L’Esclavage de notre temps

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L'Esclavage de notre temps
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Carlton House (p. 324).

L’indifférence de la société alors que les hommes périssent[modifier]

(…) Il y a des statistiques qui montrent que la longévité parmi les gens des classes supérieures est de cinquante-cinq ans, et que la durée de vie moyenne parmi les gens travaillant dans des occupations malsaines est de vingt-neuf ans. Connaissant cela (et nous ne pouvons pas ne pas le savoir), nous qui prenons avantage du travail qui coûte des vies humaines ne devrions pas, pensons-nous (à moins qu'on ne soit des bêtes), être capables de jouir d’un moment de paix. Mais le fait est que nous, libéraux et humanitaires, très sensibles aux souffrances non seulement des gens, mais des animaux, utilisons sans cesse ce travail, et essayons de devenir de plus en plus riches – c’est-à-dire, prendre de plus en plus avantage d’un tel travail. Et nous restons tranquilles. (…)

Nous haussons les épaules et disons que nous sommes très désolés que les choses soient comme cela, mais que nous ne pouvons rien faire pour les changer, et nous continuons avec les consciences tranquilles d’acheter des produits de soie, à porter des chemises empesées et à lire le journal du matin. Nous sommes bien préoccupés des heures de l’assistant de boutique, et encore plus à propos des longues heures de nos propres enfants à l’école (…) et nous organisons même le sacrifice du bétail dans des boucheries pour que les animaux le sentent le moins possible. Mais [de façon tout a fait surréaliste] nous devenons merveilleusement aveugles dès que la question concerne ces millions de travailleurs qui meurent lentement, et souvent douloureusement, tout autour, à des labeurs que nous utilisons selon notre convenance et notre bon plaisir !

Justification de l’ordre existant par la science[modifier]

Cet aveuglement étonnant dont sont victimes les gens de notre cercle ne s'explique que par le fait que quand les gens agissent mal, ils inventent toujours une philosophie de la vie qui représente leurs mauvaises actions non comme des mauvaises actions, mais comme le résultat de lois inaltérables au-delà de leur contrôle. Il y avait jadis une conception du monde, la théorie qu’une volonté de Dieu inaltérable et impénétrable prédestinait certains personnes à une humble position et au dur labeur, et d’autres à une position exaltée et aux bonnes choses de la vie.

Sur ce thème, une quantité énorme de livres fut écrit et de sermons prêchés. Le thème fut élaboré de tous les côtés possibles. Il fut démontré que Dieu créa différentes sortes de gens – les esclaves et les maîtres; et que les deux devaient être satisfaits de leur position. Il fut aussi démontré que ce serait mieux pour les esclaves dans l’autre monde; et par la suite il fut démontré que quoique les esclaves étaient des esclaves et devaient demeurer tels, que leur position ne serait pas si mauvaise si au moins les maîtres étaient gentils avec eux. Puis, la toute dernière explication, après l’émancipation des esclaves. [Les serfs de Russie et les esclaves d’Amérique furent émancipés en même temps, 1861-1864], fut que la richesse est confiée à certaines personnes afin qu’il puissent en utiliser une partie dans les bonnes œuvres, et donc qu’il n’y a aucun mal à ce que certaines personnes soient riches et d’autres pauvres.

Ces explications ont satisfait les riches et les pauvres (particulièrement les riches) pendant longtemps. Mais le jour vint où ces explications devinrent insatisfaisantes, spécialement pour les pauvres, qui commençaient a comprendre leur position. Alors, il fallut des explications fraîches. Et juste au temps opportun ils furent produites. Ces nouvelles explications vinrent sous la forme de science – d’économie politique qui déclare qu’elle avait découvert les lois qui régulaient la division du travail et la répartition des produits parmi les hommes. Ces lois, selon cette science, sont que la division du travail, et la jouissance de ses produits dépendent de l’offre et la demande, du capital, des rentes, salaires de travail, valeurs, profits, etc.; en général, sur des lois inaltérables gouvernant les activités économiques de l’homme. (…)

Une seule position fondamentale de cette science est reconnue par tous – à savoir que les relations entre les hommes sont conditionnées, non pas par ce que les gens considèrent bien ou mal, mais par ce qui est avantageux pour ceux qui occupent une position avantageuse.

