Kama Soutra (trad. Liseux)/III

La bibliothèque libre.
Traduction par Isidore Liseux.
France Loisirs (p. 141-174).

TROISIÈME PARTIE

DE L’ACQUISITION D’UNE ÉPOUSE

I

Du mariage

Lorsqu’une fille de la même caste, et qui est vierge, se marie conformément aux préceptes de la Sainte Écriture, les résultats de cette union sont : l’acquisition de Dharma et d’Artha, la postérité, l’affinité, l’accroissement du nombre des amis, et un amour sans nuages. Pour cette raison, l’homme doit choisir une fille de bonne famille, dont les parents soient vivants, et qui ait trois ans ou plus de moins que lui. Il faut qu’elle appartienne à une famille hautement respectable, riche, en bonne position, entourée de nombreux parents et amis. Elle doit aussi être belle, bien douée, avec des signes de bon augure sur le corps ; les ongles, les dents, les oreilles, les yeux, les seins seront réguliers, tels qu’ils doivent être, ni plus ni moins, et au complet ; le corps jouira d’une bonne santé. L’homme, naturellement, doit posséder lui-même ces qualités. Mais il ne faut point, dit Ghotakamukha, aimer une fille qui a déjà été unie à d’autres (c’est-à-dire, qui n’est plus vierge), car ce serait une action répréhensible.

Maintenant, pour mener à bonne fin un projet de mariage avec une fille telle qu’on vient de la décrire, les parents et les amis de l’homme doivent faire tous leurs efforts, aussi bien que les amis des deux côtés dont l’assistance pourra être réclamée. Ces amis révéleront aux parents de la fille les défauts, présents et futurs, de tous les autres hommes qui peuvent la courtiser, et, en même temps, ils exalteront jusqu’à l’hyperbole les mérites de leur ami sous le rapport de ses ancêtres et de sa famille, de manière à le faire aimer des Parents, et surtout de ceux qui peuvent être en meilleurs termes avec la mère de la fille. Un des amis pourra aussi se déguiser en astrologue, et pronostiquer l’heureuse fortune et la richesse future de son ami, en affirmant qu’il a pour lui tous les présages et signes de bonheur : bonne influence des planètes, entrée favorable du Soleil dans tel ou tel signe du zodiaque, étoiles propices, marques de bon augure sur son corps.

D’autres enfin pourront éveiller la jalousie de la mère, en lui disant que son ami a des chances de trouver ailleurs encore mieux que sa fille.

Il convient de prendre une fille pour épouse, ou de la donner en mariage, lorsqu’on est pleinement satisfait de la fortune, des signes, des présages et des paroles des autres, car, dit Ghotakamukha, un homme ne doit pas se marier au premier caprice qui lui en vient. On ne doit pas épouser une fille qui dort, qui pleure, ou qui est sortie de la maison au moment où on la demande en mariage, ou qui est fiancée à un autre. On doit aussi éviter les suivantes :

Celle qui est tenue cachée.

Celle qui a un nom malsonnant.

Celle qui a le nez déprimé.

Celle qui a la narine relevée.

Celle qui a des formes de garçon.

Celle qui est courbée.

Celle qui a les cuisses tortues.

Celle qui a le front Proéminent.

Celle qui a la tête chauve.

Celle qui n’aime pas la pureté.

Celle qui a été Polluée par d’autres.

Celle qui est affectée du Gulma.

Celle qui est défigurée d’une façon quelconque.

Celle qui est arrivée à pleine puberté.

Celle qui est une amie.

Celle qui est une plus jeune sœur.

Celle qui est une Vars akar.

De même encore, une fille qui porte le nom d’une des vingt-sept étoiles, ou le nom d’un arbre, d’une rivière, passe pour ne rien valoir, comme aussi une fille dont le nom finit par un r ou un l. Mais, au dire de quelques auteurs, on ne peut être heureux qu’en épousant une fille à laquelle on s’attache, et, conséquemment, on ne doit pas épouser d’autre fille que celle qu’on aime.

Lorsqu’une fille devient bonne à marier, ses parents doivent l’habiller coquettement, et la produire partout où elle puisse être aisément vue de tous. Chaque après-midi, après l’avoir habillée et parée avec élégance, ils l’enverront avec ses jeunes compagnes aux sports, sacrifices et cérémonies de mariage, la faisant voir ainsi à son avantage, attendu Qu’elle est une sorte de marchandise. Ils devront aussi accueillir, avec de bonnes paroles et des témoignages d’amitié, les personnes de favorable apparence que leurs parents ou leurs amis leur amèneraient en vue du mariage de leur fille ; ils l’habilleront alors élégamment, sous un prétexte ou un autre, et la leur présenteront. Cela fait, ils attendront le bon plaisir de la fortune, et feront tel ou tel jour pour décider du mariage. Ce jour-là, lorsque les personnes seront arrivées, les parents de la fille les inviteront à se baigner et à dîner, et leur diront : « Tout viendra en son temps » ; et, sans donner immédiatement suite à la demande, ils renverront l’affaire à plus tard.

