L’histoire naturelle des estranges poissons marins/Premier Livre

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Le premier livre de l'histoire naturelle des estranges poissons marins, avec la vraie peincture & toute la description des parties exterieures du Daulphin,
& plusieurs autres de sõ espece,
Observee par Pierre Belon du Mans.

Chapitre premier.


M AINTENANT que i'ay trouvé iuste occasiõ de parler du Daulphin, & des autres poissõs de sõ espece: sachãt biẽ qu'il soit un poisson qui tient le sceptre en la mer, & qu'õ luy ait donné le second lieu es armoiries en France: & aussi qu'il soit en dignité, le premier apres les fleurs de lils: ie me suis mis en deliberation de descrire amplement toute l'histoire qui luy convient, suivant une particuliere observation de toutes ses parties, tant exterieures que interieures: descrivant fidellement toutes choses qui doibuent estre librement descriptes, sans y adiouster ne diminuer chose que Nature ne luy ait dõné, laquelle nous cognoissons si benigne a tout ce qu'elle produict, qu'elle n'oublie iamais de bailler le douaire aux choses tel qu'elle voit iustement appartenir a ce qu'elle ha engendré. Mais comme pour le iourd'hui ie voy que les autheurs modernes qui se mettent a descrire la nature des animauls ou des plãtes qu'ils ne cognoissent pas, me semblent estre semblables aux chantres devieilles chansons, qui ne chantent que par usage, sans avoir la science de musique: Tout ainsi ie n'ay proposé de m'amuser aucunement a leurs ramas, ne aussi aus fables qui en ont esté faictes. Car ie m'en raporteray a ce que les principauls autheurs anciens en ont escript, desquels il me suffira prendre l'authorité en preuve de ce que i'ẽ escriray: veu mesmement qu'ils ont eu si grand soing en mettãt les choses par escript, qu'ils n'ont rien laissé en arriere, tellement que ce que lon en dict apres euls, & principalement Aristote, touchant ce qui appartient a la principale descriptiõ de l’histoire ne soit que une repetition dicte plusieurs fois. Aussi qui ne les ensuit de bien pres, n’ha pas grand chose a dire qui soit nouvelle. Voila donc comment les modernes qui ont cheminé par les pas des antiques, qui se sont mis a traicter de la nature des animauls qu’ils n’ont pas veu, n’en peuvent dire sinon ce qu’ils en ont trouvé es livres des autres. Dont plusieurs pour le iourd’huy ont faict des ramas de toutes choses mal a propos, en prenant indifferemment des autheurs, tãt de ceuls qui en ont menti, comme des autres qui en ont escript a la verité. Et comme il est a presupposer que touts n’aient pas entendu la verité de la chose qu’ils ont escripte, aussi si les modernes qui ont marché par leurs pas, ne l’ont entendue, il leur auroit esté impossible de scavoir distinguer les marques mal escriptes, de celles qui en ont esté dictes a la verité. Ie n’ay donc pas failli en disant que tout ce qu’ils en escrivent, n’est que redicte, qui n’ha rien d’asseurance ferme & stable. Et pour en monstrer une pour exemple, ie prendray le Daulphin, & les autres poissons de son espece. Il n’y a cellui de ceuls qui escrivent de sa nature, qui ne mette qu’il ait un aguillõ dessus son dos : & toutesfois ie maintiens quil n’en ha point. Dõt vient l’erreur qui ha trompé tant de gents, sinon qu’il n’y a eu encor personne qui se soit mis en debvoir de l’observer ? Voila donc comment l’un ensuit l’autre en toutes notes. Mais ie espere specifier ceste chose plus au lõg, quãd i’en parleray en son propre chap. presupposãt qu’un chascũ face du mieuls qu’il luy soit possible, & aussi que l’excuse soit par tout tolerable : veu mesmemẽt que touts hõmes se mettẽt en debvoir de faire du mieuls qu’ils peuvẽt. Parquoy sachãt que l’aage renouvelle tout, & aussi que no voiõs quasi toutes choses se chãger de iour en iour, i’ay escript un discours particulier touchant ceci, qui au paravant n’a esté escript de personne. Et ce que ie pretens faire, n’est autre chose, sinon que ie vueil enseigner la vraie perspective du Daulphin, & aussi en bailler la peincture, laissant toutes prolixitez inutiles, mais au surplus n’oubliant rien de quoy ie me soye peu souvenir des notes qui luy conviẽnent singulierement : a fin que ayãt mis & exposé toutes les parties exterieures & interieures, selon que ie les ay observees en diverses contrees du monde, un chascun se puisse persuader, que ie n’aye rien escript, chose que moy mesme ne l’aye veue.

II.

Combien que le Daulphin ne soit pas cogneu des François pour tel, toutesfois ils l’ont en commun usage, mais il n’est pas nommé par son nom propre.

OR pour ne m’esloigner d’avãtage de mon entreprise, qui est que ie puisse mõstrer qu’il ne soit poĩt veu de poissõ plus cõmun par les poissonneries qu’est le Daulphin : ie di toutefois, pour ce qu’il n’a pas retenu son antique appellation, que l’on ne trouve personne qui le puisse bien cognoistre. Mais comme le sort permet les choses, les François en n’y pensant point, & ne sachants point que c’est luy, l’ont constitué en si grand honneur, qu’ils luy ont baillé le titre du Roy des poissons, tant de la mer, que des lacs & rivieres. Oultre plus ils l’ont tant estimé, qu’ils l’ont mis le second apres les fleurs de lils, tellement qu’ils l’ont portraict en toutes les especes des monnoyes d’or, d’argent, & de cuyvre, & peinctures d’armoiries, d’estandards, & banieres.

III.

Que le Daulphin soit souverain es repas des François es iours maigres : mais ils ne pensent pas que soit luy, d’autant qu’il a usurpé le nom d’un autre.

