Illyrine/3/Lettre 106

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(3p. 15-17).



LETTRE CVI.

Lise à Julie.


Sitôt ta lettre reçue, je te réponds. Si je te conseille d’aller à S… ; certes, oui ; il est d’absolue nécessité que tu t’y transportes. Tiens, moi je suis toujours l’apôtre de ton mari ; puis, je n’aime pas non plus que ton amant t’ait gardé dans sa chambre ; c’est trop de gaieté de cœur te compromettre ; s’il t’aime, il doit avoir de la confiance en toi ; il devait te donner un logement décent : toi, tu vois tout cela de sa part comme amour ; mais moi qui ne suis point cause intéressée dans tout cela, je ne vois de sa part qu’un intérêt ; car n’eût-il que deux petites chambres, tu devrais être chez toi, et lui chez lui : vous devez avoir chacun votre entrée.

Tiens, Lili, je n’aime pas cela : tu gâtes cet homme-là : tu économise sa bourse, je parierais même, jusqu’aux dépens de la tienne, je te connais ! Eh bien ! tu verras que tout-à coup il fera de folles dépenses pour un minois qui lui aura tourné la tête.

Les hommes, mon amie, sont de si drôles d’animaux ! souvent ils n’apprécient une femme que par ce qu’elle leur coûte : par exemple, je parierais que la petite P… lui a déjà plus coûté que toi depuis trois ans qu’il te fait courir le monde ; qu’il te compromet ; et ne te flattes pas, mon amie ; un homme qui manque de délicatesse vis-à-vis d’une femme, peut en manquer pour toutes ; tu sauras quel genre de séduction il a employé avec elle ; il paraît qu’il lui a parlé de toi ; serait-ce avant ou après sa possession ? Si c’est avant, méfies-toi bien de cette femme ; si c’est après, méfies-toi de ton amant. Mais ta madame P… me paraît bien délurée pour une habitante de la F. M… (je connais cette petite ville) : déjà un autre amant ! Mais comment la F. M… peut-elle avoir fourni un consolateur tout près ? Je suis curieuse de le savoir ; ta madame P…. a l’air piquante.

Mais revenons à mon protégé de Séchelles, tu l’as vu, il a agité tes sens ; c’est bien heureux que tu ayes bien voulu, un instant, les détourner de dessus ton idole, pour les porter sur le plus bel être ; tiens, je voudrais, pour t’apprendre, qu’il ne t’aimât plus. Oui, Ste.-Amaranthe est sa maîtresse par excellence ; c’est elle qui est sa sultane favorite, mais son sérail est nombreux ! Lili, quand donc en feras-tu partie ? c’est pour le bien que je te veux que je fais ce souhait ! adieu, Lili ; j’ignore encore quand je retournerai à Paris. Je suis toujours l’heureuse madame de W…


Ta Lise.