Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre IX/Chapitre 5

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V. Caractères & uſages des peuples qu’on vouloit aſſujettir à la domination Portugaiſe.

L’homme, ſans doute, eſt fait pour la ſociété. Sa foibleſſe & ſes beſoins le démontrent. Mais des ſociétés de vingt à trente millions d’hommes ; des cités de quatre à cinq cens mille âmes : ce ſont des monſtres dans la nature. Ce n’eſt point elle qui les forme. C’eſt elle au contraire qui tend ſans ceſſe à les détruire. Elles ne ſe ſoutiennent que par une prévoyance continue & par des efforts inouïs. Elles ne tarderoient pas à ſe diſſiper, ſi une portion conſidérable de cette multitude ne veilloit à leur conſervation. L’air en eſt infecté ; les eaux en ſont corrompues ; la terre épuisée à de grandes diſtances ; la durée de la vie s’y abrège ; les douceurs de l’abondance y ſont peu ſenties ; les horreurs de la diſette y ſont extrêmes. C’eſt le lieu de la naiſſance des maladies épidémiques ; c’eſt la demeure du crime, du vice, des mœurs diſſolues. Ces énormes & funeſtes entaſſemens d’hommes ſont encore un des fléaux de la ſouveraineté, autour de laquelle la cupidité appelle & groſſit ſans interruption la foule des eſclaves, ſous une infinité de fonctions, de dénominations. Ces amas ſurnaturels de populations ſont ſujets à fermentation & à corruption pendant la paix. La guerre vient-elle à leur imprimer un mouvement plus vif, le choc en eſt épouvantable.

Les ſociétés naturelles ſont peu nombreuſes. Elles ſubſiſtent d’elles-mêmes. On n’y attend point la ſurabondance incommode de la population pour la diviſer. Chaque diviſion va ſe placer à des diſtances convenables. Tel fut par-tout l’état primitif des contrées anciennes ; tel celui du nouveau continent.

On y trouva le Bréſil diſtribué en petites nations, les unes cachées dans les forêts, les autres établies dans les plaines ou ſur les bords des rivières ; quelques-unes sédentaires ; un plus grand nombre nomades ; la plupart ſans aucune communication entre elles. Celles qui n’étoient pas continuellement en armes les unes contre les autres, étoient divisées par des haines ou des jalouſies héréditaires. Ici, l’on tiroit ſa ſubſiſtance de la chaſſe & de la pêche ; là, de la culture des champs. Tant de différences dans la manière d’être & de vivre ne pouvoient manquer d’introduire de la variété dans les mœurs & dans les coutumes.

Les Bréſiliens étoient en général de la taille des Européens, mais ils étoient moins robuſtes. Ils avoient auſſi moins de maladies, & vivoient long-tems. Ils ne connoiſſoient aucun vêtement. Les femmes avoient les cheveux extrêmement longs, & les hommes les tenoient courts ; les femmes portoient en braſſelets des os d’une blancheur éclatante que les hommes portoient en collier ; les femmes peignoient leur viſage, au lieu que les hommes peignoient leur corps.

Chaque peuplade de ce vaſte continent avoit ſon idiome particulier, aucun n’avoit des termes pour exprimer des idées abſtraites & univerſelles. Cette pénurie de langage, commune à tous les peuples de l’Amérique, étoit la preuve du peu de progrès qu’y avoit fait l’eſprit humain. La reſſemblance des mots d’une langue avec les autres prouvoit que les trammigrations réciproques de ces ſauvages avoient été fréquentes.

La nourriture des Bréſiliens étoit peu variée. Dans une région privée d’animaux domeſtiques, on vivoit de coquillages ſur les bords de la mer, de pêche près ces rivières, & dans les forêts de chaſſe. Le vuide, que laiſſoient trop ſouvent des reſſources ſi fort incertaines, étoit rempli par le manioc & par quelques autres racines.