Il est admis comme une vérité certaine que si dans la société, plusieurs voleurs et cambrioleurs sont apparus qui prennent aux travailleurs le fruit de leur travail, cela arrive non pas parce que les voleurs et les cambrioleurs ont mal agis, mais parce que ce sont là les lois économiques inaltérables, qui ne peuvent être lentement changées que par un processus évolutif indiqué par la science; et par conséquent, selon la direction de la science, les gens appartenant à la classe des voleurs, cambrioleurs ou receveurs de biens volés peuvent tranquillement continuer à utiliser les choses obtenues par les voleurs et les cambrioleurs.

Même si la majorité des gens de notre monde ne connaissent pas les détails de ces explications scientifiques tranquillisantes plus qu’ils ne connaissaient jadis les détails des explications théologiques qui justifiaient leur position; reste qu’ils savent qu’une explication scientifique existe; que les hommes de science, hommes sages, ont prouvé de façon convaincante, et continuent de prouver, que l’ordre existant des choses est ce qui doit être, et que, par conséquent, nous pouvons vivre tranquillement dans cet ordre des choses sans essayer de le changer.

C’est seulement de cette façon-là que je peux expliquer l’étonnant aveuglement des bonnes gens dans notre société, alors qu'ils désirent sincèrement le bien-être des animaux, mais qu'ils ont la conscience tranquille, et dévorent néanmoins la vie de leur frères humains.

Pourquoi les économistes instruits affirment ce qui est faux[modifier]

Aussi clairement injuste que soit l’affirmation des hommes de science selon laquelle le bien-être de l’humanité doit consister en ce qui est précisément répulsif aux sentiments humains – le travail monotone et forcé en usine – les hommes de science ont inévitablement été amené à la nécessité de faire cette affirmation clairement injuste, exactement comme les théologiens de jadis ont été amené à faire l’affirmation aussi évidemment injuste que les esclaves et leurs maîtres étaient des créatures de différentes sortes, et que l’inégalité de leur position dans le monde serait compensée dans le prochain.

La cause de cette affirmation évidemment injuste est que ceux qui ont formulée, et qui formulent, les lois de la science appartiennent aux classes fortunées, et sont si habitués à leurs conditions, avantageuse pour eux-mêmes, dans lesquelles ils vivent, qu’ils n’admettent pas la pensée que la société puisse exister dans d’autres conditions.

La condition de vie à laquelle les gens des classes aisées sont habituées est celle d’une abondante production de produits variés nécessaires à leur confort et à leur plaisir, et ces choses ne sont obtenues que par l’existence des usines et de l’organisation actuelle du travail. Par conséquent, en discutant l’amélioration de la position des travailleurs, les hommes de science appartenant aux gens des classe aisées n’ont toujours en vue que des améliorations telles qu’elles ne remplaceront pas la production d’usine et les commodités dont ils profitent.

Même les économistes les plus avancés - les socialistes, qui demandent le contrôle complet des moyens de production par les travailleurs – s’attendent à la production des mêmes, ou presque des mêmes articles que ceux qui sont produits maintenant pour continuer dans les usines actuelles ou d’autres semblables avec la division actuelle du travail. (…)

Le dilemme est devant eux : soit qu’ils voient que ce tout ce qu’ils utilisent dans leurs vies, du chemin de fer (…) aux cigarettes, représente du travail qui coûte la vie à leurs frères humains, et qu'eux en ne prenant pas part à ce labeur et en l’utilisant sont des gens très déshonorables; ou ils doivent croire que tout ce qui arrive arrive pour l’avantage général en accord avec les lois inaltérables de la science économique. En cela se trouve la cause psychologique intérieure, poussant les hommes de science, des hommes prudents et instruits, mais non éclairés, à affirmer positivement et de façon tenace une fausseté si évidente que les travailleurs, pour leur propre bien, devraient laisser leur vie heureuse et saine en contact avec la nature, et aller ruiner leurs corps et leurs âmes dans des usines et des ateliers.

