L’Encyclopédie/1re édition/SANCTIFICATION

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SANCTIFICATION, s. f. terme de Théologie, se prend quelquefois pour la justification, c’est-à-dire, pour la grace qui opere en nous le mérite de la justice chrétienne. Voyez Justification.

Le mot sanctification désigne plus communément les exercices de piété prescrits par l’Eglise, pour solemniser les dimanches & les fêtes ; c’est dans cette acception ordinaire que nous le considérons : il paroît que la sanctification, prise dans ce dernier sens, étoit un peu différente chez les Hébreux. Ce terme dans leur langue désigne moins les idées modernes de la piété, que l’idée plus simple de célébration, de consécration, destination, &c. En un mot, on le voit par les circonstances & par l’emploi des termes, sanctifier signifie proprement dans le style de Moïse : réserver, choisir, consacrer, destiner ; & par une legere extension, il signifie encore célebrer, distinguer, honorer, &c. Ces divers sens, qui reviennent à-peu-près à la même idée, se remarqueront sans peine dans les passages suivans.

Aaron & filios ejus unges, sanctificabisque eos ut sacerdotio fungantur mihi ; filiis quoque Israel dices hoc oleum unctionis sanctum erit mihi in generationes vestras. Caro hominis non ungetur ex eo, & juxta compositionem ejus non faciatis aliud, quia sanctificatum est & sanctum erit vobis. Exod. XXX. xxx. 31.

Omnes decimæ terræ… Domini sunt & illi sanctificantur. Levit. xxvij. 30.

Populus sanctus es Domino Deo tuo, & te elegit, ut sis ei in populum peculiarem de cunctis gentibus. Deut. xiv. 2.

Quidquid erit sexus masculini sanctificabis Domino. Ibid. xv. 19.

Abstuli quod sanctificatum est de domo meâ, & dedi illud levitæ & advenoe, pupillo & viduæ. Ibid. xxvj. 13.

Ne polluatis nomem meum sanctum, ut sanctificer in medio filiorum Israel, ego Dominus qui sanctifico vos. Levit. xxij. 23.

Sanctificabisque annum quinquagesimum, & vocabis remissionem cunctis habitatoribus terræ tute, ipse est enim jubilæus. Ibid. xxv. 10.

Sanctificetur nomen tuum. Matt. vj. 9.

Je croirois faire tort à l’habileté de mes lecteurs, si je présentois l’explication de ces passages ; rien de plus facile à entendre, & rien ne montre mieux aussi que le précepte, sanctification, exprimé en ces mots, memento ut diem sabbati sanctifices, marque simplement l’ordre de consacrer, d’honorer, de célebrer le sabat par la cessation des œuvres serviles ; c’est dans ce sens qu’il est dit au même endroit, benedixit Dominus diei sabati, & sanctificavit eum. Dieu bénit le jour du sabat, & le consacra par son repos, c’est-à-dire qu’il en fit un jour solemnel destiné au délassement, & même à la joie, comme nous verrons tout-à-l’heure. Sanctificabis annum quinquagesimum, ipse est enim jubilœus. Ex. 25. Vous célebrerez la cinquantieme année, tems de joie & d’abolition qui doit opérer la remise des dettes, & rendre aux anciens possesseurs les terres aliénées.

La même destination du sabat est encore mieux prouvée par ces paroles de l’Exode xxxij. 12. Sex diebus operaberis, septimo die cessabis ut requiescat bos & asinus tuus & refrigeretur filius ancillæ tuæ & advena. Vous emploirez six jours à vos différens travaux, mais vous les cesserez le septieme, afin que votre bœuf & votre âne se reposent, & que le fils de votre esclave & l’étranger qui est parmi vous puissent prendre quelque relâche, & même quelque divertissement. J’observe ici, comme on l’a vu à l’article Dimanche, que le refrigeretur de la vulgate n’a pas d’autre sens. Cette idée de réjouissance, d’amusemens honnêtes entroit essenciellement dans la sanctification des fêtes en général ; aussi est-ce dans le même sens que le Sauveur dit en S. Marc, sabbatum propter hominem factum est & non homo propter sabbatum. Marc, ij. 27.