D’Avãtage ils ont voulu qu’il retint aussi la reputation du premier lieu entre to autres poissõs qui sõt apportez de la mer. Car apportez a la poissonnerie, touts ont consenti qu’ils soient seulement dediez pour estre presentez au repas des plus riches, ou bien a ceuls qui ont le moyent de faire un peu plus grande despense : car les delicats qui ont le palais plus friand, l’ont estimé estre le plus delicieus qu’on puisse trouver en la mer. Mais les Frãçois ignorants leurs richesses, & ne cognoissants pas que c’est luy, ne le scavent exprimer, sinon que par un mot qu’ils ont emprunté d’estrange pais, lequel ie declareray tantost. Mais combiẽ qu’il ne soit appellé Daulphin, il ne laisse pas pourtant d’obtenir le premier lieu en toutes sortes. Et pour parler de ceuls es mains desquels il tombe pour la premiere fois, encore qu’ils soient des plus rustiques de tout le rivage de l’Oceã, pour cela il ne demeurera pas pour euls : & encore qu’ils ayent coustume d’estre nourris des poissons prins en leur contree, ce neantmoins ils ne le mãgeront pas, sachants bien que telle viande ne convient a leur nature : Car pour y avoir plus grand gain, ils le feront porter aus villes de terre ferme, le voulãts consacrer quasi cõme chose vouee, ceuls qui ont plus d’argent en leurs bourses pour en acheter. Et encores qu’on en puisse bien recouvrer, scavoir est qu’il ne soit tant rare de soymesme, toutesfois son excellence le fait sembler pretieus & principalement s’ils l’apportent aus iours maigres : esquels iours on ne faict festins ne nopces, qu’on puisse vanter avoir esté sumptueus, si on n’y a mangé du Daulphin : non pas que les Françoys le cognoissent & le nomment de telle dictiõ de Daulphin, mais comme i’ay desia dict, touts l’appellent d’une voix estrange qui n’est pas Frãçoyse, ains empruntee des estrangiers. Voyla donc comme le Daulphin reste en toutes qualitez en son entier, excepté qu’on luy a mué son nom. Car comme ie diray ci apres faisant distinction de son gẽre par les especes, il est impropremẽt nõmé en Frãçoys. Vray est que ceuls qui le nõmẽt plus propremẽt que les autres, l’appellent une Oye. Mais pour ce ce que nom n’est asses entendu, i’en parleray par apres generalement & plus amplement.

IIII.

Quil n’y ait que les hommes de la religion Latine qui mãgent du Daulphin, & que les nations du pais du levant n’en mangent aucunement.

Apres que i’ay dict que le Daulphin soit singulier es delices de nostre natiõ, ie n’ay voulu passer oultre, sãs y adiouster ce que i’en ay trouvé es autres pais : qui sera bien propos contraire touchant ce poinct. Car comme il soit delicat entre les Françoys, & qu’il tienne le premier lieu entre les poissons, les estrangiers ne pourrõt lire ceste clausule sans s’en emerveiller, veu mesmemẽt que toutes les nations du levant estiment une chose cruelle, & a euls abominable, d’outrager un Daulphin, & par consequent ils s’abstiennent du tout d’en manger. Et commenceray par les Grecs, desquels la superstition est accreve entre euls plus grande qu’elle ne fut iamais, & principalement touchãt le boire & le mãger. Car encore pour le iourd’hui, ils s’abstiennent entierement tout le temps de leurs quaresmes de manger poisson qui ait sãg aussi ne vouldroyent gouster de la chair du Daulphin, quand ils debveroient mourir de faim. Et quand on leur en demande la raison, ils ne scavent alleguer sinon qu’ils tiennent cela par usage, suivant les fables dont ie parleray cy apres. Et a mon advis, suivant ce que nous en trouvons par escript, ie croy que les anciens Grecs ne les ayent iamais pourchassez en la mer, pour les manger. Plusieurs des anciens autheurs, aussi Epimenides & Eliã, ont escript que les Grecs les tenoyent sacrez, comme aussi furent consacrez a Neptune. C’est de la que touts les habitãts du rivage de la mer, a la coste d’Asie, de quelque religion qu’ils soyent, n’en mangent non plus que ceuls des rives de la mer Ionique & Adriatique, ne aussi une bonne partie de la mer Mediterranee, & pareillement de la mer Pontique, avec toutes les autres qui sont restez du parti des Grecs, & nations qui n’obeissent pas a l’eglise Rõmaine, comme Sercasses, Esclavons, Vallacques, Dalmates, Russiens, Albanois, & principalement ceuls qui habitent aus rivages des mers, tant du Pont Euxin, que de l’Adriatique. Lesquels suivants la religion Greque penseroient avoir leur conscience grandement chargee, s’ils avoyent tué un Daulphin, car il n’y a celluy d’entre euls, qui ne sache raconter l’histoire d’Arion, comme si c’estoit une chose qui fust advenue de nostre tẽps. Et pource que en trafFiquant il leur côvient quasi tousiours estre sur mer, ils ont le commun parler tant antique tousiours en leurs memoires, de ceuls qui ont dict avoir experimenté que le Daulphin soit misericordieuls, & qu’il faille l’aimer, pource que le Daulphin aime ceuls qui sont tombez en la mer, de la mesme amour cõme si ceuls qui sont tombez les avoient aimez avant qu’ils y tombassent. Pour cela ils ne permetront iamais les laisser nayer, ains les metttont sur leur dos, & les conduiront iusques au rivage. C’est la raison qui a induict les Grecs de les avoir anciennement nommez Philantropos de nom Grec, qui signifie ami de l’homme : & suivant lesquelles histoires, ils s’abstiennent de les ofFenser. Plusieurs poetes & historiens ont escript beaucoup de fables des Daulphins, desquelles ne pretens escrire, sinon en l’endroict qui me sera necessaire a la prouve du propos que tiendray. Voyla quant aus Grecs, & autres qui ensuivent leur religion.

V.

Que touts les Mahometistes, ne mangent point du Daulphin, & la raison pourquoi ils le font.

