L’Encyclopédie/1re édition/GOURMETTE

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GOURMETTE, s. f. (Manége.) partie d’autant plus essentielle dans une embouchure, que la perfection de l’appui dépend de la justesse de ses proportions & de ses effets ; c’est une chaîne composée de mailles, de maillons, d’une S, & d’un crochet.

Les maillons sont des chainons pris de verges de fer rondes, de divers diametres, repliés en S, dont les extrémités un peu plus minces que la panse, sont amenées, de maniere qu’elles en outrepassent le milieu, l’une sur un plan, & l’autre sur un plan perpendiculaire au premier, & que chacune d’elles laissent une ouverture en forme d’anneau d’environ cinq ou six lignes de diametre, pour recevoir librement d’autres mailles semblables.

Celle du milieu est ordinairement plus forte & plus nourrie que celles auxquelles elle est assemblée de droite & de gauche ; elle a depuis trois jusqu’à cinq lignes de diametre, selon le cheval pour lequel la gourmette est forgée.

Celles qui suivent ses deux voisines sont plus minces ; car tous ces chainons décroissent toûjours à mesure qu’ils approchent des maillons, qui ne sont autre chose que de petits anneaux alongés, & quelquefois legerement tordus sur leur plan. Toutes ces mailles doivent au surplus être pliées dans le même sens & du même côté, afin qu’il en résulte trois faces, dont l’une n’ayant que de legeres éminences, est en quelque façon applatie ; c’est cette face que l’on nomme le plat de la gourmette, & qui doit porter sur la barbe.

Les maillons sont au nombre de trois. L’un d’eux est assemblé avec la derniere maille d’un côté & une S, qui l’est elle-même par son autre extrémité, mobilement & postérieurement à l’œil du banquet. Les deux autres, égaux en forme & en grosseur, terminent l’autre côté de la gourmette, & peuvent être pareillement reçus dans le crochet mobilement engagé dans l’œil du banquet de l’autre branche. Ce crochet n’est proprement qu’une S, non fermée dans sa partie pendante ; la pointe en doit être non-seulement émoussée & arrondie, mais encore rejettée en-dehors par un contour qui commence, & que l’on apperçoit seulement au milieu de la longueur de sa partie relevée. Quant à l’S, quoique le nom qu’on lui conserve paroisse y répugner, l’une & l’autre de ses extrémités formant chacune un anneau, doivent être recourbées extérieurement.

Nous dirons encore que cette S & ce crochet sont legerement coudés en contrebas, & sur plat, immédiatement au point de la formation de l’anneau par lequel ils sont assemblés à l’œil : par ce moyen, ces mêmes anneaux, quand la gourmette est en place, ne déversent ni d’un côté ni d’autre. De plus, le peu de tige qui leur reste doit être nécessairement pliée, de façon que tous les deux suivent avec exactitude le contour extérieur des parties sur lesquelles ils doivent passer, en descendant jusque sur l’arc du banquet.

Quelques personnes ordonnent à l’éperonnier de fixer, par un rivet, à l’extrémité supérieure du crochet, un petit ressort dirigé en contrebas, & courbé de maniere qu’il appuie par son autre extrémité contre la portion relevée de ce même crochet. Cette précaution est excellente, sur-tout eu égard à des chevaux qui battent sans cesse à la main ; car quels que soient le mouvement & l’action de leur tête, ils ne peuvent se dégourmer, puisque la gourmette ne peut être décrochée qu’autant que le ressort pressé immédiatement avec le doigt, ne s’oppose plus à la sortie du maillon.

La longueur de cette chaîne doit se rapporter aux proportions de la barbe & des portions intérieures de la bouche. Il en est de même de sa grosseur. Si la surface de la partie des mailles qui repose sur la barbe, lorsque la gourmette est placée, est considérable, elle porte sur un plus grand nombre de points sensibles qui partageant entre eux l’impression qu’auroit supportés un plus petit nombre de points, en sont chacun moins affectés : ainsi les grosses gourmettes conviennent en général à des chevaux dont la barbe est maigre, élevée & sensible ; & les plus minces à ceux dont cette partie est charnue & garnie de poil. Dans le cas d’une sensibilité & d’une délicatesse excessive, on en émousse & l’on en diminue l’action par le moyen d’un feutre. On appelle de ce nom indifféremment toute bande, soit de cuir, soit d’une étoffe foulée telle que le feutre : on préfere néanmoins la premiere à celle-ci, qui fut d’abord en usage, mais dont l’épaisseur prenoit trop sur la longueur des gourmettes, & mettoit encore la partie sensible trop à l’abri de leurs effets. Cette bande qui d’ailleurs doit être d’une longueur proportionnée, doit être coupée de maniere qu’elle ait dans son milieu environ un pouce & demi de largeur, & qu’elle décroisse toûjours à-mesure qu’elle approche de ses extrémités que l’on arrondit, & auxquelles on pratique une fente destinée au passage de la gourmette, qui y est engagée de maniere qu’étant mise en place, elle porte immédiatement sur le feutre, tandis que le feutre repose immédiatement sur la barbe.