Conséquemment à ce principe de police & de religion, les Israélites célebroient les plus grandes solemnités par des instructions, des sacrifices, des prieres, & sur-tout par des festins de parens, de voisins & d’amis, où les plus aisés devoient admettre non-seulement tous ceux qui composoient leur famille, mais encore les prêtres, les pauvres, & même les esclaves & les étrangers ; l’on voit que Dieu par ces observances, dont il avoit fait un précepte, vouloit accoutumer son peuple à des procédés de bienveillance & de fraternité. On le voit de même dans Isaïe : uniquement touché des œuvres de justice & de bienfaisance, le Seigneur rejette ces sacrifices & ces cérémonies légales, que des hommes pervers osoient substituer à la vraie piété.

« Ne m’offrez plus, dit Dieu par son prophete, ne m’offrez plus de sacrifices inutilement ; je ne puis plus souffrir vos nouvelles lunes, vos sabbats & vos autres fêtes ; l’iniquité regne dans vos assemblées … Cessez de faire le mal ; apprenez de faire le bien ; examinez tout avant que de juger, assistez l’opprimé, faites justice à l’orphelin, défendez la veuve ». Isaïe, l. XIII. 16. &c.

On retrouve le même esprit dans les passages suivans, que je copie encore d’après Sacy : « Vous célebrerez la fête des semaines en l’honneur du Seigneur votre Dieu, en lui présentant l’oblation volontaire du travail de vos mains, que vous lui offrirez selon la bénédiction que vous aurez reçue du Seigneur votre Dieu ; & vous ferez des festins de réjouissance, vous, votre fils & votre fille, votre serviteur & votre servante, le lévite qui est dans l’enceinte de vos murailles, l’étranger, l’orphelin & la veuve qui demeurent avec vous… Vous célebrerez aussi la fête solemnelle des tabernacles pendant sept jours, lorsque vous aurez cueilli de l’aire & du pressoir les fruits de vos champs, & vous ferez des festins de réjouissances, vous, votre fils & votre fille, votre serviteur & votre servante, le lévite, l’étranger, l’orphelin & la veuve qui sont dans vos villes ». Deut. ib. X. xj. 13. &c.

Telles étoient les pratiques religieuses ordonnées aux Hébreux ; pratiques encore suivies de nos jours par leurs descendans, & qui furent de même fidélement observées par les premiers chrétiens. Dans la suite des tems cette charité si touchante, qui communique avec des freres pauvres & affligés, qui les fait asseoir à sa table, qui s’attache à les consoler ; cette charité, dis-je, fut remplacée par un surcroit d’offices & de prieres, par des fondations, ou par des legs peu couteux à des mourans ; mais l’esprit de fraternité, l’esprit de commisération & de bienfaisance alla toujours en s’affoiblissant. Chacun occupé de son bien-être, ne songea plus qu’à écarter les malheureux, & l’insensibilité pour les pauvres devint presque générale. On se donna bien garde de les accueillir ; on eut honte de les approcher ; à peine trouverent-ils de foibles secours pour traîner une vie languissante, loin du commerce & de la société. Les plus religieux enfin crurent satisfaire au précepte de l’aumône & remplir tous les devoirs de la charité chrétienne, en distribuant les débris du réfectoire à des mendians vagabons ; pratique au moins plus raisonnable que l’indifférence vicieuse, & trop commune dans les maisons des grands, où il se perd d’ordinaire plus de bien qu’il n’en faudroit pour nourrir plusieurs misérables.

La sanctification des fêtes, comme nous l’avons vu, tenoit beaucoup plus de la fraternité chez les Hébreux. Rappellez-vous, dit le Seigneur, que vous futes autrefois esclaves en Egypte, & que cette pensée vous rende compatissans pour les infortunés ; célebrez vos fêtes par des festins, où vous recevrez dans le sein de votre famille les étrangers même & les esclaves, recordaberis quoniam servus fueris in Ægypto … & epulaberis in festivitate tuâ, tu, filius tuus & filia, servus tuus & ancilla, levites quoque & advena, pupillus ac vidua … benedicetque tibi Dominus Deus tuus in cunctis frugibus tuis, & in omni opere manuum tuarum, erisque in loetitiâ. Deut. ib. xiv. 15. Dieu, comme l’on voit ici, attachoit des récompenses à ces pratiques si pleines d’humanité ; le Seigneur, dit l’Ecriture, bénira vos travaux & vos recoltes, & vous serez dans l’abondance & dans la joie.

