L’Alchimie et la médecine/01

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Bibliothèque Chacornac (p. 9-13).




AVANT-PROPOS

À l’origine des civilisations, la Science et la Philosophie se confondent ; elles s’harmonisent en un système complet et s’expriment symboliquement par les dogmes religieux. Alors les savants ne sont pas spécialisés dans telle ou telle branche, mais leurs connaissances sont générales et communes : aussi le caractère primordial du savoir primitif est l’esprit de synthèse. N’étant gênés par aucune idée préconçue, par aucun système préexistant, les hommes de ces civilisations jeunes peuvent, mieux que leurs successeurs, émettre des idées d’ensemble, des théories générales, qui, bien souvent se vérifieront de plus en plus dans la suite. Ces idées, nées spontanément d’une observation fort restreinte, sont comme les lumières qui, brillant dans les ténèbres, éclairent dans toutes les directions autour d’elles. Les hommes qui viendront après s’engageront chacun dans leur voie et iront explorer de plus en plus loin les mystères de la nature, mais ils seront d’autant plus séparés les uns des autres qu’ils avanceront chacun davantage et s’éloigneront de leur point de départ commun. Leur science deviendra spéciale, analytique, particulière, mais les idées d’ensemble sur ce monde qu’ils fouillent par fragments s’effacent de plus en plus, minées qu’elles sont par les systèmes particuliers. Alors, ayant perdu leurs notions générales, ils seront de plus en plus exposés à errer, à se perdre, à revenir sur leurs pas.

Or, il n’est peut-être pas de science qui ait autant eu à souffrir de ce manque de synthèse entre les diverses branches des connaissances diverses, que la Médecine — et cela, parce qu’elle est peut-être la plus complexe de toutes les sciences appliquées. En effet, une science appliquée est un essai de synthèse des autres ; aucun de ses éléments ne lui appartient en propre, et c’est pourquoi chaque découverte, chaque hypothèse nouvelle dans les sciences naturelles, est venue apporter à la Médecine un progrès ou au contraire, ruiner ses systèmes et ses théories.

Au moment où la découverte récente du Radium, qui est une véritable pierre philosophale par ses curieux effets, est venue ébranler le dogme de la spécificité des corps simples — alors que quelques biologistes cherchent scientifiquement à créer de toutes pièces la cellule vivante — et que la thérapeutique avec l’opothérapie, les sérums et les métaux colloïdaux, est venue remettre en honneur de vieilles recettes oubliées, il nous a paru intéressant de jeter un coup d’œil en arrière.

Si la Médecine emprunte ses éléments à toutes les sciences naturelles, c’est, semble-t-il, à la Chimie qu’elle doit le plus. Cette dernière, en préparant les remèdes, est l’adjuvant indispensable de toute thérapeutique médicale. Mais, en outre, elle nous explique l’étiologie de certaines maladies (intoxications) et même certaines lésions anatomo-pathologiques de l’organisme. Elle apporte aujourd’hui un appoint considérable au diagnostic et elle est à la base d’une grande partie de l’hygiène. Au point de vue physiologique, elle rend compte des phénomènes de la digestion, de la respiration, de l’absorption même et L. Figuier a pu écrire un mémoire très complet sur l’importance de la chimie dans les Sciences médicales (Thèse d’agrégation. Paris, 1853). De là vient qu’un nombre immense des médecins qui ont laissé une trace dans l’histoire de la médecine, furent en même temps des chimistes.

Au début des civilisations, la chimie n’intervient que dans la préparation des remèdes. Cette opération peut même prendre un caractère religieux et s’accompagner de prières et d’incantations de toute sorte. Ce n’est que beaucoup plus tard que les notions chimiques influencent la thérapeutique théorique : c’est par exemple la médecine de Paracelse qui s’applique à obtenir des extraits et des principes actifs. — Enfin, c’est seulement au cours d’une civilisation avancée comme la nôtre que la chimie peut analyser soigneusement les produits, donner une idée exacte de leur composition, et, par l’examen des produits d’excrétion, aider au diagnostic.

Or, ce n’est guère qu’au XVIIe siècle que la chimie proprement dite se détacha de l’Alchimie. Si l’on songe à l’importance énorme qu’eurent les idées des alchimistes au Moyen Age, en Europe, et auparavant, chez les Arabes, si l’on considère que les médecins, en raison de leurs connaissances plus étendues, se sentaient tout particulièrement attirés par l’Alchimie, on voit qu’il y a là un champ d’étude extrêmement vaste sur les rapports de la Médecine et de l’Alchimie. C’est pourquoi, au XVIe siècle, le Docteur Joachim Tanke proposa de créer, dans toutes les Universités, une chaire d’alchimie. L’Alchimie est, en effet, comme nous le montrerons, beaucoup plus qu’une chimie naissante. Elle est la science d’adaptation d’une philosophie entière : la philosophie Hermétique, tradition des antiquités les plus reculées, élaborée dans les sanctuaires initiatiques des temples. — L’origine de ces doctrines se confond avec celle de toutes les religions dans lesquelles les mêmes principes généraux, les mêmes symboles se retrouvent, comme nous le verrons par la suite.

L’Hermétisme est donc, avant tout, cette science d’avant-garde, cette science-synthèse aux vues fécondes d’ensemble et ses théories qui, depuis le début des temps historiques, n’ont pas cessé d’avoir des adeptes, devaient bien avoir leur retentissement en Médecine.

Mais nous verrons en outre, en l’étudiant, que l’alchimie n’est pas seulement la recherche de l’or artificiel. Elle est variée et complexe et toutes ses branches s’unissent logiquement en ce sens, qu’en définitive, elle est la Science de la vie.

Les astrologues disaient que c’est la même planète Mars et le même signe du Scorpion qui influencent les alchimistes et les guérisseurs, mais il suffit de consulter l’histoire pour voir, pendant des siècles, rayonner autour des mêmes grands noms, le double prestige de médecin et d’alchimiste.

Il convient, au début de cette étude, d’en préciser les termes. Or, s’il est aisé de définir la Médecine : “ la Science ou l’art de guérir les maladies ” il est impossible de donner de l’alchimie une idée exacte sans en exposer les théories, les applications et les symboles.