D’Avantage il y a plusieurs autres natiõs qui n’en mâgent poĩt, mais ils ne le fõt pas sans raisõ. C’est que toutes les natiõs qui ensuivent la loy de Mahometh, comme les Turcs, Arabes, Egyptiens, Perses, Syriens, ont opinion que la chair du Daulphin leur soit deffendue, d’autant qu’elle ressemble a celle d’un porceau. Et que le porceau estant defendu en leur loy, semblablement tiẽnẽt que telle chair du Daulphin leur soit defendue : aussi n’en mangent ils point.

VI.

Raison pourquoy les Iuifs f’abstiennent de manger du Daulphin.

EN cas pareil les Iuifs en quelque part de la terre qu’ils soient, ne mãgent point le Daulphin, ne des autres poissõs qui soyent de ces especes. Car quand a euls qui sont observateurs des cõmandements de Moyse, il ne leur est licite de manger poisson qui ne ayt des escailles. Par ainsi ils ne pourroient manger du Daulphin sãs transgresser leurs commandements : aussi n’en mangent ils poĩt, car il n’ha point d’escailles.

VII.

Preuve par demonstration, que les Italiens non plus ceuls qui sont en terre ferme, que ceuls qui habitent aus rivages ne mangent point du Daulphin.

I’AY desia nommé beaucoup de nations, qui ne mangent point du Daulphin, ne aussi des autres qui luy sont semblables, desquelles nations ie n’ay rien escript touchant le Daulphin, que moymesme ne l'aye entendu en estant en leur pais, & aussi cogneu par experience. Mais pour ne parler de si loing, ie puis dire semblablement, qu’il y a plusieurs gents en Italie, qui n’en veulent point manger. I’ay dict raison vray semblable pourquoy toutes les autres nations n’en mangent point : mais a ceste ci ie n’en ay point, ny ne scay pourquoy ils le font, sinon que pour exemple, i’ay esté long temps coustumier de descendre par eaue de Padoue, me partant touts les iœudis au soir, & selon la coustume du pais, & m’estant embarqué dessus la Brẽte, allant toute nuict le bateau se trouvoit a Venise le vendredi matin, ou ie demouroie tout le iour, observant les poissons qu’on avoit apportez de touts costez au marché : aussi y aiant esté residẽt les quaresmes entiers, ay souvent demandé a touts les pescheurs s’ils vendoiẽt iamais du Daulphin, mais touts m’ont asseuré qu’ils n’avoiẽt souvenance que iamais ils eussent veu un seul Daulphin apporté a Venise, ne qu’on y en eust iamais vẽdu. Et qu’il ne soit vray, mõsieur Daniel Barbar l’un des pl doctes gẽtils hõmes de Venise, maintenãt ambassadeur en Angleterre esteu d’Aquilee, qui a entretenu a ses gaiges l’espace de huict ans un tres expert peintre nõme messer Plinio, le faisant seulement besongner la plus part du temps aus peinctures de toutes especes de poissons, retirant tant ceuls de la mer Adriatique, que de la Mediterranee, & des fleuves & lacs de toute Italie : & lequel il a si bien faict besongner, qu’il ha le portraict contrefaict au naturel des vives images non seulement de ceuls qui ont estés apportez au marché ou es poissõneries de Venise : mais aussi des autres qui luy ont estés singulierement envoiez des ports & plages d’Esclavonie : lesquelles peinctures sont beaucoup plus de trois cẽts de cõpte faict, & desquelles par sa bonte le dit messer Daniel Barbarus, m’a octroié faire retirer au pinceau celles que i’ay voulu choisir : mais en toutes, il n’y avoit point de peincture de Daulphin. Voila donc comme ie prouve par demonstration qu’on ne pesche point des Daulphins en la mer Adriatique. Car si lon y en peschoit, il est aussi a croire que monsieur Daniel Barbarus, en eust eu le portraict en ses peinctures. Ceuls de Naples m’ont asseuré le semblable de leur ville, & aussi de Missine, & de Genes, comme aussi ceuls de toutes les autres grosses villes qui sont situees au rivage sur les ports des mers du contour d’Italie : comme aussi les autres qui sõt en terre ferme, & mesmement a Romme. Car un tres cavãt medecin nõmé maistre Gilbert, Flament & homme curieus de recouvrer les peinctures des animauls, m’a asseuré que en tout le temps & espace de dix ans, il ne veit onc apporter q’un seul Daulphin a la poissonnerie : lequel encor ne fut pas mangé : car il ne se trouva personne qui envoulut acheter, sinõ quelque peu d’estrãgers : & qu’il en acheta, pour avoir la greffe, & les ossements de la teste, qu’il garde en son cabinet. Nous avons encore plusieurs autres beauls exemples qui sont de ce temps ci. Car les habitants de la ville de Rimini en Italie, au rivage de la mer Adriatique, trouverent un Daulphin n’a pas long temps, qui estoit demouré a sec sans eaue dessus le sablon, a un quart de lieue de leur ville, lequel ils firent charger dedens un chariot tout en vie, & l’amenerent a Rimini, ou il vesquit trois iours. Et s’il est vray ce qu’ils m’en ont dict, ceuls qui l’amenerent gaignerent une grande somme d’argent a le mõstrer. Car chascũ qui le vouloit veoir, bailloit quelque piece d’argent. La mesure qu’ils mõstroient de la longueur, estoit pres d’une aulne & demie, & toutesfois iamais homme ne tasta de sa chair. Car ils n’ont point d’usage d’en manger : sinon qu’ils se servirent de sa gresse. Et pour en laisser memoire, ils purgerẽt les ossements de la teste, laquelle ils gardent encore avec sa queue pendue au dessus de la porte de la ville, qui est la chaine du port auquel lieu il y avoit l’escaille d’une tortue, dõt ils en ont cõtrefaict un monstre, mettant la teste devant, & la queue derriere : & pour autant que ie fei retirer le portraict des ossemẽts de la dicte teste, ie l’ay faict representer en ce lieu avec la peincture des Daulphĩs, cõme lon pourra veoir ci apres quãd ie parleray des interieures parties de la teste du Daulphĩ. I’avoye tout ceci a dire en prouve que les Italiens n’aient acoustumé de manger du Daulphin, de laquelle chose il me sẽble qu’il suffit pour ceste heure, de ce que i’en ay dict.

