L’Alchimie et la médecine/02

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Bibliothèque Chacornac (p. 15-65).

PREMIÈRE PARTIE



L’ALCHIMIE

Son objet. — Ses théories. — Ses symboles


L’Alchimie présente un triple caractère ; elle poursuit un but chimique, avec la Pierre philosophale ; physiologique avec la Palingénésie et l’Homunculus, et thérapeutique, avec la Panacée Universelle. Elle est basée tout entière sur un système philosophique : l’Hermétisme, dont elle est l’application pratique aux choses de la nature. Elle cherche à transformer la forme extérieure des corps, à transporter, à reproduire la vie. Elle est donc la Science des transmutations, et elle veut être une sorte de Physiologie intégrale des trois règnes.

Notre chimie n’est donc qu’une petite branche de la Science hermétique qui s’est spécifiée et qui s’est séparée du tronc : c’est, pour mieux représenter cette comparaison, une bouture de l’alchimie.

Si l’on ignore généralement, aujourd’hui, le véritable caractère de l’alchimie, cela tient, selon nous, à une question de mots : D’après le dictionnaire général de Hertzfeld, Darmsteter et Thomas, le mot “ Alchimie ” est attesté en français, dès le XIIIe siècle, tandis que “ Chimie ” n’apparaît qu’au XVIIe. Si nous faisons abstraction de l’article arabe “ al ”, article qui s’est conservé dans beaucoup d’emprunts (Alcoran, Alkermès, etc.), nous avons une racine qui existe d’ailleurs dans toutes les langues occidentales (Kösting, Latinisch Romanisch Worterbuch) et qui a une origine grecque puisqu’on la retrouve chez le lexicographe Suidés, sous la forme χημεία. L’étymologie de ce mot est d’ailleurs fort obscure. M. Meillet, professeur au Collège de France a bien voulu m’écrire son avis à ce sujet : " Supposant l’orthographe χημεία inexacte, dit-il, on a pensé à χυμεία de χέω, je verse (Cf. χυμός, le chyme), mais on ignore, en somme, quelle est l’origine de ce mot qui apparaît à l’époque impériale sans qu’on sache d’où il sort. » Ajoutons cependant qu’on en a rapproché la racine hébraïque “ Khams ” (idée de chaleur), identique d’ailleurs à la racine sanscrite “ Kam ” et au grec καμνω. Nous verrons dans la suite qu’on a été plus loin encore et qu’on a voulu y voir un reste du nom de “ Cham ” fils de Noé qui se spécialisa dans les arts du feu et dont l’Egypte devint le pays (terre de Cham). — Quoi qu’il en soit, nous voyons le mot grec χημεία nous revenir par l’intermédiaire des Arabes, sous la forme “ Alchimie ”, et ce n’est qu’au XVIIe siècle qu’apparaît la “ Chymie ” qui, à son origine, est absolument synonyme d’“ Alchimie ”. Puis, avec le temps, une distinction s’est faite : Les chimistes, au sens actuel du mot, pour se distinguer des hermétistes dont ils s’étaient séparés, ont laissé exclusivement à ces derniers le nom d’alchimistes et c’est surtout à l’époque de Lavoisier que cette distinction a été définitivement consacrée — et, quoiqu’artificielle, elle a prévalu. D’autre part, la ressemblance des deux termes incline tout naturellement à faire croire que l’alchimie — aujourd’hui oubliée — n’était qu’une sorte de chimie. D’où le point de vue étroit et inexact de la seule transmutation métallique sous lequel on la considère.

Les Théories

En formulant le principe de la résistance opposée à la force, la physique moderne a consacré la notion fondamentale et très générale de la dualité. Toute chose, en effet, se présente sous un aspect double : les êtres organisés sont mâles ou femelles ; chaque force est positive ou négative : ainsi la force mécanique est positive quand elle travaille, négative quand elle résiste. La chaleur est positive dans le chaud, négative dans le froid. La lumière est positive dans la clarté, négative dans l’obscurité ; le jour s’oppose à la nuit. L’électricité est de même positive ou négative. Un composé chimique est acide ou alcalin. Enfin, les qualités abstraites opposent également leurs deux aspects : on est bon ou méchant, grand ou petit… etc. — La notion de dualité est donc celle qui s’impose le plus immédiatement à l’esprit. Mais en observant de plus près, on remarque qu’entre les deux aspects opposés, il y a toujours un terme intermédiaire qui résulte de l’équilibre de leur antagonisme. Entre le mâle et la femelle, il y a l’embryon qui est asexué. Entre le père et la mère, il y a l’enfant. La force combinée à la résistance produit le travail. La chaleur et le froid ont un intermédiaire tempéré. Entre la lumière et l’ombre il y a la pénombre, le crépuscule. Le courant électrique qui va du positif au négatif tend à l’état neutre. L’acide s’unit à la base pour donner un sel neutre. Nous voyons ainsi ce nouvel aspect, le neutre, se présenter comme le résultat de deux forces antagonistes qu’il équilibre et qu’il résume. Tandis que chacune de ces forces antagonistes peut être conçue, isolée, l’intermédiaire ne peut exister que par elles et par leur action réciproque : il est, en quelque sorte, l’addition des deux principes. Et si nous voulons, avec les Pythagoriciens, donner de ceci une représentation numérique, nous représenterons par 1 l’aspect positif, par 2 l’aspect négatif : l’union de ces deux nombres 3, représentera le terme neutre et l’intermédiaire.
Poussons plus loin nos spéculations : Considérons ensemble les trois aspects d’une même chose : père, mère, enfant, ou bien : force, résistance, travail, ou bien : clarté, obscurité, pénombre, ou encore : grand, petit, moyen. Nous concevons sans peine que l’ensemble de ces trois termes constitue une notion nouvelle ; ce sera : la famille, l’énergie, la lumière, la grandeur : ce sont déjà des abstractions, des notions plus complexes, mais encore faciles à saisir. Or, chacune de ces notions représente bien un tout, une unité nouvelle. Comparons ces notions nouvelles entre elles : elles nous paraîtront, quoique avec moins d’évidence, présenter encore un double aspect chacune : Il y a des familles plus puissantes que d’autres : les premières seront positives, les secondes négatives ; il y a un mode d’électricité, de calorique plus actif que l’autre : le premier sera positif, le second négatif. Appliquons maintenant le raisonnement analogique qui est la clef de voûte de l’Hermétisme et nous dirons que notre seconde catégorie de forces antagonistes va comporter, comme la première, des résultantes, des produits neutres : Les Pythagoriciens représenteront ces notions nouvelles de la façon suivante :

4 pour l’unité composée positive et active,

5 pour l’unité composée négative et passive,

6 pour leur combinaison d’équilibre, terme neutre, et ainsi de suite.

Pour synthétiser, nous avons :

Eléments de 1er ordre Positif : 1 ; Négatif : 2 ; Neutre : 3
principes constituants
Eléments de 2e ordre Positif : 4 ; Négatif : 5 ; Neutre : 6
organismes des 3 règnes
Eléments de 3e ordre Positif : 7 ; Négatif : 8 ; Neutre : 9
les astres
Eléments de 4e ordre Positif : 10 ; Négatif : 11 ; Neutre : 12
la divinité

Afin de mieux comprendre le symbolisme numérique, remarquons que les nombres 1-4-7-10 nous apparaissent comme des unités d’ordre différent et de plus en plus complexes. Le nombre 1 va représenter le principe constituant : le soufre par exemple ; le nombre 4 va représenter l’être organisé (qui s’exprime par 4 qualités, 4 éléments, 4 humeurs, 4 tempéraments) ; le nombre 7 est l’unité du monde astral (les 7 planètes) ; le nombre 10 est l’unité divine (les 10 Séphiroths de la Kabbale, les 10 ordres de bienheureux : Cf. plus loin). Le nombre 12 est le nombre parfait par excellence puisqu’il symbolise l’équilibre dans ce plan intellectuel ou “ divin ”. — Retenons en particulier que l’être organisé, avec ses quatre éléments de manifestation, est lui-même une synthèse des trois formes (positive, négative et neutre) du principe constituant, et cela nous symbolise la théorie capitale en alchimie, des trois principes et des quatre éléments.

L’Hermétisme est une philosophie d’analogie, et par conséquent unitaire. De même que tous les nombres se réduisent en définitive à l’unité, de même tous les phénomènes de la matière, des êtres vivants, de l’esprit, de la divinité, se ramènent à une même force dont la double polarité engendre un mouvement perpétuel. Nous venons d’en voir la symbolisation numérique : Ce n’est pas la seule. Il existe beaucoup d’autres signes pour exprimer la même idée.

Représentons, par exemple, par une barre verticale la force positive, par une barre horizontale la force négative et superposons ces deux barres. Elles formeront une figure symétrique ayant pour centre le point neutre de leur rencontre : c’est la croix des Gnostiques et probablement aussi des Rose-Croix : c’est un signe d’adaptation.

Les Gnostiques ont voulu voir dans le nom divin hébraïque formé des quatre lettres : Iod-Hé-Vau-Hé, un symbole de même genre. Les trois premières lettres, différentes entre elles, représentent les trois principes. La dernière, qui est une répétition, donne au tout la valeur d’une unité complexe d’ordre supérieur : Ainsi levé serait, comme la nature, formé de trois principes (trois lettres différentes) et de quatre éléments (quatre lettres en tout).

Les lettres I. N. R. I. qu’on lit sur la croix chrétienne seraient susceptibles de la même interprétation — et, au lieu de s’en tenir à la lecture habituelle (Iesus Nazarethus sex Iudæorum) certains alchimistes avaient fabriqué, d’une manière quelque peu fantaisiste, cet axiome : Igne Natura Renovatur Integra.