Ces peuples aimoient fort la danſe. Leurs chanſons n’étoient qu’une longue tenue, ſans aucune variété de tons. Elles rouloient ordinairement ſur leurs amours ou ſur leurs exploits guerrière. La danſe & le chant ſont deux arts dans l’état policé. Au fond des forêts, ce ſont preſque des ſignes naturels de la concorde, de l’amitié, de la tendreſſe & du plaiſir. Nous apprenons ſous des maîtres à déployer notre voix, à mouvoir nos membres en cadence. Le ſauvage n’a d’autre maître que ſa paſſion, ſon cœur & la nature. Ce qu’il ſent, nous le ſimulons. Auſſi le ſauvage qui chante ou qui danſe eſt-il toujours heureux.

La tranquilité perſonnelle des Bréſiliens n’étoit jamais troublée par les terreurs d’une vie future dont ils n’avoient point d’idée : mais celle de leurs petites ſociétés l’étoit quelquefois par des devins qui avoient ſurpris leur crédulité. De tems en tems, on maſſacroit ces impoſteurs, ce qui arrêtoit un peu l’eſprit de menſonge.

Les notions de dépendance & de ſoumiſſion, qui dérivent ſpécialement parmi nous de la connoiſſance d’un être créateur, n’étoient pas arrivées juſqu’à ces peuples. Cet aveuglement & l’ignorance où ils vivoient de ce qui devoit conſtituer une ſociété raiſonnablement ordonnée, avoient écarté de leurs déſerts tout principe de gouvernement. Jamais ils n’avoient conçu qu’un homme, quel qu’il fut, pût acquérir le droit ou former la prétention de commander à d’autres hommes.

De même que la plupart des peuples ſauvages, les Bréſiliens ne marquoient aucun attachement pour les lieux qui les avoient vus naître. L’amour de la patrie, qui eſt une affection dominante dans les états policés ; qui, dans les bons gouvernemens, va juſqu’au fanatiſme & dans les mauvais paſſe en habitude ; qui conſerve à chaque nation pendant pluſieurs ſiècles, ſon caractère, ſes uſages & ſes goûts : cet amour n’eſt qu’un ſentiment factice qui naît dans la ſociété, mais inconnu dans l’état de nature. Le cours de la vie morale du ſauvage, eſt entièrement opposé à celle de l’homme ſocial.

Celui-ci ne jouit des bienfaits de la nature que dans ſon enfance. À meſure que ſes forces & ſa raiſon ſe développent, il perd de vue le préſent, pour s’occuper tout entier de l’avenir. Ainſi, l’âge des paſſions & des plaiſirs, le tems ſacré que la nature deſtinoit à la jouiſſance, ſe paſſe dans la ſpéculation & dans l’amertume. Le cœur ſe refuſe ce qu’il déſire, ſe reproche ce qu’il s’eſt permis, également tourmenté par l’uſage & la privation des biens qui le flattent. Regrettant ſans ceſſe la liberté qu’il a toujours ſacrifiée, l’homme revient, en ſoupirant, ſur ſes premières années que des objets toujours nouveaux entretenoient d’un ſentiment continuel de curioſité & d’eſpérance. Il ſe rappelle avec attendriſſement le séjour de ſon enfance. Le ſouvenir de ſes innocens plaiſirs embellit, ſans ceſſe, l’image de ſon berceau, & le retient ou le ramène dans ſa patrie : tandis que le ſauvage, qui jouit, à chaque époque de ſa vie, des plaiſirs & des biens qu’elle doit amener & qui ne les ſacrifie pas à l’eſpérance d’une vieilleſſe moins laborieuſe, trouve également dans tous les lieux les objets analogues au déſir qu’il éprouve ; ſent que la ſource de ſon plaiſir eſt en lui-même & que ſa patrie eſt par-tout.

Quoique la tranquilité des Bréſiliens n’eût pour baſe des loix d’aucune eſpèce, rien, dans leurs petites ſociétés, n’étoit ſi rare que des diſſenſions. Si l’ivreſſe ou un malheureux haſard enfantaient une querelle & que quelqu’un y périt, le meurtrier était livré aux parens du mort, qui l’immoloient à leur vengeance ſans délibérer. Les deux familles s’aſſombloient enſuite & ſe réconcilioient dans la joie d’un feſtin bruyant.

