Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XIV/Chapitre 44

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XLIV. Obftacles qui ſe ſont opposés à la proſpérité des iſles neutres.

La Grande-Bretagne ſe promettoit beaucoup des meſures qu’elle avoit priſes pour la proſpérité de ſes conquêtes. Le ſuccès n’a pas répondu à ſon attente, & les cauſes de cet étrange mécompte ſont connues.

À peine les traités eurent aſſuré les trois iſles neutres à l’Angleterre, que la fureur d’y avoir des établiſſemens devint univerſelle. Cette manie épidémique donna un prix extravagant aux terres que le gouvernement faiſoit vendre. Comme la plupart des acquéreurs n’avoient que leur hardieſſe pour toute fortune, le crédit devint leur reſſource unique. Ils en trouvèrent à Londres & dans quelques autres places de commerce, dont les négocians égarés par la même illuſion, puiſoient dans les banques des ſommes conſidérables à un intérêt modique, pour les confier à un intérêt plus fort à ces ſpéculateurs entreprenans.

Les nouveaux propriétaires, qui, la plupart, s’étoient fait adjuger un ſol, ſans prendre la peine de le reconnoître, portèrent la même légèreté dans la formation de leurs plantations. Les côtes & l’intérieur des iſles acquiſes ſe trouvèrent tout-à-coup couverts de maîtres & d’eſclaves, également inexpérimentés dans l’art difficile & pénible des défrichemens. Ce furent des fautes ſur des fautes, des malheurs ſur des malheurs. Le déſordre étoit extrême. Il ne tarda pas à éclater.

Le colon avoit fait ſes emprunts à huit pour cent, en 1766 ou vers cette époque. Il devoit rembourſer cinq ans après. L’impoſſibilité où il ſe trouva de remplir ſes engagemens alarma ſes créanciers d’Europe.

Fruſtrés des remiſes auxquelles ils s’étoient attendus, ces prêteurs avides ouvrirent enfin les yeux. Plus leur confiance avoit été crédule, plus leur inquiétude devint active.

Armés du glaive de la loi, ils expulsèrent des plantations les infortunés qu’un eſpoir téméraire avoit malheureuſement séduits. Ainſi ſe termina le beau rêve des nouvelles colonies Angloiſes.

Mais cette grande agitation doit avoir des ſuites favorables. Les défrichemens, entrepris par des hommes ſortis du néant & qui y ſont rentrés, ſeront pour la nation le réſultat avantageux d’une fermentation irrégulière & déſordonnée. Un ſol, qui languiſſoit dans les mains des premiers poſſeſſeurs, ſera cultivé avec de plus grands moyens, avec plus d’intelligence & d’économie. En attendant ce nouvel effort d’induſtrie & d’activité, réſumons les poſſeſſions Angloiſes dans l’archipel Américain. Pour une puiſſance maritime & commerçante, évaluer ſes colonies, c’eſt apprécier ſes forces.