Illyrine/3/Lettre 115

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(3p. 51-52).



LETTRE CXV.

Adèle à Séchelles.


À vingt lieues de vous comme à deux pas, je n’ai point d’expression pour vous rendre tout le plaisir que m’a fait votre épître. Oui, je suis Adèle ; que ce nom est précieux à mon cœur ! qu’il prend d’harmonie prononcé par le plus divin organe ! qu’il me tarde de l’entendre sortir de ta bouche !

Quand serait-ce la quatrième fois que nous nous verrons ? Heureusement cesserait de l’être s’il continuait,… Mais je m’échappe à mon tour ! Hélas ! tu es à vingt-deux lieues de moi ! Mon amant est en mission, je n’ai point encore eu de ses nouvelles ; ainsi le peintre a le tems de perfectionner le portrait ; c’est moi-même qui reporterai celui de mon ami ; car je suis si malheureuse ici, que je n’y puis rester. Mes amours avec Q…te m’ont mis à dos toute ma famille et celle de mon mari ; je n’ai encore fait qu’une sottise en ma vie ; mais peut être en ferai-je encore beaucoup d’autres, et ce sera la faute de tous les miens. Il faut être tolérant à propos….

J’ai donc la place d’honneur dans vos pensées ? Cette idée fait évaporer tous mes chagrins. Mon ami, le difficile n’est pas de faire une conquête, mais vous conserver, vous qui avez pour maîtresse un ange d’esprit et de beauté, une créature céleste ; en un mot, Ste Amaranthe ; puis-je jamais espérer de vous, plus que quelques caprices ? et le cœur d’Adèle pourait il s’en contenter ? mon ami, j’ai le malheur d’avoir du penchant à la jalousie !…

Comment ? vous avez fait lecture des délires de mon imagination à l’assemblée ? si ma lettre a été applaudie, je ne le dois qu’à l’onction de votre charmant organe. Peut-on l’entendre, et ne pas être séduit ?

Adieu, Séchelles, adieu, mon ange : je suis à jamais.

Adèle.