On peut encore représenter l’aspect positif par une surface ou un volume plein, l’aspect négatif par une surface ou un volume vide : la réalisation, l’“ intermédiaire ”, consistera à mettre le plein dans le vide. De là, tous les symboles phalloïdes de l’antiquité dans lesquels on ne veut souvent chercher qu’une obscénité. Mais le symbole le plus important par son ancienneté et sa répétition dans les Œuvres alchimistes est le Serpent Ouroboros (le Serpent qui se mord la queue). Sa bouche ouverte représente l’espace vide, le passif, sa queue le volume plein, l’actif ; le plein est attiré par le vide et le serpent mord sa queue. De cette attraction des pôles de noms contraires va résulter le mouvement perpétuel. Or, le signe qui s’impose pour symboliser ce mouvement, c’est le cercle qui n’a ni commencement, ni fin, et c’est pourquoi le serpent est enroulé en un cercle fermé. L’Ouroboros, venu des Grecs, comme nous le verrons, semble avoir une origine plus lointaine dans l’Inde. Ainsi, dans une figure dite “ Pradjapati ” destinée à figurer la création du monde et reproduite par Ménard (La Mythologie dans l’art), on voit Brahma qui émet un triple souffle aboutissant, d’une part à une femme (principe passif), de l’autre à un homme (principe actif) et, entre les deux, à un couple formé d’un homme et d’une femme se tenant par les mains (principe d’équilibre). Au-dessous est l’œuf du monde, à l’intérieur duquel on voit précisément l’Ouroboros entouré des douze signes du Zodiaque. Rapprochons-en encore, l’image hindoue de Brahma se mordant le pied. Dans beaucoup d’autres symboles l’Ouroboros se retrouve avec la signification d’une force universelle doublement polarisée.

Il y a d’autres représentations encore. Plaçons-nous au point de vue astrologique : Des deux astres principaux qui éclairent la terre, le soleil et la lune, le soleil qui a sa lumière propre et qui est le pivot de tout le système est véritablement actif et fixe. La lune qui ne fait que refléter sa lumière est passive et mobile. Or, le soleil se représente par un point entouré d’un cercle : le point, c’est le soleil lui-même, le cercle, c’est le mouvement perpétuel des astres qui gravitent autour de lui. Quelquefois, on simplifie le signe en un cercle seul. La lune se représente par sa forme la plus typique : le quartier, avec ses deux cornes. Or, au point de vue astrologique, la planète qui combine les deux influences du soleil et de la lune et qui est par conséquent leur résultante, c’est Mercure, hermaphrodite noyé dans la lumière du soleil dont il ne s’éloigne jamais, mais qu’il reflète cependant, Mercure qui unit la raison du soleil à l’imagination de la lune, la gloire à la bassesse ; aussi, le signe astrologique de Mercure est formé de la réunion des deux signes précédents, à laquelle on a ajoute une croix, symbole de la réalisation et de l’adaptation. C’est pourquoi encore Hermès Trismégiste, représenté sous sa forme divine du dieu Thôt, aura sur sa tête le cercle surmonté de deux cornes. Et quand Hermès ainsi coiffé, étendra les bras en croix, il représentera très exactement le hiéroglyphe de Mercure, le dieu de la Science et de la philosophie, le dieu de l’adaptation.

Les deux serpents, blanc et noir, qui s’enroulent, symétriques, autour de la hampe du Caducée pour aboutir à la boule d’or qui la surmonte, représentent encore la double polarité de la même force et sa réalisation.

Les deux triangles, blanc et noir, qui se superposent pour former l’étoile à six branches des gnostiques et des francs-maçons représentent la même chose : le triangle blanc à sommet supérieur, c’est la force d’évolution, la volonté, l’activité, la divinité ; le triangle noir dont la pointe regarde en bas symbolise l’involution, la nécessité, la passivité, l’esprit du mal. De leur équilibre incessant résulte une figure parfaite : la réalisation, l’intermédiaire.

Les symboles peuvent ainsi varier à l’infini : nous citerons encore à titre de curiosité et pour montrer comment la philosophie hermétique se rapproche beaucoup du bouddhisme, le signe dit “ Pa-koua ” qui figure, par exemple, sur les vieux timbres-poste de Corée, qui montre bien le blanc et le noir, l’actif et le passif, se combiner en une figure circulaire qui exprime l’évolution perpétuelle. Mais, comme il n’y a pas de lumière sans ombre, ni de nuit sans lueur, la partie blanche porte un point noir et la partie noire un point blanc : C’est aussi une manière schématique de représenter les deux dragons qui se poursuivent l’un l’autre en un perpétuel mouvement.

Ainsi, l’on peut retrouver partout symbolisée l’idée fondamentale de la philosophie hermétique. Nous allons maintenant étudier en détail les adaptations théoriques de ces idées générales.

I. La Matière

Voyons tout d’abord la constitution de la matière et plus particulièrement celle des métaux :

Le métal est formé d’un principe actif qu’on désigne par le terme de “ Soufre ” d’un principe passif, le “ Mercure ”, et d’un principe neutre, le “ Sel ”. Il est bien évident que les termes de soufre, mercure et sel ne sont qu’une terminologie pour désigner des abstractions et il est ridicule de dire que les alchimistes considèrent tous les corps comme des sulfures d’hydrargyre. Ces principes ne sont qu’une modalité de l’Energie universelle (Telesme d’Hermès, Aither de Paracelse) et ainsi les alchimistes ramènent la matière à la force comme de nos jours Ramsay.

Le soufre s’appelle encore “ feu inné ” et est le principe de la forme. Le mercure est l’humide radical, ou principe de la substantation. C’est lui à que certaines substances doivent leur propriété d’engendrer un liquide appelé “ phlegme ” ou de passer elles-mêmes à l’état liquide quand on les soumet à l’action de la chaleur. On désigne encore le mercure par un mot formé de la première et de la dernière lettre des trois alphabets : latin, grec, hébraïque ; c’est le mot AZOTH, bien différent de notre azote (α-ζώη) dont le nom signifie qu’il est impropre à la vie. Enfin, le sel s’appelle base essentielle ou Hylé et constitue le principe mixte de la manifestation objective (St. de Guaita).

Jean Fabre, dans l’Abrégé des Secrets Magiques (Paris, 1636) s’exprime ainsi : « Le Soufre est le feu céleste qui, s’introduisant dans les semences inférieures, suscite et fait paraître la forme intérieure du plus profond de la matière. — Le Mercure est la substance humide, première née en la substance de toutes choses, sur laquelle le feu naturel en soufre vital agit pour en pousser les formes cachées dans le trésor de son abîme. — Le sel est le principe des corporifications qui est le nœud et le lien des autres deux principes : Soufre et Mercure et leur donne corps, et ainsi les fait paraître visiblement aux yeux de chacun. » Tels sont les trois principes constituants des métaux, et en général, de tous les corps. La matière ne peut exister que par leur réunion et ils coexistent toujours : une préparation n’est “ Mercurielle ”, “ Sulfureuse ” ou “ Saline ” que par la prédominance d’un élément. Chaque corps a son Soufre, son Mercure et son Sel spécial. Notre soufre au sens ordinaire et actuel du mot, de même que notre mercure métallique comprend ces trois principes..

Telle est la constitution ternaire de tous les corps matériels. Ces corps, ainsi composés, vont pouvoir se présenter à nos sens sous quatre formes : solide, liquide, gazeuse et “ radiante ” (La radioactivité, l’étude des ions nous permettent de comprendre ce qu’il faut entendre par ce dernier terme). Ces quatre modes de manifestation objective vont constituer les quatre éléments : la terre, l’eau, l’air, le feu. Ici encore, il s’agit d’abstractions ; l’eau, par exemple, désigne tout ce qui est liquide (eau-de-vie, eau régale, eau forte, etc.). Les anciens auteurs se préoccupaient fort peu de la notion de corps simples. Pour eux, l’eau était un corps comme les autres, formé de deux principes opposés (il se trouve que c’est l’oxygène et l’hydrogène) et de leur résultante neutre (combinaison). De même l’air, etc.
Les corps matériels qui possèdent quatre modes de manifestation ou éléments, sont doués de quatre qualités : chaude, froide, humide et sèche, qui se rapportent aux quatre éléments. Ainsi le feu est chaud et sec, la terre sèche et froide, l’eau froide et humide et l’air humide et chaud.
Si maintenant nous rapportons la notion des quatre éléments à celle des trois principes, nous voyons que le soufre est une synthèse du chaud qui est dans le feu et du chaud qui est dans l’air. Le mercure, une synthèse de l’humidité qui existe à la fois dans l’air et dans l’eau. Le sel enfin résume la sécheresse du feu et de la terre. Quand au froid qui réside dans l’eau, et celui qui réside dans la terre, leur synthèse ne peut être, par leur nature même, qu’improductive et ne peut se rapporter à aucun principe (J. Maveric)
Toute substance contient toujours et en même temps, les quatre éléments associés. C’est selon la prédominance de tel ou tel qu’elle se présente sous forme solide, liquide, gazeuse ou radiante. Ainsi l’eau telle que nous la connaissons porte en elle la terre puisqu’elle est capable de congeler et de devenir solide. Elle contient de même l’air puisqu’elle peut devenir vapeur, et le feu puisque cette vapeur peut arriver à l’état radiant.
D’ailleurs, les corps matériels évoluent comme tout ce qui est dans la nature et c’est pourquoi ils doivent tous parcourir ce cycle de transformation. Tout se tient dans la nature ; l’année présente successivement l’automne, sec et froid — l’hiver, froid et humide — le printemps, chaud et humide et l’été, chaud et sec ; la journée présente une matinée chaude et humide (air) ; la période de midi, chaude et sèche (feu) ; la soirée, sèche et froide (terre) et la nuit, humide et froide (eau), etc., etc. De même, la matière doit parcourir le cycle de ses éléments dans le même ordre et se transformer perpétuellement, d’où la notion de la vie de la matière. Mais de même que la fin d’une année et d’une journée n’est que le commencement d’une autre, le cycle recommence sans cesse, et c’est ainsi que l’homme, après avoir passé par l’enfance, l’adolescence, la maturité, la vieillesse, recommence après la mort une nouvelle vie, et, par pure analogie les alchimistes admettaient la survivance de l’âme et ses réincarnations successives.
Les Pyramides d’Egypte, présentant quatre surfaces à trois côtés chacune, expriment symboliquement cette théorie des trois principes et des quatre éléments. Quant au tétragramme sacré que l’on grave encore volontiers dans un triangle à l’entrée des églises, il pourrait fort bien exprimer la même chose.