La faillite de l’idéal socialiste[modifier]

« …Tout le monde souhaitera avoir tout ce que les riches possèdent maintenant, et donc, il est tout à fait impossible de définir la quantité de travail qu’une telle société requerra. Par ailleurs, comment les gens seront amenés à travailler à des articles que certains considèrent nécessaires et d’autres inutiles ou même dangereux ? S’il est trouvé nécessaire pour tout le monde de travailler, disons six heures par jour, afin de satisfaire les besoins de la société, qui dans une société libre peut forcer un homme à travailler ces six heures, s’il sait qu’une partie de ce temps se passe en produisant des choses qu’il considère inutiles ou mêmes dangereuses ? … canons… soie… parfums… poudre pour le teint… whisky… (…) qui dans une société libre, sans production capitaliste, compétition et sa loi de l’offre et la demande décidera quels articles doivent avoir la préférence ? Lesquels doivent être fabriqués en premier et lesquels après ? (…) La solution ne peut être que théorique : il peut être dit qu’il y aura des gens à qui le pouvoir sera donné pour réguler toutes ces questions. Quelques personnes décideront ces questions et les autres leur obéiront. (…)

Il y aura une autre question, très importante, à propos du degré de division du travail qui peut être établi dans une société organisée de façon socialiste. (…) La division du travail est certainement très profitable et naturelle pour les gens : mais si les gens sont libres, la division du travail n’est possible que jusqu’à un degré très limité, qui a de loin été dépassé dans notre société. Si un paysan s’occupe principalement de faire des bottes, et sa femme tisse, et un autre paysan laboure, et un troisième est forgeron, et tous, ayant acquis une dextérité spéciale dans leur propre travail, échangent par la suite ce qu’ils ont produit, une telle division est avantageuse pour tous, et les gens libres diviseront naturellement leur travail de cette façon. Mais une division du travail dans laquelle un homme fait un centième d’un article, ou un chauffeur travaille a 150 degrés de température, ou est étouffé par des gaz dangereux, une telle division du travail est désavantageuse, parce que même si elle avance la production d’articles insignifiants, elle détruit ce qui est le plus précieux – la vie de l’homme. (…) Rodbertus [un leader du socialisme … allemand (1805-1875)] dit que la division communautaire du travail unit l’humanité. C’est vrai, mais c’est seulement la division libre du travail, celle que les gens adoptent volontairement qui unit.

Et donc, avec la mise en œuvre communautaire de la production, si les gens sont libres, ils adopteront seulement une division du travail en autant que le bien qui en résulte surpasse les maux qu’elle occasionnent aux travailleurs. Et comme chaque homme voit naturellement du bien à étendre et à diversifier ses activités, une division du travail telle qu’il en existe une aujourd’hui sera évidemment impossible avec des hommes libres.

Supposer qu’en rendant communal les moyens de production il y aura une telle abondance de choses telles qu’elles sont produites aujourd’hui par la division obligatoire du travail c’est comme supposer qu’après l’émancipation des serfs les orchestres domestiques et théâtres… les dentelles et les jardins élaborés qui dépendent du travail des serfs continueraient d’exister comme avant. Aussi, la supposition que quand l’idéal socialiste sera réalisé chacun sera libre, et aura en même temps tout ou à peu près tout à sa disposition ce qui est actuellement utilisé par les riches, implique une contradiction évidente.»

Culture ou liberté[modifier]

Ce qui est arrivé quand le servage existait se répète encore aujourd'hui. La majorité des propriétaires de serfs et des gens des classes fortunés d'alors, s’ils reconnaissaient que la position des serfs n’était pas tout à fait satisfaisante, ne recommandaient néanmoins que des changements tels que les propriétaires ne seraient pas privés de ce qui était essentiel à leur profit; aujourd'hui, les gens de la classe aisé qui reconnaissent que la position des travailleurs n’est pas tout à fait satisfaisante ne proposent pour l’amender que des mesures qui ne priveraient pas les classes fortunées de leurs avantages. Les propriétaires bien disposés parlaient jadis d’ "autorité paternelle," et, comme Gogol, recommandaient aux propriétaires d’être gentils pour leurs serfs et de prendre soin d’eux, mais ils ne toléraient pas l’idée de leur émancipation, la considérant nuisible et dangereuse, exactement comme la majorité des gens aisés d’aujourd’hui qui recommandent aux employeurs de considérer le bien-être de leurs travailleurs mais n’admettent pas la pensée d’un changement de structure économique qui rendraient les travailleurs tout à fait libres.

