Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XIII/Chapitre 15

La bibliothèque libre.

XV. Quelle opinion faut-il avoir de Sainte-Lucie ?

C’eut été un préſent funeſte, ſi le préjugé établi contre Sainte-Lucie, avoit eu quelque fondement. La nature, diſoit-on, lui avoit refusé tout ce qui peut conſtituer une colonie de quelque importance. Dans l’opinion publique, ſon terroir inégal n’étoit qu’un tuf aride & pierreux qui ne paieroit jamais les dépenſes qu’on feroit pour le défricher. L’intempérie de ſon climat devoit dévorer tous les audacieux que l’avidité de s’enrichir ou le déſeſpoir y feroient paſſer. Ces idées étoient généralement reçues.

Dans la vérité, le ſol de Sainte-Lucie n’eſt pas mauvais ſur les bords de la mer, & il devient meilleur à meſure qu’on avance dans les terres. Tout peut être défriché, à l’exception de quelques montagnes hautes & eſcarpées, ſur leſquelles on remarque aisément des traces d’anciens volcans. Il reſte encore dans une profonde vallée huit ou dix excavations de quelques pieds de diamètre où l’eau bout de la manière la plus effrayante. On ne trouve pas, à la vérité, dans l’iſle, de grandes plaines, mais beaucoup de petites où le ſucre peut être heureuſement cultivé. La forme étroite & allongée de cette poſſeſſion en rendra le tranſport aisé, dans quelques lieux que les cannes ſoient plantées.

L’air, dans l’intérieur de Sainte-Lucie, n’eſt que ce qu’il étoit dans les autres iſles, avant qu’on les eût habitées : d’abord impur & mal-ſain ; mais à meſure que les bois ſont abattus, que la terre ſe découvre, il devient moins dangereux. Celui qu’on reſpire ſur une partie des côtes eſt plus meurtrier. Sous le vent, elles reçoivent quelques foibles rivières qui, partant des pieds des montagnes, n’ont pas aſſez de pente pour entraîner les ſables dont le flux de l’océan embarraſſe leur embouchure. Cette barrière inſurmontable fait qu’elles forment au milieu des terres des marais infects. Une raiſon ſi ſenſible avoit ſuffi pour éloigner de ces cantons le peu de Caraïbes qu’on trouva dans l’iſle, en y abordant la première fois. Les François pouſſés dans le Nouveau-Monde par une paſſion plus violente que l’amour de la conſervation, ont été moins difficiles que des ſauvages. C’eſt dans cette étendue qu’ils ont principalement établi leurs cultures. Pluſieurs ont été punis de leur aveugle avidité. D’autres le ſeront un jour, à moins qu’ils ne conſtruiſent des digues, qu’ils ne creuſent des canaux pour procurer aux eaux de l’écoulement. Le gouvernement en a déjà donné l’exemple dans le port principal de l’iſle ; quelques citoyens l’ont ſuivi, & il eſt à croire, qu’avec le tems, une pratique ſi utile deviendra générale.