Introduction à la psychanalyse/III/20

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Chapitre XX
LA VIE SEXUELLE DE L’HOMME


On pourrait croire que tout le monde s’accorde sur le sens qu’il faut attacher au mot « sexuel ». Avant tout, le sexuel n’est-il pas l’indécent, ce dont il ne faut pas parler ? Je me suis laissé raconter que les élèves d’un célèbre psychiatre, voulant convaincre leur maître que les symptômes des hystériques ont le plus souvent un caractère sexuel, l’ont amené devant le lit d’une hystérique dont les crises simulaient incontestablement le travail de l’accouchement. Ce que voyant, le professeur dit avec dédain : « L’accouchement n’a rien d’un acte sexuel. » Sans doute, un accouchement n’est pas toujours et nécessairement un acte indécent.

Vous me blâmez sans doute de plaisanter à propos de choses aussi sérieuses. Mais ce que je vous dis là est loin d’être une plaisanterie. C’est que le contenu de la notion de « sexuel » ne se laisse pas définir facilement. On pourrait dire que tout ce qui se rattache aux différences séparant les sexes est sexuel, mais ce serait là une définition aussi vague que vaste. En tenant principalement compte de l’acte sexuel lui-même, vous pourriez dire qu’est sexuel tout ce qui se rapporte à l’intention de se procurer une jouissance à l’aide du corps, et plus particulièrement des organes génitaux, du sexe opposé, bref tout ce qui se rapporte au désir de l’accouplement et de l’accomplissement de l’acte sexuel. Par cette définition, vous vous rapprocheriez de ceux qui identifient le sexuel avec l’indécent et vous auriez raison de dire que l’accouchement n’a rien de sexuel. Mais en faisant de la procréation le noyau de la sexualité, vous courez le risque d’exclure de votre définition une foule d’actes qui, tels que la masturbation ou même le baiser, sans avoir la procréation pour but, n’en sont pas moins de nature sexuelle. Mais nous savons déjà que tous les essais de définition font naître des difficultés ; n’espérons donc pas qu’il en sera autrement dans le cas qui nous occupe. Nous pouvons soupçonner qu’au cours du développement de la notion de « sexuel », il s’est produit quelque chose qui, selon l’excellente expression de H. Silberer, a eu pour conséquence une « erreur par dissimulation ». Tout bien considéré, nous ne sommes cependant pas privés de toute orientation quant à ce que les hommes appellent « sexuel ».

Une définition tenant compte à la fois de l’opposition des sexes, de la jouissance sexuelle, de la fonction de la procréation et du caractère indécent d’une série d’actes et d’objets qui doivent rester cachés, — une telle définition disons-nous, peut suffire à tous les besoins pratiques de la vie. Mais la science ne saurait s’en contenter. Grâce à des recherches minutieuses et qui ont exigé de la part des sujets examinés beaucoup de désintéressement et une grande maîtrise sur eux-mêmes, nous avons pu constater l’existence de groupes entiers d’individus dont la « vie sexuelle » diffère d’une façon frappante de la représentation moyenne et courante. Quelques-uns de ces « pervers ont, pour ainsi dire, rayé de leur programme la différence sexuelle. Seuls des individus du même sexe qu’eux sont susceptibles d’exciter leurs désirs sexuels ; le sexe opposé, parfois les organes sexuels du sexe opposé, ne présentent à leurs yeux rien de sexuel et constituent, dans des cas extrêmes, un objet d’aversion. Il va, sans dire que ces pervers ont renoncé à prendre la moindre part à la procréation. Nous appelons ces personnes homosexuelles ou inverties. Ce sont des hommes et des femmes ayant souvent, pas toujours, reçu une instruction et une éducation irréprochables, d’un niveau moral et intellectuel très élevé, affectés de cette seule et triste anomalie. Par l’organe de leurs représentants scientifiques, ils se donnent pour une variété humaine particulière, pour un « troisième sexe » pouvant prétendre aux mêmes droits que les deux autres. Nous aurons peut-être l’occasion de faire un examen critique de leurs prétentions. Ils ne forment naturellement pas, ainsi qu’ils seraient tentés de nous le faire croire, une « élite » de l’humanité ; on trouve dans leurs rangs tout autant d’individus sans valeur et inutiles que dans les rangs de ceux qui ont une sexualité normale.

