Légendes chrétiennes/La bonne femme et la méchante femme

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XI


la bonne femme et la méchante femme.


i



Il y avait une fois deux pauvres gens, mari et femme, qui avaient douze enfants, tous en bas âge. Ils avaient toutes les peines du monde à vivre, si bien que l’homme dit un jour à la femme :

— Il m’est impossible de fournir du pain à tant d’enfants ! Demain, j’emmènerai les deux aînés avec moi au bois, et je tâcherai de les y égarer. Dieu aura pitié d’eux et les conduira, et fera tout pour le mieux.

La mère soupira et ne dit rien.

Les deux aines étaient un garçon nommé Jean et une fille nommée Jeanne. Jean dormait, pendant que son père et sa mère parlaient ainsi, auprès du feu, et il n’entendit rien ; mais Jeanne ne dormait pas, et elle entendit tout.

Le lendemain matin, le père dit :

— Il y a longtemps que je n’ai été voir ma sœur Marguerite, qui demeure au-delà du bois ; je veux y aller aujourd’hui, et Jean et Jeanne viendront avec moi. Mettez donc vos habits du dimanche, mes enfants, et disposez-vous à me suivre.

La mère était à carder de l’étoupe, pour filer, et elle ne pouvait retenir ses larmes. Jeanne remplit ses poches d’étoupe, sans qu’elle s’en aperçût, et ils partirent tous les trois. Quand ils furent dans le bois, qui était très-grand, Jeanne, qui marchait derrière son père et son frère, accrochait des flocons d’étoupe aux buissons, partout où ils passaient.

La nuit vint qu’ils étaient encore dans le bois, et le père dit alors :

— Hélas ! mes pauvres enfants, nous nous sommes égarés, et il faudra passer la nuit ici. Ils s’étendirent tous les trois sur la mousse, au pied d’un grand arbre. Jean, qui était fatigué, s’endormit aussitôt. Jeanne fit semblant de dormir aussi ; mais elle ne dormit pourtant pas. Quand le père crut ses deux enfants bien endormis, il se leva tout doucement et partit. Jeanne l’entendit bien se lever et s’en aller ; mais elle feignit de dormir toujours.

Au matin, quand Jean s’éveilla et qu’il vit que son père n’était plus auprès de lui, il se mit à pleurer.

— Tais-toi, mon frère, lui dit Jeanne, et ne crains rien, car je saurai te ramener à la maison ; tu verras.

Et en effet, grâce aux flocons d’étoupe qu’elle avait accrochés aux buissons, elle retrouva facilement son chemin, et ils arrivèrent à la maison, vers le soir, portant chacun un fagot de bois sec, qu’ils avaient ramassé dans la forêt. Le père et la mère furent étonnés de les revoir, et la mère ne put s’empêcher de s’écrier :

— Dieu soit loué, les voilà revenus !

Et elle les embrassa tendrement.

Le père dit aussi, mais non de bon cœur :

— Je suis heureux que vous ayez pu trouver la route pour revenir, mes enfants ; je me suis éveillé au milieu de la nuit, et ne vous voyant plus à mes côtés, j’ai craint que les loups vous eussent enlevés, et je me suis mis à votre recherche : où donc étiez-vous ?

— Tais-toi, mauvais père ! lui dit sa femme ; tu n’en seras pas plus riche pour cela.

Environ quinze jours plus tard, une nuit que les deux époux se chauffaient auprès du feu, les enfants étant couchés, l’homme dit encore :

— Nous ne pouvons pas vivre comme cela ! Il n’y a pas à dire, il faut prendre quelque mesure ! Demain matin, je retournerai au bois avec les deux aînés.

Jeanne donnait, cette fois, et Jean aussi, et ils n’entendirent rien, ni l’un ni l’autre.

Le lendemain matin, leur père leur dit :

— J’ai un petit voyage à faire, mes enfants, et il faut que vous veniez avec moi tous les deux.

Jeanne, qui se doutait bien de quoi il s’agissait encore, se dit : — Nous sommes perdus, cette fois, car il n’y a plus d’étoupe !

Cependant, au lieu de manger le pain de son déjeûner, elle le mit dans sa poche, et, quand ils furent dans le bois, elle l’émiettait par où elle passait, pensant qu’elle retrouverait ainsi son chemin, comme la première fois. Mais bientôt elle n’eut plus de pain, la pauvre enfant ! La nuit vint, et ils se couchèrent encore sur la mousse, au pied d’un arbre, pour attendre le jour. Jeanne se promit bien de ne pas dormir ; mais, hélas ! elle était si fatiguée, qu’elle finit par succomber au sommeil. Quand le père vit qu’ils dormaient tous les deux, il partit tout doucement, comme la première fois, et lorsque les enfants s’éveillèrent, au matin, ils se trouvèrent encore abandonnés. Ils essayèrent de retrouver leur chemin ; hélas ! ce fut en vain, car les oiseaux avaient mangé les miettes de pain semées par Jeanne sur son passage, et il n’en restait plus aucune trace. Ils errèrent toute la journée dans le bois, ayant grand’faim et plus de peur encore ; et quand la nuit revint, ils y étaient toujours. Jean pleurait et se désespérait ; Jeanne avait plus de courage, et s’efforçait de le rassurer. Elle l’aida à monter sur un arbre, pour voir s’il n’apercevrait aucune lumière. Quand il fut au haut de l’arbre, elle lui demanda :

— Ne vois-tu rien, mon frère ?