VIII.

Que les hommes des pais du Levant pensent que soit plus grande cruaulté d’offenser un Daulphin, que de tuer un homme : & qu’ils l’ont en grande veneration.

IAY voulu adiouster d’avantage, qu’il n’y a aucũ des pescheurs Turcs, Grecz, Esclavons, Albanois, & autres gents qui suivent la religiõ Greque, qui se mette iamais en effort de faire mal a un Daulphin : mais ils ont de coustume, que quand aucũ d’entre euls ont pris un Daulphin dedens les rets, ils prennent bon augure, & encore que le Daulphin eust faict dommage aus retz, ils ont grãd paour de luy faire mal : & le remettẽt en la mer, avec parolles de saincteté, en disant des prieres, & estimants que quand ils ne leur feront violence, cela leur pourra profiter en autre temps. Car celluy d’entre euls qui se pourra raisonnablement vanter qu’il ait donné liberté par dix fois a un Daulphin, pẽsera en acquerir grãde louange entre ses compaignons. Et a ce les meut une commune raison que i’ay desia par ci devant escripte. C’est qu’il n’y a celluy d’entre euls, qui n’ait opinion, que quand ils seroient en une extremité a la mercy de la mer, ou que leur navire seroit froissee contre les rochiers, ou autrement brisee ou batue entre les vagues des horribles tempestes de la mer, ou bien qu’il fust iecté en l’eaue par la malice de ses compaignons, comme fut Arion, que les Daulphins qu’il auroit autrefois delivrez de captivité, en recompense luy sauveroyent la vie. Et oultre ce que i’ay dict, encore dure une autre opinion non seulement entre les Grecs, mais aussi entre quelque partie des Italiens, & principalement entre les mariniers Venitiens, que s’il y avoit quelcũ en leur navire qui eust tué un Daulphin, & la navire se trouvoit sur la mer esbranlee de la tẽpeste, touts les Daulphins qui seroient la au tour, viẽdroient faire perir leur navire, pour se vẽger de celluy qui auroit commis un tel crime. Par cela ils craignent de leur faire mal, de paour que cela ne leur advienne. Car comme ils voyent les Daulphins accompaigner les navires en la mer, principalement quãd il faict grande fortune, tout ainsi le bruit est qu’ils donneroient ayde a un chascun a se sauver. Ce sont les raisons pourquoy plusieurs nations ne veullent point faire d’oultrage aus Daulphins, & par consequent s’abstiennent de les manger.

IX.

Que grande partie des hommes de sa religion Latine, au contraire des Grecs, Turcs, & Iuifs, sont plus friãts de la chair du Daulphĩ que de nul autre poisson.

MAis ceuls qui sont de la religion Latine, moins scrupuleus que les susdicts, tant de ceuls qui habitent au rivage de l’Ocean, que de bonne partie des autres qui sont en la mer Mediterranee, ne sont point coustumiers de faire telles difficultez, ains comme i’ay desia dict, ils l’appelent plus que nul qui soit entre touts les autres poissons. Et par cela il n’en y a point d’autre qui vienne a si hault pris par les poissonneries. Car en quelque temps de l’annee qu’il soit apporté au marché, il ha tousiours sa valeur en hault pris : car on n’a point faict distinction du tẽps en quoy il est en saison. Et ce qui a faict qu’il ait retenu sa dignité estant cogneu, a esté le hault pris en quoy l’ont mis les grands seigneurs qui se le font reserver, par ce poinct la : si esse que estant si commun comme il est, & n’estant pas cogneu pour Daulphin, i’ay eu dueil de le veoir revestu d’un nom si barbare. Et maintenant que i’ay proposé luy rendre son nom ancien, sachant bien que c’est haulte entreprise, que de vouloir destruire un nom ia long tẽps usurpé, a fin de ne troubler l’esperit de ceuls qui pour le commencement pourront trouver que cela soit trop dur, i’ay cherché les moyens pour le rendre plus facile a leur digestion. Mais avant que ie procede plus avant a son histoire, il m’a semblé n’en dire d’avantage, que ie n’aye premierement exposé d’ou viẽt la cause qu’il ait mué ce nom de Daulphin, & qu’on l’ait surnommé d’un autre. Car quand au Daulphin, il reste tousiours en son entier, & encore qu’on n’ait continué a le nommer Daulphin, & qu’il ait emprunté le nom d’un autre, qu’on luy a baillé indecemment, toutesfois i’espere en dire la raison presentement.

X.

La cause pourquoy le Daulphin a pris un nom barbare en France

C’Est que quand les pescheurs de nostre natiõ ont pris un Daulphin en leurs rivages en plaine mer, ignorants son nom Frãçois, & ne le sachants exprimer par le nom ancien, ils luy en ont baillé un barbare, qu’ils avoient apprins des estrangiers. Et les estrangers luy inventerent un nom comme ie diray. Car estant libre a toutes natiõs d’imposer les nõs aux choses qui leur estoiẽt vulgaires, quand elles n’en avoient point : ils les cherchoyent le mieuls a propos qu’ils pouvoient inventer, correspondants a la chose nommee : comme il est advenu a ce Daulphin. Car mesmement quand ils ont veu ce poisson dont ils avoient l’usage, estãt haché en pieces, estre sẽblable a la chair d’un porceau, ils luy ont voulu bailler une diction correspondante a cela, a fin qu’il tint le nom de la chose a laquelle il ressembloit, luy baillant son etymologie de la mer & du porceau. Ce furent premierement les hommes qui tiẽnent le langage du bas Alleman, & n’y a point de faulte qu’ils n’ayent eu ceste appellation avant les François, comme ie puis bien prouver par le nom qu’il retient pour le iourd’huy : & comme ainsi soit qu’il ne soit pas François, aussi est il emprunté du bas Allemã. Car d’une voix commune nous le nommons du Marsouin. Mais Marsouin est ce langage François ? Veritablement ie croy qu’il n’y a celluy qui ne sache bien que non. Et pource que peu de gents scavent qu’il soit Alleman, & qu’il signifie porceau de mer, ie l’ay voulu exposer ainsi, c’est que mer ou meer en leur lãguage, signifie en François la mer : & cheuein ou sauin signifie un porceau : tellement que quand lon cõioinct ces deus dictions ensemble, on prononce mer souin, mais les François dient marsouin, qui est a dire porceau de mer.