De même que les libéraux progressifs de jadis, considérant que le servage était un arrangement immuable, sympathisaient avec l’agitation des serfs et demandaient que le gouvernement limite le pouvoir des propriétaires, les libéraux d’aujourd’hui, considérant que l’ordre existant est immuable, demandent que le gouvernement limite le pouvoir des capitalistes et des fabricants et sympathisent avec les syndicats, les grèves et, en général, avec l’agitation des travailleurs. Et de même que les hommes les plus avancés demandaient l’émancipation des serfs mais dressaient un projet qui laisserait les serfs dépendants des propriétaires terriens, ou les enchaîneraient de tributs et de taxes foncières, les gens les plus avancés d'aujourd'hui demandent l’émancipation des travailleurs du pouvoir des capitalistes, la communauté des moyens de production, mais laisseraient les travailleurs dépendants de l’aménagement et de la division du travail, qui doivent demeurer, d'après eux, inaltérés.

Les lumières électriques et téléphones et expositions sont excellents, de même que tous les jardins de plaisance, avec concerts et performances, et tous les cigares, et les boites d’allumettes, et les bracelets, et les automobiles, mais ils peuvent tous aller à la perdition, et non seulement eux, mais les chemins de fer, et toutes les affaires usinées de chinzt et les vêtements du monde, si pour les produire il est nécessaire que quatre-vingt dix neuf pourcent des gens demeurent en esclavage et périssent dans les usines nécessaires à la production de ces articles. Si, pour que Londres ou Petersburg soient éclairés par l’électricité, ou pour construire des bâtiment d’exposition, ou pour tisser des belles affaires rapidement et abondamment, il soit nécessaire que même quelques vies soient détruites, ou ruinées ou abrégées – et les statistiques nous montrent combien il en est qui sont détruites – que Londres et Pétersbourg soient plutôt éclairés au gaz ou à l’huile; qu’il n’y ait pas d’exposition, de peinture, ou de matériaux plutôt que de l’esclavage, et aucun destruction de vie humaine en résultant. (…)

Si seulement il était compris que nous devons pas sacrifier les vies de nos semblables pour notre plaisir, il sera possible d’appliquer les améliorations techniques sans détruire la vie des hommes, et d’aménager la vie de manière à profiter de toutes ces méthodes qui nous donnent un contrôle sur la nature, tel qu’imaginé et pouvant être appliqué, sans garder nos frères humains dans l’esclavage.

L’esclavage existe parmi nous[modifier]

Imaginez un homme d’un pays tout a fait différent du nôtre, qui n’a aucune idée de notre histoire et de nos lois, et supposez que, après lui avoir montré les divers aspects de notre vie, nous lui demandions quelle est la principale différence qu’il ait remarqué dans les vies des gens de notre monde ? La principale différence qu’un tel homme remarquerait dans la façon que les gens vivent est que certaines personnes - un petit nombre – qui ont des mains blanches, propres, et sont bien nourries et vêtues et logées, font du travail léger et très peu, ou même ne travaillent pas du tout, et ne font que s’amuser, dépensant dans des amusements le résultat de millions de jours d'un dur labeur effectué par d’autres gens ; et ces autres gens, toujours sales, pauvrement vêtus et logés et nourris, avec des mains sales et calleuses, travaillent sans cesse du matin au soir, et parfois toute la nuit, travaillent pour ceux qui ne travaillent pas et qui s’amusent constamment.

S'il est difficile de tracer une ligne de séparation aussi claire entre les esclaves et les propriétaires d’esclaves d’aujourd’hui qu’entre les esclaves et les maîtres d’autrefois, et si parmi les esclaves d’aujourd’hui il en est qui sont seulement temporairement des esclaves et deviennent ensuite propriétaires d’esclaves, ou d’autre qui, en même temps sont esclaves et propriétaires d’esclaves, ce mélange des deux classes à leur point de contact ne change pas le fait que les gens d’aujourd’hui sont divisés en esclaves et en propriétaires d’esclaves aussi clairement que malgré le du crépuscule, chaque période de vingt-quatre heures est séparée en jour et en nuit.