— Si ! je vois une petite lumière, au loin. — De quel côté ?

— Là-bas, à gauche, au loin.

— Eh bien ! descends alors, et nous allons, marcher vers la lumière.

Jean descendit de l’arbre, et ils marchèrent du côté de la lumière. Ils entendaient les loups hurler de tous côtés, dans le bois, et ils tremblaient de tous leurs membres, les pauvres enfants ! Enfin, à force de marcher à travers les ronces et les buissons de houx, qui leur piquaient et déchiraient les jambes et la figure, et les faisaient tomber souvent, ils arrivèrent devant un vieux château entouré de hautes murailles. Ils frappèrent à la porte : Dao ! dao !... Une vieille femme pliée en deux, sur un bâton et aux dents longues, et noires, vint leur ouvrir.

— Bonsoir, grand’mère, lui dirent-ils.

— Bonsoir, mes enfants, répondit la vieille. Que cherchez-vous, si tard ?

— Nous nous sommes égarés dans le bois, et si vous aviez la bonté de nous loger, pour cette nuit seulement, Vous nous rendriez un grand service.

— Oui, sûrement, mes pauvres enfants ; entrez vite.

Et ils entrèrent. Quand la vieille les vit à la lumière :

— Ils sont tout gentils, les mignons ! Moi aussi j’ai deux enfants, un fils et une fille, et ils vous ressemblent beaucoup : vous les verrez, du reste. Mais vous avez froid, mes petits amours ; venez vous chauffer, en attendant votre souper.

Jeanne, en entrant dans la cuisine, vit sous la table un précipice, au fond duquel il y avait un moulin à rasoirs. La vieille était à préparer le souper. Elle trempa deux écuelles de soupe, les posa sur la table et dit ensuite :

— Mettez-vous à table, mes mignons, et mangez de la bonne soupe chaude ; cela vous fera du bien.

Jeanne, qui se méfiait d’elle, à cause du moulin à rasoirs, répondit :

— Nous avons encore froid, grand’mère, et si vous le permettez, nous mangerons notre soupe auprès du feu.

— Comme vous voudrez, mes mignons.

Et elle leur donna leur soupe à manger auprès du feu.

Le fils et la fille de la vieille vinrent alors, et ils se mirent à table et mangèrent de la soupe, dans un grand baquet ; puis chacun d’eux mangea encore un mouton tout entier. Quand ils eurent fini de manger, la vieille dit :

— À présent, mes mignons, il faut aller se coucher ; mais comme je n’ai pas un lit à donner à chacun de vous, vous coucherez avec mes enfants, deux à deux.

Et elle les conduisit à la chambre de ses enfants, et leur donna à chacun un bonnet rouge, pour se mettre sur la tête. Ses enfants avaient des bonnets blancs. Jean coucha avec le fils de la vieille, et Jeanne avec sa fille. Mais Jeanne se garda bien de dormir, et quand elle entendit ronfler les enfants de la vieille, elle échangea son bonnet rouge contre le bonnet blanc de sa compagne de lit, et dit à son frère d’en faire autant.

Peu après, le maître du château, qui était un ronfle[1], arriva à la maison. En entrant, il huma l’air et dit :

— Qu’y a-t-il de nouveau, femme ? Je sens odeur de chrétien, et il faut que j’en mange !

— Ne parlez pas si haut, et ayez un peu de patience.

— Qu’est-ce que c’est, femme ? Dites-moi, vite.

— Eh bien ! j’ai logé deux petits chrétiens, les plus gentils du monde.

— Deux petits chrétiens ! Où sont-ils ? Je veux les manger tout de suite.

— Mais prenez donc patience un peu, vous dis-je ; ils sont couchés avec les enfants, et demain matin, nous les mangerons à déjeûner.

— Oui, nous les mangerons à notre déjeûner ; mais je veux leur couper la tête tout de suite, et les mettre à cuire dans la marmite, afin d’en être plus sûr.

Et il prit un grand coutelas, monta à la chambre de ses enfants et trancha, sans hésiter, les deux têtes qui portaient des bonnets rouges ; puis il descendit avec les corps et les têtes tout sanglants, et les jeta dans une grande marmite, qui était sur le feu, en disant avec un rire féroce :

— Ah ! ah ! ah ! le bon déjeûner que nous ferons demain matin !

