Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre VI/Chapitre 16

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XVI. De la culture de la vanille.

La vanille eſt une plante qui, comme le lierre, s’accroche aux arbres qu’elle rencontre, les couvre preſqu’entiérement & s’élève par leur ſecours. Sa tige, de la groſſeur du petit doigt, eſt verdâtre, charnue, preſque cylindrique, noueuſe par intervalle, & ſarmenteuſe comme celle de la vigne. Chaque nœud eſt garni d’une feuille alterne, aſſez épaiſſe, de forme ovale, longue de huit pouces & large de trois. Il pouſſe auſſi des racines qui pénétrant l’écorce des arbres en tirent une nourriture ſuffiſante pour ſoutenir quelque tems la plante en vigueur, lorſque par accident le bas de la tige eſt endommagé ou même séparé de la racine principale. Cette tige, parvenue à une certaine hauteur, ſe ramifie, s’étend ſur les côtés & ſe couvre de bouquets de fleurs aſſez grandes, blanches en-dedans, verdâtres en-dehors. Cinq des diviſions de leur calice ſont longues, étroites & ondulées. La ſixième, plus intérieure, préſente la forme d’un cornet. Le piſtil qu’elles couronnent ſupporte une ſeule étamine. Il devient, en mûriſſant, un fruit charnu, composé comme une gouſſe de ſept à huit pouces de longueur, qui s’ouvre en trois valves chargées de menues ſemences.

Cette plante croît naturellement dans les terreins incultes, toujours humides, ſouvent inondés & couverts de grands arbres ; d’où l’on peut inférer que ces terreins ſont les plus propres à ſa culture. Pour la multiplier, il ſuffit de piquer au pied des arbres quelques rameaux ou ſarmens qui prennent racine & s’élèvent en peu de tems. Quelques cultivateurs, pour préſerver leurs plants de la pourriture, préfèrent de les attacher aux arbres même à un pied de terre. Ces plants ne tardent pas à pouſſer des filets qui, deſcendant en ligne droite, vont s’enfoncer dans la terre & y former des racines.

La récolte des gouſſes commence vers la fin de ſeptembre, & dure environ trois mois. L’aromate qui leur eſt particulier ne s’acquiert que par la préparation. Elle conſiſte à enfiler pluſieurs gouſſes, à les tremper un moment dans une chaudière d’eau bouillante pour les blanchir. On les ſuſpend enſuite dans un lieu exposé à l’air libre & aux rayons du ſoleil. Il découle alors de leur extrémité une liqueur viſqueuſe, ſurabondante, dont on facilite la ſortie par une preſſion légère, réitérée deux ou trois fois le jour. Pour retarder la deſſiccation qui doit ſe faire lentement, on les enduit à pluſieurs repriſes d’huile, qui conſerve leur molleſſe & les préſerve des inſectes. On les entoure auſſi d’un fil de coton pour empêcher qu’elles ne s’ouvrent. Lorſqu’elles ſont ſuffiſamment deſſéchées, on les paſſe dans des mains ointes d’huile, & on les met dans un pot verniſſé pour les conſerver fraîchement.

Voilà tout ce qu’on fait ſur la vanille particulièrement deſtinée à parfumer le chocolat dont l’uſage a paſſé des Mexicains aux Eſpagnols, & des Eſpagnols aux autres peuples ; & encore ces notions, tout-à-fait modernes, ſont-elles dues à un naturaliſte François. Il n’eſt pas poſſible que malgré l’indifférence qu’ils ont montrée juſqu’ici pour l’hiſtoire de la nature, les maîtres de cette partie du Nouveau-Monde n’aient des connoiſſances plus approfondies. S’ils ne les ont pas communiquées, c’eſt ſans doute qu’ils ont voulu ſe réſerver excluſivement cette production quoiqu’il n’en vienne annuellement en Europe que cinquante quintaux & qu’elle n’y ſoit pas vendue au-deſſus de 431 568 livres. Le tems de la révélation des lumières arrivera un jour, & alors la vanille ſera auſſi généralement connue que l’eſt maintenant l’indigo.