Si le propriétaire d’esclave de nos jours n’a pas d’esclave, Jean, qu’il peut envoyer à la fosse d’aisance, a cinq shillings, dont des centaines de Jean come lui ont tellement besoin que le propriétaire d’esclave peut choisir n’importe lequel parmi des centaines de Jean et lui être un bienfaiteur en lui donnant la préférence, et lui permettant, plutôt qu’à un autre, de descendre dans la fosse d’aisance.

Les esclaves de nos jours ne sont pas seulement toutes ses mains d’usines et d’ateliers qui doivent se vendre au pouvoir de l’usine et du propriétaire de fonderie pour subsister, mais presque tous les travailleurs agricoles sont esclaves, travaillant, comme ils le font, sans cesse, pour faire pousser le maïs d’un autre dans le champ d’un autre, et le ramassant dans la grange d’un autre; ou labourant leur propre champs seulement pour payer à des banquiers les intérêts sur des dettes dont ils ne peuvent se débarrasser. Et esclaves aussi sont les innombrables valets, cuisiniers, portiers, servantes, femmes ou hommes de ménage, cochers, hommes de bain, serveurs, etc., qui toute leur vie accomplissent les tâches les plus non naturelles pour un être humain, et qu’ils n’aiment pas eux-mêmes.

L’esclavage existe encore dans toute sa force, mais nous ne le percevons pas, comme en Europe à la fin du dix-huitième siècle l’esclavage des serfs n’étaient pas perçus. Les gens de cette époque-là pensaient que la position des hommes obligés de labourer la terre pour leurs seigneurs, et leur obéir, était une condition économique de la vie naturelle et inévitable, et ils ne l’appelaient pas esclavage. Il en est de même parmi nous; les gens d’aujourd’hui considère la position des travailleurs comme étant une condition économique naturelle et inévitable, et ils n’appellent pas ça de l’esclavage.

De même qu'à la fin du dix-huitième siècle, les gens de l’Europe ont commencé petit à petit à comprendre que ce qui semblait jadis une forme de vie économique naturelle et inévitable – soit la position des paysans qui étaient complètement au pouvoir de leurs seigneurs – était injuste, erronée et immorale, et demandait un changement, les gens d’aujourd’hui commencent aussi à comprendre que la position de travailleur engagé, et de la classe laborieuse en général, qui semblait autrefois tout a fait normale et naturelle, n’est pas ce qu’elle devrait être et exige un changement. (…)

L’esclavage des travailleurs à notre époque ne fait que commencer a être reconnue par les gens avancés de notre société; la majorité est encore convaincue que l’esclavage n’existe pas parmi nous.

Qu’est-ce que l’esclavage[modifier]

En quoi l’esclavage de notre temps consiste-t-il ? Quels sont les forces qui rendent des gens esclaves des autres ? Si nous demandons aux travailleurs en Russie et en Europe et en Amérique dans les usines et diverses situations où ils louent leur travail, dans les villages et villes, qu’est-ce qui les a fait choisir la position dans laquelle ils vivent, ils diront tous qu’ils y sont été amenés soit parce qu’ils n’avaient pas de terre sur laquelle ils pouvaient et auraient aimé vivre et travailler (ce sera là la réplique de la plupart des travailleurs Russe et de beaucoup d’Européens), ou qu’on exigeait d’eux des taxes, directes et indirectes, qu’ils ne pouvaient payer qu’en vendant leur travail, ou qu’ils demeurent à l’usine pris au piège par les habitudes les plus luxueuses qu’ils ont adoptées, et qu’ils ne peuvent gratifier qu’en vendant leur travail et leur liberté.

Les premières deux conditions, le manque de terre et les taxes, conduisent les hommes aux travail forcé; alors que le troisième, les besoins croissants et non satisfaits, les y attachent et les y maintiennent.