Ensuite il soupa, mangea un bœuf entier avec sa femme, but une demi-barrique de vin et alla alors se coucher, en songeant à son déjeûner du lendemain.

Dès qu’il fit jour, Jeanne se leva et fit la leçon à son frère. Elle lui dit :

— L’ogresse nous a dit que nous ressemblions à ses enfants ; eh bien ! mettons leurs habits, et faisons comme si nous étions en effet leurs enfants ; ils sont si sots, qu’ils ne s’apercevront de rien.

Jean revêtit donc les habits du petit ogre, Jeanne ceux de la petite ogresse, et ils descendirent et dirent :

— Bonjour, père ! bonjour, mère ! et les embrassèrent.

Les deux monstres, qui ne songeaient qu’au bon déjeûner qu’ils se promettaient de faire, ne s’aperçurent de rien.

Jean et Jeanne se rendirent alors dans la cour du château et se mirent à regarder dans le puits, qui était très-profond. Et les voilà de crier tout à coup :

— Oh ! oh ! que c’est donc beau ! Venez voir ça, père et mère ! Venez vite, vite !...

Et les deux vieux accoururent et se penchèrent sur la margelle du puits. Alors Jean et Jeanne leur prirent les pieds par derrière et les précipitèrent dedans. Puis ils comblèrent le puits, en y jetant des pierres, des bûches et tout ce qui leur tombait sous la main. Les voilà, à présent,

seuls maîtres dans le château[2].
ii


Jeanne avait à présent dix-neuf ans, et Jean vingt ans. Ils finirent par s’ennuyer d’être toujours seuls dans ce beau château, bien qu’ils n’y manquassent de rien, et Jean voulut se marier. Il se maria donc à la plus riche héritière du pays, et il y eut une noce magnifique.

Le frère et la sœur se partagèrent le château, avec ses dépendances, en deux parts égales, et chacun d’eux se retira chez soi et tint maison à part. Ils avaient aussi chacun un petit chien, qu’ils aimaient beaucoup, et chacun d’eux garda son petit chien.

Pour être ainsi séparés, le frère et la sœur ne s’en aimaient pas moins, et ils se voyaient tous les jours. Jean allait souvent à la chasse, et son premier soin, en rentrant, était d’aller voir Jeanne et de partager avec elle le produit de sa chasse. Mais sa femme ne tarda pas à devenir jalouse de sa belle-sœur, et elle chercha à se débarrasser d’elle, par tous les moyens possibles. Elle s’entendit avec un de ses domestiques pour tuer le plus beau cheval des écuries de son mari, celui qu’il aimait par dessus tous les autres, et lui faire dire que c’était sa sœur qui l’avait fait tuer, par malice contre lui.

Un soir que Jean rentrait de la chasse, selon son habitude, on lui apprit la mort de son cheval, il en fut très-affecté.

— Comment cela est-il arrivé ? demanda-t-il.

— Comment ? lui répondit sa femme ; c’est votre sœur qui l’a fait tuer par un de ses hommes, par méchanceté, parce qu’elle savait que vous l’aimiez par dessus tous vos autres chevaux.

— Cela n’est pas possible ! répondit-il.

— Ce n’est pas possible ? Ah ! vous ne savez pas tout le mal qu’elle vous veut, celle-là !

Jean se rendit auprès de sa sœur et lui dit :

— Est-il possible, ma sœur, que tu aies fait tuer mon meilleur cheval ?

— Comment peux-tu croire cela, mon frère ?

— Bah ! ce n’est pas la mort d’un cheval qui mettra jamais la désunion entre ma sœur et moi ; qu’il n’en soit donc plus question.

Et il laissa dire sa femme et ne l’écouta pas sur ce sujet.

À quelques jours de là, comme il rentrait encore de la chasse, sa femme lui dit :

— Votre petit chien, que vous aimiez tant, est mort !

— Mon pauvre petit chien ! s’écria Jean, très-peiné. Comment donc cela est-il arrivé ?

— Comment ? Vous n’avez pas besoin de le demander : c’est celle qui a fait tuer votre cheval favori qui a aussi fait tuer votre petit chien. Ah ! vous avez là une sœur qui vous aime bien, comme vous le dites !

— Oui, certainement ma sœur m’aime, et je ne puis croire que ce que vous dites soit vrai.

Et il se rendit encore auprès de sa sœur et lui dit :

— Tu sais, ma sœur, que mon pauvre petit chien, que j’aimais tant, est mort.

— Et l’on t’a dit que c’est moi qui l’ai aussi fait mettre à mort, comme ton cheval, n’est-ce pas ? Ah ! mon pauvre frère, sois certain que je ne suis pour rien ni dans la mort de ton cheval, ni dans celle de ton chien. Mais comment peux-tu avoir seulement des soupçons contre moi ?

