Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XIII/Chapitre 33

La bibliothèque libre.

XXXIII. Courte deſcription de l’iſle de S. Domingue.

Cette iſle a cent ſoixante lieues de long. Sa largeur moyenne eſt à-peu-près de trente, & ſon retrait de trois cens cinquante ou de ſix cens, en faiſant le tour des Anſes. Elle eſt coupée dans toute ſa longueur, qui va de l’eſt à l’oueſt, par une chaîne de montagnes d’où l’on tiroit de l’or, avant que le continent de l’Amérique eût offert des mines infiniment plus riches.

Le navigateur qui approche de la partie Eſpagnole n’aperçoit qu’un amas informe de terres entaſſées, couvertes d’arbres & découpées vers la mer par des baies ou des promontoires : mais il eſt dédommagé de cette vue peu riante par le parfum des fleurs d’acacia, d’oranger ou de citronnier que les vents de terre lui portent ſoir & matin du fond des bois.

La côte Françoiſe, quoique cultivée n’offre pas un aſpect beaucoup plus riant. C’eſt toujours un horizon ſemblable ; ce ſont par-tout les mêmes accidens, les mêmes cultures, les mêmes couleurs, les mêmes bâtimens. L’œil fatigué ne peut ſe repoſer en aucun endroit, ſans retrouver ce qu’il quitte, ſans revoir ce qu’il a vu. Il n’y a que la partie du nord, remplie de riches plantations, depuis l’océan juſqu’à la cime des collines, qui offre une perſpective digne de quelque attention. Ce payſage eſt unique dans l’iſle, ſans être comparable à ceux de l’Europe où la nature & l’art ſont bien plus féconds en beautés touchantes.

Les chaleurs ſont toujours vives dans la plaine. Quoique la température des vallons dépende, en partie, de leur ouverture à l’eſt ou à l’oueſt, on peut dire en général que l’air, humide & frais avant & après le coucher du ſoleil, y eſt embrâsé dans la journée. La différence du climat n’eſt véritablement ſenſible que ſur les montagnes. Le thermomètre y eſt à dix-ſept degrés à l’ombre, lorſqu’à la même expoſition, il eſt à vingt-cinq dans la plaine.