L’Encyclopédie/1re édition/ANNUITÉ

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 484-486).
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ANNUITÉ, s. f. (Comm. & Math.) se dit d’une rente qui n’est payée que pendant un certain nombre d’années ; de sorte qu’au bout de ce tems le débiteur se trouve avoir acquitté son emprunt avec les intérêts, en donnant tous les ans une même somme.

Les annuités sont extrèmement avantageuses au commerce dans les pays où elles sont en usage ; le débiteur trouve dans cette maniere d’emprunter, la facilité de s’acquiter insensiblement & sans se gêner ; si le créancier a des dettes à payer avant l’échéance des annuités, il s’en sert comme de l’argent en déduisant les intérêts à proportion du tems qu’il y a à attendre jusqu’à l’échéance.

Les annuités sont fort en usage en Angleterre, & l’Etat s’en sert très-avantageusement, lorsqu’il a des emprunts considérables à faire ; peut-être un jour nous en servirons-nous en France. Les coupons de la Loterie royale de 1744 étoient des annuités, dont chaque coupon perdant après le tirage de la Loterie, doit produire 65 livres par an, pendant dix ans ; au bout desquels le billet sera remboursé.

M. de Parcieux, des Académies Royales des Sciences de Paris & de Berlin, a inséré à la fin de son Essai sur les probabilités de la durée de la vie humaine, imprimé à Paris en 1746, une table fort utile par laquelle on voit la somme que l’on doit prêter pour recevoir 100 livres, à la fin de chaque année, de maniere qu’on soit remboursé entierement au bout de tel nombre d’années qu’on voudra jusqu’à cent ans ; c’est-à-dire, la valeur des annuités qui rapporteroient 100 livres, pendant un certain nombre d’années. Voici une partie de cette table, qui peut être très-commode dans le calcul des annuités.

Table des sommes qu’on doit prêter pour recevoir 100 l. à la fin de chaque année, de maniere qu’on soit remboursé entierement au bout de tel nombre d’années qu’on voudra jusqu’à 100 ans.

Les Intérêts comptés
sur le pié du denier 20.

ANS. Livres. Sous. Den.   ANS. Livres. Sous. Den.


1 95 4 9 51 1833 17 3
2 185 18 10 52 1841 17 3
3 272 6 6 53 1849 6 1
4 354 11 11 54 1856 9 7
5 432 19 0 55 1863 6 3


6 507 11 5 56 1869 16 4
7 578 12 9 57 1876 0 4
8 646 6 5 58 1881 18 4
9 710 15 8 59 1887 10 9
10 772 3 5 60 1892 17 10


11 830 12 9 61 1897 19 9
12 886 6 5 62 1902 16 10
13 939 7 1 63 1907 9 4
14 989 17 2 64 1911 17 5
15 1037 19 3 65 1916 1 4


16 1083 15 4 66 1920 1 3
17 1127 8 0 67 1923 17 4
18 1168 19 0 68 1927 9 9
19 1208 10 6 69 1930 19 8
20 1246 4 3 70 1934 4 6


21 1282 2 1 71 1937 7 1
22 1316 5 10 72 1940 6 9
23 1348 16 11 73 1943 3 6
24 1379 17 0 74 1945 17 7
25 1409 7 8 75 1948 9 11


26 1437 10 1 76 1950 18 1
27 1464 5 9 77 1953 4 10
28 1489 15 11 78 1955 9 4
29 1514 1 10 79 1957 11 8
30 1537 4 6 80 1959 12 0


31 1559 5 3 81 1961 10 5
32 1580 5 0 82 1963 7 0
33 1600 4 8 83 1965 1 11
34 1619 5 5 84 1966 15 1
35 1637 7 11 85 1968 6 9


36 1654 13 3 86 1969 16 10
37 1671 2 1 87 1971 5 6
38 1686 15 4 88 1972 12 10
39 1710 13 7 89 1973 18 10
40 1715 17 7 90 1975 3 7


41 1729 8 2 91 1976 7 2
42 1742 5 10 92 1977 9 8
43 1754 11 3 93 1978 11 1
44 1766 5 0 94 1979 11 5
45 1777 7 6 95 1980 10 10


46 1787 19 6 96 1981 9 4
47 1798 1 4 97 1982 6 11
48 1807 13 8 98 1983 3 8
49 1816 16 10 99 1983 19 8
50 1825 11 2 100 1984 14 10

Si on veut savoir la méthode sur laquelle cette Table est formée, la voici. Supposons qu’on emprunte une somme que j’appelle a & que, les intérêts étant comptés sur le pié du denier 20, ou en général du denier , on rende chaque année une somme b, & voyons ce qui en arrivera.

En premier lieu, puisque les intérêts sont comptés sur le pié du denier , il s’ensuit que celui qui a emprunté la somme a, devra à la fin de la premiere année cette somme, plus le denier de cette somme, c’est-à-dire, qu’il devra ou . Or par la supposition, il rend à la fin de la premiere année la somme b ; donc au commencement de la seconde année il n’emprunte plus réellement que la somme

A la fin de la seconde année il devra donc ou  ; & comme à la fin de cette seconde année il rend encore b, il s’ensuit qu’au commencement de la troisieme année il n’emprunte plus que

A la fin de la troisieme année il devra donc , dont il faut encore retrancher b pour savoir ce qu’il emprunte réellement au commencement de la quatrieme année.