Ces pervers se comportent envers leur objet sexuel à peu près de la même manière que les normaux envers le leur. Mais ensuite vient toute une série d’anormaux dont l’activité sexuelle s’écarte de plus en plus de ce qu’un homme raisonnable estime désirable. Par leur variété et leur singularité, on ne pourrait les comparer qu’aux monstres difformes et grotesques qui, dans le tableau de P. Breughel, viennent tenter saint Antoine, ou aux dieux et aux croyants depuis longtemps oubliés que G. Flaubert fait défiler dans une longue procession sous les yeux de son pieux pénitent. Leur foule bigarrée appelle une classification, sans laquelle on serait dans l’impossibilité de s’orienter. Nous les divisons en deux groupes : ceux qui, comme les homosexuels, se distinguent des normaux par leur objet sexuel, et ceux qui, avant tout, poursuivent un autre but sexuel que les normaux. Font partie du premier groupe ceux qui ont renoncé à l’accouplement des organes génitaux opposés et qui, dans leur acte sexuel, remplacent chez leur partenaire l’organe sexuel par une autre partie ou région du corps. Peu importe que cette partie ou région se prête mal, par sa structure, à l’acte en question : les individus de ce groupe font abstraction de cette considération, ainsi que de l’obstacle que peut opposer la sensation de dégoût (ils remplacent le vagin par la bouche, par l’anus). Font encore partie du même groupe ceux qui demandent leur satisfaction aux organes génitaux, non à cause de leurs fonctions sexuelles, mais à cause d’autres fonctions auxquelles ces organes prennent part pour des raisons anatomiques ou de voisinage. Chez ces individus les fonctions d’excrétion que l’éducation s’applique à faire considérer comme indécentes monopolisent à leur profit tout l’intérêt sexuel. Viennent ensuite d’autres individus qui ont totalement renoncé aux organes génitaux comme objets de satisfaction sexuelle et ont élevé à cette dignité des parties du corps tout à fait différentes : le sein ou le pied de la femme, sa natte. D’autres individus encore ne cherchent même pas à satisfaire leur désir sexuel à l’aide d’une partie quelconque du corps ; un objet de toilette leur suffit : un soulier, un linge blanc. Ce sont les fétichistes. Citons enfin la catégorie de ceux qui désirent bien l’objet sexuel complet et normal, mais lui demandent des choses déterminées, singulières ou horribles, jusqu’à vouloir transformer le porteur de l’objet sexuel désiré en un cadavre inanimé, et ne sont pas capables d’en jouir tant qu’ils n’ont pas obéi à leur criminelle impulsion. Mais assez de ces horreurs !

L’autre grand groupe de pervers se compose d’individus qui assignent pour but à leurs désirs sexuels ce qui, chez les normaux, ne constitue qu’un acte de préparation ou d’introduction. Ils inspectent, palpent et tâtent la personne du sexe opposé, cherchent à entrevoir les parties cachées et intimes de son corps, ou découvrent leurs propres parties cachées, dans l’espoir secret d’être récompensés par la réciprocité. Viennent ensuite les énigmatiques sadiques qui ne connaissent d’autre plaisir que celui d’infliger à leur objet des douleurs et des souffrances, depuis la simple humiliation jusqu’à de graves lésions corporelles ; et ils ont leur pendant dans les masochistes dont l’unique plaisir consiste à recevoir de l’objet aimé toutes les humiliations et toutes les souffrances, sous une forme symbolique ou réelle. D’autres encore présentent une association et entrecroisement de plusieurs de ces tendances anormales, mais nous devons ajouter, pour finir, que chacun des deux grands groupes dont nous venons de nous occuper présente deux grandes subdivisions : l’une de celles-ci comprend les individus qui cherchent leur satisfaction sexuelle dans la réalité, tandis que les individus composant l’autre subdivision se contentent de la simple représentation de cette satisfaction et, au lieu de rechercher un objet réel, concentrent tout leur intérêt sur un produit de leur imagination.

Que ces folies, singularités et horreurs représentent réellement l’activité sexuelle des individus en question, — c’est là un point qui n’admet pas le moindre doute. C’est ainsi d’ailleurs que ces individus conçoivent eux-mêmes leurs sympathies et leurs goûts. Ils se rendent parfois compte qu’il s’agit là de substitutions, mais nous devons ajouter, pour notre part, que leurs folies, singularités et horreurs jouent dans leur vie exactement le même rôle que la satisfaction sexuelle normale dans la nôtre ; qu’ils font, pour obtenir leur satisfaction, les mêmes sacrifices, souvent très grands, que nous, et qu’en s’attachant à tous les détails de leur vie sexuelle, on peut découvrir les points sur lesquels ces anomalies se rapprochent de l’état normal et ceux sur lesquels elles s’en écartent. Vous constaterez que dans ces anomalies le caractère d’indécence, inhérent à l’activité sexuelle, est poussé à l’extrême degré, à un point où l’indécence devient de la turpitude.

Et maintenant, quelle attitude devons-nous adopter à l’égard de ces modes extraordinaires de satisfaction sexuelle ? Déclarer que nous sommes indignés, manifester notre aversion personnelle, assurer que nous ne partagerons pas ces vices — tout cela ne signifie rien et, d’ailleurs, ce sont des choses qu’on ne nous demande pas. Il s’agit, après tout, d’un ordre de phénomènes qui sollicite notre attention au même titre que n’importe quel autre ordre. Se réfugier derrière l’affirmation que ce sont là des faits rares, de simples curiosités, c’est s’exposer à recevoir un rapide démenti. Les phénomènes dont nous nous occupons sont, au contraire, très fréquents, très répandus, Mais si l’on venait nous dire que ces déviations et perversions de l’instinct sexuel ne doivent pas nous induire en erreur quant à notre manière de concevoir la vie sexuelle en général, notre réponse serait toute prête : tant que nous n’aurons pas compris ces formes morbides de la sexualité, tant que nous n’aurons pas établi leurs rapports avec la vie sexuelle normale, il nous sera également impossible de comprendre cette dernière. Bref, nous nous trouvons devant une tâche théorique urgente, qui consiste à rendre compte des perversions dont nous avons parlé et de leurs rapports avec la sexualité dite normale.