Lorsqu’un homme a de la sorte fait l’acquisition d’une fille suivant l’usage du pays, ou d’après son propre désir, il doit l’épouser en se conformant aux préceptes de la Sainte Écriture touchant l’une des quatre sortes de mariages.

Ainsi finit le mariage.

Il y a aussi, sur ce sujet, des versets dont voici le texte :

« Les amusements de société, tels que de compléter des vers commencés par d’autres, les mariages et les cérémonies propitiatoires, ne doivent avoir lieu ni avec des supérieurs, ni avec des inférieurs, mais avec nos égaux. On dit qu’il y a haute alliance lorsqu’un homme, après avoir épousé une fille, est obligé ensuite de la servir, elle et ses Parents, comme un domestique, et une telle alliance est blâmée Par les gens de bien. D’un autre côté, les sages qualifient de basse alliance, en la condamnant, le mariage d’un homme qui, de concert avec ses parents, agit en despote envers sa femme. Mais lorsque l’homme et la femme se rendent mutuellement agréables l’un à l’autre, et que les parents des deux côtés les respectent également, cela s’appelle une alliance dans le propre sens du mot. Un homme, donc, ne doit contracter ni une haute alliance qui l’obligerait ensuite à s’abaisser devant les parents, ni une basse alliance que tout le monde réprouve. »

II

De la confiance à inspirer à la fille

Pendant les trois premiers jours qui suivront le mariage, l’homme et la femme coucheront sur le plancher, s’abstiendront de plaisirs sexuels, et prendront leur nourriture en l’assaisonnant d’alca ou de sel. Les sept jours suivants, ils se baigneront au son de joyeux instruments de musique, se pareront, dîneront ensemble, et feront des politesses à leurs parents et aux personnes qui auront pu assister à leur mariage. Ceci est applicable aux gens de toutes les castes. Le soir du dixième jour, l’homme commencera à parler doucement à sa jeune femme, seul à seule, de façon à lui inspirer confiance. Quelques auteurs prétendent que, pour la gagner entièrement, il ne doit pas lui parler de trois jours ; mais, observent les disciples de Babhravya, si un homme reste muet pendant trois jours, il est à craindre que la jeune femme ne se dégoûte de le voir aussi inerte qu’un pilier, et, désenchantée, ne vienne à le mépriser comme un eunuque. Vatsyayana est d’avis que l’homme doit commencer par la gagner et lui inspirer confiance, mais qu’il doit s’abstenir d’abord des plaisirs sexuels. Les femmes, étant de nature douce, veulent qu’on les aborde avec douceur ; si elles ont à subir un assaut brutal d’hommes qu’elles connaissent à peine, elles en conçoivent quelquefois la haine de l’union sexuelle, quelquefois même la haine du sexe mâle. L’homme doit, en conséquence, approcher la jeune femme avec les ménagements qu’elle désire, et l’emploiera les procédés capables de lui inspirer de plus en plus confiance. Ces procédés sont les suivants :

Il l’embrassera pour la première fois de la façon qui lui plaira le mieux, parce que cela ne dure pas longtemps.

Il l’embrassera avec la partie supérieure de son corps, parce que c’est plus facile et plus simple. Si la fille est d’un certain âge, ou si l’homme la connaît depuis quelque temps, il peut l’embrasser à la lueur d’une lampe ; mais s’il ne a connaît pas bien, ou si c’est une toute jeune fille, il doit alors l’embrasser dans l’obscurité.

