Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre VIII/Chapitre 20

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XX. Les créoles.

C’eſt ainſi qu’on appelle ceux qui ſont iſſus du ſang Eſpagnol dans le nouvel hémiſphère. Pluſieurs deſcendent des premiers conquérans ou de ceux qui les ſuivirent, d’autres ont eu d’illuſtres ancêtres. La plupart ont acheté ou obtenu des titres diſtingués : mais peu d’entre eux ont manié les grands reſſorts du gouvernement. Soit que la cour les crût incapables d’application, ſoit qu’elle craignit qu’ils ne préférâſſent les intérêts de leur pays à ceux de la métropole, elle les éloigna de bonne heure des places de confiance & s’écarta rarement de ce ſyſtème bien ou mal conçu. Ce mépris ou cette défiance les découragèrent. Ils achevèrent de perdre dans les vices qui naiſſent de l’oiſiveté, de la chaleur du climat, de l’abondance de toutes choſes, cette élévation dont il leur avoit été laiſſé de ſi grands exemples. Un luxe barbare, des plaiſirs honteux, une ſuperſtition ſtupide, des intrigues romaneſques, achevèrent la dégradation de leur caractère. Une porte reſtoit ouverte à l’ambition de ces colons proſcrits, en quelque ſorte, ſur leur terre natale. La cour, les armées, les tribunaux, l’égliſe ſont en Eſpagne des carrières plus ou moins brillantes qu’il leur eſt libre de parcourir. Il n’y en eſt cependant entré qu’un très-petit nombre, ou parce que leur âme eſt entièrement flétrie, ou parce que les diſtances en rendent l’accès trop difficile. Quelques-uns, d’une naiſſance moins diſtinguée, ont tourné, dans l’Amérique même, leur activité, leur intelligence vers les grandes opérations du commerce ; & ceux-là ont été les plus ſages & les plus utiles.