Nous serons aidés dans cette tâche par une remarque et deux nouvelles expériences. La première est d’Ivan Bloch qui, à la conception qui voit dans toutes ces perversions des « signes de dégénérescence », ajoute ce correctif que ces écarts du but sexuel, que ces attitudes perverses à l’égard de l’objet sexuel ont existé à toutes les époques connues, chez tous les peuples, aussi bien chez les plus primitifs que chez les plus civilisés, et qu’ils ont parfois joui de la tolérance et de la reconnaissance générales. Quant aux deux expériences, elles ont été faites au cours de recherches psychanalytiques sur des névrosés ; elles sont de nature à orienter d’une façon décisive notre conception des perversions sexuelles.

Les symptômes névrotiques, avons-nous dit, sont des satisfactions substitutives, et je vous ai fait entrevoir que la confirmation de cette proposition par l’analyse des symptômes se heurterait à beaucoup de difficultés. Elle ne se justifie que si, en parlant de « satisfaction sexuelle », nous sous-entendons également les besoins sexuels dits pervers, car une pareille interprétation des symptômes s’impose à nous avec une fréquence étonnante. La prétention par laquelle les homosexuels et les invertis affirment qu’ils sont des êtres exceptionnels disparaît devant la constatation qu’il n’est pas un seul névrosé chez lequel on ne puisse prouver l’existence de tendances homosexuelles et que bon nombre de symptômes névrotiques ne sont que l’expression de cette inversion latente. Ceux qui se nomment eux-mêmes homosexuels ne sont que les invertis conscients et manifestes, et leur nombre est minime à côté de celui des homosexuels latents. Nous sommes obligés de voir dans l’homosexualité une excroissance à peu près régulière de la vie amoureuse, et son importance grandit à nos yeux à mesure que nous approfondissons celle-ci. Sans doute, les différences qui existent entre l’homosexualité manifeste et la vie sexuelle normale ne se trouvent pas supprimées de ce fait ; si la valeur théorique de celle-là s’en trouve considérablement réduite, sa valeur pratique demeure intacte. Nous apprenons même que la paranoïa, que nous ne pouvons pas ranger dans la catégorie des névroses par transfert, résulte rigoureusement de la tentative de défense contre des impulsions homosexuelles trop violentes. Vous vous rappelez peut-être encore qu’une de nos malades, au cours de son acte obsessionnel, simulait son propre mari dont elle vivait séparée ; pareille production de symptômes simulant un homme est fréquente chez les femmes névrotiques. Bien qu’il ne s’agisse pas là d’homosexualité proprement dite, ces cas n’en réalisent pas moins certaines de ses conditions.

Ainsi que vous le savez probablement, la névrose hystérique peut manifester ses symptômes dans tous les systèmes d’organes et ainsi troubler toutes les fonctions. L’analyse nous révèle dans ces cas une manifestation de toutes les tendances dites perverses, lesquelles cherchent à substituer aux organes génitaux d’autres organes qui se comportent alors comme des organes génitaux de substitution. C’est précisément grâce à la symptomatologie de l’hystérie que nous sommes arrivés à la conception d’après laquelle tous les organes du corps, en plus de leur fonction normale, joueraient aussi un rôle sexuel, érogène, qui devient parfois dominant au point de troubler le fonctionnement normal. D’innombrables sensations et innervations qui, à titre de symptômes de l’hystérie, se localisent sur des organes n’ayant en apparence aucun rapport avec la sexualité, nous révèlent ainsi leur nature véritable : elles constituent autant de satisfactions de désirs sexuels pervers en vue desquelles d’autres organes ont assumé le rôle d’organes sexuels. Nous avons alors l’occasion de constater la fréquence avec laquelle les organes d’absorption d’aliments et les organes d’excrétion deviennent les porteurs des excitations sexuelles. Il s’agit ainsi de la même constatation que celle que nous avons faite à propos des perversions, avec cette différence que dans ces dernières le fait qui nous occupe peut être constaté sans difficulté et sans erreur possible, tandis que dans l’hystérie nous devons commencer par l’interprétation des symptômes et reléguer ensuite les tendances sexuelles perverses dans l’inconscient, au lieu de les attribuer à la conscience de l’individu.