II. Les Etres vivants

Nous venons de voir la constitution et les propriétés de la matière, voyons maintenant quelle était, pour les alchimistes, la constitution des êtres organisés. Considérons plus particulièrement l’homme et, pour bien saisir le sens des théories hermétiques, rappelons-nous qu’il est une unité complexe. A priori, et par analogie, nous devons retrouver chez lui les trois principes constituants et les quatre éléments de manifestation, puisque l’homme est un organisme vivant au même titre que les minéraux, malgré son perfectionnement.
L’homme est en effet triple. Considérons en effet un cadavre, nous n’y trouvons que de la matière : le corps. Considérons maintenant un homme endormi : son organisme fonctionne. Il y a donc, en plus du corps matériel, une force qui met tout en mouvement. Il faut qu’il se réveille pour pouvoir raisonner, juger, avoir une volonté quelconque. L’homme éveillé possède donc trois éléments : le corps, la force vitale et une volonté qui gouverne : l’esprit. Or, ce qui est actif, c’est l’esprit ; ce qui est passif c’est le corps qui obéit ; quant à la force vitale, elle est le nœud qui les unit l’un à l’autre, elle est la résultante neutre. Cette conception triple de l’homme est extrêmement générale. Elle existe aussi chez les Hindous qui distinguent le corps physique (Sthula Sharira), l’esprit (Prâna et Atma) et la force vitale (Linga Sharira).
Le corps est la matière que nous venons d’étudier, cette matière qui n’est qu’une modalité de l’Energie universelle, et qui résulte d’un certain équilibre de sa double polarité.
L’esprit est aussi une modalité de l’Energie universelle individualisée. Lui aussi peut être conçu comme l’équilibre de deux aspects opposés (tels que la volonté d’action et la volonté d’arrêt par exemple). La volonté d’action positive, sera en quelque sorte son “ Soufre ” ; la volonté d’arrêt sera son “ Mercure ”, leur résultante sera l’équilibre, tel qu’il se manifestera par “ le Sel ”.
Quant à la “ force vitale ”, c’est une notion qui a besoin d’être précisée davantage : c’est un principe intermédiaire tenant à la fois du corps matériel et de l’esprit immatériel. C’est une sorte de fluide par lequel l’esprit pourra agir sur le corps. A la mort, il se clive en deux parties, l’une reste attachée au corps, c’est la “ Mumie ” de Paracelse ; l’autre se dégage et accompagne l’esprit. Les hermétistes modernes l’appellent “ corps sidéral ou astral ” et les spirites “ perisprit ”. L’existence de ce corps fluidique est une notion très répandue puisque les Egyptiens le désignaient sous le nom de “ Khaba ” ou Double — et que les Chinois le connaissent sous le nom de “ Kwei-shan ”. Il est formé d’une matière très subtile, “ radiante ” (du feu, diraient les alchimistes), qui sert de support à une énergie qui, ou bien se dégage du corps humain, ou bien s’y absorbe.
"Sa substance constitue une atmosphère qui nous entoure et qui est due aux émanations de notre propre substance, aux produits de notre respiration cutanée. Ces émanations ne sont pas exclusivement gazeuses ; elles sont constituées, pour une bonne part, de molécules à l’état radiant, c’est-à-dire en nombre assez restreint pour pouvoir être entraînées par les forces qui sortent de notre organisme ou qui y arrivent ». (M. Decrespe). — Elle représente aussi l’influx nerveux. Le corps matériel lui transmet les sensations et elle réagit sur lui en lui apportant la force motrice qui le fait agir. Elle est dirigée par l’esprit. Elle est capable non seulement de faire contracter un muscle, mais, avec le temps, quand elle est convenablement dirigée par la volonté, d’opérer quelques transformations matérielles du corps. Cette conception amènera les médecins alchimistes à essayer d’agir sur elle directement, comme nous le verrons. Les alchimistes admettaient que ce fluide était surtout localisé dans le sang. Fludd, au XVIe siècle, disait : « L’âme sensitive ou élémentaire, agent de la sensation, de la nutrition et de la reproduction, réside dans le sang » et, bien avant, Platon : et, plus anciennement encore, le chapitre 17 du Lévitique défend aux enfants d’Israël de manger le sang des bêtes quelles qu’elles soient « parce que l’âme de toute chair est au sang et quiconque le mangera sera exterminé ». Cette croyance explique l’importance du sang dans les cérémonies magiques de toute sorte, et les sacrifices sanglants des anciennes religions. C’est en vertu de la même croyance que les Orientaux, qui veulent inspirer à une femme de l’amour, répandent de leur sang devant elle.
Quant à la notion d’âme, elle a été trop précisée par les philosophes pour qu’il soit besoin d’y revenir ici. Remarquons seulement qu’il y a en elle de l’activité, de la passivité et un état d’équilibre : c’est la décision, la réflexion, la volonté, ou bien l’attention, l’imagination, la raison, etc., et ainsi nous concevons que le corps, l’âme (ou esprit) et la force vitale sont des unités complexes réunies pour former une unité d’ordre plus élevé : l’homme.
L’homme lui-même, comme toute unité, sera doublement polarisé (les deux sexes) et entre ces deux aspects se placera une résultante intermédiaire (embryon). Or, cet homme, triple en lui-même, triple dans son espèce, va se présenter sous quatre formes (éléments). Sans parler des quatre âges de la vie (différenciation dans le temps) ni des quatre races humaines (différenciation dans l’espace), — qui sont des notions plus discutables — nous considérerons seulement la distinction des quatre tempéraments, notion sur laquelle repose toute la médecine alchimique et qui a duré de l’antiquité la plus reculée jusqu’au dix-neuvième siècle. Nous l’étudierons en détail à propos de la médecine alchimique.

III. La Divinité.

Nous venons de comparer l’organisation du monde matériel et celle du monde organisé, d’après les théories hermétiques. Il sera maintenant tout à fait curieux de constater que dans presque tous les temps et tous les pays, le monde divin a été conçu et représenté sur le même plan. Nous verrons ainsi que la même conception ternaire se retrouve au début de toutes les civilisations et s’exprime symboliquement par presque toutes les religions. D’une manière générale, en effet, l’intelligence supérieure qui est le dieu va se présenter à nous sous trois aspects : l’un actif, positif, l’autre passif, négatif. L’un sera l’agent de la destruction, l’autre, de la création ; l’un sera le dieu du mal, l’autre, celui du bien, etc., et entre ces deux termes figurera un type intermédiaire Ainsi, dans l’Egypte ancienne, il y avait un dieu éternel, auteur de toutes choses, se présentant en trois personnes : 1o le père (principe positif) ; 2o un personnage féminin (négatif) qui joue le rôle de mère, mais qui demeure toujours vierge ; 3o leur fils. Cette trilogie s’exprime différemment suivant les régions de l’Egypte. C’est surtout Osiris qui porte sur sa tête le globe du soleil, avec Isis, sa sœur et son épouse (égale et de nom contraire), coiffée du croissant lunaire, et leur fils Horus réunissant les deux attributs. C’est encore Phtâ qui féconde une vierge et lui fait enfanter le bœuf Apis ; c’est enfin, à Thèbes, Ammon-Râ, son épouse Maut et leur fils Chons.
En Chaldée, le dieu-synthèse Ilou ou Assour se présente sous trois formes : Anou ou Oannés (actif), Ben (passif) et Bin, le fils (neutre).
En Phénicie, c’est Baal, assimilé au soleil, Astarté, à la lune, et Melkart, à Mercure.
En Perse, Zoroastre a enseigné qu’en face d’Oromaz (créateur), il y a Ahriman (destructeur), mais entre les deux, Mithra sert d’intermédiaire.
Dans l’Inde, on croit que Brahma s’est révélé une première fois homme d’un côté, femme de l’autre, formant par conséquent le troisième terme, la résultante. Puis, il s’est définitivement révélé par une trinité (Trimourti) plus séparée : C’est Brahma (créateur), Siva (destructeur) et Vischnou (l’intermédiaire). Ici, une notion nouvelle apparaît, c’est que le principe destructeur (analogue au négatif, au passif) peut être bon ou méchant suivant les points de vue : Siva est méchant quand il vomit des flammes et brandit les armes mortelles, mais il y a de lui une autre représentation, toute pacifique : c’est que la destruction est précisément une création. Il enlève une vie mais il en donne une autre, aussi l’appelle-t-on quelquefois « Dieu bon ». C’est une distinction du même genre qu’on peut faire entre l’infernale Hecate, portant sur sa tête le croissant lunaire, et Myriam, c’est-à-dire la Vierge Marie, dont les pieds reposent sur le même croissant lunaire. Remarquons encore en passant que Vischnou, dans sa huitième incarnation, s’est appelé Krichna, il est né d’une vierge, sa naissance a donné lieu à un massacre des nouveaux-nés, mais il a échappé grâce à la fuite de ses parents dans le désert. A trente-trois ans, il est mort supplicié. Ceci nous montre les rapports curieux qui existent entre Krichna et le Christ. Ajoutons que le 9e avatar ou incarnation de Vischnou fut Bouddah né de la vierge Maïa.