Lorsque la fille aura consenti à l’embrassement, l’homme lui mettra dans la bouche un tambula ou morceau de noix de bétel et des feuilles de bétel ; et si elle refuse de les prendre, il devra l’y engager par des paroles conciliantes, des prières, des serments ; enfin il s’agenouillera à ses pieds, car il est de règle que, si ombrageuse ou irritée que soit une femme, elle n’est jamais intraitable pour un homme à genoux devant elle. Au moment où il lui donnera ce tambula, il lui baisera la bouche doucement et gracieusement, sans émettre aucun son. Ce premier point obtenu, il la fera parler, et pour l’y engager, il lui adressera des questions sur des choses qu’il ne connaîtra pas ou prétendra ne pas connaître, et qui n’exigeront qu’une courte réponse. Si elle ne lui parle pas, il se gardera de la brusquer, mais il lui fera de nouveau les mêmes questions sur un ton conciliant. Si alors elle ne lui parle pas davantage, il la pressera de répondre, car, observe Ghotakamu que toutes les filles écoutent ce que les hommes leur disent, mais elles mêmes souvent ne disent pas un seul mot ». Ainsi importunée, la fille répondra enfin par un mouvement de tête ; tandis que, si l’homme la querellait, elle ne ferait pas même cela. Lorsque l’homme lui demandera s’il lui plaît et si elle l’aime, elle gardera longtemps le silence à la fin, pressée de s’expliquer, elle répondra affirmativement par un signe de tête. Si l’homme la connaissait avant le mariage, il devra s’entretenir avec elle par l’intermédiaire d’une amie qui peut lui être favorable, et qui, ayant la confiance de l’un et de l’autre, tiendra la conversation des deux côtés. En pareille occasion, la fille sourira, la tête baissée ; et si l’amie en dit plus de sa part qu’elle ne désire, elle la grondera et lui cherchera dispute. L’amie dira par plaisanterie telle ou telle chose que la fille ne voudra pas être dite, en ajoutant : « Elle dit cela » ; sur quoi la fille dira Prestement et gentiment : « Oh ! non, je n’ai pas dit cela » ; et alors elle sourira et jettera sur l’homme un coup d’œil furtif.

Si la fille est familière avec l’homme, elle placera près de lui, sans rien dire, le tambula, l’onguent ou la guirlande qu’il peut avoir demandés, ou bien elle pourra les enfermer dans son vêtement de dessus.

Pendant ce temps-là, l’homme lui touchera ses jeunes seins en pratiquant la pression sonore avec les ongles, et si elle veut l’en empêcher, il lui dira : « Je ne le ferai plus, si vous m’embrassez », et il l’amènera de cette façon à l’embrasser. Tandis qu’elle l’embrassera, il passera sa main à diverses reprises sur tout son corps. Puis, tout doucement, il la mettra sur ses genoux et tâchera de plus en plus d’obtenir son consentement ; et si elle ne veut pas céder, il l’a frappera en disant :

« Je vais imprimer les marques de mes dents et de mes ongles sur vos lèvres et sur vos seins ; je ferai des marques semblables sur mon propre corps, et je dirai à mes amis que c’est vous qui les avez faites. Que direz-vous alors ? » C’est de cette manière ou à peu près que se créent la crainte et la confiance dans l’esprit des enfants, et l’homme devra ainsi obtenir de la fille ce qu’il désire.

La seconde et la troisième nuit, lorsque la confiance se sera encore accrue, il lui touchera le corps tout entier avec ses mains, et le baisera partout ; il mettra aussi ses mains sur ses cuisses et les massera ; et s’il y réussit, il lui massera alors les jointures des cuisses. Si elle veut l’en empêcher, il lui dira : « Quel mal y a-t-il à cela ? » et il lui persuadera de le laisser faire. Ce point gagné, il lui touchera ses parties secrètes, dénouera sa ceinture et le nœud de sa robe, et, relevant sa jupe de dessous, lui massera les jointures de ses cuisses nues. Il fera toutes ces choses sous différents prétextes, mais il ne devra pas encore commencer le congrès réel. Ensuite il lui enseignera les soixante quatre arts, lui dira combien il l’aime et quelles espérances il caressait depuis longtemps à son égard. Il lui promettra aussi de lui être fidèle, dissipera toutes ses craintes au sujet de rivales, et enfin, après avoir vaincu sa timidité, il se mettra en devoir de jouir d’elle de manière à ne pas l’effrayer.

Telle est la façon d’inspirer confiance à la jeune femme.

Il y a en outre, sur ce sujet, quelques versets dont voici le texte :

« Un homme qui agit conformément aux inclinations d’une fille doit essayer de l’apprivoiser de telle sorte qu’elle puisse l’aimer et lui donner sa confiance. On ne réussit ni en suivant aveuglément l’inclination d’une fille, ni en s’y opposant tout à fait, mais il faut adopter un moyen terme. Celui qui sait se faire aimer des femmes, soigner leur honneur et leur inspirer confiance, celui-là est assuré de leur amour. Mais celui qui néglige une fille, parce qu’elle lui semble trop timide, n’obtient que son mépris : elle le regarde comme une bête qui ne sait pas gouverner l’esprit d’une femme. En outre, une fille possédée de force par un homme qui ne connaît pas le cœur féminin, devient nerveuse, inquiète, abattue ; elle se prend soudain à détester l’homme qui l’a violentée, et alors, son amour n’étant pas compris ni payé de retour, elle tombe dans le désespoir, et devient l’ennemie du sexe mâle tout entier ; ou, si elle déteste particulièrement son mari, elle a recours à d’autres hommes. »