Des nombreux tableaux symptomatiques que revêt la névrose obsessionnelle, les plus importants sont ceux provoqués par la pression des tendances sexuelles fortement sadiques, donc perverses quant à leur but ; et, en conformité avec la structure d’une névrose obsessionnelles, ces symptômes servent de moyen de défense contre ces désirs ou bien expriment la lutte contre la volonté de satisfaction et la volonté de défense. Mais la satisfaction elle-même, au lieu de se produire en empruntant le chemin le plus court, sait se manifester dans l’attitude des malades par les voies les plus détournées et se tourne de préférence contre la personne même du malade qui s’inflige ainsi toutes sortes de tortures. D’autres formes de cette névrose, celles qu’on peut appeler scrutatrices, correspondent à une sexualisation excessive d’actes qui, dans les cas normaux, ne sont que les actes préparatoires de la satisfaction sexuelle : les malades veulent voir, toucher, fouiller. Nous avons là l’explication de l’énorme importance que revêtent parfois chez ces malades la crainte de tout attouchement et l’obsession ablutioniste. On ne soupçonne pas combien nombreux sont les actes obsessionnels qui représentent une répétition ou une modification masquée de la masturbation, laquelle, on le sait, accompagne, en tant qu’acte unique et uniforme, les formes les plus variées de la déviation sexuelle.

Il me serait facile de multiplier les liens qui rattachent la perversion à la névrose, mais ce que je vous ai dit suffit à notre intention. Mais nous devons nous garder d’exagérer l’importance symptomatique, la présence et l’intensité des tendances perverses chez l’homme. Vous avez entendu dire qu’on peut contracter une névrose lorsqu’on est privé de satisfaction sexuelle normale. Le besoin emprunte alors les voies de satisfaction anormales. Vous verrez plus tard comment les choses se passent dans ces cas. Mais vous comprenez d’ores et déjà que devenues perverses, par suite de ce refoulement « collatéral », les tendances doivent apparaître plus violentes qu’elles ne le seraient si aucun obstacle réel ne s’était opposé à la satisfaction sexuelle normale. On constate d’ailleurs une influence analogue en ce qui concerne les perversions manifestes. Elles sont provoquées ou favorisées dans certains cas par le fait que, par suite de circonstances passagères ou de conditions sociales durables, la satisfaction sexuelle normale se heurte à des difficultés insurmontables. Il va sans dire que dans d’autres cas les tendances perverses sont indépendantes des circonstances ou conditions susceptibles de les favoriser et constituent pour les individus qui en sont porteurs la forme normale de leur vie sexuelle.

Vous venez peut-être d’éprouver l’impression que, loin d’élucider les rapports existant entre la sexualité normale et la sexualité perverse, nous n’avons fait que les embrouiller. Réfléchissez cependant à ceci : s’il est exact que chez les personnes privées de la possibilité d’obtenir une satisfaction sexuelle normale, on voit apparaître des tendances perverses qui, sans cela, ne se seraient jamais manifestées, on doit admettre qu’il existait tout de même chez ces personnes quelque chose qui les prédisposait à ces perversions ; ou, si vous aimez mieux, que ces perversions existaient chez elles à l’état latent. Cela admis, nous arrivons à l’autre des faits nouveaux que je vous avais annoncés. La recherche psychanalytique s’est notamment vue obligée de porter aussi son attention sur la vie sexuelle de l’enfant, et elle y a été amenée par le fait que les souvenirs et les idées qui surgissent chez les sujets au cours de l’analyse de leurs symptômes ramènent régulièrement l’analyse aux premières années de l’enfance de ces sujets. Toutes les conclusions que nous avions formulées à propos de ce fait ont été vérifiées point par point à la suite d’observations directes sur des enfants. Et nous avons constaté que toutes les tendances perverses plongent par leurs racines dans l’enfance, que les enfants portent en eux toutes les prédispositions à ces tendances qu’ils manifestent dans la mesure compatible avec leur immaturité, bref que la sexualité perverse n’est pas autre chose que la sexualité infantile grossie et décomposée en ses tendances particulières.