En Scandinavie, la trinité se présente encore à nous : c’est Odin, dieu fécondant ; Fregga, la matrice de toutes choses, et leur fils, le forgeron Thor, qui est bien comparable à Mercure.

Nous pourrions remarquer enfin que la trinité s’est maintenue dans le Christianisme.


Ainsi la divinité, pour les Hermétistes, ne diffère pas, quant à sa constitution, des autres créatures. Elle est formée de la synthèse des univers et, comme nous avons vu que l’univers s’exprime par 7 (sept qualités, sept planètes), la divinité va s’exprimer par l’unité supérieure (Cf. Tableau d’Analogie numérique) c’est-à-dire par 10. « C’est, dit Agrippa (Philosoph. occulte II-XXIII), le nombre de tout ou universel et le nombre complet marquant le plein cours de la vie, car l’on ne compte plus depuis ce nombre que par réplique et il implique en soi tous les nombres et il les explique par les siens en se multipliant… « Ce nombre est circulaire, de même que l’unité, parce qu’étant accumulé, il revient à l’unité d’où il sort : il est la fin et le complément de tous les nombres et le principe des dizaines. De même que le dixième nombre reflue sur l’unité d’où il a tiré son origine, ainsi tout flux retourne à ce qui lui a donné le principe de son effluence ; ainsi l’eau court à la mer d’où elle sort, le corps à la terre d’où il est tiré, le temps à l’éternité d’où il découle, l’esprit à Dieu qui l’a fait et toute créature s’en va au néant dont elle a été créée ».

Nous voyons, en effet, la divinité s’exprimer dans la bible par dix noms différents (Eheie, El, Eloïm-Gibor, Eloa, etc.). Il y a encore dix Sephiroths (Kether, Hochma, Binah, etc.), c’est-à-dire dix modes d’action divine, distinction qui correspond, dans le christianisme, aux dix ordres de bienheureux (Séraphins, Chérubins, Trônes, etc.). Il y a encore dix commandements de Dieu et Krichna a reçu, dans ses supplices, dix règles de morale de la Sagesses Suprême. « C’est pourquoi, dit Agrippa (Phil. Occ. II-XIII), il y avait dix courtines dans le temple, dix cordes au psaltérion, dix instruments de musique sur lesquels on chantait les dix psaumes, etc. ».

À propos de la Divinité, les Hermétistes considéraient que l’homme pouvait entrer en rapport avec elle par la prière, et, agissant ainsi sur elle par ce moyen, obtenir des réalisations matérielles qu’ils n’auraient pas pu obtenir sans cela : c’est pourquoi on priait pour accomplir le grand œuvre et c’est pourquoi il y avait une médecine mystique qui guérissait par la prière.

Mais, en somme, cette divinité n’était elle-même qu’une modalité de l’Energie universelle, dans sa forme la plus parfaite il est vrai, mais de même nature au fond que les autres forces (influx spécial de chaque planète, force vitale des êtres vivants, attraction moléculaire, affinités chimiques, etc.). La matière, enfin, n’étant en quelque sorte qu’une modalité d’énergie, les hermétistes concevaient l’univers comme la manifestation polymorphe d’un même agent unique : «  » disaient les Grecs : l’Univers est Un.

Il existait ainsi une Energie Universelle, un agent unique produisant les effets les plus divers selon son « individualisation », la cohésion, l’affinité chimique, la chaleur, la lumière, l’électricité, la force vitale, l’influx astral, la pensée divine, etc. Cet agent, c’est la lumière astrale des Kabbalistes, l' " akasa " des Indiens, l' des Grecs. Synésius dit de lui (Hymne II) : « Un souffle circule autour de la terre et vivifie, sous d’incomparables formes, toutes les parties de la substance animée ». Oubliée jusqu’à Paracelse, cette notion d’aither ou d’éther a dû être scientifiquement admise par nos physiciens pour expliquer la propagation de la lumière dans le vide.

Il est doublement polarisé (od et ob des Hébreux), son aspect positif produit l’action ; son aspect négatif la résistance. Le premier est la force qui rayonne, le second la matière condensée. Lui-même est un fluide, pont entre la matière et la force, état primordial de toutes choses, nœud des transmutations — et à ce titre Crookes l’appelle « Protyle ». La Kabbale, compilation d’enseignements hermétiques rédigée dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, dit pour cela : « Tout est esprit ; tout se réduit en esprit. — Les objets de ce monde retourneront au sein de toute lumière ».

Bien plus, cet agent universel représente une masse plastique, extrêmement subtile, capable de prendre une forme sous l’influence d’une idée, d’une volonté et de conserver cette forme, comme il s’organise autour de l’âme pour constituer son double fluidique. Il est donc l’élément dans lequel vivent et se conservent les idées ; c’est grâce à lui qu’elles prennent une existence réelle, quasi-objective. Il est donc comme la substance du monde des idées de Platon, du monde des Noumènes de Kant et, à ce titre, il est l’agent des transmissions de pensées, des pressentiments, des prévisions même, et M. Decrespe l’a étudié sous le nom de « Matière des Œuvres Magiques ».

Cet agent universel est représenté symboliquement par un serpent. Chez les Aryens, dans l’Inde, c’était le grand serpent “ Nay ”. Dans le livre de René Ménard (La Mythologie dans l'art) est reproduit un dessin hindou représentant symboliquement le monde : Une tortue porte sur son dos quatre éléphants (les quatre éléments), ces derniers soutiennent une coupole sur laquelle sont sept autres éléphants (les 7 planètes), ces derniers portent le Mont Mérou aux sept étages et le tout est entouré par un serpent qui se mord la queue et qui, comme l’Ouroboros du manuscrit de St-Marc, est disposé en cercle. Mais ici, ce serpent prend une signification plus particulière : c’est l’éther cosmique doublement polarisé.

Au Mexique même, on retrouve ce singulier serpent et, dans le livre de M. de Larenaudière sur le Mexique (Paris 1843), on voit une figure représentant l’année par un cercle rempli d’attributs divers et entouré d’un pareil serpent, avec cette particularité qu’il forme, aux quatre points cardinaux, quatre boucles.

En Egypte, dans les sanctuaires d’Osiris, et pour les Hébreux, c’était le serpent Nahash. « Enfin, dit G. Combes, dans les mystères d’Eleusis, c’était le serpent en or, roulé en spirale, triple symbole sur les trois plans de l’Univers, et renfermé dans le ciste orné de branches de lierre que l’on remettait, avec le thyrse du Verbe Solitaire Dionysos Bakkos, comme souvenirs aux seuls initiés des grands mystères lustraux ».


LES ASTRES ET LEURS CORRESPONDANCES

L’Hermétisme est une doctrine unitaire qui devait chercher, non seulement à tout ramener à la même substance, mais encore à expliquer tous les phénomènes de l’univers par les mêmes lois. La plus curieuse application qu’il en a fait est l’analogie du Macrocosme et du Microcosme. Le Macrocosme est l’univers : l’ensemble des planètes et des étoiles ; le Microcosme est notre terre : les relations sont faciles à trouver, les positions différentes du soleil aux différents moments de la journée, ses positions diverses dans le zodiaque selon les saisons de l’année, l’influence de la lune sur les marées, celle qu’on lui attribue en météorologie, en agriculture, furent les premiers points de comparaison. En outre, on réduisit le Microcosme à l’homme seul et on chercha à établir l’influence des astres sur sa santé et sur sa vie ; de là, l’origine de l’Astrologie. On établit ainsi des relations entre les différentes parties de son corps, entre les différentes facultés de son esprit et les sept planètes, les douze constellations zodiacales, tant et si bien qu’on en vint à penser que tous les phénomènes qui se produisent en lui, même les plus minimes, correspondent à un phénomène astronomique. On étendit cette influence sur tous les êtres : animaux, végétaux, minéraux même. Une plante, cueillie à un moment où elle subit une influence astrale particulière, devait avoir, en médecine, par exemple, des propriétés différentes de celles d’une plante semblable récoltée à un autre moment. De même un minéral préparé sous une influence convenable. Bien plus, on établit une analogie entre les qualités de chaque planète et les qualités morales, intellectuelles, physiques des hommes, les propriétés des plantes et des animaux.

Par exemple, le soleil, planète de lumière et de vie, devait correspondre à la franchise, à la gloire, à la droiture du jugement, à la clarté de la raison, à la beauté, la santé, la force. Les plantes solaires devaient être celles qui, comme l’héliotrope ou le tournesol, suivent sa direction dans le ciel. L’animal solaire devait être le lion, qui retrait la franchise de l’attaque à la force et à la beauté physique. Le métal du soleil était l’or qui est pur et colore comme sa lumière. La pierre précieuse du soleil était le diamant, etc. Or, pour nous en tenir uniquement aux analogies métalliques, nous trouvons qu’à la lune correspondait l’argent qui a la même couleur blanche. A Mars, l’astre aux reflets rouges, Mars, dieu de la guerre, correspondait le fer dont on fait des armes et dont les sels sont rouges : il nous reste, par exemple, le Safran de Mars. A Vénus, dont l’éclat est légèrement bleu, correspondait le cuivre, à cause de la couleur des composés cupriques (on désigne quelquefois encore l’acétate de cuivre sous le nom de Cristaux de Vénus). A Saturne, la planète lente et terne appartenait le plomb lourd et gris (nous avons conservé les termes de “ saturnisme ”, d’" extrait de Saturne ”). A Jupiter appartenait l’étain. Enfin, à Mercure, on a attribué tout d’abord l’Electrum ou mélange d’argent et d’or qu’on trouve quelquefois à l’état natif dans le sol, puis, lorsque l’Hydrargyre fut découvert (après la guerre du Péloponèse pour Berthelot), ce fut ce métal liquide, capable de prendre toutes les formes et de s’amalgamer à tous les autres qui parut se rapporter le mieux à Mercure, la planète d’adaptation par excellence.

