L’Encyclopédie/1re édition/SUCRERIE

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SUCRERIE, s. f. (Edifice.) c’est un bâtiment solidement construit, faisant partie des établissemens où l’on fabrique le sucre. Il est toujours situé auprès du moulin ; sa grandeur est plus ou moins considérable, suivant l’équipage, c’est-à-dire le nombre des chaudieres qu’on y veut placer : quelques uns en contiennent jusqu’à sept, d’autres quatre seulement, mais les plus ordinaires sont de cinq. Ce nombre n’exige qu’un bâtiment de quarante à cinquante piés de long, sur une largeur de trente à trente-six piés, étendue suffisante pour placer les cinq chaudieres sur une même ligne le long du mur de pignon. Voyez leurs noms & l’ordre de leur position dans nos Pl. d’Œcon. rustique. Elles sont enchâssées fort exactement dans un corps de maçonnerie très-solide, sous lequel sont disposés les arceaux, le fourneau & le canal par où se communique la chaleur sous chacune des chaudieres. On peut en voir le plan & la coupe dans les mêmes Pl. Il est à remarquer que le corps de maçonnerie dont on vient de parler, surmontant considérablement le dessus des chaudieres, cet excédent doit être garni de carreaux de terre cuite, proprement joints & bien liés avec du ciment, formant des encaissemens quarrés, terminés insensiblement en rond à la partie inférieure qui joint exactement le bord de chaque chaudiere.

La surface de ce corps de maçonnerie se nomme le glacis : il doit avoir à-peu-près six à sept piés de largeur & environ six à sept pouces de pente insensible, à prendre du dessus de la plus petite chaudiere nommée la batterie, jusqu’au-dessus de la grande : cette précaution étant nécessaire pour éviter que le vaisseau, autrement la liqueur qui bout en s’élevant considérablement, ne s’épanche des grandes chaudieres dans les plus petites, dont le sirop ayant acquis une supériorité de cuisson, seroit gâté infailliblement. Le contraire ne peut causer aucun dommage. Au-devant du glacis on laisse un espace de dix piés pour la commodité des raffineurs. Le reste du bâtiment étant occupé en partie par un citerneau couvert d’un plancher volant, & en partie par les vaisseaux & ustensiles nécessaires au travail.

Sucrerie. (Habitation.) Les habitations où l’on fabrique le sucre, sont plus ou moins considérables, suivant les facultés des propriétaires : quelle que soit l’étendue du terrein d’une sucrerie, il doit être partagé en plantations de cannes, en savannes ou pâturages, en vivres & en bois. On divise ordinairement les champs de cannes par pieces de cent pas de large sur autant & même le double & le triple de longueur ; ayant attention de séparer ces pieces par des chemins bien alignés, d’environ dix-huit piés de largeur pour la commodité des charrettes ou cabrouets qui servent à transporter les cannes au moulin, lorsqu’on travaille à faire la récolte : dans toute autre saison, ces espaces peuvent être semés & plantés de manioc précoce, de patates, de pois & d’autres plantations utiles à la subsistance des esclaves. Il faut autant qu’il est possible, que la maison du maître & ses dépendances soient placées sur une hauteur d’où l’on puisse aisément découvrir ce qui se passe dans l’habitation, dont un des principaux avantages est d’être arrosée d’une riviere ou d’un ruisseau assez fort pour faire agir un moulin, auprès duquel doivent être situées la sucrerie, les cases à bagasses, la purgerie, l’étuve & la vinaigrerie ou l’endroit destiné à faire l’eau-de-vie de sucre : cette disposition s’observe toujours, même dans les établissemens où, faute d’une suffisante quantité d’eau, on est obligé de faire usage de moulins à vent ou à bestiaux. Les cases à negres doivent être situées à la portée des opérations journalieres, & disposées par rues fort larges & tirées au cordeau. On laisse entre chaque case un espace d’environ vingt piés, afin de remédier facilement aux accidens du feu, & ce vuide est toujours rempli de calebassiers ou d’autres arbres utiles.

