Impressions d’Afrique/Chapitre XVII

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A. Lemerre (p. 389-393).

XVII


De tous les fils de l’empereur, Rhéjed, âgé de douze ans, était le plus espiègle et le plus turbulent.

Il passait ses journées à inventer mille jeux bizarres, souvent assez extravagants pour mettre sa vie en danger.

Le Béhuliphruen, théâtre habituel de ses exploits, lui fournissait mainte occasion de satisfaire ses fougueux penchants.

Tantôt l’agile négrillon escaladait un arbre immense pour recueillir des nids dans les branches les plus élevées ; tantôt, à coups de pierres, il donnait la chasse aux oiseaux ou aux quadrupèdes, qu’il savait prendre aussi à l’aide de pièges fort ingénieux.

Un jour, au moment de déboucher dans une étroite clairière, Rhéjed aperçut un rongeur au pelage roux, qui semblait humer le vent comme pour choisir sa route.

L’enfant tenait à la main une forte gaule récemment prise à un buisson. D’un coup de cette arme primitive il assomma le rongeur, qui tomba sur le flanc au milieu de l’espace découvert.

En s’approchant, Rhéjed remarqua une bave abondante qui s’échappait de la gueule du cadavre en exhalant une odeur spéciale prodigieusement forte ; écœuré par ce spectacle, il traversa la clairière et continua son chemin.

Soudain, entendant un violent bruit d’ailes, il vit, en se retournant, un formidable oiseau de proie à longues pattes d’échassier, qui, après quelques tournoiements concentriques, s’abattit brusquement auprès du rongeur.

Rhéjed revint sur ses pas avec l’arrière-pensée de tuer le volatile, qui attaquait déjà le cadavre à coups de bec.

Voulant viser avec justesse la tête particulièrement vulnérable, il s’approcha doucement de face pendant que l’oiseau baissait le cou.

L’enfant, tout surpris, distingua au-dessus du bec deux ouvertures olfactives, qui, sans doute frappées à distance par la senteur de la bave étrange, avaient prévenu puis conduit l’oiseau impatient de goûter au festin promis.

Toujours armé de sa gaule, Rhéjed prit son élan et atteignit en plein occiput le volatile, qui s’affaissa sans un cri.

Mais, en cherchant à examiner de plus près sa nouvelle victime, l’enfant se sentit retenu au sol par un aimant invincible.

Son pied droit reposait sur une lourde pierre plate recouverte par la bave du rongeur.

Cette substance, à demi sèche déjà, formait une glu irrésistiblement puissante, et Rhéjed ne put dégager son pied nu qu’au prix de violents efforts générateurs d’écorchures profondes et cruelles.

Craignant de s’empêtrer de nouveau, l’espiègle, une fois libre, ne songea qu’à s’éloigner vivement du dangereux endroit.

Au bout d’un moment, quelques lointains frémissements d’ailes lui firent tourner la tête, et il aperçut dans les airs un second volateur de même race, qui, averti par la senteur toujours plus pénétrante, s’élançait rapidement vers la curée tentatrice.

Rhéjed conçut alors un plan hardi, basé à la fois sur les propriétés adhérentes de l’étonnante bave et sur le trouble évident que l’odeur exhalée par elle semblait porter dans le clan de certains volatiles à puissante envergure.

Différentes herbes, fraîchement foulées, lui indiquèrent le dernier chemin tracé par le rongeur.

En un point de cette passée, susceptible d’être suivie avant peu par des animaux d’espèce identique, Rhéjed creusa une petite fosse que de légers branchages dissimulèrent complètement.

Le lendemain, enchanté de la réussite de son piège, l’enfant retira de l’étroite excavation, pour le rapporter vivant dans sa case, un rongeur à toison rousse tout pareil au premier.

Obéissant à un sentiment d’émulation suscité par les projets de Fogar, l’aventureux Rhéjed voulait corser le gala en se faisant enlever dans les airs par un des oiseaux à narines répandus dans le Béhuliphruen.

Le rongeur, tué au dernier moment, fournirait une bave abondante qui, attirant par ses émanations le volateur requis, servirait ensuite au rapide agencement de quelque ingénieux attelage aérien.

Cette dernière condition nécessitait l’emploi d’un objet plat, propre à recueillir la glu animale, qui, simplement épanchée sur le sol, fût demeurée inutilisable.

Rhéjed, en explorant les débris du Lyncée, découvrit un léger battant d’armoire fort bien adapté à ses vues.

L’enfant n’exposa qu’en partie son projet, gardant pour lui, par crainte de l’immanquable veto paternel, tout ce qui se rapportait à son voyage dans l’azur.