Donc ce qu’il doit réellement à la fin de la ne. année sera .

D’où il s’ensuit que si le payement doit se faire en un nombre n d’années, il n’y a qu’à faire la quantité précédente égale à zéro ; puisqu’au bout de ce tems, par la supposition, le débiteur se sera entierement acquité, & qu’ainsi sa dette sera nulle ou zero à la fin de la ne. année.

Or dans cette derniere quantité tous les termes qui sont multipliés par b, forment une progression géométrique, dont est le premier terme, le second, & 1 le dernier. D’où il s’ensuit (Voyez Progression) que la somme de cette progression est divisé par , c’est-à-dire divisé par .

Ainsi par cette équation générale , ou , on peut trouver,

1°. La somme a qu’il faut prêter pour recevoir la somme b chaque année, pendant un nombre d’années n, les intérêts étant comptés sur le pié du denier  ; c’est-à-dire, qu’on trouvera a, en supposant que b, n, , soient données.

2°. On trouvera de même b, en supposant que a, n, 1/m, sont données.

3°. Si a, b, n, sont données, on peut trouver  ; mais le calcul est plus difficile, parce que dans les deux cas précédens l’équation n’étoit que du premier degré, au lieu que dans celui-ci l’équation qu’il faut résoudre est d’un degré d’autant plus élevé que n est plus grand. Voyez Equation.

4o. Enfin si a, b, & sont données, on peut trouver n. Mais le problème est encore plus difficile ; l’inconnue n se trouvant ici en exposant. On peut néanmoins résoudre ce problème par tâtonnement : mais je ne connois point de méthode directe pour y parvenir[1]. Voyez Equation, Intérêt, &c. M. de Parcieux, dans l’ouvrage que nous venons de citer, donne une table beaucoup plus étendue, & l’applique au calcul de la Loterie royale de 1744.

Nous terminerons cet article par la table suivante, qui y a rapport, & qui est encore tirée de M. de Parcieux.

Distribution d’un emprunt de 6000000 livres, divisé en 12000 actions ou billets de 500 liv. chacun, pour acquitter intérêts & capital en dix ans, en payant tous les ans la même somme ou à peu-près, tant pour les intérêts que pour le remboursement d’une partie des actions ou billets.


Ans

On compte les intérêts sur le pié du denier 20.

Livres. Livres.






1 12000 300000 954 477000 777000
2 11046 276150 1002 501000 777150
3 10044 251100 1052 526000 777100
4 8992 224800 1104 552000 776800
5 7888 197200 1160 580000 777200






6 6728 168200 1218 609000 777200
7 5510 137750 1279 639500 777250
8 4231 105775 1342 671000 776775
9 1889 72225 1410 705000 777225
10 1479 36975 1479 739500 776475

Voici l’explication & l’usage de cette table.

Supposons qu’une compagnie de négocians, ou si l’on veut l’Etat, veuille emprunter 6000000 livres en 12000 actions de 500 livres chacune, dont on paye l’intérêt au denier 20 ; cette compagnie rendra donc 300000 livres chaque année ; savoir, 25 livres pour chaque billet. Supposons outre cela que cette compagnie se propose de rembourser chaque année une partie des billets, il est évident qu’elle devra donner chaque année plus de 300000 livres. Supposons enfin qu’elle veuille donner chaque année à peu près la même somme, tant pour les intérêts que pour le remboursement d’une partie des billets, ensorte que tout soit remboursé au bout de dix ans ; on demande combien il faudra rembourser de billets par an.

On trouve d’abord, par la premiere table ci-dessus, que si on veut rembourser 6000000 livres en dix ans, en dix payemens égaux sur le pié du denier 20, il faut 777000 livres par an ; ainsi comme les intérêts de 6000000 livres au bout d’un an font 300000 livres, il s’ensuit qu’il reste 477000 livres qui servent à rembourser 954 billets. Le débiteur ne doit donc plus que 11046 billets dont les intérêts dûs à la fin de la seconde année sont 276150 livres, qui étant ôtées des 777000 liv. que le débiteur paye à la fin de chaque année, reste 500850 livres qui fournissent presque dequoi rembourser 1002 billets, &c. Pour les rembourser exactement, il faut 777150 livres, au lieu de 777000.

Par ce moyen on peut faire l’emprunt par classes. La premiere sera de 954 billets remboursables à la fin de la premiere année, le débiteur payant 777000 livres ; 1002 à la fin de la seconde, le débiteur payant 777150 livres ; 1052 pour être remboursés à la fin de la troisieme année, le débiteur payant 777100 livres, &c. ainsi de suite.

Cette sorte d’emprunt pourroit être commode & avantageuse en certaines occasions, tant pour le débiteur que pour le créancier. Voyez l’ouvrage cité pag. 32 & suiv. (O)


  1. Voir erratum.