3

De la cour, et de la manifestation des sentiments par signes et actes extérieurs

Un homme pauvre, doué de bonnes qualités, un homme né d’une famille de bas étale et doué de médiocres qualités, un voisin riche, et un homme sous a dépendance de son père, de sa mère ou de ses frères, ne doivent pas se marier sans avoir eu soin de se faire aimer et estimer de la fille, dès son enfance. Ainsi un garçon séparé de ses parents et qui vit dans la maison de son oncle essaiera de gagner la fille de son oncle, ou quelque autre fille, lors même qu’elle aurait été précédemment fiancée à un autre. Et cette façon de gagner une fille, dit Ghotakamukha, est irréprochable, parce qu’on peut ainsi acquérir Dharma, aussi bien que par toute autre espèce de mariage.

Lorsqu’un garçon aura de la sorte commencé à courtiser la fille qu’il aime, il passera son temps avec elle et l’amusera par différents jeux et divertissements convenables à son âge et à sa condition, tels que de cueillir et de rassembler des fleurs, tresser des guirlandes de fleurs, jouer le rôle de membre d’une famille fictive, faire cuire des aliments, jouer aux dés, aux cartes, à pair ou impair, à reconnaître le doigt du milieu, aux six cailloux, et autres jeux semblables qui pourront être en faveur dans le pays et plaire à la jeune fille. Il organisera, en outre, d’autres jeux auquels participeront plusieurs personnes, tels que de jouer à cache-cache, aux graines, à cacher des objets dans différents petits tas de blé et à les chercher, à colin maillard ; et divers exercices gymnastiques ou autres jeux de même sorte, en compagnie de la jeune fille, de ses amies et de ses servantes. L’homme devra aussi marquer une grande bienveillance pour telle ou telle femme que la jeune fille jugera digne de confiance, et il fera aussi de nouvelles connaissances ; mais, avant tout, il s’attachera par son amabilité et par de petits services la fille de la nourrice de sa préférée : car, s’il peut la gagner, lors même qu’elle viendrait à deviner son dessein, elle n’y mettra pas obstacle, et pourra plutôt faciliter l’union entre la jeune file et lui. Et, tout en connaissant son véritable caractère, elle ne cessera de parler de ses bonnes qualités aux parents de la jeune fille, sans même Qu’il l’en ait priée.

L’homme fera donc tout ce qui sera le plus agréable à la jeune fille, et il lui procurera tout ce qu’elle peut désirer de posséder. Ainsi il lui donnera des jouets que la plupart de ses compagnes ne connaîtront pas. Il pourra aussi lui faire voir une boule revêtue de diverses couleurs, et d’autres curiosités de même sorte ; il lui donnera des poupées en drap, en bois, en corne de buffle, en ivoire, en cire, en pâte ou en terre ; des ustensiles pour cuire les aliments, des figurines en bois, telles qu’un homme et une femme debout, une paire de béliers, de chèvres ou de moutons ; aussi des temples en terre, en bambou, en bois, consacrés à différentes déesses ; des cages à perroquets, coucous, sansonnets, cailles, coqs et perdrix ; des vases à eau de formes élégantes et variées, des machines à lancer de l’eau, des guitares, des supports à images, des tabourets, de la laque, de l’arsenic rouge, de longuent jaune, du vermillon et du collyre ; enfin du bois de santal, du safran, des noix de bétel et des feuilles de bétel. Il lui donnera ces choses à différentes fois, lorsqu’il aura une bonne occasion de la rencontrer, et quelques-unes en particulier, quelques unes en public, selon les circonstances. Bref, il essaiera par tous les moyens de lui persuader qu’il est prêt à faire tout ce qu’elle désire.

Ensuite il obtiendra d’elle un rendez-vous dans quelque endroit retiré, et alors il lui dira que, s’il lui a donné des présents en secret, c’était dans la crainte de déplaire à ses parents et aux siens ; il ajoutera que ce qu’il lui a donné, d’autres l’avaient grandement désiré. Lorsque la jeune fille lui paraîtra l’aimer davantage, il lui racontera des histoires amusantes, si elle en exprime le désir. Ou bien, si elle prend plaisir aux tours de main, il l’émerveillera par quelques bons tours de passe-passe ; ou, si elle semble très curieuse de voir un essai des différents arts, il lui montrera son adresse à les pratiquer. Si elle aime le chant, il lui fera de la musique ; et, à certains jours, lorsqu’ils iront ensemble aux foires et festivals de clair de lune, ou lorsqu’elle rentrera chez elle après une absence, il lui offrira des bouquets de fleurs, des ornements de tête et d’oreilles, des anneaux, car c’est en pareilles occasions que se doivent faire ces présents.