Tout Bréſilien s’approprioit autant de femmes qu’il vouloit ou qu’il pouvoit s’en procurer, & les répudioit s’il s’en dégoûtoit. Celles qui manquoient à la foi qu’elles avoient jurée étoient, par une coutume aſſez généralement reçue, punies du dernier ſupplice, & l’on ne rioit point de l’homme qu’elles avoient trompé. Les mères, après leur couche, ne gardoient le lit qu’un jour ou deux ; & portant leur enfant pendu au col dans une écharpe de coton, elles reprenoient leurs occupations ordinaires ſans aucun danger. En général, les ſuites des couches ſont moins fâcheuſes pour les femmes ſauvages que pour les femmes civilisées ; parce que les premières nouriſſent toutes leurs enfans, & que la pareſſe des hommes les condamne à une vie très-laborieuſe qui rend en elles l’écoulement périodique d’autant moins abondant, & les canaux excrétoires de ce ſang ſuperflu d’autant plus étroits. Un long repos, après l’enfantement, loin de leur être néceſſaire, leur deviendroit auſſi funeſte qu’il le ſeroit parmi nous aux femmes du peuple. Cette circonſtance n’eſt pas la ſeule où l’on voit les avantages des conditions diverſes ſe compenſer. Nous ſentons le beſoin de l’exercice. Nous allons chercher la ſanté à la campagne. Nos femmes commencent à mériter le nom de mères, en allaitant elles-mêmes leurs enfans. Ces enfans viennent d’être affranchis des entraves du maillot. Que ſignifient ces utiles & ſages innovations ? Si ce n’eſt que l’homme ne peut s’écarter indiſcrétement des loix de la nature, ſans nuire à ſon bonheur. Dans tous les ſiècles à venir, l’homme ſauvage s’avancera pas à pas vers l’état civilisé. L’homme civilisé reviendra vers ſon état primitif ; d’où le philoſophe conclura qu’il exiſte dans l’intervalle qui les sépare un point où réſide la félicité de l’eſpèce. Mais qui eſt-ce qui fixera ce point ? Et s’il étoit fixé, quelle ſeroit l’autorité capable d’y diriger, d’y arrêter l’homme ?

Les voyageurs étoient reçus au Bréſil avec des égards marqués. Ils ſe voyoient entourés de femmes qui, en leur lavant les pieds, leur prodiguoient les expreſſions les plus obligeantes. On ne négligeoit rien pour les bien traiter : mais c’étoit un outrage impardonnable que de quitter une famille où l’on avoit été accueilli, pour aller chez une autre où l’on pouvoit eſpérer un traitement plus agréable. Cette hoſpitalité eſt un des plus sûrs indices de l’inſtinct & de la deſtination de l’homme pour la ſociabilité.

Née de la commisération naturelle, l’hoſpitalité fut générale dans les premiers tems.

Ce fut preſque l’unique lien des nations ; ce fut le germe des amitiés les plus anciennes, les plus révérées & les plus durables entre des familles séparées par des régions immenſes. Un homme persécuté par ſes concitoyens ou coupable de quelque délit, alloît chercher au loin ou le repos ou l’impunité. Il ſe préſentoit à la porte d’une ville ou d’une bourgade, & il diſoit. « Je ſuis un tel, fils d’un tel, petit-fils d’un tel ; je viens pour telle ou telle raiſon » ; & il arrangeoit ſon hiſtoire ou ſon menſonge de la manière la plus merveilleuſe, la plus pathétique, la plus propre à lui donner de l’importance. On l’écoutoit avec avidité, & il ajoutoit. « Recevez-moi : car ſi vous, ou vos enfans, ou les enfans de vos enfans ſont jamais conduits par le malheur dans mon pays, ils me nommeront, & les miens les recevront ». On s’emparoit de ſa perſonne. Celui auquel il donnoit la préférence s’en tenoit honoré. Il s’établiſſoit dans les foyers de ſon hôte ; il en étoit traité comme un des membres de la famille ; il devenoit quelquefois l’époux, le raviſſeur ou le séducteur de la fille de la maiſon.