Mais de même que l’on voyait les planètes évoluer régulièrement dans le ciel et les hommes vivre sur la terre, on en vint à concevoir la vie de la matière et son évolution : « Conformément, dit Figuier, à un système d’idées qui a joui d’un crédit absolu, les écrivains Hermétistes comparent la formation des métaux à la génération des animaux. Ils ne voient aucune différence entre le développement des fœtus dans la matrice des animaux et l’élaboration d’un métal au sein du globe ». Cette évolution des minéraux obéissait, comme les autres choses, à l’influence planétaire. Elle se faisait avec une grande lenteur.

Applications pratiques

Analogie entre les êtres différents, analogie entre les êtres et les mondes, unité de substance et de force, évolution perpétuelle, tels sont, comme nous venons de le voir, les grands principes de la philosophie hermétique. Il n’est pas étonnant qu’avec de telles vues, les Hermétistes aient cherché à opérer des transmutations de forme matérielle ou de force vitale. En devenant réalisateurs, ils sont devenus des alchimistes au sens propre du mot. Leurs objets principaux étaient : la transmutation métallique, la médecine universelle, la palingénésie et la création de l’Homunculus.

a) LA TRANSMUTATION MÉTALLIQUE. — « Les espèces sont immuables et ne peuvent être changées les unes dans les autres, mais le plomb, le fer, le cuivre et l’argent ne sont pas des espèces : c’est une même essence dont les formes diverses nous semblent des espèces ». Tel est, exprimé par Albert le Grand (De Alchemia, in Theatr. chim. t. II, p. 459), le principe sur lequel repose la recherche de la transmutation. Or, le dogme de la spécificité des corps simples est sérieusement battu en brèche aujourd’hui, surtout depuis la découverte du Radium et des Rayons X. D’ailleurs, la disproportion est frappante entre les quatre éléments fondamentaux de la chimie organique (C. H. O. Az.) et les quelque soixante corps simples de la chimie minérale. C’est pourquoi Moissan, dans son traité de Chimie Minérale (1904, t. II), dit que la physique actuelle conçoit, comme la chimie, une divisibilité de la matière plus grande que celle qu’on a admise jusqu’à présent. Un des meilleurs arguments en faveur de cette thèse est fourni par les cas d’allotropie des corps simples (phosphores rouge et blanc ; carbone-charbon et carbone-diamant). En outre, nous voyons des groupements se comporter comme des corps simples : le groupe AzH4 n’est-il pas un véritable métal, et le cyanogène CAz n’agit-il pas comme un corps simple ?

Ainsi, tous les métaux pourraient bien n’être que des combinaisons ou des polymérisations stables d’un même radical. Les poids atomiques qui se trouvent être tous des multiples de celui de l’H pris comme unité en semblent une preuve. La loi des octaves de Newlands-Mendeléief serait un argument dans le même sens, car pour 84 éléments connus, il n’y a que 11 espaces vides dans ce système périodique.

Mais le meilleur argument nous est fourni par la désintégration des éléments radio-actifs, étudiée par Rutherford et Soddy et résumée par William Ramsay (in Revue Scientifique. Paris, 27 janvier 1912). Le Radium, en effet, qui, par son poids atomique 226,5 se range dans la table périodique, a tous les caractères d’un élément. Or, ce Radium donne lieu à une émanation matérielle telle qu’un gramme de ce corps perd la moitié de son poids en 1760 années. Voici ce qui se produit :

Le Radium (226,5) dégage, en quelques jours, une certaine partie d’Hélium (poids 4) et de Niton (222,4).

Le Niton-se désagrège à son tour ; une moitié est détruite en 4 jours selon la formule Niton (222,4) — Hélium (4) + Radium A de Rutherford (218,4).

Mais en quelques minutes, la moitié de ce Radium A (218,4) a produit de l’Hélium (4) et du Radium B (214,4). De même, le Radium B (214,4) va se décomposer, en émettant des électrons négatifs et il reste un corps qui n’a pas diminué de poids atomique, le Radium Cl (214,4). Ce dernier va de nouveau produire de l’Hélium (4) et du Radium C2 (210,4), et ainsi de suite : on obtient en série les Radium D, E, F (Rad F = Polonium de Mme Curie). Enfin en 140 jours le Polonium (210,4) se décompose en Hélium (4) et en un métal inconnu (206,4) mais qui semble devoir être du plomb. En effet, le poids du plomb est de 207,4 et on peut admettre une erreur de une unité.

Ramsay suppose même que le Radium (226,5) ne serait que de l’Uranium (239) ayant perdu 3 atomes d’Hélium. Il ajoute, ailleurs, que dans des expériences qu’il n’ose pas encore considérer comme définitives, l’émanation du Radium a paru, par son énergie, transformer du cuivre en Lithium, et que, de même, le Thorium, le Zirconium, le Titane et le Silicium se dégraderaient en carbone.

Or, s’il était établi que nos corps simples sont, en réalité, composés, la question de la transmutation se poserait logiquement.

La nature nous fournit même des exemples de certaines transmutations spontanées. Le tissu ligneux se transforme non seulement en houille, mais, ainsi qu’on peut le voir par des pièces du Muséum d’Histoire Naturelle, en agathe ou en quartz résinite (Hongrie). On aurait également vu des troncs d’arbres devenir du grès quartzeux amalgamé d’oxyde de cuivre (Région de la Volga et de l’Oural), ou du minerai de fer (Sibérie), ou enfin des minerais aurifères (à Vorospatack, en Transylvanie). D’une manière générale tous ces phénomènes d’epigénie peuvent être considérés comme des transmutations.

Les alchimistes actuels, qu’on appelle aujourd’hui hyperchimistes, se sont attachés à démontrer que souvent les équations chimiques sont inexactes et qu’à la suite de certaines opérations on constate soit la présence d’un nouveau corps, soit un accroissement dans le poids d’un de ceux qui avaient été employés. M. Le Brun de Virloy, dans sa “ Notice sur l’Accroissement de la Matière Métallique ” (Paris, 1889), donne un procédé pour accroître le cuivre contenu dans du sulfate de cuivre, au moyen d’acide sulfurique. Notons bien que l’opération demande six mois à être effectuée. M. René Schwaeblé donne également un procédé pour transformer partiellement du cuivre en argent. Dans une autre de ses recettes, on ferait apparaître du nickel dans une solution huileuse d’oléate de cuivre exposée longtemps au soleil. L’expérience qui, à première vue semble la plus curieuse est celle qu’indique Stanislas de Guaïta : On sème des graines de cresson sur du verre pilé, on arrose d’eau distillée et on met le tout sous cloche, ne laissant pénétrer que de l’air filtré : les graines germent et poussent. Alors, si l’on dose le fer et le manganèse retirés par calcination de ces graines germées, on en trouve beaucoup plus que dans une quantité de graines sèches égale à celle qui a été semée. D’où peut donc provenir ce fer supplémentaire ? Mais, pour que cette expérience soit probante, il faudrait ne laisser pénétrer que de l'air renfermant exclusivement que de l’oxygène et de l’azote, et s’assurer que le verre ne contient pas traces de fer ou de manganèse. En outre, le dosage doit être très méticuleux, fait avec des réactifs absolument exempts de ces corps, et ce sont-là, dans la pratique, de très grosses difficultés. Les transmutations, d’ailleurs, doivent différer essentiellement des réactions chimiques ordinaires en ce qu’elles s’effectueraient très lentement. Les opérations alchimiques, en effet, se faisaient non par des moyens violents, mais sur la lampe à huile de l’Athanor, au bain de sable, ou même en enfouissant le matras dans des matières en décomposition et elles duraient de si longues années qu’on se transmettait de père en fils le grand œuvre commencé : « L’or n’est parfait, dit Roger Bacon (Specul. Secret.) que parce que la nature a achevé le travail. Il faut donc imiter la nature ; mais la nature ne compte pas les siècles qu’elle emploie, tandis qu’une heure peut être le terme de la vie d’un homme… » Le temps est, en effet, le grand secret de la nature et « si les alchimistes étaient partis de meilleurs principes, ils seraient probablement arrivés à des résultats prodigieux auxquels arriveront peut-être plus difficilement les chimistes d’aujourd’hui, trop pressés de jouir du présent. » (Hœfer, Histoire de la Chimie).