Cette fois vous apercevez les perversions sous un tout autre jour et vous ne pourrez plus méconnaître leurs rapports avec la vie sexuelle de l’homme. Mais au prix de combien de surprises et de pénibles déceptions ! Vous serez tout d’abord tentés de nier tout : et le fait que les enfants possèdent quelque chose qui mérite le nom de vie sexuelle, et l’exactitude de nos observations, et mon droit de trouver dans l’attitude des enfants une affinité avec ce que nous condamnons chez des personnes plus âgées comme étant une perversion. Permettez-moi donc tout d’abord de vous expliquer les raisons de votre résistance, je vous exposerai ensuite l’ensemble de mes observations. Prétendre que les enfants n’ont pas de vie sexuelle, — excitations sexuelles, besoins sexuels, une sorte de satisfaction sexuelle, — mais que cette vie s’éveille chez eux brusquement à l’âge de 12 à 14 ans, c’est, abstraction faite de toutes les observations, avancer une affirmation qui, au point de vue biologique, est aussi invraisemblable, voire aussi absurde que le serait celle d’après laquelle les enfants naîtraient sans organes génitaux, lesquels ne feraient leur apparition qu’à l’âge de la puberté. Ce qui s’éveille chez les enfants à cet âge, c’est la fonction de la reproduction qui se sert, pour réaliser ses buts, d’un appareil corporel et psychique déjà existant. Vous tombez dans l’erreur qui consiste à confondre sexualité et reproduction, et par cette erreur vous vous fermez l’accès à la compréhension de la sexualité, des perversions et des névroses. C’est là cependant une erreur tendancieuse. Chose étonnante, elle a sa source dans le fait que vous avez été enfants vous-mêmes et avez, comme tels, subi l’influence de l’éducation. Au point de vue de l’éducation, la société considère comme une de ses tâches essentielles de réfréner l’instinct sexuel lorsqu’il se manifeste comme besoin de procréation, de le limiter, de le soumettre à une volonté individuelle se pliant à la contrainte sociale. La société est également intéressée à ce que le développement complet du besoin sexuel soit retardé jusqu’à ce que l’enfant ait atteint un certain degré de maturité sociale, car dès que ce développement est atteint, l’éducation n’a plus de prise sur l’enfant. La sexualité, si elle se manifestait d’une façon trop précoce, romprait toutes les barrières et emporterait tous les résultats si péniblement acquis par la culture. La tâche de réfréner le besoin sexuel n’est d’ailleurs jamais facile ; on réussit à la réaliser tantôt trop, tantôt trop peu. La base sur laquelle repose la société humaine est, en dernière analyse, de nature économique : ne possédant pas assez de moyens de subsistance pour permettre à ses membres de vivre sans travailler, la société est obligée de limiter le nombre de ses membres et de détourner leur énergie de l’activité sexuelle vers le travail. Nous sommes là en présence de l’éternel besoin vital qui, né en même temps que l’homme, persiste jusqu’à nos jours.

L’expérience a bien dû montrer aux éducateurs que la tâche d’assouplir la volonté sexuelle de la nouvelle génération n’est réalisable que si, sans attendre l’explosion tumultueuse de la puberté, on commence dès les premières années à amener les enfants à soumettre à une discipline leur vie sexuelle, qui n’est qu’une préparation à celle de l’âge mûr. Dans ce but, on interdit aux enfants toutes les activités sexuelles infantiles ; on les en détourne, dans l’espoir idéal de rendre leur vie asexuelle, et on en est arrivé peu à peu à la considérer réellement comme telle, croyance à laquelle la science a apporté sa confirmation. Afin de ne pas se mettre en contradiction avec les croyances qu’on professe et les intentions qu’on poursuit, on néglige l’activité sexuelle de l’enfant, ce qui est loin d’être une attitude facile, ou bien on se contente, dans la science, de la concevoir différemment. L’enfant est considéré comme pur, comme innocent, et quiconque le décrit autrement est accusé de commettre un sacrilège, de se livrer à un attentat impie contre les sentiments les plus tendres et les plus sacrés de l’humanité.

Les enfants sont les seuls à ne pas être dupes de ces conventions ; ils font valoir en toute naïveté leurs droits anormaux et montrent à chaque instant que, pour eux, le chemin de la pureté est encore à parcourir tout entier. Il est assez singulier que ceux qui nient la sexualité infantile ne renoncent pas pour cela à l’éducation et condamnent le plus sévèrement, à titre de « mauvaises habitudes », les manifestations de ce qu’ils nient. Il est en outre extrêmement intéressant, au point de vue théorique, que les cinq ou six premières années de la vie, c’est-à-dire l’âge auquel le préjugé d’une enfance asexuelle s’applique le moins, est enveloppé chez la plupart des personnes d’un brouillard d’amnésie que seule la recherche analytique réussit à dissiper, mais qui auparavant s’était déjà montré perméable pour certaines formations de rêves.

