Kama Soutra (trad. Lamairesse)/Titre III/Chapitre 6

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Kama Soutra, règles de l’amour de Vatsyayana.
Traduction par Pierre-Eugène Lamairesse.
(p. 58-61).

CHAPITRE VI
Querelles entre amants.


On peut considérer les querelles entre amants comme une sorte de mignardise ou de moyen d’excitation.

Une femme qui aime beaucoup un homme ne souffre pas qu’il parle devant elle d’une rivale, ni que, par mégarde, il l’appelle du nom d’une autre femme. Quand cela arrive, il en résulte une grosse querelle ; la femme se fâche, crie, dénoue ses cheveux et les laisse tomber en désordre, se jette à bas de son lit ou de son siège, lance loin d’elle ses guirlandes, ses ornements et se roule à terre.

L’amant s’efforce alors de l’apaiser par de bonnes paroles ; il la relève et la replace avec précaution sur son lit ou siège ; mais elle, sans rien répondre, se fâche plus fort encore et le repousse ; le tirant par les cheveux, elle lui abaisse la tête, puis elle lui donne des coups de pied dans les jambes, dans la poitrine et dans le dos ; elle se dirige vers la porte de la chambre comme pour sortir, mais elle ne sort pas ; elle s’arrête près de la porte et fond en larmes.

Au bout de quelques moments, quand elle juge que son amant a fait par ses paroles et ses actes tout ce qu’il pouvait pour se réconcilier, elle doit se montrer satisfaite en le serrant dans ses bras et en lui témoignant son désir de s’unir à lui pour tout oublier ; alors la réconciliation est parfaite.

Quand la femme a sa demeure séparée et que les deux amants se sont quittés en querelle, la femme signifie à son amant que tout est rompu entre eux ; alors celui-ci envoie successivement vers elle, pour l’apaiser : le Pitkamarda, le Vita et le Vidashaka.

Elle se rend enfin, elle revient chez son amant et passe la nuit avec lui.

Voici deux aphorismes au sujet des mignardises qui accompagnent l’union.

Lorsque la connexion est commencée, la passion détermine seule tous les actes des deux amants.

Toutefois l’homme doit s’étudier, pour reconnaître la manière de procéder qui lui donne le plus de ressources dans la confection.

Il doit aussi étudier la femme avec laquelle il a des rapports suivis pour se comporter avec elle de la façon qui lui procure le plus de plaisir.

La femme doit aussi faire sur elle-même et sur son amant les mêmes observations, afin de pouvoir seconder son bon vouloir dans la confection.

Le propre de l’homme est la rudesse et l’impétuosité, celui de la femme, la délicatesse, la tendresse, l’impressionnabilité, la répugnance pour les choses naturellement déplaisantes.

L’excitation et l’habitude peuvent produire des effets contraires à la nature de chaque sexe ; mais ils ne sont que passagers, et celle-ci revient toujours.




APPENDICE AU CHAPITRE VI
Art d’aimer (Ovide, livre II).


« Je ne vous condamne pas à la fidélité, mais tenez secrets vos larcins d’amour.

Ne faites point à une femme de présents qui puissent être reconnus par un autre[1].

« Si votre maîtresse découvre une infidélité, ne craignez pas de nier ; n’en soyez ni plus soumis, ni plus caressant que de coutume ; ce serait vous avouer coupable, mais prouvez lui par votre vigueur que vous êtes tout à elle.

« Mais si votre amante se refroidit, laissez-lui croire à une infidélité. Heureux celui dont la maîtresse offensée s’évanouit, à qui elle arrache les cheveux, meurtrit le visage de ses ongles, qu’elle ne voit qu’en versant des larmes, et sans lequel elle voudrait, mais ne peut vivre.

« Hâtez-vous toutefois de mettre fin à sa désolation, sa colère pourrait s’aigrir en se prolongeant.

« Signez la paix dans son lit : c’est là que naquirent ces deux jumeaux, le pardon et la réconciliation.

« Voyez ces colombes qui viennent de se battre, elles se béquèrent tendrement, elles se caressent et s’expriment leur amour par de doux roucoulements.


L’Infidélité (Properce, livre IV, Élégie VIII).

La querelle de Properce avec Cynthie est le modèle du genre.

« Un élégant attelage avait conduit à Lavinium ma Cynthie pour y faire à Vénus quelques sacrifices.

« Irrité de ses infidélités, je voulus changer de couche. J’invite une certaine Phillis peu séduisante à jeun, mais en qui tout plaît quand elle est ivre ; et, avec elle Théia, femme aimable, mais à qui, dans le vin, un seul homme ne suffit pas.

« Je voulais passer la nuit avec elles, pour oublier mes chagrins et réveiller mes sens par la nouveauté.

« Un seul lit fut dressé pour nous trois, sur un gazon à l’écart.

« J’étais entre Théia et Phillis, Lydgamus nous versait à boire un vin grec de Métymne le plus exquis.

« Un égyptien jouait de la flûte, Phillis des castagnettes, et la rose pleuvait au hasard sur nos têtes, tandis qu’un nain ramassé dans sa courte grosseur agitait ses petits bras au son des instruments.

« Cependant nos lampes épuisées ne donnaient qu’une faible lueur. La table s’était renversée ; les dés ne m’apportaient que des coups du plus triste augure.

« En vain Théia et Phillis chantaient et se découvraient le sein ; j’étais sourd et aveugle, ou plutôt j’étais tout seul aux portes de Lanuvium.

« Soudain, ma porte crie sur ses gonds et j’entends à l’entrée un léger bruit.

« Bientôt, Cynthie rejette le battant avec violence ; son regard nous foudroie ; c’est toute la fureur d’une femme ; c’est le spectacle d’une ville prise d’assaut.

« Dans son courroux, Cynthie jette ses ongles au visage de Phillis ; et Théia, saisie d’effroi, appelle au feu le voisinage qui s’éveille, et les lumières brillent ; dans la rue, s’élève un affreux tumulte ; les deux femmes, les cheveux épars, se réfugient dans la première taverne qui s’ouvre.

« Cynthie, toute fière de sa victoire, revient alors près de moi, me frappe au visage sans pitié, imprime ses ongles dans ma poitrine, me mord et veut m’aveugler.

« Lasse enfin de me frapper, elle saisit Lygdamus, caché dans la ruelle du lit et qui implore à genoux ma protection.

« Enfin, moi-même j’implore mon pardon à ses pieds ; si tu veux, dit-elle, que j’oublie ta faute, jamais à l’avenir n’étale une vaine parure, ni au portique de Pompée, ni aux yeux licencieux du Forum ; tu ne t’arrêteras jamais devant une litière entr’ouverte.

« J’accuse surtout Lygdamus de mes chagrins ; qu’il soit vendu, et qu’il traîne à ses pieds une double chaîne.

« Ensuite, elle purifie la place que Phillis et Théia avaient touchée ; elle me fait changer complètement de vêtements ; et trois fois elle promène au bord de ma tête le souffle enflammé ; après qu’on eut échangé le lin de ma couche, nous cimentâmes la paix par d’ardentes caresses.

  1. Le général Lecourbe s’amusa à faire cadeau du même costume pour la fête patronale à une douzaine de paysannes qu’il avait pour maîtresses dans le bourg qu’il habitait dans le département de l’Ain ; ce n’est pas là le plus beau de ses exploits.