XI.

Que les Bretons Bretonnants nommants le Daulphin, aient ensuivy une mesme etymologie.

LES Bretons aussi, n’en exceptant non plus ceuls de L’armor que les autres de L’arguet, ne ceuls qui sont Bretons Bretonnants, non plus que ceuls qui sont surnommez Bretons Gallots, touts en leur language, & d’une voix commune l’appellent du Morhouch, & mesmement ils ont envoyé ce nom la iusques en quelques endroicts ou lon parle François, tellement que le Marsouin perd son nom, & se change en Morhouch des la ville d’Angiers, de Nantes, & autres villes voisines des Bretons, ou lon parle François : & le nomment du Morho, qui est nom signifiant ce que i’ay dict en Alleman, correspondant en François au porceau de mer. Car mor en Breton, est a dire mer : houch est a dire porceau, en sorte que ceste diction Morho signifie autant que Porceau de mer.

XII.

Que le Daulphin soit appellé en Angleterre de la mesme signification susdicte en language Anglois.

LES Anglois ont suyvi ceste mesme etymologie, le nommãts en leur vulgaire Porc pisch : ainsi que l’avons ouy nommer estants en la ville de Londres. Et traduict de mot a mot, au recit de plusieurs scavants medecins Anglois, & entre autres de monsieur Io. Watson, qui singulierement entre les autres est diligent a la contemplation de telles choses, signifie la mesme chose que i’ay dicte des autres nations.

XIII.

Que quelque fauls nom que le Daulphin tienne es autres nations, toutesfois elles le nomment en leur language, mais les François le nõment en Flament

LES Frãçois me semblent l’avoir nõmé le plus mal que touts. Car combien que ceste voix, Porceau de mer, ainsi prononcee en nostre langue, & en Latin Porcus marinus, conviẽne a un autre poisson qu’au Daulphin, comme ie diray cy apres : toutesfois il est plus tolerable aus autres nations qui le nomment en leur lãguaige vulgaire, que aus François le nommant de nom estrãgier. Les Anglois le nomment en leur language, & les Bretons aussi : mais les François le nomment d’un nom emprunté du language de Flament ou bas Alleman.

XIIII.

Que les Latins mesmes ont plus de mil ans usé de ce nom en leurs escripts, suyvant le vulgaire, pour exprimer le Marsouin.

QUI vouldroit tourner ce nõ de Marsouin, & le rendre Latin, on l’appelleroit Marsio quasi maris sus. Ou si nous le prononciõs Mursouin, ou Marsouĩ on l’appelleroit Mur syo, ou Mor syo. Car mesmement on lict diversement toutes ces deus dictions en Pline, qui au neufiesme chapitre du neufiesme livre, a descrit un poisson qu’il nomme Tursio en ceste maniere. Delphinorum similitudinem habent, qui vocantur Tursyones. Les autres exemplaires ont Torsyones. Et qui auroit changé le T, a une M, l’on prononceroit Mursyones, ou Morsyones, qui seroit a dire Mursoins, ou Morsouins. Or ce que les Latins ont appellé Tursyo, ou Torsyo, ie prouveray bien que les Grecs l’ayent nõmé Phocæna. Laquelle chose Theodorus Gaza n’a pas ignoré, lequel tournant Aristote de Grec en Latin, a receu ceste dictiõ Tirsyo, pour la Greque Phocæna, suyvant l’authorité de Pline. Car tout ce que Pline a escript de Tursyone, Aristote l’avoit dict de Phocæna. Nous parlerons de ce Phocæna ou Marsouin plus amplement en son propre chapitre. Parquoy ie retourneray a mon Daulphin.

XV.

Que le nõ du Daulphin, reste en la memoire des hommes, mais qu’il ne soit point de poisson qu’on cognoisse pour Daulphin.

ET combien que le Daulphin est indiscrettement nõmé Marsouin, & bec d’Oye : ie ne di pas qu’il n’y ait une voix de Daulphin, qui reste imprimee en la memoire des hommes, de laquelle touts se souviennent, & le scavent nommer & cognoistre en peincture & es armoiries, & es monnoyes tant d’or que d’argent, ou il est faulsement representé. Si est ce pourtant, que qui demanderoit a touts les pescheurs qui sont en la grande mer occidentale se ils cognoissent quelque poisson nommé Daulphin, touts asseureroient que non. Si est il toutesfois besoing qu’il soit un poisson tenãt le nõ de Daulphin. Et s’il y en est quelqu’un, il fault par cõsequent qu’il soit cogneu, & que soit celuy que i’ay dict, ou biẽ un autre. Et a fin de esplucher ceste proposition par le menu, & de la prouver par evidente demonstration, i’ay voulu proposer quelque contradiction.

XVI.

A scavoir s’il est point d’autre poisson a qui le nom de Daulphin cõvint mieuls qu’au Marsouin, surnommé une Oye.

VOulant prouver par demonstration que le susdict Marsouin nommé une Oye, soit le vray Daulphin, supposant premierement une cõtradictiõ par moymesmes, en apres i’auray deux choses a considerer. C’est a scavoir ou qu’il fault que ie me mette en effort & debvoir de prouver que cest celuy que ie di : ou biẽ chercher s’il s’en trouvera point d’autre que cestuy ci qui puisse obtenir le nom du Daulphin. La contradiction par moy supposee est telle. Ie pose le cas qu’on ne me veuille conceder, que ce soit luy, mais totalemẽt cõtredire a tout ce que i’en ay dict : scavoir est qu’on nie que le Marsouin qui est nommé Bec d’Oye, puisse estre celuy que les anciens ont entendu pour Daulphin, & que mon Oye ou Marsouin ne convienne non plus avec les peinctures qu’on a anciennement faictes des Daulphins, qu’avec celles qui nous sont represẽtees par les modernes : & semblablemẽt qu’il ne cõvienne en rien avec la descriptiõ des anciens. A quoy ie respondray pertinemment.

