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L’Impôt Progressif en France/39

La bibliothèque libre.
Librairie Guillaumin & Cie (p. 155-157).

SUPPLÉMENT





La publicité assez restreinte, du reste, donnée à la première édition de ma brochure sur l’Impôt progressif, a suffi, cependant, pour attirer l’attention de quelques lecteurs sur les phénomènes sociaux et économiques qui se produisent chez nous, surtout depuis un demi-siècle. Soit par la presse, soit par la correspondance privée, je connais les objections soulevées par le projet de réforme de notre système fiscal.

J’ai pensé qu’il serait intéressant d’ajouter à cette seconde édition ce qui a été publié et ce que l’on m’a écrit à ce sujet. Je vais donc, à la suite des observations ou des objections, donner les réponses que je crois utiles.

Le lecteur voudra bien, je pense, m’excuser si je prends ces objections un peu au hasard, plutôt que dans l’ordre du sujet lui-même. Ce désordre, assurément, ne sera pas un effet de l’art, mais peut-être un effet de l’âge ; je n’ai guère le temps ni la force de travail nécessaires pour former du tout une puissante synthèse. Je tiens seulement à ce que le lecteur emporte une impression générale qui lui fera sentir la grandeur et la nécessité de la réforme ; il faut qu’il réfléchisse lui-même au moyen d’échapper pacifiquement à la violence d’une révolution économique, et qu’il propose des corrections peut-être meilleures que celles énoncées dans les pages hâtives qui précèdent. Le temps, en cette matière, comme en bien d’autres, est un élément indispensable. Les esprits ne sont peut-être pas encore préparés, en France, à comprendre la nécessité de cette réforme. Ce n’est pas en un jour, ni même en une année, que les Pitt et les Robert Peel, en Angleterre, les de Miquel en Allemagne, les Giolitti et les della Volta en Italie, les Pierson en Hollande, les Numa Droz et autres en Suisse, ont pu arriver à imprimer d’abord une autre direction aux esprits et confier ensuite aux législateurs la rédaction du texte de nouvelles constitutions.

Surtout dans notre France, à peine sortie d’un passé monarchique d’une puissance et d’une grandeur quinze fois séculaires, il faut compter avec le temps, avec la patience et la bonne volonté des uns, la passion des autres, les traditions difficiles à oublier, les préjugés et la peur des mots. L’hérédité et la routine imposent chez nous plus qu’ailleurs des limites à l’amplitude des réformes. Il y a dans cet ordre d’idées, quelque chose de semblable à ce qui se passe dans nos vieilles cités où le redressement des lignes et des habitations présente des obstacles qui, naturellement, ne se rencontrent pas dans la construction d’une ville nouvelle. Depuis un siècle on apporte à notre édifice fiscal, tantôt ici, tantôt là, une pièce nouvelle qui remplace une autre trop ancienne. Mais il n’a pas encore été possible de constituer un système nouveau, basé sur des certitudes, en ce qui concerne la matière imposable, et sur une véritable justice distributive au sujet de la quotité de l’impôt. C’est là le progrès que les siècles passés nous ont laissé à faire. Nous sommes même en retard, sous ce rapport, sur la plupart des grandes nations civilisées de l’Europe.

Sous le bénéfice de ces observations préliminaires, je vais exposer les objections et les solutions que je soumets à l’examen et à l’appréciation du lecteur.