Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre VIII/Chapitre 27

La bibliothèque libre.

XXVII. Réglemens faits à diverſes époques, pour l’Exploitation des mines.

Dans les premiers tems de la conquête, il fut décidé que les mines appartiendroient à celui qui les découvriroit, pourvu qu’il les fît enregiſtrer au tribunal le plus voiſin. Le gouvernement eut d’abord l’imprudence de faire fouiller pour ſon compte la portion de ce riche terrein qu’il s’étoit réſervé : mais il ne tarda pas à revenir d’une erreur ſi ruineuſe, & il contracta l’habitude de la céder au maître du reſte pour une ſomme infiniment modique. Si, ce qui n’arriva preſque jamais, ces tréſors ſe trouvoient dans des campagnes, cultivées, l’entrepreneur devoit acheter l’eſpace dont il avoit beſoin ou donner le centième des métaux. Sur d’arides montagnes, le propriétaire étoit plus que ſuffiſamment dédommagé du très-petit tort qu’on lui faiſoit, par la valeur qu’une activité nouvelle donnent aux productions récoltées dans le voiſinage.

De toute antiquité les mines, de quelque nature qu’elles fuſſent, livroient au fiſc, en Eſpagne, le cinquième de leur produit. Cet uſage fut porté au Nouveau-Monde : mais avec le tems, le gouvernement fut obligé de ſe réduire au dixième pour l’or, & même en 1735 pour l’argent au Pérou. Il lui fallut auſſi baiſſer généralement le prix du mercure. Juſqu’en 1761, cet agent néceſſaire avoit été vendu 432 livres le quintal. À cette époque, il ne coûta plus que 324 livres ou même 216 livres pour les mines peu abondantes ou d’une exploitation trop diſpendieuſe.

Tout porte à penſer que la cour d’Eſpagne ſera obligée, un peu plutôt, un peu plus tard, à de nouveaux ſacrifices. À meſure que les métaux ſe multiplient dans le commerce, ils ont moins de valeur, ils repréſentent moins de marchandiſes. Cet aviliſſement doit faire un jour négliger les meilleures mines comme il a fait abandonner ſucceſſivement les médiocres, à moins qu’on n’allège encore le fardeau de ceux qui les exploitent. Le tems n’eſt peut-être pas éloigné où il faudra que le miniſtère Eſpagnol ſe contente des deux réaux ou 1 l. 7 s. qu’il perçoit par marc pour la marque ou pour la fabrication.

Ce qui pourroit donner un grand poids à ces conjectures, c’eſt qu’il n’y a plus guère que des hommes dont les affaires ſont douteuſes ou délabrées qui entrent dans la carrière des mines. S’il arrive quelquefois qu’une avidité ſans bornes y pouſſe un riche négociant, c’eſt toujours ſous le voile d’un myſtère impénétrable. Ce hardi ſpéculateur peut bien conſentir à expoſer ſa fortune, mais jamais ſon nom. Il n’ignore pas que ſi ſes engagemens étoient connus, ſa réputation & ſon crédit ſeroient perdus ſans reſſource. Ce n’eſt que lorſque le ſuccès le plus éclatant a couronné ſa témérité, qu’il oſe avouer les riſques qu’il avoit courus.