Nous pouvons imaginer que la terre soit libérée des réclamations de propriétaires privés par le plan d’Henry George, et que, par conséquent, la première cause qui conduit les gens à l’esclavage – le manque de terre – disparaisse. En ce qui concerne les taxes, (outre le plan d’imposition unique), nous pouvons imaginer l’abolition des taxes, ou qu’elles soient transférées des pauvres aux riches, comme il se fait dans certains pays; mais dans l’organisation économique actuelle, on ne peut pas même imaginer un état de choses dans lequel des habitudes de plus en plus luxueuses, et souvent nuisibles, ne passeraient pas, petite à petit, aux classes plus basses, qui sont en contact avec les riches, de même que l’eau passe dans la terre sèche, et que ces habitudes deviennent si nécessaires aux travailleurs que pour les satisfaire ils ne soient prêts à vendre leur liberté.

Ainsi cette troisième condition, quoiqu’elle soit volontaire – c’est-à-dire qu’il semble qu’un homme puisse résister à la tentation – même si la science ne reconnaît pas qu’il s’agisse là d’une cause de la condition misérable des travailleurs, est la cause la plus ferme et la plus inamovible d’esclavage.

Les hommes qui vivent près des gens riches sont toujours infectés avec des nouveaux besoins, et obtiennent les moyens de satisfaire ces exigences seulement dans la mesure où ils vouent leur plus intense travail à cette satisfaction. Ainsi les travailleurs en Angleterre et en Amérique, recevant parfois dix plus qu’il n’est nécessaire pour leur subsistance, continuent d’être des esclaves, comme ils étaient avant.

Trois causes, telles que les travailleurs l’expliquent eux-mêmes, produisent l’esclavage dans lequel ils vivent; et l’histoire de leur asservissement et les faits de leurs positions confirment que cette explication est correcte.

Tous les travailleurs sont amenés à l’état actuel et y sont maintenus par trois causes. Ces cause agissant sur les gens de différentes manières sont telles que personne ne peut éviter leur asservissement. L’agriculteur qui n’a pas de terre, ou qui n’en a pas assez, devra toujours aller en esclavage perpétuel et temporaire chez le propriétaire terrien afin d’avoir la possibilité de se nourrir lui-même de la terre. S’il obtient assez de terre pour se nourrir lui-même de son propre travail d’une façon ou d’une autre, on lui demande tellement de taxes, directes et indirectes, que pour pouvoir les payer il doit aller en esclavage.

Si pour échapper à l’esclavage sur la terre il cesse de cultiver la terre, et, vivant sur la terre d’un autre, commence à s’occuper d’un art, ou à échanger ses produits pour ce qu’il a besoin, alors, d’un côté les taxes, et de l’autre côté la compétition des capitalistes produisant des articles similaires à ceux qu’il fait, mais avec de meilleurs instruments de production, l’obligent à aller en esclavage temporaire ou perpétuel à un capitaliste. Si travaillant pour un capitaliste il peut établir des relations libres avec lui, et ne pas avoir à vendre sa liberté, encore, les nouveaux besoins qu’il assimile le prive d’une telle possibilité. Ainsi d’une façon ou d’une autre, le travailleur est toujours en esclavage de ceux qui contrôlent les taxes, la terre, et les articles nécessaires à la satisfaction de ses besoins.

Les lois concernant les taxes, la terre et la propriété[modifier]

(…) Est-il vrai que les gens ne devraient pas avoir l’usage de la terre quand elle est considérée appartenir à d’autres qui ne la cultivent pas ? (…)

Concernant les taxes, il est dit que les gens doivent les payer parce qu’elles sont instituées avec le consentement général, quoique silencieux, de tous, et sont utilisées pour les besoins publics à l’avantage de tous. Est-ce vrai ? (…)

Est-il vrai que les gens ne devraient pas utiliser des articles utiles pour satisfaire leurs besoins si ces articles sont la propriétés de d’autres gens ? (…)