Il enseignera aussi à la fille de la nourrice, dans leur totalité, les soixante-quatre moyens de plaisir pratiqués par les hommes, et, sous ce prétexte, il lui fera connaître combien il est habile dans l’art de la jouissance sexuelle. Pendant tout ce temps il portera un habit élégant et aura aussi bel air que possible, car les jeunes femmes aiment les hommes qui vivent avec elles et qui sont beaux, bien tournés et bien habillés. Quant à dire que, tout en ressentant de l’amour, les femmes ne font pas elles-mêmes d’efforts pour conquérir l’objet de leur affection, il serait oiseux d’insister là dessus.

Maintenant, voici les signes et actes extérieurs par lesquels se trahit invariablement l’amour d une jeune fille :

Elle ne regarde jamais l’homme en face, et rougit lorsqu’il la regarde ; sous un prétexte ou un autre elle lui fait voir ses membres ; elle le retarde secrètement lorsqu’il s’éloigne d’elle ; baisse la tête lorsqu’il lui fait une question, et lui répond par des mots indistincts et des phrases sans suite ; se plaît à rester longtemps dans sa compagnie ; parle à ses servantes sur un ton particulier, dans l’espoir d’attirer son attention, lorsqu’il se trouve à une certaine distance ; ne veut pas quitter le lieu où il est ; sous un prétexte ou sous un autre le fait regarder différentes choses ; lui raconte des fables et des histoires très lentement, de manière à prolonger la conversation ; baise et embrasse devant lui un enfant assis sur ses genoux ; dessine des marques ornementales sur le front de ses servantes ; exécute des mouvements vifs et gracieux lorsque ses servantes lui parlent gaiement en présence de son amoureux ; se confie aux amis de son amant, leur montre respect et déférence ; est bonne pour ses domestiques, cause avec eux, les engage à faire leur devoir comme si elle était leur maîtresse, et les écoute attentivement lorsqu’ils parlent de son amant à quelque autre personne ; entre dans sa maison lorsque la fille de sa nourrice l’y invite, et, par son assistance, s’arrange pour causer et jouer avec lui ; évite d’être vue de son amant lorsqu’elle n’est pas habillée et parée ; lui envoie, par l’entremise de son amie, ses ornements d’oreilles, son anneau et sa guirlande de fleurs, suivant le désir qu’il aura exprimé de les voir ; porte continuellement quelque objet qu’il peut lui avoir donné ; montre de la tristesse quand ses parents lui parlent d’un autre prétendu, et ne se mêle pas à a société des personnes qui prennent parti ou soutiennent les vues de ce dernier.

Il y a aussi, sur ce sujet, quelques versets dont voici le texte :

« Un homme qui s’est aperçu et s’est rendu compte des sentiments d’une fille à son égard, et qui a remarqué les signes et mouvements extérieurs auxquels on reconnaît ces sentiments, doit faire tout son possible pour s’unir avec elle. Il doit s’attacher une toute jeune fille par des jeux enfantins, une demoiselle plus âgée par son habileté dans les arts, et une fille qui l’aime en ayant recours aux personnes qui ont sa confiance. »

IV

Des choses que l’homme doit faire seul pour s’assurer l’acquisition de la fille ; pareillement, de ce que doit faire la fille pour dominer l’homme et se l’assujettir

Or, quand la jeune fille commence à montrer son amour par des signes et mouvements extérieurs, ainsi qu’il est décrit dans le précédent chapitre, l’amant doit essayer de la conquérir entièrement par différents moyens, tels que les suivants :

Au cours des jeux et divertissements auxquels tous deux prendront part, il lui tiendra la main avec intention. Il pratiquera sur elle les différentes sortes d’embrassements, par exemple, l’embrassement touchant, et autres dont il est parlé dans un précédent chapitre (IIe Partie, Chapitre II). Il lui fera voir une couple de figurines humaines découpées dans une feuille d’arbre, et autres choses de même genre, par intervalles. Dans les sports aquatiques, il plongera à une certaine distance d’elle, et reparaîtra tout près. Il se montrera épris du nouveau feuillage des arbres, et d’autres choses semblables. Il lui décrira les tourments qu’il endure pour elle. Il lui racontera le beau rêve qu’il a fait à l’occasion d’autres femmes. Dans les parties et assemblées de sa caste, il s’assiéra près d’elle et la touchera sous un prétexte ou sous un autre ; et, après avoir placé son pied sur le sien, il touchera lentement chaque orteil et pressera les extrémités des ongles ; s’il y réussit, il saisira son pied avec la main et répétera la même chose. Il pressera aussi entre ses orteils un doigt de sa main, lorsque la jeune fille se lavera les pieds ; et, chaque fois qu’il lui fera un cadeau ou en recevra d’elle, sa contenance et ses regards lui exprimeront l’intensité de son amour.