Et maintenant, je vais vous exposer ce qui apparaît avec le plus de netteté lorsqu’on étudie la vie sexuelle de l’enfant. Pour plus de clarté, je vous demanderai la permission d’introduire à cet effet la notion de la libido. Analogue à la faim en général, la libido désigne la force avec laquelle se manifeste l’ instinct sexuel, comme la faim désigne la force avec laquelle se manifeste l’instinct d’absorption de nourriture. D’autres notions, telles qu’excitation et satisfaction sexuelles, n’ont pas besoin d’explication. Vous allez voir, et vous en tirerez peut-être un argument contre moi, que les activités sexuelles du nourrisson ouvrent à l’interprétation un champ infini. On obtient ces interprétations en soumettant les symptômes à une analyse régressive. Les premières manifestations de la sexualité, qui se montrent chez le nourrisson, se rattachent à d’autres fonctions vitales. Ainsi que vous le savez, son principal intérêt porte sur l’absorption de nourriture ; lorsqu’il s’endort rassasié devant le sein de sa mère, il présente une expression d’heureuse satisfaction qu’on retrouve plus tard à la suite de la satisfaction sexuelle. Ceci ne suffirait pas à justifier une conclusion. Mais nous observons que le nourrisson est toujours disposé à recommencer l’absorption de nourriture, non parce qu’il a encore besoin de celle-ci, mais pour la seule action que cette absorption comporte. Nous disons alors qu’il suce ; et le fait que, ce faisant, il s’endort de nouveau avec une expression béate, nous montre que l’action de sucer lui a, comme telle, procuré une satisfaction. Il finit généralement par ne plus pouvoir s’endormir sans sucer. C’est un pédiatre de Budapest, le Dr Lindner, qui a le premier affirmé la nature sexuelle de cet acte. Les personnes qui soignent l’enfant et qui ne cherchent nullement à adopter une attitude théorique, semblent porter sur cet acte un jugement analogue. Elles se rendent parfaitement compte qu’il ne sert qu’à procurer un plaisir, y voient une « mauvaise habitude », et lorsque l’enfant ne veut pas renoncer spontanément à cette habitude, elles cherchent à l’en débarrasser en y associant des impressions désagréables. Nous apprenons ainsi que le nourrisson accomplit des actes qui ne servent qu’à lui procurer un plaisir. Nous croyons qu’il a commencé à éprouver ce plaisir à l’occasion de l’absorption de nourriture, mais qu’il n’a pas tardé à apprendre à la séparer de cette condition. Nous rapportons cette sensation de plaisir à la zone bucco-labiale, désignons cette zone sous le nom de zone érogène et considérons le plaisir procuré par l’acte de sucer comme un plaisir sexuel. Nous aurons certainement encore à discuter la légitimité de ces désignations.

Si le nourrisson était capable de faire part de ce qu’il éprouve, il déclarerait certainement que sucer le sein maternel constitue l’acte le plus important de la vie. Ce disant, il n’aurait pas tout à fait tort, car il satisfait par ce seul acte deux grands besoins de la vie. Et ce n’est pas sans surprise que nous apprenons par la psychanalyse combien profonde est l’importance psychique de cet acte dont les traces persistent ensuite la vie durant. L’acte qui consiste à sucer le sein maternel devient le point de départ de toute la vie sexuelle, l’idéal jamais atteint de toute satisfaction sexuelle ultérieure, idéal auquel l’imagination aspire dans des moments de grand besoin et de grande privation. C’est ainsi que le sein maternel forme le premier objet de l’instinct sexuel ; et je ne saurais vous donner une idée assez exacte de l’importance de ce premier objet pour toute recherche ultérieure d’objets sexuels, de l’influence profonde qu’il exerce, dans toutes ses transformations et substitutions, jusque dans les domaines les plus éloignés de notre vie psychique. Mais bientôt l’enfant cesse de sucer le sein qu’il remplace par une partie de son propre corps. L’enfant se met à sucer son pouce, sa langue. Il se procure ainsi du plaisir, sans avoir pour cela besoin du consentement du monde extérieur, et l’appel à une deuxième zone du corps renforce en outre le stimulant de l’excitation. Toutes les zones érogènes ne sont pas également efficaces ; aussi est-ce un événement important dans la vie de l’enfant lorsque, à force d’explorer son corps, il découvre les parties particulièrement excitables de ses organes génitaux et trouve ainsi le chemin qui finira par le conduire à l’onanisme.

En faisant ressortir l’importance de l’acte de sucer, nous avons dégagé deux caractères essentiels de la sexualité infantile. Celle-ci se rattache notamment à la satisfaction des grands besoins organiques et elle se comporte, en outre, d’une façon auto-érotique, c’est-à-dire qu’elle trouve ses objets sur son propre corps. Ce qui est apparu avec la plus grande netteté à propos de l’absorption d’aliments, se renouvelle en partie à propos des excrétions. Nous en concluons que l’élimination de l’urine et du contenu intestinal est pour le nourrisson une source de jouissance et qu’il s’efforce bientôt d’organiser ces actions de façon qu’elles lui procurent le maximum de plaisir, grâce à des excitations correspondantes des zones érogènes des muqueuses. Lorsqu’il en est arrivé à ce point, le monde extérieur lui apparaît, selon la fine remarque de Lou Andreas, comme un obstacle, comme une force hostile à sa recherche de jouissance et lui laisse entrevoir, à l’avenir, des luttes extérieures et intérieures. On lui défend de se débarrasser de ses excrétions quand et comment il veut ; ou le force à se conformer aux indications d’autres personnes. Pour obtenir sa renonciation à ces sources de jouissance, on lui inculque la conviction que tout ce qui se rapporte à ces fonctions est indécent, doit rester caché. Il est obligé de renoncer au plaisir, au nom de la dignité sociale. Il n’éprouve au début aucun dégoût devant ses excréments qu’il considère comme faisant partie de son corps ; il s’en sépare à contre cœur et s’en sert comme premier « cadeau » pour distinguer les personnes qu’il apprécie particulièrement. Et après même que l’éducation a réussi à la débarrasser de ces penchants, il transporte sur le « cadeau » et l’ « argent » la valeur qu’il avait accordée aux excréments. Il semble en revanche être particulièrement fier des exploits qu’il rattache à l’acte d’uriner.