— Bah ! n’en parlons plus ; ce ne sera pas la mort d’un chien ou d’un cheval qui nous empêchera de nous aimer toujours, ma bonne petite sœur.

Et il s’en alla.

Une troisième fois, comme il rentrait de la chasse, sa femme lui cria, du plus loin qu’elle l’aperçut :

— Ah ! malheureux père ! et moi, malheureuse mère ! Accours vite, viens voir !...

Jean se hâta de monter à la chambre de sa femme.

— Tenez ! lui cria-t-elle, voyez l’œuvre de votre sœur chérie !...

Et elle lui montrait, dans son berceau, son enfant mort et tout sanglant, avec un poignard dans le cœur. Et c’était son œuvre à elle-même, le monstre ! Elle avait tué son enfant, par haine contre sa belle-sœur !

Jean, fou de colère et de douleur, prit son sabre et courut chez sa sœur. Il se précipita sur elle, sans dire un mot, et d’un coup il lui abattit un bras. Jeanne lui tendit alors son autre bras en disant :

— Oh ! mon frère !... tu peux en faire autant de celui-là aussi.

Et, d’un second coup de sabre, il lui abattit aussi l’autre bras.

— À présent, mon frère, reprit Jeanne, sans se plaindre, porte-moi dans le bois, et laisse-moi là mourir tranquillement.

Il la prit à bras le corps et la porta dans le bois, où il la déposa dans un vieux chêne creux ; puis il retourna à la maison.

Mais une épine entra, en ce moment, dans son pied et lui fit pousser un cri de douleur. Sa sœur dit alors :

— Puisse cette épine ne sortir de ton pied que lorsque j’aurai des bras et des mains pour l’en retirer moi-même !

En arrivant à la maison, Jean fut forcé de se mettre au lit, tant il souffrait, et d’appeler des médecins. Mais aucun médecin ne put extraire l’épine, et son pied et toute sa jambe enflaient et se gâtaient tous les jours de plus en plus. Cependant la pauvre Jeanne était toujours dans son arbre creux, au bois, et personne ne l’y allait voir et ne lui portait secours. Seul, son petit chien lui était resté fidèle. Il léchait ses blessures avec sa langue et allait tous les jours mendier quelques morceaux de pain et de viande dans un château voisin, et rapportait à sa maîtresse tout ce qu’on lui donnait ; il l’empêchait ainsi de mourir de faim.

Le fils du seigneur du château où le petit chien allait chercher de la nourriture, étonné de voir qu’il emportait tout ce qu’on lui donnait, et qu’il ne mangeait rien sur place, voulut le suivre un jour. Mais, arrivé dans le bois, il le perdit de vue, et il lui fallut s’en retourner sans savoir où il allait.

Il y avait deux ans que Jeanne était ainsi abandonnée dans son arbre creux, ne vivant que de ce que lui apportait son petit chien, lorsque le jeune seigneur, chassant un jour dans ce bois, se trouva auprès du chêne. Il resta immobile d’étonnement en y voyant une femme sans bras et n’ayant d’autres vêtements que ses cheveux, qui lui tombaient jusqu’aux pieds. Le petit chien, qu’il reconnut facilement, lui mettait dans la bouche des morceaux de pain, qu’elle mangeait avec avidité, car elle paraissait avoir grand’faim. Il s’approcha et dit :

— Est-ce un animal ou une chrétienne que je vois ?

— Je suis une chrétienne, répondit Jeanne, la plus malheureuse des femmes, mutilée, comme vous le voyez, et abandonnée de tout le monde, excepté de ce pauvre petit animal qui, seul, avec Dieu, m’a empêchée de mourir de faim, depuis deux ans que je suis ici, dans l’état pitoyable que vous voyez.

Le jeune seigneur sentit son cœur touché d’une grande compassion pour tant d’infortune, et il la prit sur son dos et la porta chez son père. Là, on la lava, on lui coupa les cheveux, et on l’habilla. C’était encore une fort jolie femme ; mais, hélas ! elle n’avait pas de bras ! Le jeune seigneur devint pourtant amoureux d’elle, en voyant son esprit et sa douceur, car elle ne se plaignait jamais, et il voulut l’épouser. Son père et sa mère n’y mirent pas obstacle, et les noces furent célébrées, peu après, avec beaucoup de solennité.

Cependant le jeune époux fut appelé, sans tarder, à la cour du roi, à Paris, car son rang l’obligeait à être auprès du roi. Il partit à regret, laissant sa femme chez son père, car il ne voulait pas paraître à la cour avec une femme sans bras.