C’eſt de ces aventuriers, peut-être, les premiers voyageurs, que ſont iſſus les demi-dieux du paganiſme, fruit du libertinage & de l’hoſpitalité. La plupart durent la naiſſance à des paſſagers à qui l’on avoit accordé le coucher & qu’on ne revit plus.

Qu’il ſoit permis de le dire, il n’y a point d’état plus immoral que celui de voyageur. Le voyageur par état reſſemble au poſſeſſeur d’une habitation immenſe qui, au lieu de s’aſſeoir à côté de ſa femme, au milieu de ſes enfans, emploieroit toute ſa vie à viſiter ſes appartemens. La tyrannie, le crime, l’ambition, la misère, la curioſité, je ne ſais quelle inquiétude d’eſprit, le déſir de connoître & de voir, l’ennui, le dégoût d’un bonheur usé, ont expatrié & expatrieront les hommes dans tous les tems.

Mais dans les ſiècles antérieurs à la civiliſation, au commerce, à l’invention des ſignes repréſentatifs de la richeſſe, lorſque l’intérêt n’avoit point encore préparé d’aſyle au voyageur, l’hoſpitalité y ſuppléa. L’accueil fait à l’étranger fut une dette ſacrée que les deſcendans de l’homme accueilli acquittoient ſouvent après le laps de pluſieurs ſiècles. De retour dans ſon pays, il ſe plaiſoit à raconter les marques de bienveillance qu’il avoit reçues ; & la mémoire s’en perpétuoit dans la famille.

Ces mœurs touchantes ſe ſont affoiblies, à meſure que la communication des peuples s’eſt facilitée. Des hommes induſtrieux, rapaces & vils ont formé de tous côtés des établiſſemens, où l’on deſcend, où l’on ordonne, où l’on diſpoſe des commodités de la vie, comme chez ſoi. Le maître de la maiſon ou l’hôte n’eſt ni votre bienfaiteur, ni votre frère, ni votre ami. C’eſt votre premier domeſtique. L’or que vous lui préſentez vous autoriſe à le traiter comme il vous plaît. C’eſt de votre argent & non de vos égards qu’il ſe ſoucie. Lorſque vous êtes ſorti, il ne ſe ſouvient plus de vous ; & vous ne vous ſouvenez de lui qu’autant que vous en avez été mécontent ou ſatiſfait. La ſainte hoſpitalité, éteinte par-tout où la police & les inſtitutions ſociales ont fait des progrès, ne ſe retrouve plus que chez les nations ſauvages & d’une manière plus marquée au Bréſil que par-tout ailleurs.

Bien éloignés de cette indifférence ou de cette foibleſſe oui nous fait fuir nos morts, qui nous ôte le courage d’en parler, qui nous éloigne des lieux qui pourroient nous en rappeler l’idée, les Bréſiliens regardoient les leurs avec attendriſſement, racontoient leurs exploits avec complaiſance, louoient leurs vertus avec tranſport. On les enterroit debout dans une foſſe ronde. Si c’était un chef de famille, on enſeveliſſoit avec lui ſes plumes, ſes colliers, ſes armes. Lorſqu’une peuplade changeoit de demeure, ce qui arrivoit ſouvent ſans d’autre motif que La fantaiſie de ſe déplacer, chaque famille mettoit des pierres remarquables ſur la foſſe de ſes morts les plus reſpectés. Jamais on n’approchoit de ces monumens de douleur, ſans pouſſer des cris effrayans, aſſez ſemblables à ceux dont on faiſoit retentir les airs quand on alloit combattre.

L’intérêt ni l’ambition ne conduiſoient jamais les Bréſiliens à la guerre. Le déſir de venger leurs proches ou leurs amis, fut toujours le motif de leurs diviſions les plus ſanglantes. Ils avoient pour orateurs, plutôt que pour chefs, des vieillards qui décidoient les hoſtilités, qui donnoient le ſignal du départ, qui, pendant la marche, s’abandonnaient aux expreſſions d’une haine implacable. Quelquefois même on s’arrêtoit pour écouter des harangues emportées qui duroient des heures entières. Elles rendoient vraiſemblables celles qu’on lit dans Homère & dans les hiſtoriens Romains. Alors le bruit de l’artillerie n’étouffoit pas la voix des généraux.