Je sens que vous faites un effort sur vous-mêmes pour ne pas m’interrompre et me crier : « Assez de ces horreurs ! Prétendre que la défécation est une source de satisfaction sexuelle, déjà utilisée par le nourrisson ! Que les excréments sont une substance précieuse, l’anus une sorte d’organe sexuel ! Nous n’y croirons jamais ; mais nous comprenons fort bien pourquoi pédiatres et pédagogues ne veulent rien savoir de la psychanalyse et de ses résultats ». Calmez-vous. Vous avez tout simplement oublié, que si je vous ai parlé des faits que comporte la vie sexuelle infantile, ce fut à l’occasion des faits se rattachant aux perversions sexuelles. Pourquoi ne sauriez-vous pas que chez de nombreux adultes, tant homosexuels qu’hétérosexuels, l’anus remplace réellement le vagin dans les rapports sexuels ? Et pourquoi ne sauriez-vous pas qu’il y a des individus pour lesquels la défécation reste, toute leur vie durant, une source de volupté qu’ils sont loin de dédaigner ? Quant à l’intérêt que suscite l’acte de défécation et au plaisir qu’on peut éprouver en assistant à cet acte, lorsqu’il est accompli par un autre, vous n’avez, pour vous renseigner, qu’à vous adresser aux enfants mêmes, lorsque, devenus plus âgés, ils sont à même d’en parler. Il va sans dire que vous ne devez pas commencer par intimider ces enfants, car vous comprenez fort bien que, si vous le faites, vous n’obtiendrez rien d’eux. Quant aux autres choses auxquelles vous ne voulez pas croire, je vous renvoie aux résultats de l’analyse et de l’observation directe des enfants, et je vous dis qu’il faut de la mauvaise volonté pour ne pas voir ces choses ou pour les voir autrement. Je ne vois aucun inconvénient à ce que vous trouviez étonnante l’affinité que je postule entre l’activité sexuelle infantile et les perversions sexuelles. Il s’agit pourtant là d’une relation tout à fait naturelle, car si l’enfant possède une vie sexuelle, celle-ci ne peut être que de nature perverse, attendu que, sauf quelques vagues indications, il lui manque tout ce qui fait de la sexualité une fonction de procréation. Ce qui caractérise, d’autre part, toutes les perversions, c’est qu’elles méconnaissent le but essentiel de la sexualité, c’est-à-dire la procréation. Nous qualifions en effet de perverse toute activité sexuelle qui, ayant renoncé à la procréation, recherche le plaisir comme un but indépendant de celle-ci. Vous comprenez ainsi que la ligne de rupture et le tournant du développement de la vie sexuelle doivent être cherchés dans sa subordination aux fins de la procréation. Tout ce qui se produit avant ce tournant, tout ce qui s’y soustrait, tout ce qui sert uniquement à procurer de la jouissance, reçoit la dénomination peu recommandable de « pervers » et est, comme tel, voué au mépris.

Laissez-moi, en conséquence, poursuivre mon rapide exposé de la sexualité infantile. Tout ce que j’ai dit concernant deux systèmes d’organes pourrait être complété en tenant compte des autres. La vie sexuelle de l’enfant comporte une série de tendances partielles s’exerçant indépendamment les unes des autres et utilisant, en vue de la jouissance, soit le corps même de l’enfant, soit des objets extérieurs. Parmi les organes sur lesquels s’exerce l’activité sexuelle de l’enfant, les organes sexuels ne tardent pas à prendre la première place ; il est des personnes qui, depuis l’onanisme inconscient de leur première enfance jusqu’à l’onanisme forcé de leur puberté, n’ont jamais connu d’autre source de jouissance que leurs propres organes génitaux, et chez quelques-uns même cette situation persiste bien au-delà de la puberté. L’onanisme n’est d’ailleurs pas un de ces sujets dont on vient facilement à bout ; il y a là matière à de multiples considérations.