L’égalité du capitaliste et du travailleur est comme l’égalité de deux lutteurs quand l’un a les mains attachées et l’autres a des armes, mais durant le combat certaines règles s’appliquent aux deux avec une stricte impartialité. Ainsi toutes les explications de la justice et de la nécessité de ces trois ensembles de lois qui produisent l’esclavage sont aussi fausses que les explications données jadis sur la justice et la nécessité du servage. Ces trois ensembles de lois ne sont rien que l’établissement de cette nouvelle forme d’esclavage qui a remplacé la vieille forme. De même que jadis les gens établissaient des lois pour permettre à quelques personnes d'acheter et de vendre d’autres gens, de les posséder et les faire travailler, et que l’esclavage existait, aujourd’hui les gens ont établi des lois pour que les hommes ne puissent pas utiliser la terre qui est considérée appartenir à quelqu’un d’autre, doivent payer les taxes qui leurs sont demandées, et ne doivent pas utiliser les articles considérés être la propriété des autres – et nous avons l’esclavage de notre temps.

Ce que tout homme devrait faire[modifier]

(…) "Dites-nous quoi faire, et comment organiser la société, voilà ce que les gens des classes aisées disent habituellement."

Les gens des classes aisées sont si habitués à leur rôle de propriétaire d’esclaves que quand il y a des discussions sur l’amélioration des conditions des travailleurs, ils commencent tout de suite, comme nos propres propriétaires de serfs avant l’émancipation, à élaborer toutes sortes de plans pour leurs esclaves; mais ils ne leur vient jamais à l’esprit qu’ils n’ont aucun droit de disposer des autres, et que s’ils souhaitent vraiment faire du bien aux autres, la seule chose qu’ils peuvent et doivent faire c’est d’arrêter de faire le mal qu’ils font maintenant. Et le mal qu’ils font est très bien défini et très clair. Ce n’est pas seulement qu’ils utilisent le travail d’esclave obligé, et ne souhaitent pas cesser de l’employer, mais qu’ils prennent aussi part à l’établissement et au maintien de cette contrainte de travail.

Les travailleurs sont également tellement pervertis par leur esclavage forcé qu’il leur semble pour la plupart que si leur position en est une mauvaise, c’est la faute des maîtres, qui les paient trop peu et détiennent les moyens de production. Il ne leur vient pas en tête que leur mauvaise position dépend entièrement d’eux-mêmes, et que s’ils souhaitent améliorer leur condition et celle de leurs frères, et non seulement que chacun fasse le mieux qu’il peut pour lui-même, la grande chose qu’ils doivent faire est qu’eux-mêmes cessent de faire du mal. Et le mal qu’ils font est que désirant améliorer leur situation matériel par les mêmes moyens qui les ont amenés à être asservis (dans le but de satisfaire les habitudes qu’ils ont contractées), sacrifiant leur dignité et leur liberté humaine, ils acceptent des emplois humiliant et immoraux ou produisent des articles inutiles et nuisibles, et surtout, ils maintiennent les gouvernements, y prennent part en payant des taxes et par service direct, et se rendent ainsi eux-mêmes esclaves.

Pour que l’état des choses puisse être amélioré, et les classes aisés et les travailleurs doivent comprendre que l’amélioration ne peut pas être effectuée en sauvegardant ses propres intérêts. Le service implique sacrifice, et, par conséquent, si les gens souhaitent réellement améliorer la position de leur frères humains, et pas seulement la leur, ils doivent être prêts non seulement à changer le mode de vie auquel ils sont habitués, et perdre ces avantages qu’ils ont eus, mais ils doivent aussi être prêts à une lutte intense, pas contre les gouvernements, mais contre eux-mêmes et leurs familles, et être prêts à souffrir la persécution pour la non-exécution des demandes du gouvernement.

Par conséquent, répondre à la question, Que devons-nous faire ? est très simple, et pas seulement défini, mais toujours au plus haut degré applicable et praticable par chaque homme, même si ce n’est pas ce qui est attendu par ceux qui, comme les gens de la classe aisée, sont fermement convaincus qu’ils sont attitrés, pas pour se corriger eux-mêmes, (ils sont déjà bons), mais pour enseigner et corriger les autres; et par ceux qui, comme les travailleurs, sont certains qu’ils ne sont pas responsables (mais seulement les capitalistes) pour leur mauvaise position présente, et pensent que les choses peuvent être replacées seulement en prenant des capitalistes les choses qu’ils utilisent, et s’arranger pour que tous puissent utiliser ces commodités de la vie qui ne sont utilisées maintenant que par les riches

La réponse est très défini, applicable et praticable, car elle demande l’activité de cette personne même sur laquelle chacun de nous a un pouvoir réel, légitime et incontestable – soi-même – et il consiste en cela, que si un homme, qu’il soit esclave ou propriétaire d’esclaves, souhaite vraiment améliorer non seulement sa propre position, mais la situation des gens en général, il ne doit pas faire ces choses qui l’asservissent ainsi que ses frères.