Il n’est pas douteux que cette portion du mors, inconnue dans les siecles reculés, n’y a été adaptée qu’ensuite de l’addition des branches, dont l’inutilité est évidente, si l’on ne fournit au levier qui en résulte un second point d’appui, sans lequel l’embouchure ne peut faire une impression suffisante sur les barres : outre que cette chaîne effectue ce point d’appui, elle exerce une action nécessaire & plus ou moins vive, sur la partie contre laquelle elle est extérieurement appliquée. Voyez Emboucher & Mors.

Rien n’est plus singulier que de voir les écuyers qui nous ont précédés, s’épuiser en recherches sur les moyens de varier les formes des gourmettes, & s’éloigner toûjours davantage de la sorte de construction dont ils auroient pû retirer une utilité réelle. Les unes étoient d’une seule piece, polie avec soin, & à-peu-près contournée comme le fer des caveçons : les autres, que l’on nommoit gourmettes à la ciguette, différoient peu de celles-ci par la figure ; mais le côté qui portoit sur la barbe étoit taillé en dents plus ou moins aiguës, & toûjours capables d’estropier l’animal. Il y en avoit des plates & à charniere ; quelques-unes étoient faites de chaînons repliés quarrément ; plusieurs ne consistoient qu’en une verge de fer formant un anneau, & attachée au sommet du montant de l’embouchure, ainsi que dans le mors à la genette. Voyez Genette. Quelquefois on substituoit à cette verge de fer de petites chaînes très-legeres, des cordons de soie ; souvent aussi on employoit des gourmettes de cuir, de chanvre tressé, de sangle doublée. Or qu’annoncent tous ces travaux & tous ces essais si ce n’est l’ignorance dans laquelle ils étoient du verge le objet qu’ils devoient se proposer, relativement au principal usage de cette piece ou de cette partie ?

Les soins qu’ils se donnoient pour vaincre la difficulté de la fixer sur le lieu où elle doit agir, en offrent une nouvelle preuve. Les uns en lioient les deux maillons aux arcs du banquet ; d’autres attachoient de petites chaînes à la maille du milieu, & arrêtoient ces chaînes aux chaînettes des branches ; quelques-uns avoient recours à une petite fourche de fer dont le manche étoit engagé par vis dans un écrou porté par la sous-gorge, & qui descendant le long de l’auge, appuyoit par ses deux fourchons sur la gourmette. On laisse à juger du mérite de ces expédiens, & je crois qu’il est permis de douter de celui des maîtres à qui l’invention en est dûe. (e)

Gourmette, (fausse) Manége ; on appelle de ce nom deux petites longes de cuir, cousues aux arcs du banquet.

L’une d’elles ainsi attachée à celui de la branche droite, est munie d’une boucle bredie à son extrémité, pour cette boucle être enfilée par l’autre longe, qui est fixée de la même maniere au banquet de la branche gauche, & qui dans sa longueur un peu plus considérable que celle de la premiere, est percée de quelques trous propres à recevoir l’ardillon.

Il est encore une autre espece de fausse gourmette composée de quatre bouts de chainettes, d’une S ou quelquefois d’une petite piece de fer applatie, ronde, ou quarrée, & percée de quatre trous. Ces quatre chaînettes sont engagées par une de leurs extrémités, chacune dans un de ces trous, ou deux d’entre elles dans chaque anneau résultans de la courbure de la verge de fer, dont l’S est formée. Leur autre extrémité est fixée par tourets ; savoir celle des deux chaînettes les plus longues aux arcs du banquet, & celle de deux chaînettes les plus courtes, au bas des branches, de façon qu’il en résulte une sorte de croix, dont l’S ou la piece de fer occupe le plein ou le milieu.

En serrant par le moyen de la boucle la premiere fausse gourmette au-dessus de la véritable, on maintient les branches du mors en-arriere, & l’on s’oppose à ce que l’animal puisse les saisir avec les dents. La seconde fausse gourmette produit le même effet par l’impossibilité dans laquelle elle met le cheval d’ouvrir la bouche sans attirer les branches pareillement en-arriere, & sans se les dérober à lui-même. Celle-ci est infiniment préférable à l’autre, qui endurcit l’appui & amortit le sentiment ; mais il est très-fâcheux d’être obligé de recourir à de semblables expédiens dont, à la vérité, nul homme de cheval ne fait usage.

La défense dont il s’agit est desagréable, & peut même devenir dangereuse, surtout si au moment où l’animal s’y livre, le cavalier a l’imprudence de le châtier ; car ce seroit exciter & instruire l’animal à fuir, dans l’instant où l’on est dans l’impuissance de le maîtriser ; mais on peut espérer de réprimer ce vice & de lui faire perdre cette habitude, ou en le montant pendant quelque tems avec un bridon anglois seulement, ou en profitant du bridon à la royale pour le desarmer quand la branche est prise, ou enfin en saisissant avec tant de précision le tems où il la veut prendre, qu’on la lui soustraye par un leger mouvement de main, ce qui demande autant de patience que de subtilité. (e)

Gourmette, (Marine.) c’est la garde que les marchands mettent sur un bateau ou sur une allege, pour prendre garde aux marchandises & en avoir soin.

Les Provençaux donnent le nom de gourmette à un valet ou garçon, qu’on employe dans le navire à toute sorte de travail. Ses fonctions sont particulierement de nettoyer le vaisseau & de servir l’équipage. (Z)