Il répandra sur elle l’eau qu’il aura reçue pour rincer sa bouche ; et, s’il se trouve avec elle dans un lieu solitaire, ou dans l’obscurité, il lui fera l’amour, et lui dira le véritable état de son esprit sans l’affliger d’aucune façon.

Chaque fois qu’il sera assis avec elle sur le même siège ou le même lit, il lui dira : « J’ai quelque chose à vous dire en particulier », et alors, si elle consent à l’écouter dans un endroit tranquille, il lui exprimera son amour par des gestes et des signes plutôt que par des paroles.

Lorsqu’il connaîtra bien ses sentiments à son égard, il se prétendra malade et la fera venir chez lui pour lui parler. Alors il lui prendra intentionnellement la main et la portera sur ses jeux et sur son front, et, sous le prétexte de se préparer quelque médecine, il la priera de se charger de l’ouvrage, en ces termes : « C’est à vous de faire cette besogne, à vous, et à nul autre. » Quand elle devra se retirer, il la laissera partir, en la priant vivement de revenir le voir. Ce semblant de maladie sera continué pendant trois jours et trois nuits. Dans la suite, comme elle prendra habitude de venir souvent le voir, il tiendra avec elle de longues conversations, car, dit Ghotakamukha, « si passionnément qu’un homme aime une fille, il ne vient jamais à bout d’en triompher sans une grande dépense de paroles ». Enfin, lorsque l’homme trouve la fille entièrement conquise, il peut alors commencer à en jouir. Quant à dire que les femmes se montrent moins timides qu’à l’ordinaire le soir, la nuit et dans l’obscurité, qu’elles sont à ces moments-là désireuses du congrès, qu’elles ne s’opposent plus aux hommes et qu’il faut en jouir seulement à ces heures-là, c’est pur bavardage.

Lorsqu’un homme ne pourrait, par lui seul, arriver à ses fins, il devra, au moyen de la fille de la nourrice ou d’une amie en qui elle a confiance, se faire amener la jeune fille sans lui révéler son dessein, et il procédera de la manière ci-dessus décrite. Ou bien, dès le début, il enverra sa propre servante vivre avec elle comme demoiselle de compagnie, et celle-ci lui en facilitera la conquête.

À la fin, lorsqu’il sera édifié sur ses sentiments par sa contenance extérieure et par sa conduite envers lui dans les cérémonies religieuses, les cérémonies de mariage, les foires, les festivals, les théâtres, les assemblées publiques et autres occasions semblables, il devra commencer à en jouir Quand elle se trouvera seule ; car Vatsyayana Pose en principe que, si l’on s’adresse aux femmes en temps convenable et en lieu convenable, elles ne sont jamais infidèles à leurs amants.

Une jeune fille, douée de bonnes qualités et bien élevée, quoique née d’une famille de classe inférieure ou sans fortune, et qui n’est pas en conséquence recherchée de ses égaux ; ou bien une orpheline, privée de ses parents, mais observant les règles de sa famille et de sa caste, doit, lorsqu’elle est venue à l’âge d’être mariée et qu’elle songe à s’établir, faire des efforts pour s’attacher un jeune homme fort et de bonne apparence, ou tel autre qu’elle croira pouvoir l’épouser, par faiblesse d’esprit, et même sans le consentement de ses parents. Elle emploiera dans ce but les moyens propres à s’en faire aimer, et cherchera toutes les occasions de le voir et de le rencontrer. Sa mère aussi ne négligera rien pour les réunir au moyen de ses amies et de la fille de sa nourrice. La jeune fille elle-même s’arrangera pour se trouver seule avec son bien-aimé dans quelque endroit tranquille, et tantôt elle lui donnera des fleurs, tantôt une noix de bétel, des feuilles de bétel et des parfums. Elle lui montrera aussi son adresse dans la pratique des arts, dans le massage, l’égratignure et la pression des ongles. Enfin elle l’entretiendra es sujets qu’il affectionne, et discutera avec lui des voies et moyens à employer pour conquérir l’amour d’une jeune fille.