L’Hermétisme pose, en principe, la vie et l’évolution des minéraux. Pour Paracelse, ils ne diffèrent de l'homme qu’en ce qu’ils n’ont pas une âme immortelle. Remarquant que tous les êtres créés procèdent d’autres êtres préexistants, les alchimistes ont pensé que toute faculté génératrice était cachée dans une semence qui forme les matières à sa ressemblance. Il y aurait là une action toute comparable à l’évolution du fœtus : le germe vivant assimile la substance ambiante, l’organise, l’incorpore et l’utilise à sa croissance. Le germe métallique assimilerait de même les éléments voisins après avoir complètement brisé non seulement leur molécule mais leur “ atome ” (au sens chimique du mot) et les avoir réduits en leur matière première qui est la substance unique et fondamentale de toutes choses. Puis, les ayant assimilés, ce germe minéral procéderait à un travail nouveau de synthèse devant aboutir à la production du métal adulte et parfait, c’est-à-dire de l’or. Mais, de même que l’œuf avant de produire l’animal adulte doit passer par toute une série de formes de plus en plus parfaites, de même, cette évolution minérale se ferait par stades. Maintenant, qu’un arrêt de développement vienne à se produire, ou bien que les hommes aillent extraire prématurément de la matrice de la terre, un métal en voie de perfectionnement, nous aurons des êtres métalliques incomplets, des “ avortons ” des “ monstres ”. C’est ce que dit Albert-le-Grand (Theatr. chimie. T. II, p. 459).

« Ce sont des causes accidentelles qui entravent la combinaison régulière du soufre et du mercure : Une matrice malade peut donner naissance à un enfant infirme et lépreux, bien que la semence ait été bonne. Il en est de même des métaux… ». Les “ Avortons métalliques ” ce sont les métaux vulgaires, ce sont des fruits fades et crus détachés de l’arbre avant leur maturité. Aucun d’eux ne peut être une forme définitive, car ils sont formés d’éléments impurs et mal combinés. C’est la théorie que Geber formule le premier, semble-t-il. Dans l'“ Abrégé du parfait magistère ”, il dit : « L’or est formé d’un mercure très subtil et d’un peu de soufre très pur, fixe et clair, qui a une rougeur nette. Et comme ce soufre n’est pas également coloré et qu’il y en a qui est plus teint l’un que l’autre, de là vient aussi que l’or est plus ou moins jaune. » D’après cet auteur, quand le soufre est plus impur, on a du cuivre ; et l’étain est formé de soufre et de mercure impurs. Nous avons vu ce qu’il faut entendre par soufre et mercure. Le sel étant le mode d’incorporation moléculaire, le soufre représente l’élément mâle, le mercure l’élément femelle. Selon la prédominance de l’un ou de l’autre, le métal sera d’une série masculine ou féminine. Tandis que l’or représente le terme le plus élevé de la série masculine, l’argent est l’aboutissant de la série féminine. Mais cette sexualité n’étant qu’une question de proportions, un métal passerait fréquemment d’une série à l’autre au cours de son évolution. C’est ainsi que l’argent serait le stade antérieur à l’or. Déjà, Albert-le-Grand avait dit dans “ Le Composé des Composés ” : « Les métaux voisins ont des propriétés semblables et c’est pour cela que l’argent se change facilement en or » et depuis, l’étude attentive des terrains aurifères a montré que, fréquemment, un filon aurifère se continuait, en profondeur, par un filon argentifère.

La question qui se posait pour l’alchimiste était de trouver une sorte de diastase pour continuer artificiellement et rapidement cette évolution des métaux encore imparfaits. Il s’agissait, en quelque sorte, de soigner les métaux imparfaits et l’alchimiste était, pour ainsi dire, un médecin de la matière. C’est dans ce sens que Geber dit « Apporte-moi les six lépreux (les six métaux imparfaits) que je les guérisse. »

Nous n’avons pas à entrer ici dans le détail des manipulations et des opérations employées pour fabriquer la pierre philosophale, agent des transmutations. Papus (Traité de Science occulte) et R. Schwaeblé (L’Alchimie) ont bien traité ce point. Notons que toutes les opérations se faisaient sur une lampe à huile, ou au moyen de la chaleur solaire réfléchie par des miroirs. Kircher (Mund. Subt.) donne une description, avec figure, de l’Athanor, ou fourneau philosophique sur lequel cuisait l’“ œuf ” ou récipient ovoïde dans lequel se faisait l’opération. Ajoutons que le Grand Œuvre devait être accompli sous l’influence d’un agent mystérieux, désigné dans les traités alchimiques sous le nom de “ feu secret ”. Quelques-uns pensent que les alchimistes s’efforçaient de donner un peu de leur propre vie à la matière en la magnétisant à l’aide de passes.

Les traités alchimistes sont fort peu explicites quand il s’agit d’indiquer la matière première surtout. Pour les opérations elles-mêmes, ils sont assez clairs. Néanmoins, les alchimistes préféraient représenter ces indications par des symboles et c’est ainsi qu’à l’entrée de Notre-Dame de Paris, il y a des bas-reliefs allégoriques — et c’est à Guillaume de Sildy, un des architectes de la Cathédrale, qu’on en serait redevable. — Ces symboles sont plus spécialement groupés à la porte de gauche : c’est la porte des alchimistes. On y voit, au milieu, une statue de la Vierge tenant la croix garnie de roses sous laquelle se donnaient rendez-vous les hermétistes de la Rose-Croix. La voûte ogivale est encadrée à l’extérieur par une espèce de triangle non moins symbolique. L’entrée est encadrée par les douze signes du Zodiaque, placés de part et d’autre des deux petites portes jumelles (on y remarque même une erreur : le Cancer n’est pas à sa place). Mais la partie la plus curieuse est constituée par les bas-reliefs en médaillons placés à hauteur l’homme : On y voit, par exemple (du côté droit), deux évêques se donnant la main pour représenter l’union des deux ferments métalliques et, à côté, un homme présentant son enfant au feu du ciel, et dissimulée dans un coin de ce ciel, une main étendue : c’est l’Alchimiste “ appliquant le feu secret ” sur son œuvre : la main, c’est la passe magnétique dont nous avons parlé.

Du côté gauche, on voit un dragon terrassé par un chevalier ailé : le dragon mordant, c’est un acide, le chevalier armé, c’est un métal. Ses ailes, c’est l’hydrogène qui se dégage, le “ volatil ”.

Plus loin, un autre chevalier renverse un enfant sur un autel, ce qui semble indiquer une autre réaction d’un métal sur une substance quelconque, réaction dans laquelle le métal joue un rôle actif.

Les autres portes de Notre-Dame présentent aussi des allégories. Celle du milieu, notamment, répète les symboles précédents : on y voit le sacrifice d’Abraham, et plus loin, un chevalier traversant un fleuve, tandis que de la pointe de sa lance s’échappe un oiseau. La porte de droite représente d’une part, Job entouré de ses amis, et d’autre part, la légende de Saint-Christophle portant un homme qui devenait de plus en plus lourd. Ces deux tableaux seraient des façons de symboliser les épreuves par lesquelles doit passer l’alchimiste et d’autre part, la multiplication de la pierre.

Ce n’est pas tout : on a voulu voir dans la façade de la cathédrale, abstraction faite de la flèche qui est plus moderne, la forme d’un Athanor, et dans son profil, la figure d’un sphynx accroupi, très bien proportionné d’ailleurs, et destiné à symboliser, comme le sphynx antique, les mystères de l’initiation et de l’adaptation hermétique.

Et c’est ainsi que les alchimistes auraient multiplié partout leurs allégories.

L’allégorie la plus singulière est la fameuse Table d’Emeraude, faussement attribuée à Hermès, et qu’on retrouve dans tous les traités alchimiques du moyen âge. Elle résume le détail de la préparation de la pierre, comme on le voit très bien d’après le commentaire de l'Hortulain (annexé aux Œuvres alchim. de R. Bacon. Lyon, 1557) et elle débute par une affirmation de l’analogie universelle : « Il est vrai — sans mensonge — et très véritable. Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas et ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, pour faire les miracles d’une seule chose… » Cette affirmation même, comme le remarque Papus, se présente sous une forme ternaire bien indiquée, comprenant dans chaque phrase, une proposition positive, une négative et une résultante en conclusion.

La Table d’Emeraude représente l’allégorie la plus ingénieuse et la plus complète sur le Grand Œuvre.

Quant à la question de savoir si la transmutation a jamais été réalisée, elle est fort troublante, étant donné un certain nombre de témoignages historiques sur lesquels nous ne pouvons nous étendre ici mais qui se rattachent par exemple, à la conversion et l’affirmation catégorique de savants comme Albert-le-Grand et Van Helmont, ou à l’enrichissement, toujours resté inexplicable, de Nicolas Flamel, avec son histoire mystérieuse du livre d’Abraham le Juif. Nous avons encore, au XVIeet au XVIIesiècles, la curieuse propagande alchimique européenne faite par des adeptes anonymes, avec, pour résultats, des conversions sensationnelles d’adversaires déclarés de l’alchimie, tels que Helvétius, Berigard de Pise, le Prof. Martini de Helmstedt, etc., etc. Au XVIIIesiècle, l’apostolat continua avec le grec Lascaris, et de nos jours, à en croire Chevreul, la croyance à la pierre philosophale est très répandue. Enfin, à l’époque contemporaine, Th. Tissereau, Edward Brice, Strindberg, Clavenad, le DrStephen, H. Emmens, sortiret-Casselot, L. Lucas, de Vèze, et A. Poisson, ancien étudiant en médecine, se sont signalés comme connaissant ou ayant obtenu le secret de la transmutation. Tout dernièrement en Mars 1912, le “ Journal “ consacrait un article à M. Verley, qui aurait également pu fabriquer de l’or.

Aussi, la conclusion qui s’impose est que la transmutation n’est pas plus absurde au point de vue historique qu’au point de vue théorique.