Tout cela prouve bien, si je ne me trompe, qu’un peu de bonne chere, quelques amusemens innocens propres à charmer nos soucis, ne doivent pas être considérés comme une profanation de nos fêtes ; bibant, dit le sage, & doloris sui non recordentur ampliùs. Prov. xxxj. 7. Nous adorons aujourd’hui le Dieu d’Abraham & le Dieu de Moïse. La loi qu’il leur prescrivit pour le bonheur de son peuple, est au fond invariable ; & Jesus-Christ enfin, qui est venu pour la perfectionner, nous assure, comme on l’a vu, que le sabbat est fait pour l’homme, & non l’homme pour le sabbat.

Il faut l’avouer néanmoins, nous sommes constamment dans la dépendance du créateur, nous tenons de lui l’être, & tous les avantages de la vie ; nous devons donc, comme créatures, lui rendre nos hommages, & reconnoître ses bienfaits. D’ailleurs les rapports de société que nous avons avec les autres hommes nous assujettissent à d’autres devoirs également indispensables. C’est même sur quoi la loi divine insiste davantage ; sans doute parce que ces rapports sont plus multipliés. Or pour remplir ces différentes obligations, & surtout pour s’en instruire, il n’est pas de tems plus favorable que le dimanche ; aussi est-ce là parmi nous, comme chez les Juifs, l’une des grandes destinations du repos sabbatique. Il est donc vrai que les instructions & les prieres entrent dans l’idée de la sanctification, & qu’elles font partie essentielle de notre culte ; mais toujours pourtant, qu’on ne l’oublie jamais, toujours d’une maniere subordonnée au délassement récréatif si bien exprimé dans les passages allegués ci-devant. Ces instructions & ces prieres nécessaires pour nous rapprocher de Dieu, servent au réglement de nos mœurs, & contribuent même au bien temporel de la société ; mais elles doivent se renfermer en de justes bornes ; elles n’exigent d’ailleurs ni dépenses, ni fatigues ; sans quoi elles deviendroient incompatibles avec le repos du dimanche. Qu’on me permette ici une comparaison qui peut répandre du jour sur la question présente. Que deux ou trois amis aillent passer un jour à la campagne avec leur famille. Tout ce qu’il y a de jeunes gens, après avoir bien repu, ne songent qu’à jouer, qu’à se divertir, & chacun s’en acquitte de son mieux ; le tout sans que les parens y trouvent à redire ; c’est au-contraire ce qui les réjouit davantage, tant qu’ils ne voient rien contre la décence ; & si quelqu’un dans la troupe paroît moins sensible à la joie, ils l’excitent eux-mêmes à s’y livrer comme les autres. Pourquoi Dieu, qui se compare en mille endroits à un pere de famille, seroit-il irrité des plaisirs honnêtes que les fêtes procurent à ses enfans ?

Il résulte de tout ceci, que des offices & des cérémonies qui ne finissent point, que des discours instructifs à la vérité, mais ordinairement trop étendus, que de longues assistances à l’église, & qui deviennent couteuses ou fatigantes, ne quadrent guere avec la destination d’un jour, qui promet à tous la quiétude & le rafraîchissement. Non facies in eo quidquam operis… ut requiescat servus tuus & ancilla tua sicut & tu. Deut. v. 14. Ut refrigeretur filius ancillæ tuæ & advena. Exod. xxiij. 14. Sabbatum propter hominem factum est, &c. Marc, ij. 27.

Concluons que la sanctification du dimanche admet aujourd’hui, comme autrefois, d’honnêtes délassemens pour tous les citoyens, même pour les esclaves ; ce qui n’exclut sans doute ni les instructions, ni les prieres, qui font, comme on l’a dit, une partie essentielle du culte religieux ; instructions & prieres, en un mot, qui renfermées en des justes bornes, & supposées sans peine & sans fatigue, n’ont rien d’incompatible avec le repos sabbatique des Chrétiens. Article de M. Faiguet.