Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XVII/Chapitre 26

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XXVI. Le roi Guillaume donne un gouvernement à la colonie. Événemens poſtérieurs à ce nouvel ordre de choſes.

Ce chef, envoyé par le roi Guillaume, convoqua les membres de l’état le 9 avril 1691. Cette aſſemblée annula tout ce qui avoit été ſtatué juſqu’alors de contraire à la conſtitution Britannique. Elle arrêta des loix qui n’ont pas ceſſé de ſervir de règle. Depuis cette époque, le pouvoir exécutif appartint au gouverneur nommé par la couronne. Elle lui donna douze conſeillers, ſans le conſentement deſquels il ne pouvoit ſigner aucun acte. Trente députés choiſis par les habitans repréſentoient les communes. Tous les pouvoirs étoient concentrés dans l’aſſemblée composée de ces différens membres. Au commencement, ſa durée fut illimitée. On la fixa depuis à trois ans. Elle s’étendit depuis à ſept, comme celle du parlement d’Angleterre, dont elle ſuivoit les révolutions.

Il étoit tems qu’un ordre invariable s’établit dans la colonie. Elle avoit à ſoutenir contre les François du Canada une guerre vive & opiniâtre, que le détrônement de Jacques II avoit allumée. Ces hoſtilités, terminées à Riſwick, recommencèrent pour la ſucceſſion d’Eſpagne. Les provinces voiſines de la Nouvelle-York prirent quelque part à ces diviſions : mais ce fut elle qui reçut ou porta les plus grands coups, qui ſoudoya les troupes, qui fut entraînée dans des dépenſes plus conſidérables.

Malheureuſement les contributions des citoyens ordonnées par l’aſſemblée générale étoient versées dans une caiſſe dont la diſpoſition abſolue appartenoit au gouverneur, il arrivoit ſouvent que des chefs avides ou diſſipateurs détournoient pour leur uſage les fonds deſtinés au ſervice public. C’étoit une ſource perpétuelle de diſſenſion. La reine Anne régla, en 1705, que la même autorité qui auroit déterminé les impoſitions en preſcriroit l’uſage, & pourroit ſe faire rendre compte de l’emploi qui en auroit été fait.

Les malverſations furent arrêtées par cet arrangement ; & cependant les tributs que payoit la province ne ſuffiſoient pas aux dépenſes qu’exigeoit la continuation de la guerre. L’embarras où l’on ſe trouvoit fit imaginer pour la première fois, en 1709, de créer des billets de crédit, qui furent beaucoup plus multipliés dans la ſuite que ne l’exigeoient les beſoins, que ne le permettoient les intérêts de la colonie.

Chargé, en 1720, de la conduire, Burnet, fils du fameux évêque de ce nom, qui avoit ſi fort contribuée placer le prince d’Orange ſur le trône, Burnet ne réuſſit pas à faire ceſſer ce déſordre : mais il forma un autre plan pour la proſpérité de ſon gouvernement. Les François du Canada avoient beſoin, pour leurs échanges avec les ſauvages, de pluſieurs marchandiſes que leur métropole ne leur fourniſſoit pas. Ils les tiroient de la Nouvelle-York. L’aſſemblée générale de cette province proſcrivit, par les conſeils de ſon chef, cette communication. Mais comme ce n’étoit pas aſſez d’avoir mis de l’embarras dans les opérations d’un rival actif, on réſolut de ſe mettre à ſa place.

Une grande partie des fourrures qui étoient portées à Montréal paſſoient ſur les rives occidentales du lac Ontario. Burnet obtint, en 1722, des Iroquois, la permiſſion d’y bâtir le fort d’Oſwego, où ces ſauvages richeſſes pouvoient être aisément interceptées. Dès que cet établiſſement fut formé, les marchands d’Albani envoyèrent leurs marchandiſes à Chenectady, où elles étoient embarquées ſur la Mohawts, qui les conduiſoit à Oſwego. La navigation de cette rivière eſt très-difficile ; & cependant les Anglois eurent des ſuccès qui ſurpaſſèrent leurs eſpérances. Ces échanges devoient même augmenter, s’ils n’avoient été traversés de toutes les manières.

Les François conſtruiſirent, en 1726, à Niagara un fort où s’arrêtoient les fourrures qui, ſans cet établiſſement, auroient été portées à Oſwego. Les marchandiſes Angloiſes qu’ils ne pouvoient plus recevoir ouvertement, leur furent livrées en fraude juſqu’à l’année 1729, époque remarquable où des intérêts particuliers firent révoquer la loi qui interdiſoit ce commerce. Enfin l’Angleterre chargea les pelleteries de plus forts droits qu’elles n’en payoient en France.

Pendant que ces entraves multipliées diminuoient les liaiſons qu’on avoit eſpéré d’entretenir avec les ſauvages, les cultures étoient pouſſées avec beaucoup de vivacité & de ſuccès dans toute l’étendue de la province. Elles avoient, il eſt vrai, langui quelque-tems dans les comtés où Jacques II avoit accordé des terreins immenſes à quelques hommes trop favorisés : mais, à la fin, ces comtés s’étoient peuplés comme les autres. Malheureuſement la plupart des habitans n’occupoient, comme en Écoſſe, que des terres amovibles à la volonté du ſeigneur ; & plus malheureuſement encore cette dépendance donnoit aux grands propriétaires une influence dangereuſe dans les réſolutions publiques.

Ce vice dans le gouvernement ſe fit ſinguliérement ſentir dans les deux guerres deſtructives qu’on eut à ſoutenir en 1744 & en 1756 contre les François. La colonie éprouva, durant ces cruelles animoſités, des maux dont elle auroit au moins évité une partie, ſi les efforts pour repouſſer ces hommes entreprenans & leurs féroces alliés euſſent été concertés à tems & mieux combinés. Il falloit que le Canada devînt, à la paix de 1763, une poſſeſſion Britannique, pour que la Nouvelle-York ſe livrât ſans intervalle, ſans embarras & ſans inquiétude à l’extenſion de ſon commerce avec les ſauvages, au défrichement de ſes plantations.