Etudions maintenant une autre application de l’alchimie : La Médecine Universelle.

b) LA MÉDECINE UNIVERSELLE. — La pierre philosophale, objet de tant dé travaux, de tant de peines, devait prendre, aux yeux des alchimistes, une valeur universelle. On chercha à l’appliquer à la réalisation de tout le bonheur humain. Il est probable, à en croire les alchimistes du dix-septième siècle, que l’on obtenait rarement la pierre idéale capable de transmuer 10.000 fois son poids d’or et que, le plus souvent, on ne réussissait à obtenir qu’une pierre beaucoup moins puissante, dont les effets transmutatoires ne rémunéraient pas très largement des dépenses qu’elle avait nécessitées. Peut-être parce qu’il n’était pas donné à tous de s’enrichir par ce moyen, peut-être aussi parce que l’or ne fait pas le bonheur, on pensa à l’utiliser pour acquérir la santé et une longue vie, et c’est la question qui nous intéresse ici. Ajoutons cependant qu’on y chercha la clef d’un bonheur plus relevé, plus durable, plus solide encore que richesse et santé, et, sous le nom de “ Spiritus Mundi ” on en fit l’agent capable d’améliorer, de faire évoluer, de purifier l’esprit de l’homme au point de le mettre en rapports avec la sagesse divine, avec les intelligences supérieures qui occupent les plus hautes sphères de ce monde des idées dont nous avons parlé et dont la “ lumière astrale ” est le substratum.

Tout d’abord, on peut ne voir aucune relation logique entre ces trois propriétés de la pierre philosophale : transmutation, panacée, Spiritus Mundi. Pourtant nous venons de voir que ces trois propriétés correspondent aux trois éléments du bonheur complet : richesse, santé, sagesse. Une relation bien plus logique nous apparaît quand nous cherchons à nous représenter l’essence et le mode d’action de cette fameuse pierre.

Elle est, en effet, une condensation de la vie universelle. Comme nous l’avons vu déjà, cette force vitale universelle, cet agent unique de toutes les vies, cette lumière astrale, imprègne toutes les substances et tous les êtres, mais elle s’y trouve plus ou moins condensée et plus ou moins parfaite selon la nature même de ces derniers. Fabriquer la pierre philosophale, c’est condenser en très peu de substance beaucoup de cette force vitale, qui, d’ailleurs, ne saurait se manifester sans la matière « car il est certain, dit David de Planiscampy, que quoique l’esprit du monde et l’esprit de notre corps soient un même esprit, néanmoins cet esprit ne tombe pas sous nos sens que couvert d’un vêtement, lequel est toujours en forme de sel ; c’est pourquoi les anciens ont, très à propos, parlant de l’esprit universel, avancé cette maxime : « In Sole et Sale naturae Sunt omnia. » (Traicté de la vraye, unique, grande et universelle Médecine des anciens, dite des recens ou or potable. Paris, 1633).

Cette substance condensant en elle tant d’énergie vitale fait penser au Radium, surtout si l’on songe que c’est précisément au contact du Radium que des phénomènes de transmutation gazeuse ont été scientifiquement constatés et étudiés. Quand les contemporains, frappés des propriétés inattendues de cette substance nouvelle, ont cherché à tout expliquer par elle, et ont voulu, par exemple, attribuer à la radio-activité les propriétés thérapeutiques des eaux minérales, ils ont fait une généralisation en tous points comparable à celle des alchimistes cherchant une panacée dans leur “ ferment métallique

Et voilà comment s’explique le fait que l’Alchimie est tout autant la Science de la panacée universelle que celle de la transmutation. Si maintenant nous cherchons à savoir pourquoi on a appelé “ or potable ” cette panacée, il nous semble probable que, par “ or ” on n’a point voulu entendre le métal lui-même, mais le sens plus général du mot hébraïque “ aour ” qui signifie lumière — et, au point de vue hermétique, “ lumière astrale ”, “ force vitale ”. — Remarquons d’ailleurs que le dieu égyptien “ Horus ” symbolisait la lumière solaire et nous pouvons y trouver une étymologie. Si nous ajoutons qu’Horus était dans le ternaire divin d’Egypte, l’homologue d’Hermès, nous comprenons pourquoi Paracelse appelle “ Mercure de vie ” un de ses arcanes. Rapprochons encore de cette racine hébraïque le verbe grec ὁράω, je vois ; enfin remarquons que les Français disent beau comme le jour, et que les Russes ont la même racine pour exprimer l’idée de lumière éclatante et de beauté (Krassni et prékrassni).

Enfin, les mots latins Aura, Aurora, semblables à Aurum complètent cette étymologie commune d’or et de lumière.

On conçoit, bien entendu, qu’une telle condensation de force vitale puisse revêtir des formes différentes, et qu’à côté de la pierre, il y ait d’autres substances, moins parfaites, sans doute, mais comparables. On a voulu compter parmi celles-ci l’antimoine et nous verrons dans la suite comment cette substance a été le pivot de tant de querelles médicales et le suprême rempart de la iatrochimie.

Au point de vue historique, c’est seulement à partir du XIIIe siècle qu’il est vraiment question de la Panacée Universelle, peut-être à cause des tendances métaphysiques de l’époque, peut-être aussi parce qu’auparavant on avait essayé d’obtenir la transmutation directe, sans la pierre (les Grecs par exemple) et que la notion de ce “ ferment de vie ” n’existait pas encore. Jusqu’au XVIIe siècle, beaucoup d’auteurs en ont parlé.

Dans son “ opuscule de la Philosophie naturelle des métaux ” Daniel Zachaire décrit ainsi la façon d’user de l’œuvre divine aux corps humains pour les guérir des maladies.

« Pour user de notre grand roi pour recouvrer la santé, il en faut prendre un grain pesant et le faire dissoudre dans un vaisseau d’argent avec de bon vin blanc, lequel se convertira en couleur citrine. Puis, faites boire au malade un peu après minuit, et il sera guéri en un jour si la maladie n’est que d’un mois et si la maladie est d’un an, il sera guéri en 12 jours, et s’il est malade de fort longtemps, il sera guéri dans un mois, en usant chaque nuit comme dessus. Et, pour demeurer toujours en bonne santé, il en faudrait prendre au commencement de l’automne et sur le commencement du printemps en façon d’électuaire confit. Et, par ce moyen, l’homme vivra toujours en parfaite santé jusqu’à la fin des jours que Dieu lui aura donnés, comme ont écrit les philosophes. »

Isaac le Hollandais assure qu’une personne qui prendrait chaque semaine un peu de la pierre philosophale, se maintiendrait toujours en santé, et que sa vie se prolongerait « jusqu’à l’heure dernière qui lui a été assignée par Dieu. »

Basile Valentin dit également que celui qui possède la pierre des sages, ne sera jamais atteint de maladies ni d’infirmités « jusqu’à l’heure suprême qui lui a été fixée par le roi du ciel. » On voit que les alchimistes ne se faisaient pas d’illusions trop complètes sur les mérites de cette panacée. Elle était, un bien un antiseptique général bon contre toutes les infections, ou bien seulement un tonique, mais un tonique puissant.

Jean Rodolphe Glauber (La Teinture de l’or, traduction de Du Teil, Paris, 1659) a soin de dire, après avoir donné la recette de préparation de la pierre : « La force de guérir toutes les maladies lui est justement attribuée mais avec différence, car il y a diverses sortes de gouttes aux pieds et aux mains, aussi de la pierre et de la lèpre, lesquelles sont quelquefois tant invétérées qu’elles sont incurables… C’est pourquoi je ne promets pas de guérir indifféremment toutes sortes de maladies par aucune médecine, car il n’y a pas d’homme qui le puisse, quand bien même il aurait la pierre des philosophes. »

Puis, il énumère ses principales propriétés thérapeutiques :

« Souventes fois, la pierre de la vessie est rompue et mise en pièces, quoique très dure et indissoluble avec l'eau forte. La teinture d’or guérit aussi la goutte, les calculs rénaux, la lèpre et la vérole. Associée à des cathartiques et diaphorétiques, cette teinture guérit les obstructions du foie, de la rate et des reins. » Il ajoute qu’elle guérit encore l’épilepsie, la peste, les fièvres, les métrites, les ophtalmies, et il termine par la posologie « La dose est de III à XII gouttes, mais aux enfants depuis I, II ou III avec son propre véhicule, ou avec vin ou bière. »

Mais tous les alchimistes n’ont pas gardé la même réserve, et les exaltés du Grand Œuvre ont pu, là encore, donner libre cours aux exagérations de leurs fantaisies. Nous lisons, dans le livre d’Artéphius :

« … Moi-même, Artéphius, qui écris ceci, depuis mille ans ou peu s’en faut, que je suis au monde par la grâce du seul Dieu tout-puissant et par l’usage de cette admirable quintessence » Quelques alchimistes se vantaient de pouvoir rendre la jeunesse à des vieillards : Alain de Lisle et Raymond Lulle auraient ainsi prolongé leur vie, mais, chose plus miraculeuse, Nicolas Flamel, après avoir disparu en 1418, ne serait pas mort, à en croire la légende, mais parti aux Indes avec sa femme ; et Paul Lucas, dans le récit de son voyage en Asie Mineure qu’il fit au XVIIe siècle, raconte qu’il trouva à Burnous-Bachi, le dervis des Usbecs, lequel lui affirma que Nicolas Flamel et sa femme étaient vivants, aux Indes, grâce à la pierre philosophale.

c) LA PALINGÉNÉSIE. — La palingénésie est facile à définir par son étymologie : c’est une régénération. Ce n’était pas assez pour l’ambition des alchimistes que la création de l’or et la prolongation de la vie, ils voulurent encore donner cette vie de toutes pièces et reproduire, dans leurs fioles, le grand mystère de la création. C’est à ces tentatives spécialisées au règne végétal, que l’on donne le nom de Palingénésie. Ici, l’alchimie nous apparaît nettement comme la “ Science de la vie ”. Le problème consistait à reproduire des plantes avec leurs cendres. Il a pu être ainsi tenté : brûler une plante, dissoudre ses cendres dans de l’eau et faire geler cette eau de façon à obtenir des efflorescences qui reproduiront plus ou moins, exactement la forme de la plante. Mais on pouvait objecter qu’il ne signifiait pas grand chose et les résultats en étaient fort discutables. Aussi, les alchimistes se sont-ils proposé une réalisation plus parfaite : ils ont voulu obtenir non plus une image de la plante détruite, mais une plante nouvelle et vivante et, pour lui donner la vie, ils ont fait agir sur ses cendres, des substances contenant une force vitale très condensée, comme la pierre philosophale ou mieux comme l’eau de rosée ; celle-ci étant une condensation de la vapeur qui remplit le ciel et qui a été dynamisée par les effluves vivifiantes des astres devait être imprégnée, selon eux, du “ Spiritus mundi ” et de l'“ Ether ”, c’est-à-dire de la force vitale conservatrice du souvenir des formes, et tendant à leur réalisation. C’est ainsi que le R. P. Kircher, dans son “ Mundus Subterraneus ” donne la recette suivante pour pratiquer la palingénésie :

1o Prendre quatre livres de graines bien mûres d’une plante, les piler dans un mortier et mettre le tout dans un flacon de verre bien propre, de la hauteur que doit avoir la plante en question. Bien boucher et conserver en un lieu tempéré.