Au bout de neuf mois de mariage, Jeanne mit au monde deux jumeaux, un garçon et une fille, deux enfants superbes. On dépêcha un messager, avec une lettre, pour annoncer l’heureuse nouvelle au père. C’était au plus fort de l’hiver. Le messager devait passer à la porte du château où demeurait le frère de Jeanne. La femme de Jean le vit de sa fenêtre, et elle lui demanda :

— Où allez-vous ainsi, mon brave homme ?

— Je vais à Paris, porter une lettre à mon maître, pour lui annoncer que sa femme est heureusement accouchée de deux beaux enfants.

— Ah ! oui, vraiment ! Mais entrez un peu, pour vous chauffer et boite un verre de vin ; le temps est si froid ! cela vous donnera du courage pour marcher, car vous n’êtes pas près de Paris, ici.

Le messager entra, et la méchante femme lui donna un soporifique, qui le plongea dans un profond sommeil ; puis elle prit sa lettre, sur laquelle on faisait connaître au père l’heureux accouchement de sa femme, et on le priait de venir à la maison, si cela lui était possible, pour faire baptiser ses deux enfants. Elle faillit crever de rage, quand elle apprit que sa victime vivait encore, et qu’elle était bien mariée et mère. Elle substitua à la première lettre une autre, où elle informait le jeune seigneur que sa femme était accouchée d’un chien et d’un chat, et demandait ce qu’il fallait faire de la mère et de ses étranges enfants.

Quand le messager s’éveilla, il partit, emportant cette lettre et ne se doutant de rien.

Le pauvre père, la douleur dans l’âme, répondit qu’il fallait bien traiter la mère et ses enfants, et se résigner à la volonté de Dieu.

Le messager s’en retourna avec cette lettre. Quand il passa devant le château de Jean, sa femme, qui guettait son retour, descendit de sa chambre dès qu’elle l’aperçut, et le pria encore d’entrer, pour manger un morceau, boire un verre de vin et lui donner des nouvelles de son maître.

Le messager entra. On l’endormit, comme la première fois, avec un soporifique, et on lui prit sa lettre, et on lui en substitua une autre adressée au père et à la mère du jeune seigneur, qui leur recommandait de brûler immédiatement la mère et ses deux créatures. Il ajoutait qu’il arriverait sans tarder à la maison, pour voir si ses ordres auraient été exécutés.

Quand la vieille dame lut cette lettre, elle faillit en perdre l’esprit, de colère et d’indignation :

— Ah ! l’homme sans cœur ! s’écria-t-elle ; s’il était là !...

Et elle montrait le poing.

Jeanne finit par avoir connaissance du contenu de la lettre, et son cœur en fut navré. Elle dit à sa belle-mère :

— Faites-moi faire un bissac ; on y placera mes deux enfants, un dans chaque bout, puis on me le mettra sur l’épaule, et vous me laisserez aller ainsi, à la grâce de Dieu.

La belle-mère ne voulut d’abord pas ; mais Jeanne insista tant, qu’on finit par faire comme elle souhaitait, puis, les larmes aux yeux, elle fit ses adieux à sa belle-mère, à son beau-père, à tous les gens de la maison, qui l’aimaient, et elle partit. Mais, hélas ! n’ayant pas de bras, elle ne pouvait donner à téter à ses enfants, et ils pleuraient, les pauvres petits, et le cœur de la mère se brisait de douleur.

Elle arriva à une fontaine, au bord de la route, et comme elle avait grand soif, elle voulut y boire. Mais quand elle se penchait sur la fontaine, le bout de devant du bissac trempait dans l’eau, et elle ne pouvait boire, sans risquer de noyer son enfant. Alors une belle dame, toute resplendissante de lumière, apparut à côté d’elle et lui dit :

— Vous voilà bien embarrassée, ma pauvre femme !

— Oui, vraiment, madame. Je meurs de soif, et je n’ose boire, de peur de noyer mon enfant de devant.

— Je vous aiderai, ma pauvre femme.

Et, avec une baguette blanche qu’elle avait à la main, la belle dame toucha l’épaule droite de Jeanne, et aussitôt il lui poussa un bras et une main de ce côté.

— Oh ! soyez bénie à jamais 1 s’écria l’infortunée, car à présent je pourrai du moins donner à téter à mes pauvres enfants !

La dame la toucha de sa baguette à l’épaule gauche, et il lui poussa encore un bras avec sa main de ce côté.

Et Jeanne remercia de nouveau, en pleurant de joie et de reconnaissance.

— Vous ne savez pas qui je suis, ma fille ? lui dit alors la belle dame.

— Non, vraiment, à moins que vous ne soyez la sainte Vierge !

— Je ne suis pas la sainte Vierge, mais bien la vieille sorcière que vous avez jetée dans le puits de son château, et que vous croyiez sans doute morte pour jamais ; — ne vous en souvenez-vous pas ? — Comme vous avez été toujours sage et bonne, et que vous avez beaucoup souffert, je suis venue à votre secours[3]. Prenez ma baguette blanche ; frappez-en vous-même trois coups sur la terre, là où vous êtes, et vous verrez ce qui arrivera.

