Légendes chrétiennes/La fille de mauvaise réputation qui alla au paradis

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V


la fille de mauvaise réputation
qui alla au paradis.



Deux moines, l’un vieux et l’autre jeune, voyageaient ensemble. Un jour qu’ils avaient beaucoup marché, par un temps chaud, ils s’arrêtèrent, pour se reposer un peu, à l’ombre d’un grand hêtre, sur le bord de la route. Le vieux moine s’endormit. L’autre resta près de lui pour attendre qu’il s’éveillât. Comme il était là, fatigué et rêvant de choses et d’autres, mais ne dormant pas, il vit passer près de lui, sur la route, une belle procession qui se dirigeait vers une grande lande, qui était non loin de là. Il y avait dans cette procession beaucoup de prêtres, de moines et de religieuses, puis des jeunes filles habillées de blanc, et des hommes et des femmes de toute condition et de tout âge. La procession s’arrêta devant une petite chaumière, d’apparence pauvre, qui était au bord de la lande.

Puis, un moment après, passa une seconde procession, plus nombreuse et plus belle que la première, avec des chants et de la musique.

Le jeune moine avait bien envie d’éveiller son vieux compagnon ; mais celui-ci était si fatigué et il dormait si bien, qu’il ne l’osa pas.

Une troisième procession vint bientôt après, et celle-ci n’était composée que de religieuses et de jeunes vierges habillées de blanc, et en tête marchait une jeune dame, si belle, si brillante, qu’elle éclairait comme le soleil béni du bon Dieu.

Le jeune moine se leva, alla vers cette belle dame et lui demanda ce que signifiaient ces trois belles processions.

— Nous allons, lui répondit-elle, chercher pour la conduire au ciel une jeune fille pauvre et sage, bien qu’elle eût mauvaise réputation sur la terre, qui vient de mourir, dans une pauvre chaumière, par là-bas, au bord de la lande. Elle était abandonnée et méprisée de tout le monde, parce qu’elle avait eu un enfant ; mais elle s’est repentie, elle a fait pénitence, et l’heure de la récompense est venue pour elle.

Et cette troisième procession continua sa route et s’arrêta devant la pauvre chaumière, comme les deux autres.

Le vieux moine s’éveilla alors, et son jeune compagnon lui raconta ce qu’il avait vu pendant qu’il dormait.

— Pourquoi ne m’avez-vous pas éveillé ? dit le vieillard avec humeur.

— Vous étiez si fatigué… et vous dormiez si bien !

— Allons, vite, à la chaumière du bord de la lande.

Ils entrèrent dans une maison, au bord de la route, et demandèrent où se trouvait la chaumière habitée par une jeune fille pauvre et sage qui y faisait pénitence depuis longtemps. On leur répondit :

— Oui da ! faire pénitence !… Qui vous a conté cela ? L’on voit bien que vous n’êtes pas du pays. C’est une fille de mauvaise vie ; elle a eu un enfant, et elle ne fait que chanter et rire tout le long des jours ; vous avez bien tort de vous intéresser à des gens de cette sorte...

Bien que très pauvre et manquant de tout, elle était, en effet, joyeuse et chantait continuellement des cantiques et des guerziou de saints.

— Mais elle est morte, reprit le jeune moine, et trois belles processions viennent de passer qui vont la chercher, pour la conduire au paradis !

— Au paradis !... Dites plutôt en enfer, lui répondit-on.

Les deux moines continuèrent leur route et arrivèrent à la chaumière. Ils y entrèrent et virent étendue, sur un lit frais et blanc comme la neige, une belle jeune fille qui semblait sourire de bonheur. Elle avait sur la tête une belle couronne de fleurs, et d’autres fleurs semées autour d’elle répandaient une odeur délicieuse. Sept cierges de cire blanche brûlaient autour du lit.

Les deux moines s’agenouillèrent pour prier. Sept vierges habillées de blanc vinrent alors, qui prirent le corps et s’élevèrent avec lui vers le ciel, au milieu des chants et de la musique des anges ; et la belle dame, que le jeune moine avait vue à la tête de la troisième procession, les précédait, comme pour leur montrer le chemin.

C’était la sainte Vierge Marie !

(Conté par Catherine Le Bér, mendiante de Louargat, Côtes-du-Nord.)