Mais, suivant d’anciens auteurs, si ardente que soit l’affection d’une jeune fille pour un homme, elle ne doit pas s’offrir elle-même ni faire les premières ouvertures, car une fille qui agit de la sorte s’expose à être méprisée et rebutée. Seulement, lorsque l’homme paraît désirer d’en jouir, elle doit lui être favorable, ne montrer aucun changement de contenance lorsqu’il l’embrasse, et recevoir toutes les manifestations de son amour, comme si elle ignorait à quoi il veut en venir.

Lorsqu’il voudra lui donner des baisers, toutefois, elle si opposera ; lorsqu’il la priera de lui permettre l’union sexuelle, elle le laissera tout au plus toucher ses parties secrètes, et encore avec beaucoup de difficulté ; et, quelles que soient ses importunités, elle ne lui cédera pas de son plein gré, mais résistera aux efforts qu’il fait pour l’avoir. C’est seulement quand elle sera certaine qu’elle est vraiment aimée, que son amant lui est tout à fait dévoué et qu’il ne changera pas, qu’elle s’abandonnera à lui, en lui persuadant de l’épouser promptement.

Après avoir perdu sa virginité, elle en fera confidence à ses amies intimes.

Ainsi finissent les efforts d’une jeune fille pour conquérir un homme.

Il y a aussi, sur ce sujet, des versets dont voici le texte :

« Une fille qui est très recherchée doit épouser l’homme qu’elle aime, et qu’elle pense devoir lui être obéissant et capable de lui donner du plaisir. Mais si, dans un but intéressé, des parents marient leur fille à un homme riche sans se préoccuper du caractère et de l’apparence du fiancé ; ou encore s’ils a donnent à un homme qui a plusieurs femmes, elle ne s’attache jamais à son mari, lors même qu’il serait doué de bonnes qualités, obéissant, actif, robuste, sain de corps et désireux de lui plaire de toutes façons. Un mari obéissant, mais toutefois maître de lui-même, encore bien qu’il soit pauvre et n’ait pas bonne apparence, est préférable à tel autre qui est commun à plusieurs femmes, si beau et si attrayant que soit ce dernier. Les femmes mariées à des hommes riches, qui ont beaucoup de femmes, ne leur sont généralement pas attachées et ne leur donnent pas leur confiance ; et, bien qu’elles jouissent de tous les agréments extérieurs de la vie, elles n’en ont pas moins recours à d’autres hommes. Un homme d’esprit grossier, ou tombé de sa position sociale, ou trop porté à voyager, ne mérite pas qu’on l’épouse ; de même celui qui a beaucoup de femmes et d’enfants, ou qui aime passionnément les sports et les jeux et ne vient trouver sa femme que rarement, quand cela lui plaît. De tous les amants d’une fille, celui-là seul est son vrai mari qui possède les qualités par elle préférées, et un tel mari aura seul une véritable supériorité sur elle, parce que c’est le mari d’amour. »

V

De certaines formes de mariage

Lorsqu’une jeune fille ne peut voir souvent son amant en particulier, elle doit lui envoyer la fille de sa nourrice, étant bien entendu qu’elle a confiance en elle et qu’elle l’a préalablement gagnée à ses intérêts. Dans sa conversation avec l’homme, la fille de la nourrice lui vantera la naissance de la jeune fille, son heureux caractère, sa beauté, ses talents, son adresse, sa maturité d’esprit et son affection, mais de façon à ne pas lui laisser soupçonner qu’elle vient de sa part ; elle excitera ainsi dans le cœur de l’ homme de l’amour pour la jeune fille. À celle ci, en retour, elle parlera des excellentes qualités de l’homme, et spécialement de celles qu’elle sait lui être agréables.

Elle parlera aussi, en termes défavorables, des autres amants de la jeune fille, critiquera l’avarice et l’indiscrétion de leurs parents, le peu de consistance de leurs familles. Elle citera des exemples de filles des anciens temps, telles que Sacountala et d’autres, qui, s’étant unies avec des amants de leur propre caste et de leur propre choix, furent toujours heureuses dans leur société. Elle parlera aussi d’autres filles qui, mariées dans de grandes familles et bientôt tourmentées par des épouses rivales, devinrent misérables et, finalement, furent abandonnées. Enfin, elle parlera de l’heureuse fortune, de la prospérité inaltérable, de la chasteté, de l’obéissance et de l’affection de l’homme, et si la jeune fille en devient amoureuse, elle s’efforcera de rassurer sa pudeur, de dissiper ses craintes ou ses soupçons relativement à quelque malheur qui pourrait résulter de son mariage. En un mot, elle remplira exactement le rôle d’une messagère en instruisant la jeune fille de tout ce qu’elle saura de l’amour de l’homme, des endroits qu’il fréquente, des efforts qu’il a faits pour la rencontrer, et en lui répétant souvent :