Pour exploiter une habitation d’une grandeur moyenne, c’est-à-dire de cent quarante ou cent cinquante quarrés, de cent pas de côté chacun, le pas étant de trois piés & demi à la Martinique, & de trois piés seulement à la Guadeloupe, il faut cent à cent vingt negres compris en trois classes : dans la premiere, sont les negres sucriers ou raffineurs. La seconde renferme les ouvriers de différens métiers, comme tonneliers, charpentiers, charrons, menuisiers, maçons, & quelquefois un forgeron très-nécessaire sur les grandes habitations.

Les esclaves de la troisieme classe sont les negres de jardin, ayant à leur tête un ou plusieurs commandeurs, suivant le nombre de troupes que l’on est obligé de disperser aux différens travaux ; c’est aussi du nombre de ces esclaves que l’on tire les cabrouettiers, les négresses qui fournissent les cannes au moulin, les gardeurs de bestiaux, & ceux qui chauffent les fourneaux de la sucrerie & de l’étuve.

Quant aux domestiques de la maison, ce sont ordinairement de jeunes esclaves des deux sexes, en qui l’on apperçoit des talens & de la figure : on les entretient proprement, & les commandans n’ont aucune inspection sur leur conduite, à-moins d’un ordre exprès du maître.

Il est peu d’habitations un peu considérables qui ne soient sous la régie d’un économe blanc, lequel rend compte au maître des travaux qui se sont faits dans le cours de la journée ou pendant la nuit.

Pour traiter les negres en cas de maladie ou d’accidens, il est bon d’avoir un chirurgien à gages, sous les ordres duquel on met des négresses qui ont soin de l’infirmerie.

On a déja dit à l’article Negres considérés comme esclaves, que cette espece d’hommes est extrémement vicieuse, très-rusée & d’un naturel paresseux. Les negres, pour s’exemter du travail, feignent des indispositions cachées, affectent des maux de tête, des coliques, &c. dont on ne peut vérifier la cause par aucun signe extérieur. Cette ruse trop fréquente étant tolerée, pourroit causer beaucoup de desordre, si les maîtres n’y remédioient par des châtimens qui d’ordinaire sont trop rigoureux, inhumains, & même dangereux, car il peut se faire qu’un negre soit réellement incommodé. Le moyen le plus prudent & le plus conforme à l’humanité, est de faire enfermer le malade douteux dans une infirmerie bien close, en le privant pendant vingt quatre heures de toute nourriture, & sur-tout de tabac à fumer dont les negres ne peuvent se passer ; & comme ils abhorrent les remedes d’eau tiéde, il n’est pas hors de propos d’en faire donner trois ou quatre au prétendu malade, en lui laissant un pot de tisanne dont il peut boire à volonté. Un pareil traitement ne doit pas satisfaire un homme en bonne santé, & devient un préparatif nécessaire à celui qui réellement est malade : par ce moyen qui a été pratiqué plusieurs fois avec succés, on arrête le desordre, & l’on ne commet point d’injustice. Les maîtres prudens, humains, & qui sans bassesse, entendent leurs intérêts, ne peuvent trop ménager leurs esclaves ; ils y sont obligés par la loi & encore plus par les sentimens de leur conscience. Lisez l’extrait du code noir, dans l’article Negres considerés comme esclaves.

Il est difficile de fixer au juste le revenu annuel d’une sucrerie. L’exposition du terrein, l’inégalité des saisons, les maladies des negres, plusieurs accidens imprévus, & les variations du prix des sucres occasionnent des différences considérables. Ainsi on ne croit pas pouvoir certifier, qu’une habitation de cent cinquante quarrés en bon état, ayant un moulin à eau, cinq chaudieres montées dans la sucrerie, & bien exploitée par cent vingt negres, doit produire année commune, quarante-cinq à cinquante mille livres. Article de M. Le Romain.