Malgré mon désir d’abréger le plus possible mon exposé, je suis obligé de vous dire encore quelques mots sur la curiosité sexuelle des enfants. Elle est très caractéristique de la sexualité infantile et présente une très grande importance au point de vue de la symptomatologie des névroses. La curiosité sexuelle de l’enfant commence de bonne heure, parfois avant la troisième année. Elle n’a pas pour point de départ les différences qui séparent les sexes, ces différences n’existant pas pour les enfants, lesquels (les garçons notamment) attribuent aux deux sexes les mêmes organes génitaux, ceux du sexe masculin. Lorsqu’un garçon découvre chez sa sœur ou chez une camarade de jeux l’existence du vagin, il commence par nier le témoignage de ses sens, car il ne peut pas se figurer qu’un être humain soit dépourvu d’un organe auquel il attribue une si grande valeur. Plus tard, il recule effrayé devant la possibilité qui se révèle à lui et il commence à éprouver l’action de certaines menaces qui lui ont été adressées antérieurement à l’occasion de l’excessive attention qu’il accordait à son petit membre. Il tombe sous la domination de ce que nous appelons le « complexe de castration », dont la forme influe sur son caractère, lorsqu’il reste bien portant, sur sa névrose, lorsqu’il tombe malade, sur ses résistances, lorsqu’il subit un traitement analytique. En ce qui concerne la petite fille, nous savons qu’elle considère comme un signe de son infériorité l’absence d’un pénis long et visible, qu’elle envie le garçon parce qu’il possède cet organe, que de cette envie naît chez elle le désir d’être un homme et que ce désir se trouve plus tard impliqué dans la névrose provoquée par les échecs qu’elle a éprouvés dans l’accomplissement de sa mission de femme. Le clitoris joue d’ailleurs chez la toute petite fille le rôle de pénis, il est le siège d’une excitabilité particulière, l’organe qui procure la satisfaction auto-érotique. La transformation de la petite fille en femme est caractérisée principalement par le fait que cette sensibilité se déplace en temps voulu et totalement du clitoris à l’entrée du vagin. Dans les cas d’anesthésie dite sexuelle des femmes le clitoris conserve intacte sa sensibilité.

L’intérêt sexuel de l’enfant se porte plutôt en premier lieu sur le problème de savoir d’où viennent les enfants, c’est-à-dire sur le problème qui forme le fond de la question posée par le sphinx thébain, et cet intérêt est le plus souvent éveillé par la crainte égoïste que suscite la venue d’un nouvel enfant. La réponse à l’usage de la nursery, c’est-à-dire que c’est la cigogne qui apporte les enfants, est accueillie, plus souvent qu’on ne le pense, avec méfiance, même par les petits enfants. L’impression d’être trompé par les grandes personnes contribue beaucoup à l’isolement de l’enfant et au développement de son indépendance. Mais l’enfant n’est pas à même de résoudre ce problème par ses propres moyens. Sa constitution sexuelle encore insuffisamment développée oppose des limites à sa faculté de connaître. Il admet d’abord que les enfants viennent à la suite de l’absorption avec la nourriture de certaines substances spéciales, et il ignore encore que seules les femmes sont susceptibles d’avoir des enfants. Il apprend ce fait plus tard et relègue dans le domaine des contes l’explication qui fait dépendre la venue d’enfants de l’absorption d’une certaine nourriture. Devenu un peu plus grand, l’enfant se rend compte que le père joue un certain rôle dans l’apparition de nouveaux enfants, mais il est encore incapable de définir ce rôle. S’il lui arrive de surprendre par hasard un acte sexuel, il y voit une tentative de violence, un corps à corps brutal : fausse conception sadique du coït. Toutefois, il n’établit pas immédiatement un rapport entre cet acte et la venue de nouveaux enfants. Et alors même qu’il aperçoit des traces de sang dans le lit et sur le linge de sa mère, il y voit seulement une preuve des violences auxquelles se serait livré son père. Plus tard encore, il commence bien à soupçonner que l’organe génital de l’homme joue un rôle essentiel dans l’apparition de nouveaux enfants, mais il persiste à ne pas pouvoir assigner à cet organe d’autre fonction que celle d’évacuation d’urine.

Les enfants sont dès le début unanimes à croire que la naissance de l’enfant se fait par l’anus. C’est seulement lorsque leur intérêt se détourne de cet organe qu’ils abandonnent cette théorie et la remplacent par celle d’après laquelle l’enfant naîtrait par le nombril qui s’ouvrirait à cet effet. Ou encore ils situent dans la région sternale, entre les deux seins, l’endroit où l’enfant nouveau-né ferait son apparition. C’est ainsi que l’enfant, dans ses explorations, se rapproche des faits sexuels ou, égaré par son ignorance, passe à côté d’eux, jusqu’au moment où l’explication qu’il en reçoit dans les années précédant immédiatement la puberté, explication déprimante, souvent incomplète, agissant souvent à la manière d’un traumatisme, vient le tirer de sa naïveté première.

Vous avez sans doute entendu dire que, pour maintenir ses propositions concernant la causalité sexuelle des névroses et l’importance sexuelle des symptômes, la psychanalyse imprime à la notion du sexuel une extension exagérée. Vous êtes maintenant à même de juger si cette extension est vraiment injustifiée. Nous n’avons étendu la notion de sexualité que juste assez pour y faire entrer aussi la vie sexuelle des pervers et celles des enfants. Autrement dit, nous n’avons fait que lui restituer l’ampleur qui lui appartient. Ce qu’on entend par sexualité en dehors de la psychanalyse, est une sexualité tout à fait restreinte, une sexualité mise au service de la seule procréation, bref ce qu’on appelle la vie sexuelle normale.