Les combattans étoient armés d’une maſſue de bois d’ébène, qui avoit ſix pieds de long, un de large, & un pouce d’épaiſſeur. Leurs arcs & leurs flèches étoient du même bois. Ils avoient pour inſtrumens de muſique guerrière, des flûtes faites avec les oſſemens de leurs ennemis. Elles valoient bien, pour inſpirer le courage, nos tambours qui étourdiſſent ſur le danger, & nos trompettes qui donnent le ſignal & peut-être la peur de la mort. Leurs généraux étoient les meilleurs ſoldats des guerres précédentes.

Les premières attaques ne ſe faiſoient jamais à découvert. Chaque armée cherchoit à ſe ménager les avantages d’une ſurpriſe. Rarement combattoit-on de pied ferme. L’ambition ſe réduiſoit à faire des priſonniers. Ils étoient égorgés & mangés avec appareil. Durant le feſtin, les anciens exhorſoient les jeunes gens à devenir guerrière intrépides, pour ſe régaler ſouvent d’un mets ſi honorable. Cet attrait pour la chair humaine ne faiſoit jamais dévorer ceux des ennemis qui avoient péri dans l’action. Les Bréſiliens ſe bornoient à ceux qui étaient tombés vifs dans leurs mains.

Le ſort des priſonniers de guerre a ſuivi les différens âges de la raiſon. Les nations les plus policées les rançonnent, les échangent ou les reſtituent, lorſque la paix a ſuccédé aux hoſtilités. Les peuples, à demi-barbares, ſe les approprient & les réduiſent en eſclavage. Les ſauvages ordinaires les maſſacrent, ſans les tourmenter. Les plus ſauvages des hommes les tourmentent, les égorgent & les mangent. C’eſt leur exécrable droit des gens.

Cette antropophagie a long-tems paſſé pour une chimère dans l’eſprit de quelques ſceptiques. Ils ne pouvoient ſe perſuader que le beſoin eût réduit aucune nation à la cruelle néceſſité de ſe repaître des entrailles de l’homme ; & ils croyoient encore moins qu’on ſe fût porté à cette atrocité ſans y être forcé par une privation abſolue de tous les ſoutiens de la vie. Depuis que des faits plus multipliés, des témoignages plus impoſans, des relations plus authentiques ont diſſipé les doutes des plus incrédules, on a vu des philoſophes qui cherchoient à juſtifier cette pratique de pluſieurs peuples ſauvages. Ils ont continué à s’élever avec force contre la barbarie des ſouverains qui, par un caprice, envoyoient leurs malheureux ſujets aux boucheries de la guerre : mais ils ont pensé qu’il étoit indifférent qu’un cadavre fut dévoré par un homme ou par un vautour.

Peut-être, en effet, cet uſage n’a-t-il en lui-même rien de criminel, rien qui répugne à la morale : mais combien les conséquences n’en ſeroient-elles pas pernicieuſes ? Quand vous aurez autorisé l’homme à manger la chair de l’homme, ſi ſon palais y trouve de la faveur, il ne vous reſtera plus qu’à rendre la vapeur du ſang agréable à l’odorat des tyrans. Imaginez alors ces deux phénomènes communs ſur la ſurface du globe ; & arrêtez vos regards ſur l’eſpèce humaine, ſi vous pouvez en ſupporter le ſpectacle.

Au Bréſil, les têtes des ennemis, maſſacrés dans le combat ou immolés après l’action, étoient conſervées très-précieuſement. On les montroit avec oſtentation, comme des monumens de valeur & de victoire. Les héros de ces nations féroces portoient leurs exploits gravés, ſur leurs membres par des inciſions qui les honoroient. Plus ils étoient défigurés, & plus leur gloire étoit grande.