« Tout ira au mieux si l’homme vous enlève de force et à l’improviste. »

Formes de mariage

Lorsqu’une jeune fille sera conquise et se comportera ouvertement avec l’homme comme si elle était sa femme, l’homme fera venir du feu de la maison d’un Brahmane, et après avoir semé sur la terre de l’herbe Kusha et offert un sacrifice au feu, il l’épousera suivant les préceptes de la loi religieuse. Ensuite il informera du fait ses parents ; car, dans l’opinion d’anciens auteurs, un mariage solennellement contracté en présence du feu ne peut être ultérieurement annulé.

Après la consommation du mariage, les parents de l’homme se rendront graduellement compte de l’affaire ; et les parents de la fille seront aussi informés, avec les ménagements propres à gagner leur consentement et à leur faire oublier la manière dont le mariage a été conclu. Ce point obtenu, on achèvera la réconciliation par d’aimables présents et des procédés respectueux. C’est ainsi que l’homme doit épouser une fille, conformément à la forme Gandharva de mariage.

Si une jeune fille ne peut se décider, ou si elle ne veut pas exprimer qu’elle est prête à se marier, l’homme en viendra à ses fins par l’un les moyens suivants :

1. À la Première occasion favorable, et sous quelque prétexte, il devra, par l’intermédiaire d’une amie qu’il connaît bien et à laquelle il peut se fier, et qui est aussi bien connue de la jeune fille, la faire amener inopinément chez lui. Alors il ira chercher du feu dans la maison d’un Brahmane, et procédera comme il est décrit plus haut.

2. Si le mariage de la jeune fille avec quelque autre personne s’annonce comme prochain, l’homme fera tous ses efforts pour discréditer le futur époux dans l’esprit de la mère. Alors, ayant obtenu de la mère d’emmener la jeune fille dans une maison voisine, il ira chercher du feu dans la maison d’un Brahmane, et procédera comme ci-dessus.

3. L’homme devra se faire le grand ami du frère de la jeune fille, ledit frère étant du même âge que lui, adonné aux courtisanes et occupé d’intrigues avec les femmes d’autrui ; il lui prêtera son assistance en tout cela et, à l’occasion, lui fera aussi des présents. Il lui dira alors combien il est épris de sa sœur ; et l’on sait que les jeunes gens sont prêts à tout sacrifier, même leur vie, pour ceux qui peuvent avoir leur âge, leurs habitudes et leurs goûts. Ensuite, il se fera amener la jeune fille, par le moyen de son frère, dans quelque endroit sûr, où, après avoir été chercher du feu dans la maison d’un Brahmane, il procédera comme ci-dessus.

4. À l’occasion des festivals, l’homme fera donner à la jeune fille, par la fille de sa nourrice, quelque substance enivrante, et alors il la fera venir dans un lieu sûr sous un prétexte quelconque ; et là, après en avoir joui avant que son ivresse soit dissipée, il apportera du feu de la maison d’un Brahmane, et procédera comme plus haut.

5. L’homme, de connivence avec la fille de sa nourrice, enlèvera la jeune fille de sa maison pendant qu’elle est endormie ; et alors, après en avoir joui avant son réveil, il apportera du feu de la maison d’un Brahmane, et procédera comme plus haut.

6. Si la jeune fille se rend à un jardin, ou à quelque village des environs, l’homme, assisté de ses amis, tombera sur ses gardiens et, les ayant tués ou mis en fuite, il l’enlèvera de force et procédera comme ci-dessus.

Il y a, sur ce sujet, des versets dont voici le texte :

« Pour les formes de mariage indiquées dans le présent chapitre, celle qui précède est meilleure que celle qui suit, parce qu’elle s’accorde davantage avec les préceptes de la religion, et, en conséquence, c’est seulement lorsqu’il est impossible de pratiquer la première qu’il est permis de recourir à la seconde. Comme le fruit de tout bon mariage est l’amour, la forme de mariage Gandharva est respectée, lors même qu’elle aurait été pratiquée dans des circonstances défavorables, parce qu’elle remplit le but qu’on se propose.

Une cause de mariage attribuée à la forme de mariage Gandharva, c’est qu’elle procure le bonheur, occasionne moins d’embarras que les autres formes, et qu’elle est essentiellement le résultat d’un amour préalable. »