2o Puis choisir un soir où le ciel est très pur et exposer, dans un large bassin, les graines pilées à la rosée de la nuit. Les remettre dans leur flacon le matin. En même temps, tendre, sur quatre pieux dans un pré, un linge bien propre, sur lequel on pourra recueillir huit pintes de rosée : La rosée sera conservée dans un récipient spécial,

3o Quand on a assez recueilli de rosée, filtrer et distiller, puis calciner le résidu. On dissout ce résidu calciné dans le produit de la distillation et on verse le tout dans le flacon aux graines pilées, on achève de le remplir avec un mélange de verre pilé et de borax, et on bouche.

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4o On met ce flacon pendant un mois dans du fumier de cheval.

5o Ensuite, on verra, au fond du flacon, les graines qui seront devenues « comme de la gelée ».

6o Il s’agit alors d’exposer, durant l’été., ce flacon bien bouché, au soleil pendant le jour, à la lune pendant la nuit, seulement quand le temps sera beau.

Au bout de deux mois à un an, la matière s’épaissit tellement qu’elle forme une poussière bleuâtre. Il suffit alors d’exposer le flacon à une chaleur douce pour voir s’élever le tronc, les branches et les feuilles de la plante, et on peut recommencer autant de fois qu’on le désire.

Il paraît que cette expérience aurait réussi si nous en croyons Guy de Labrosse qui, dans son livre “ De la Nature des plantes ” (Paris, 1664. IV, p. 44) rapporte l’histoire suivante qu’il emprunte d’ailleurs à Quercetanus :

« Un certain Polonais savait renfermer les fantômes des plantes dedans des fioles, de sorte que, toutes les fois que bon lui semblait, il faisait paraître une plante dans une fiole vide. Chaque vaisseau contenait sa plante : au fond était un peu de terre, comme cendres. Il était scellé du sceau d’Hermès. Quand il voulait l’exposer en vue, il chauffait doucement le bas du vaisseau : la chaleur, pénétrant, faisait sortir du sein de la matière, une tige, des branches, puis des feuilles et des fleurs, selon la nature de la plante dont il avait enfermé l’âme. Le tout paraissait aussi longtemps aux yeux des regardants que la chaleur excitante durait ». Quercetanus lui-même, dans son “ Grand Miroir du Monde ” {Lyon, 1593) raconte, en vers, la même chose :

J’ay beaucoup de tesmoins encore pleins de vie,
Que les formes ont veu de mainte et mainte Ortye
Dans le salé lescif de leur cendre escoulé,
Lescif qui par le froid s’estant un jour gelé,
Dans son crystal glacé tellement représente,
Racine, feuille, tige et fleur de ceste plante,
Que l’œil discerne tout, la reconnaît soudain.




Paracelse (De Nat. Rerum Lib, IV) donne le moyen d’obtenir la résurrection et la restauration du bois brûlé, en ajoutant toutefois que c’est une opération très difficile.

De nombreux auteurs se sont encore occupés de cette question. Ce sont : Libavius (Syntagma Arcanorum Chimiœ), Daniel Major (traité de Palingénésie), le jésuite Ferrari, Jean Fabre, Digby (De la végétation des plantes), Gaffarel (Curiosités inouïes).

Enfin, Coxe, en Angleterre, aurait fait de très curieuses expériences.

De nos jours, Stéphane Leduc a essayé de produire artificiellement la cellule vivante, et il a obtenu des productions osmotiques ayant la forme, la structure cellulaire, vasculaire et générale des végétaux, capables en outre de se nourrir, c’est-à-dire d’absorber certaines substances dans le milieu où elles sont plongées, de les transformer, de les assimiler et de rejeter dans le même milieu les déchets de la réaction. Ces productions grandissent, se développent, se compliquent, puis cessent leur croissance, s’affaissent, épaississent leur membrane (véritable sclérose) et meurent. Ces productions ont encore la faculté d’organisation et de différenciation. Stéphane Leduc en donne une description complète ainsi que le moyen de les obtenir dans son livre “ Théorie Physico-Chimique de la Vie ” [Paris, 1910).

d) L’HOMUNCULUS. — Ici, l’ambition de l’alchimiste atteint son summum. Il s’agit d’imiter l’œuvre la plus parfaite de la création et de produire l’homme de toutes pièces. C’est le couronnement logique du Grand Œuvre, l’accomplissement du travail de Prométhée, c’est-à-dire la reproduction intégrale, par la science de tout ce qu’a fait la toute-puissance de la Nature : rêve insensé, assurément, mais qui ne manque pas de grandeur. Cette conception de l’homme artificiel nous choque beaucoup plus, a priori, que l’idée de la transmutation, mais aux hommes imbus des théories alchimiques que nous avons essayé de résumer, elle apparaissait comme naturelle et raisonnable. En fait, une telle entreprise se rapprochait bien près de la Magie et s’éloignait beaucoup de la chrysopée plus matérielle des faiseurs d’or : des considérations toutes mystiques y intervenaient et c’était surtout le chapitre de la Genèse où il est dit que Dieu fit Adam du limon de la terre, alors que ce mot “ adam ” signifie en hébreux “ terre rouge ”. Il s’agissait donc, dit E. Lévi, de retrouver la terre adamique qui est le “ sang coagulé de la matière vivante ” (comme les métaux sont le sang coagulé de la matière minérale) et d’y appliquer “ le feu secret ”, c’est-à-dire la force vitale qui allait la développer.

Il n’est, certes, pas absurde de croire à l’influence des causes chimiques sur les phénomènes biologiques, et Yves Delage même aurait réussi à féconder, par des moyens absolument chimiques, des œufs d’animaux marins. C’est d’ailleurs, une tendance de la science actuelle d’essayer d’expliquer toute la vie par des toxines, des ferments et du chimiotactisme.

Pourtant, le problème de l’homunculus ne devait avoir d’autre résultat que d’alimenter les contes merveilleux des romanciers et des poètes. C’est ainsi que, dans le second Faust de Gœthe qui est une œuvre si curieuse et si pleine de doctrines alchimiques, l’Homunculus est un personnage fort intéressant, qui raisonne étrangement bien au fond de son bocal.

On y a beaucoup cru, avec la naïveté mystique du moyen âge, on a même indiqué la recette de fabrication, et Paracelse (De natura rerum) la rapporte fidèlement : Il suffit de placer une fiole contenant du sperme dans le corps d’un cheval en putréfaction.

« Ut autem id fiat, hoc modo procedendum est : Spermaviri per se in cucurbita sagillata putrefiat summa putrefactione ventris equini per 40 dies, aut tamdiu donec incipiat vivere et moveri ac agitari, quod facile videri potest ».

Lusitanus rapporte que Julius Camillus avait, dans une fiole, un petit homme haut d’un pouce, qu’il avait fabriqué par des moyens alchimiques. On fit une légende semblable autour du nom d’Albert le Grand : il aurait réussi, selon quelques chroniqueurs, à fabriquer un homunculus, après trente ans de travaux, et cette étrange créature raisonnait si bien, que St-Thomas d’Aquin, à qui il voulait tenir tête, brisa sa fiole d’un coup de bâton et le réduisit à néant. Il s’agissait là d’une allégorie qu’E. Lévi explique ainsi dans son Histoire de la Magie :

« Albert le Grand n’avait commis ni le crime de Tantale, ni celui de Prométhée, mais avait achevé de créer et d’armer cette théologie purement scholastique issue des catégories d’Aristote et des sentences de Pierre Lombard. St-Thomas d’Aquin brisa d’un coup tout cet échafaudage de paroles par la proclamation de l’empire éternel de la raison… Aristote, galvanisé par la scholastique, était le véritable homunculus d’Albert le Grand ».

Quoi qu’il en soit, cette question de l’homunculus achève de montrer l’Alchimie sous son vrai jour : le grand Œuvre qu’elle poursuit est le problème même de la vie, « c’est la recherche du point central de transformation où la lumière (astrale) se fait matière et se condense en une terre qui contient en elle le principe du mouvement et de la vie » et si nous avons déjà pu dire que l’alchimie était la chimie intégrale, nous pouvons maintenant ajouter qu’étant la Science suprême de la vie, elle constitue également une « Médecine intégrale » et c’est à ce point de vue qu’elle est surtout capable de nous intéresser.