XVII.

A scavoir s’il est point prins de Daulphin en la grande mer Oceane.

AVant que respondre a ce que i’ay susdict, ie demanderay premierement s’il y a tesmoignage de quelque autheur, que la grand mer Oceane ne nourisse des Daulphins. L’on me respondra ouy, ou non. Et si l’on dict que ouy aussi fauldra il par consequent confesser qu’on en puisse bien pescher quelquesfois, tout ainsi qu’on faict des autres grands poissons qui y sont, veu mesmement qu’on y pesche de grandes Balaines, de grands Chauldrons, de grãdes Ondres. Si l’on me dict qu’on n’y en pesche poĩt aussi fault il dire qu’il ny en ait point. Car il est manifeste que toutes sortes de grands poissons y sont prinses & peschees. Et si l’on y en prend, qu’on ne face dire par quelquonques qu’on vouldra choisir des mariniers & pescheurs qui hantent la mer, ou par ceuls qui vendent les poissons es grosses villes, tant des rivages, que de terre ferme, de quelle forme est celluy qu’ils veulent entendre que ce soit le Daulphin. Desia ne peult on raisonnablement nier quil n’y ait un poisson naissant en la grand mer, qui s’apppelle Daulphin. Voila quant a l’un des susdicts poincts. Mais si l’on ne trouve personne de ceuls que i’ay susdict, qui ait souvenance d’avoir iamais veu un poisson qui s’appellast du nõ de Daulphin, & que i’entreprenne de le trouver, alors ce sera a moy d’en chercher un, lequel ie trouveray bien tost. Mais si on vouloit dire qu’il n’y en eust point, il me semble qu’on ne feroit pas peu de tort a nostre grande mer Oceane nourrice de toutes les especes de poissons, l’estimant tant sterile & infertile qu’elle ne produise point de Daulphin, lequel on estime le Roy des poissons. Ie croy toutefois qu’il n’est homme qui vueille nier qu’elle n’en produise. Et si elle en produict, aussi nous le fault il cognoistre. Mais cõme i’ay dict, ayant changé leur nom ancien, touts les nomment Bec de Oyes, ou Marsouins, comme i’espere bien prouver par ci apres. Voyla que i’avoye a respondre a ce que i’ay dict par ci devant. Ie ne me arresteray maintenant gueres sur la premiere question ce sera quand i’en bailleray la peincture. Car comme il soit manifeste que noz Marsouins qui sont surnommez Becs d’Oyes, conviennent en toutes sortes avec les notes qui furent iadis escriptes du Daulphin, laquelle chose ie pretens prouver en les descrivant, & conferant leur description tant de l’exterieure que de l’interieure partie : ie passeray oultre, laissant a conferer ce qui a esté escript par les anciens, iusques a la description du Daulphin, que ie remets aux chapitres a ce propres.

XVIII.

Que les peinctres peuvent dõner telle curvité que leur plaist aus Daulphins, sans leur faire rien perdre de la naifue figure du naturel.

QUant est a ce que l’Oye, ou marsouin, ne convienne avec les peinctures qui ont esté faictes anciennement des Daulphĩs, qu’on a gravé es monnoyes antiques : Avant que proceder plus oultre a toucher ce poinct ici, il me fault presupposer qu’on cognoisse bien le poisson dont ie vueil parler, scavoir est le Marsouin qu’on a surnommé Oye : & aussi qu’on sache bien quels sont les portraicts des Daulphins qui sont retirez sur les medalles, & statues, antiques, esquelles les Daulphins sont representez : car les uns y sont courbez, & voultez en arc, & les autres y sont touts droicts : desquels i’ay faict retirer les portraicts, tant des uns que des autres, a fin de monstrer que cela ne provient sinon de l’industrie du peinctre, qui le peult diversifier selõ que bon luy semble, ou qu’il plaist a celui qui les faict retirer : cõme lõ peult veoir par ceste presẽte figure retiree d’une ãtique peĩcture d’une statue cõtrefaicte aupres du naturel, laquelle toute courbee qu’elle estoit, n’avoit rien perdu de la symmetrie de la vraie proportion qui est requise a la grosseur & longueur du Daulphin.

Vray Portraict d’un Daulphin courbé, retiré de l’antique.

XIX.

Que les Daulphins ne soient voutez ne courbez nõ plus en la mer que sur terre.

I’AY biẽ voulu toucher un poinct de la courbure des Daulphins : Car quant a euls, ils ne sont pas courbez, comme on les met en peĩcture, & n’est aussi trouvé que Aristote ne autre autheur anciẽ digne d’estre creu, qui ait onc escript que les Daulphĩs soyẽt voutez. Et cõbien que Pline & Ovide ont dict dorso repãdo, ce n’est pas a dire que tout le corpz soit vouté, car il n’y ha que le dos. L’erreur vient dont ie diray : C’est qu’on les apperçoit souvent saulter en l’air & qu’en saultãt leur sault n’est pas de s’estancer en l’air droict contremont, ne aussi de retumber droict d’ou ils sont sortis, comme sont les Pelamides, & les Tons : mais c’est que quand ils viennent hors de la mer, poulsez de grande roideur, en se dardant impetueusement, ils sortent la teste la premiere : & quand ils retumbent, ils vont moult loing de l’endroict dõt ils sont issus, tellemẽt qu’ils retũbent si droicts sur le bout de la teste, que leurs queues demeurẽt quelque temps hors l’eaue. Et pource qu’on a veu, que leur sault ha faict la perspective d’un demy cercle, lõ a cuidé que celle rõdeur provint de la forme de leur corps : mais cela est fauls. Et qu’il ne soit vray, soit pris un baston pour exemple, & qu’un homme le iecte de la poincte du pied en l’air, & qu’il vienne tomber sur l’autre bout : ceuls qui serõt loing, l’auront veu prẽdre un tel tour de demy cercle, qu’il aura semblé que le baston mesme ait esté courbé. Et si les Daulphins estoiẽt courbez en la mer, aussi le seroient ils en terre quand ils y sont apportez. Ceci soit dict touchant de sa curvité. Les peinctres les peuvent bien peindre courbez, & leur peuvent faire retenir leur nayfue figure : mais toutesfois qui veult parler du naturel, il n’est nullemẽt courbé : chose que ie pourray prouver par moult grand nombre de Daulphins portraicts en plusieurs medalles fort antiques, tant en or, argent, qu’en cuyvre : qu’il a pleu a monsieur le tresorier Grollier me mõstrer, esquelles sont representez les Daulphins, dont la plus grãde partie sont touts droicts, comme nature les ha produicts.