Jeanne prit la baguette blanche, en frappa trois coups sur la terre, et aussitôt il s’éleva, par enchantement, à l’endroit même, une jolie petite chaumière, avec tout ce qu’il fallait pour un modeste ménage. La belle dame disparut alors.

Jeanne entra, tout heureuse, dans la chaumière, et son premier soin, à présent qu’elle avait des bras, fut d’essayer de donner à téter à ses enfants. Mais, hélas ! elle n’avait plus de lait. En ce moment, une biche aux mamelles gonflées de lait entra dans la maison et se mit à jouer avec les deux enfants, et ceux-ci se mirent à la téter, aussi naturellement que si c’eût été leur mère. Et la biche vint, dans la suite, deux fois par jour présenter sa mamelle aux enfants, puis elle allait courir et paître par le bois.

Mais laissons, pour un moment, Jeanne et ses enfants, à présent qu’il ne leur manque rien, et allons voir ce qui se passe chez sa belle-mère.

Quand le jeune seigneur arriva à la maison, il demanda aussitôt des nouvelles de sa femme et des deux créatures que Dieu lui avait données.

— Comment, méchant, homme sans entrailles, lui répondit sa mère, oses-tu me parler encore de ta femme, après avoir donné l’ordre de la brûler avec ses deux enfants, la plus sage des femmes, et les deux plus jolis enfants que j’aie jamais vus ?

— Que dites-vous là, ma mère ? Pouvez-vous donc croire que j’aie pu jamais donner un ordre si barbare et si inhumain, moi qui aime tant ma femme ? Je n’ai rien écrit de semblable, je le jure, et il doit y avoir en tout ceci quelque infâme trahison. Où est ma femme ? dites-moi vite !

— Elle est partie, à la grâce de Dieu, avec ses deux enfants, dans la crainte de te voir arriver, pour assister à son supplice, comme tu l’en menaçais. Lis cette lettre...

Jean lut la lettre, et il s’écria aussitôt :

— Mais ce n’est pas là mon écriture, ma mère !... Ô trahison diabolique ! Ne pourrai-je donc pas me venger ? Qui a pu écrire cette lettre ?... Mais ma femme est donc accouchée de deux enfants, et non de...

— Oui, deux enfants, un garçon et une fille, les deux plus beaux petits anges que j’aie jamais vus.

— Ah ! je fais serment de ne jamais m’arrêter ni dormir sous aucun toit, jusqu’à ce que j’aie retrouvé ma femme et mes enfants !...

Et il se mit aussitôt en route. — Il va, il va, nuit et jour, toujours plus loin... plus loin encore, demandant partout des nouvelles de sa femme et de ses enfants. Hélas ! personne ne les avait vus, ni entendu parler d’eux.

Il y avait déjà quatre ans qu’il voyageait par terre et par mer, dans tous les pays, et il commençait à désespérer, lorsqu’il entra, un soir, vers le coucher du soleil, dans le bois où se trouvait Jeanne avec ses enfants. Il aperçut sa chaumière :

— Je n’en puis plus ! se dit-il. Il faut que je demande encore dans cette chaumière. Dieu n’aura-t-il pas enfin pitié de moi ?

Jeanne était sur le seuil de sa porte, avec ses deux enfants, qui jouaient avec la biche. Il s’approcha d’elle et lui demanda :

— N’avez-vous pas vu passer par ici une pauvre femme sans bras, portant deux petits enfants, dans un bissac ?

Elle le reconnut sans peine ; mais, maîtrisant son émotion, elle répondit :

— Non, vraiment, mon brave homme.

— Hélas ! mon Dieu, je ne les retrouverai donc pas ! Ayez la bonté de me donner un peu d’eau, je vous prie, pour que je me remette encore en route.

— Vous paraissez bien fatigué, mon pauvre homme ; entrez, et asseyez-vous un peu pour vous reposer, puis vous irez encore.

— Oui, je suis bien fatigué, en effet ; il y a si longtemps que je marche, sans me reposer sous aucun toit !

Et il s’assit sur le coin de la pierre du foyer et s’endormit aussitôt. Les enfants s’étaient approchés de lui, et ils le regardaient avec curiosité et en silence. Son chapeau tomba de dessus sa tête, et le petit garçon s’écria :

— Le chapeau de mon père est tombé dans le feu !

Et la petite fille le prit promptement, en disant :

— Je ne laisserai pas brûler le chapeau de mon père !

Et elle le lui remit sur la tête. Le voyageur s’éveilla en entendant prononcer ce doux nom de père, et il s’écria :

— Ah ! chers petits enfants, que je voudrais donc que vous eussiez dit vrai, et que je fusse auprès de ma femme et de mes enfants ! Permettez-moi de passer la nuit ici, sur la pierre du foyer, car je ne sais quoi me retient dans cette chaumière ; je sens mon sang qui s’échauffe et qui parle...