Postface[modifier]

En lisant ce que j’ai écrit plusieurs diront que c’est encore le même vieux sermon; d’une part recommander la destruction de l’ordre actuel de choses sans mettre quoi que ce soit à sa place; d’autre part exhorter à la non-action. "L’action gouvernementale est mauvaise, et l’action du propriétaire terrien et de l’homme d’affaire également; l’action des socialistes et des anarchistes révolutionnaires est également mauvaise – c’est-à-dire que toutes les activités pratiques réelles sont mauvaises, et seule une sorte d’activité morale spirituelle indéfinie qui ramène tout au chaos complet et à l’inaction est bonne." Je sais que plusieurs personnes sérieuses et sincères penseront et parleront de cette façon !

Ce qui semble le plus dérangeant pour le monde dans l’idée de non-violence ["no violence"] est que la propriété ne sera pas protégée et, par conséquent, que tout homme sera capable de prendre d’un autre ce dont il a besoin ou qu'il aime simplement, et de rester impuni. Pour les gens habitués à la défense de la propriété et de la personne par la violence, il semble que sans une telle défense il y aura un désordre perpétuel, une lutte constante de chacun contre tous les autres.

Je ne répéterai pas ce que j’ai dit ailleurs pour montrer que la défense de la propriété par la violence ne diminue pas mais augmente ce désordre. Mais opinant qu’en l’absence de défense le désordre puisse se produire, que devraient faire les gens qui ont compris la cause des calamités desquelles ils souffrent ?

Si nous avons compris que nous sommes malades d’ivrognerie devons-nous continuer à boire, en espérant de corriger le problème en buvant modérément, ou en prenant les médicaments que nous donnent des médecins imprévoyants.

C’est la même chose avec notre maladie sociale. Si nous avons compris que nous sommes malades parce que certaines personnes utilisent la violence envers les autres, il est impossible d’améliorer la situation de la société en continuant à soutenir la violence gouvernementale qui existe, ou en introduisant une nouvelle sorte de violence révolutionnaire ou socialiste. Cela a pu se faire tant que la cause fondamentale de la misère des gens n’était pas clairement comprise. Mais dès qu’il est devenu indubitablement clair que les gens souffrent de la violence faites par certaines personnes envers d’autres, il est déjà impossible d’améliorer la situation en introduisant une nouvelle sorte de violence ou en perpétuant la vieille. L’homme malade qui souffre d’alcoolisme n’a qu’une façon d’être guéri : en s’abstenant des agents qui produisent l’intoxication, qui sont la cause de sa maladie; il n’y a aussi qu’une seule manière de libérer l’homme de l’aménagement mauvaise de la société, à savoir de s’abstenir de la violence – la cause de la souffrance – de la violence personnelle, de prêcher la violence, et de n’importe quelle façon de justifier la violence.

Et non seulement c’est le seul moyen de délivrer les gens de leurs maux, mais nous devons aussi l’adopter parce qu’il coïncide avec la conscience morale de chaque individu d’aujourd’hui. Si à notre époque un homme a une fois compris que toute défense de propriété ou de personne par la violence n’est obtenue qu’en menaçant de tuer ou en tuant, il ne peut plus, avec une conscience tranquille, faire usage de ce qui est obtenu par le meurtre ou les menaces de meurtre, et encore moins peut-il participer aux meurtres et menace de meurtre. De sorte que ce qui est recherché pour libérer les gens de la misère est aussi exigé pour la satisfaction de la conscience morale de tout individu. Et pour chaque individu, il ne peut donc y avoir aucun doute que pour le bien général et pour accomplir la loi de sa vie, il ne doit pas participer à la violence, ni la justifier, ni en faire usage.