L’Encyclopédie/1re édition/PRAEMUNIRE

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PRÆMUNIRE, Statut de, (Hist. d’Anglet.) statut du parlement de la grande Bretagne, par lequel quiconque portoit à des cours ecclésiastiques des causes dont la connoissance appartenoit aux tribunaux royaux, étoit puni & mis en prison ; mais il faut entrer dans les détails sur ce sujet.

D’abord il faut savoir qu’on entend par ce terme præmunire, ou le statut même, ou la peine ordonnée par le statut. Les parlemens, avant la séparation de la cour de Rome avec l’Angleterre, avoient ordonné des peines contre les proviseurs, c’est-à-dire contre ceux qui poursuivoient des provisions ou des expectatives à la cour de Rome, pour les bénéfices vacans, ou qui viendroient à vaquer.

Les mêmes peines étoient ordonnées contre ceux qui portoient à la cour ecclésiastique des affaires qui étoient du ressort des juges royaux. Lorsque quelqu’un se rendoit coupable de cette sorte de délit, on lui adressoit un wrie ou ordre, qui commençoit par ces mots præmunire facias, par lequel il lui étoit ordonné de comparoître devant la cour royale.

C’est de-la que le statut, aussi-bien que la peine ordonnée par le statut, prirent le nom de præmunire, en y faisant entrer plusieurs autres choses qui ont du rapport à celles qui ont été la premiere cause du statut. Ainsi tous les actes de præmunire, ne sont que des extensions de ceux qui furent faits sur ce sujet sous les regnes d’Edouard III. & de Richard II. En général, le præmunire regardoit principalement les offenses commises par rapport à quelque matiere de religion, où la jurisdiction civile est intéressée. On croit avec assez de vraissemblance, que le mot de præmunire, s’est glisse dans le latin barbare des lois, au lieu de præmonere. Quoi qu’il en soit, c’est la chose, & non pas le mot, qui mérite nos réflexions.

Dans le tems qu’une superstition presque générale aveugloit l’Europe, Rome avoit usurpé les droits du souverain en Angleterre, comme dans tous les états où le Christianisme s’étoit établi. Cette usurpation s’étoit soutenue par les intrigues du clergé, qu’elle faisoit jouir de beaucoup de priviléges, & d’une indépendance entiere des lois & du magistrat. Les plaintes que formoit quelquefois la nation contre des desordres qui empêchoient le gouvernement de se former, étoient rarement écoutées.

Edouard III. & Richard second, furent les seuls rois qui y eussent fait une attention sérieuse. Le dernier avoit décidé avec son parlement, que le pape ne pourroit plus conférer aux étrangers des bénéfices vacans, comme il étoit en possession de le faire ; que les naturels du pays qui y seroient nommés, ne tireroient plus de lui leurs provisions ; & que toutes les causes ecclésiastiques seroient jugées à l’avenir dans le royaume.

Quoique cette loi célebre sous le nom de præmunire, qui en étoit le premier mot, obligeât sous peine de confiscation de biens & de prison, elle fut rarement observée. Une ancienne possession & des intérêts particuliers, la fermeté des ministres de la religion, & la foiblesse de plusieurs princes peu politiques, l’usage des pays voisins, & les guerres civiles & étrangeres, tout avoit contribué à faire tomber dans l’oubli un reglement aussi nécessaire. Henri le fit revivre, & il fut autorisé par les seigneurs & par les communes, à poursuivre ceux qui l’avoient violé ; le clergé entier se trouva coupable, & finalement il ouvrit les yeux.

L’appel comme d’abus, objet intéressant pour les François, & qui s’introduisit peu à-peu sous le regne de Philippe de Valois, par les soins de l’avocat général, Pierre Cugnieres, (car il faut conserver son nom dans l’histoire) cet appel, dis-je, interjetté aux parlemens du royaume, des entreprises des tribunaux ecclésiastiques ou de la cour de Rome, contre les droits du roi & du royaume, n’est en réalité qu’un léger palliatif, qu’une foible imitation de la fameuse loi præmunire. Les Anglois, dans tout ce qui regarde les libertés de l’état, ont montré plus d’une fois l’exemple aux autres peuples, ne laissant dormir leurs libertés que pendant quelque tems, & les faisant ensuite revivre avec plus d’éclat que jamais. (Le Chevalier de Jaucourt.)