— Oui, avec plaisir, mon pauvre homme, répondit la mère ; vous paraissez si fatigué et si malheureux !

Et il passa la nuit dans la chaumière, la première nuit qu’il eût passée sous un toit depuis quatre ans !

Le lendemain matin, aussitôt le soleil levé, il dit :

— Il faut que je me remette en route. Et pourtant je quitte à regret cette chaumière et ces petits enfants si gentils, et qui m’ont appelé leur père, les pauvres innocents !

— N’allez pas plus loin, lui cria alors Jeanne, car ces enfants sont bien les vôtres, et moi je suis votre femme !

Et elle lui sauta au cou pour l’embrasser, et ils pleurèrent longtemps de joie et de bonheur de s’être retrouvés. Ils retournèrent alors, tous les quatre, à la maison, et il y eut un grand repas pour célébrer leur retour.

Cependant, la femme de Jean apprit que Jeanne vivait encore, et qu’elle était heureuse avec son mari et ses enfants. Elle faillit en crever de colère et de rage, et elle s’écria :

— Laissez faire ; ils auront encore affaire à moi !

Elle envoya une lettre à sa belle-sœur, pour la prier de venir dîner au château avec son mari, et faire visite à son frère, qui était toujours malade et retenu au lit par son pied, qui était, à présent, horrible à voir.

— Oui, dit Jeanne, quand elle eut lu la lettre, il faut que j’aille, à présent, voir mon frère, pour lui retirer l’épine du pied et le guérir, comme je le lui avais promis, quand j’aurais retrouvé mes deux bras qu’il m’avait coupés.

Elle se rendit donc avec son mari à l’invitation de sa belle-sœur. Les enfants restèrent à la maison.

— Te voilà donc, ma pauvre sœur, toi que j’ai traitée d’une façon si barbare et si inhumaine ! s’écria Jean en revoyant Jeanne.

— Oui, mon pauvre frère ; je viens pour te guérir et mettre un terme à tes souffrances, car toi aussi tu as beaucoup souffert.

Et elle s’approcha de son lit, l’embrassa tendrement, puis elle retira sans difficulté l’épine de son pied, et aussitôt il se trouva guéri.

Cependant la méchante belle-sœur dépêcha deux domestiques chez Jeanne, avec ordre de tuer ses deux enfants, en l’absence du père et de la mère, et de lui apporter leurs cœurs. Les deux hommes, ayant été bien payés, partirent. Quand ils arrivèrent au château, les deux enfants jouaient dans la cour ; mais, dès qu’ils aperçurent ces envoyés à mauvaise mine, ils coururent se cacher dans la maison. Les deux assassins, embarrassés de savoir comment s’y prendre pour exécuter leur besogne, se disaient entre eux :

— Que ferons-nous ? demanda l’un.

— Les tuer, répondit l’autre, puisque nous avons reçu l’argent.

— Je n’aurai jamais le cœur de tuer ces pauvres petits enfants ; ils sont si gentils ! reprit le premier.

— Comment, tu recules déjà ? Tu as reçu l’argent, et il faut faire l’ouvrage ; je ne vois que ça, moi ! dit le second.

— Mais il nous serait plus facile de tuer les deux chiens que voilà, et de porter leurs cœurs à notre maîtresse ; elle n’en saura rien, car le cœur d’un enfant et celui d’un chien, ce doit être à peu près la même chose.

— Cela est en effet plus facile et moins dangereux, répondit l’autre ; tuons donc les deux chiens.

Ils tuèrent les deux chiens, dont l’un était celui qui avait accompagné Jeanne dans le bois et l’y avait nourrie, et portèrent leurs cœurs, en toute hâte, à la méchante femme. Celle-ci les fit immédiatement cuire et arranger à une sauce au beurre et aux oignons, pour les servir à manger à sa belle-sœur et à son beau-frère.

Quand on fut à table, elle dit :

— Voici, chère belle-sœur, un mets comme vous n’en avez jamais mangé ; je l’ai préparé moi-même et tout exprès pour vous et votre mari ; mangez-en donc, et vous me direz ensuite ce que vous en penserez.

Jeanne mangea, sans méfiance.

— Eh bien ! comment le trouvez-vous, ma belle-sœur ? demanda la méchante.

— C’est excellent, en vérité, répondit Jeanne.

— Eh bien ! mangez-en encore, et vous aussi, cher beau-frère ; il faut que vous le mangiez tout à vous deux, puisque vous le trouvez si bon.

Et ils mangèrent de bon appétit. Puis, quand il ne resta plus rien dans le plat, la diablesse dit, en souriant d’un air féroce :

— Eh bien ! il faut que je vous dise, à présent, de quoi était fait ce mets que vous avez trouvé si délicieux : vous venez de manger les cœurs de vos deux enfants !!...