XX.

Que les Daulphins representez es medalles antiques, conviennent de poinct em poinct avec le portraict du Marsouin surnommé Bec d’Oye.

EN allegant les medalles ou i’ay veu les Daulphins portraicts, ie ne pretens point enseigner, ne rendre la raison pourquoy l’õ y ait gravé ou peinct les Daulphins : comme quãd i’allegue pour tesmoignage celles de monsieur le tresorier Grollier, hõme singulierement diligent a chercher les choses antiques, & de plus grãde bonté de nature a les communiquer : mais pour mettre devãt les yeuls la naifue figure du Daulphin, qui en touts poincts convient avec le portraict que i’ay faict retirer quand i’ay representé les Marsouins surnommez Becs d’Oyes. Parquoy s’ils conviẽnent ensemble, nous aurons raison de conclure que soit une mesme chose. Car baillant la figure de l’Oye, il n’y a celluy qui ne la puisse conferer avec le naturel apporté de la mer : & ou il ne seroit trouvé estre son vray portraict, il y auroit occasion de me reprendre. Lequel portraict de l’Oye puis mis en cõparaison avec ceuls qui sont retirez de l’antique, monstrent a l’œil qu’ils aient estez retirez touts deux d’un mesme patron.

XXI.

Que les Anciens autheurs, approuvent que les Daulphins aient este gravez es monnoies antiques.

MAis quant a celles des medalles, ie croy qu’il n’y a celuy qui ne les vueille bien approuver pour peinctures de Daulphins. Car qui le vouldroit nier, il seroit facile de le prouver par l’authorité de Aristote & des autres anciens autheurs : eu mesmement que les Tarẽtins long temps avant la grandeur des Romains avoyent desia faict graver les Daulphins en leurs monnoyes, en memoire de Taras fils de Neptune, lequel on feinct avoir esté mué par les autres dieux en un Daulphin. De la vient que Taras fils de Neptune soit portraict sur un Daulphin, en la maniere de ceuls qui sont a cheval, tenants le Daulphin bridé, le cõduisãt la ou il veult. Voila quant aus Daulphins portraicts es mõnoyes des Tarentins. Semblablement le Roy Atis avoit un Daulphin gravé en les monnoyes, lequel portoit un petit garson dessus son dos. Aussi est il assez approuvé que Tite Vespasiã avoit en ses devises & medalles le Daulphin entortillé autour de l’Ancre, signifiant ce que disoit le proverbe ancien d’Auguste Cæsar, Festina lente. Car cõme il n’est oyseau en l’air, ne vire d’arbaleste qui soit plus impetueuse, ne qui puisse aller plus viste que le Daulphin, & qu’il n’est chose plus tarde & qui retienne mieuls que faict l’Ancre, tout ainsi ces deux Ancre & Daulphin assemblez ensemble estant de nature contraire, signifient quelques temperance. Voila quant aux Daulphins qui on esté portraicts es medalles de Tite Vespasien, lesquelles nous avons veu ou i’ay dict. Nous avõs aussi bien veu les medalles de Claudius Cæsar avec Neptune tenant un Trident, assis dessus un poisson, qui ha biẽ la semblance d’un Daulphin mais ie croy que n’est cellui que les autheurs nõmerẽt Orca, duquel ie bailleray la peincture par ci apres. Pline parlãt de ce poisson, racõpte entierement toute l’histoire faicte par Claudius Cæsar, lequel estant au port de Ostia, qu’il faisoit rediffier, en print une, dont il feit spectacle au peuple Romain. & croy que il l’ait faict retirer en ses medalles, & que ce soit elle qu’on y voit portraicte, & non pas un Daulphin : i’en parleray plus amplemẽt a la fin de ce livre en descrivant le poisson nommé Orca. D’avantage nous avons veu le portraict des Daulphins qui sont es mõnoyes d’Auguste, & Ruffus, Tybere & Domitien & Vittellius, qui sont toutes Latines. Mais encore oultre les Latines mon dit sieur en a des Greques, qui me semblent beaucoup mieuls observees que les Latines : & celles qui sont les plus antiques, sõt les mieuls elabourees, desquelles sont retirez ces presents portraicts.

Vray portraict du Daulphin retiré d’une antique medalle de monsieur le Tresorier Grollier.

Les Daulphins sont naifuement representez en ceste figure aussi est elle d’une tres antique medalle, laquelle mon dict sieur estime estre Greque. Il n’y a poinct d’escripture autour, aussi elle ne est pas en forme plane en la superficie du cõtour, comme les autres medalles, mais est rõde par les bords, & ha deux petites oreilles. C’est ce que i’avoye a dire touchãt les effigies des Daulphins que nous avons veus gravez sur diverses especes de monnoyes antiques, toutes lesquelles conviennent avec les peinctures de nostre Bec d’Oye.

XXII.

Que quelques uns aient eu opinion que l’Esturgeon fust le Daulphin : mais qu’il soit tout le cõtraire.

