redner des ersten Preussischen vereinigten Lundtags, von Robert Haym.. Berlin, 1847. Page 261.
  4. C’est la conclusion de l’énergique brochure de M. Julien Klaczko, Die deutschen Hegemonen. Berlin, 1849.
  5. Voyez, sur les détails de ces négociations, l’article très complet de M. H. Desprez, le Danemark et la Confédération germanique (Revue des Deux Mondes, 1er octobre 1848). — et sur le fond du débat l’excellent travail de M. Alexandre Thomas, l’Agitation allemande et la Question danoise. (Revue des Deux Mondes, 15 septembre 1846).
  6. Gazette d’Augsbourg, 19 septembre 1848.