En entendant ces mots, Jeanne tomba à terre, comme morte, et son mari saisit un couteau pour le plonger dans le cœur du monstre. Mais à l’instant même on entendit un coup de tonnerre épouvantable, et la foudre tomba sur la méchante femme et la réduisit en cendres, sans faire de mal à aucun autre de ceux qui se trouvaient là. Les enfants, qui avaient entendu l’effrayant coup de tonnerre, accoururent au château, craignant qu’il fût arrivé malheur à leur père et à leur mère, et vous pouvez juger quelle fut alors la joie de ceux-ci de les revoir en vie, et sains et saufs.

Et maintenant que la méchante femme, le démon qui les persécutait, avait été précipitée au fond de l’enfer, ils vécurent tranquilles et heureux, le reste de leurs jours[4].

(Conté par Marguerite Philippe, novembre 1869.)



  1. Le mot breton ronfl signifie ogre.
  2. Jusqu’ici, c’est le conte du Petit-Poucet de Perrault, avec quelques variantes, — Une autre fable commence à partir de cet endroit. — Nos conteurs populaires ont l’habitude d’ajouter ainsi deux ou trois fables à la suite l’une de l’autre, pour allonger leurs récits et en augmenter l’intérêt. — La fable du Petit-Poucet est très-répandue dans nos campagnes ; mais je ne l’ai jamais trouvée seule.
  3. Je crois qu’il serait plus naturel de faire intervenir en cette occasion la sainte Vierge qu’une sorcière, qui n’a nullement à se louer de la conduite de Jeanne à son égard, et ma conteuse a peut-être altéré ce passage. Quoi qu’il en soit, je donne scrupuleusement son récit, sans y rien changer.
  4. Le recueil de M. Paul Sébillot (Contes populaires de la Haute-Bretagne) contient une version intéressante du même conte, sous le titre de La Fille aux bras coupés, page 105.
    Dans la Clé des champs ou les enfants parisiens en province, de Mlle Marguerite de Belz, on trouve aussi un conte provenant de la Cornouailles, et dans lequel il est question d’une jeune fille que son frère a abandonnée dans la forêt, après lui avoir coupé les deux bras. Il en est puni, car une épine qui lui est entrée dans le pied devient un grand arbre. La sœur, après diverses aventures, revient chez son frère et lui enlève l’épine devenue monstrueuse.
    Dans une légende qu’on lit dans les Veillées allemandes des frères Grimm, volume II, page 120 de la traduction de M. Héritier de l’Ain, 1838, et qui semble empruntée à Vincent de Beauvais, on attribue à Hildegarde, une des femmes de Charlemagne, une aventure qui, sur certains points, ressemble à celles de la Bonne femme de nos contes bretons. Il y est dit, en effet, que Talaud, frère de Charlemagne, pendant une des fréquentes absences du grand empereur, essaya de séduire Hildegarde. Mais celle-ci résista, renferma Talaud dans une tour et, au retour de Charlemagne, Talaud l’accusa d’avoir mené une vie déréglée et scandaleuse. Charlemagne ordonna à ses serviteurs de la conduire dans une forêt et de l’y abandonner, après lui avoir arraché les deux yeux. Un noble chevalier rencontre la reine avec ses deux bourreaux, la délivre de leurs mains et leur donne son chien, à qui ils arrachent les yeux pour les porter au roi, en signe de l’accomplissement de son ordre.
    Hildegarde se réfugia à Rome, où elle étudia la médecine et y acquit une grande célébrité.
    Cependant, Dieu punit Talaud par la cécité et la lèpre, et personne ne pouvait le guérir. Charlemagne alla avec lui à Rome consulter Hildegarde, sans qu’ils la reconnussent. Talaud confessa son crime au pape, et Hildegarde le guérit alors, et Charlemagne la reprit pour épouse.
    Un mystère breton en trois actes et en vers, intitulé la Vie de sainte Hélène, offre aussi des ressemblances avec notre conte, qui semble l’avoir inspiré. Ce mystère a été imprimé en 1862, chez Legoffic, à Lannion ; mais, longtemps avant cette époque, on le trouvait à l’état de manuscrit et de tradition orale, dans les fermes et les manoirs de l’arrondissement de Lannion.
    Dans la première livraison de la Revue de l’histoire des religions, 1880, page 141 et suivantes, M. Julien Vinson donne l’analyse d’un mystère basque roulant sur le même sujet, avec les mêmes ressorts, portant aussi le titre de Sainte Hélène, et qui a également de nombreux rapports avec notre conte.
    Les aventures si connues de Geneviève de Brabant ne sont pas aussi sans quelques ressemblances avec lui, ainsi que celles du Sire de Couci et de la Dame de Fayel, Gabrielle de Vergy.