IE voy que plusieurs de ceuls qui sont admirateurs des choses naturelles, & qui ont grand plaisir en regardant de plus pres aus choses memorables, se complaignants quasi en euls mesmes, de ne veoir aucun poisson en France obtenir le nom du Daulphin, de ne pouvants iuger lequel ce pourroit estre, se sont efforcez selon l’imagination qu’ils en avoient conceve, de maintenir q’uil n’y eust point d’autre qu’on cogneust, a qui le nom de Daulphin peust mieuls convenir qu’a l’Esturgeon, & ansi s’estãts totalemẽt persuadez que l’Esturgeõ debvoit estre appellé Daulphin, l’õt affermé estre vray. Quãt a ce point, leur opiniõ est aisee a cõfuter : & pour ce faire ne vueil qu’une merque : c’est que nul poisson peult estre appellé Daulphĩ, s’il n’a la queue en maniere de lune en croissant : parquoy si l’Esturgeon estoit le Daulphin, aussi fauldroit il qu’il eust la queue en lune. C’est une merque que touts ceuls qui ont escript du Daulphin, ont mis en memoire, desquels il me suffit en prendre pour exemple en tesmoignage un seul Ovide, lesquel parlant des nautõniers Tyrrheniens, lesquels il feinct estre transmuez en Daulphins, dict

Falcata novissima cauda est,
Qualia dimidiæ sinuantur cornua lunæ.

Or l’Esturgeon n’ha pas la queue en lune, aussi n’est ce pas a luy a qui le Daulphin convient. Ie ne vueil pas parler de l’Esturgeon plus amplement, sinon que pour monstrer que nous n’ayons pas ignoré quel il est, & aussi pour mõstrer qu’en avõs la peĩcture. Et l’ay voulu faire mettre ici, a fin que ceuls qui estoient en ceste opinion, la changent avec une meilleure. Ce que ie nomme Esturgeon, a Bordeaux est nommé du Creac. Et combien que l’Esturgeon croisse en longueur excessive, comme estoit cellui qui fut apporté au Roy François a Montargis, lequel estoit long de dix-huict pieds, ce neantmoins il n’estoit pas Daulphin pour cela.

La vraie peincture de l’Esturgeon.

XXIII.

Que plusieurs aient estimé que l’Adano, qui est moult grand poisson, nourri au Pau estoit le Daulphin, & qu’il soit tout le contraire.

IL n’y a celuy qui ait leu l’histoire du Daulphin qui ne sache biẽ quil ait le nez fort long. Et pource que l’on trouve un poisson nommé Adano en la riviere du Pau de moult grande corpulẽce, beaucoup plus grand que l’Esturgeon, & qui est du genre de l’Esturgeon, plusieurs ignorants son nom ancien, ont eu opinion que c’estoit le Daulphin : mais il s’appelle Attilus. Et a fin que quelque autre ne pensast que ce fust un Daulphin, i’en ay aussi voulu bailler la peincture avec son vray nom. Ie n’en bailleray pas la description en ce lieu, d’autant qu’il ne se peult referer en rien qui soit des especes du Daulphin. Et n’ay baillé la peincture sinon pour tesmoignage contre les faulses opinions qu’on avoit du Dauphin.

La portraicture du susdict poisson de desmesuree grãdeur, nourri en la riviere du Pau, nommé Attilus.

XXIIII.

Que le Ton, encor qu’il soit de grande corpulence, & qu’il ait la queue en Lune, il est toutesfois different au Daulphin.

SEmblablement le Ton estant moult grãd poisson, aiant quelque sẽblance avec le Daulphin, ha dõné occasiõ a plusieurs qui ne le cognoissoyent pas, de le soupsonner pour Daulphin. Mais a fin d’en oster l’erreur, i’en ay voulu bailler la peincture, & au demeurant n’y mettant rien de sa description, car ie ne pretẽs mettre chose par escrit en ce livre, qui ne convienne a l’exterieure & interieure histoire du Daulphin.

La peincture du Ton.

XXV.

Que le nom de Marsouin convienne a plusieurs poissons, selon la commune appellation vulgaire, & la rasion pourquoy le Daulphin se nomme une Oye.

AYant proposé de n’oublier rien de ce qui appartient a l’histoire du Daulphin, ie ne puis bonnement ce faire sans y comprendre maintenant les autres poisson qui sont de mesme espece, lesquels doibuẽt estre nombrez en son genre. Car l’appellatiõ du nom de Marsouin est generalle a plusieurs poissons. Parquoy ayant mon principal poinct pour but qui est de bailler la vraye peincture du Daulphin comme nature la produict, sans luy adiouster note ou merque qui soit artificielle, ou diminuer, & a fin de prouver que celuy qui entre les especes des Marsouins est nõmé une Oye, soit le Daulphin, il fauldra premierement entẽdre, que nous avons deux poissons assez communs, & qui sont quasi apportez touts les vendredis aux marchez des poissonneries des grosses villes, & principalement de Paris, ressemblants l’un a l’autre, indifferẽment nommez Marsouins. Mais entre euls il y en a l’un qui particulieremẽt est nõmé Bec d’Oye, ou Oye : lequel n’est pas du tout si cõmun qu’est l’autre espece : qui pour avoir le nez plus lõg, ha trouvé distinctiõ d’avec l’autre Marsoui. Et cõme les Genevois ont nõmé le Singe de mer Pesce pada, pource qu’ils luy veoiẽt sa queue faicte a la maniere d’une espee platte : semblablemẽt & par argumẽt pareil le Daulphin, aiãt le nez lõg, ha prins le nom d’une Oye. Et le poissõ nõmé Xiphius qui ha le nez lõg, cõme une espee d’armes, dont il ha gaigné son appellation Greque & Latine, sẽblablement ha esté nõme a Marseille & a Genes le poisson Empereur. Ie di a Genes estre nommé Empereur, a la differẽce des susdicts Singes de mer, qui ont une queue moult lõgue cõme une longue espee platte, par cela ils l’appellent Pesce spada, y de en Frãçois poisson a l’espee. Mais le Xiphius, auquel les François ont veu porter le nez si long, a esté par euls nommé Heron de mer. Aussi pour ce qu’il y ha une des especes du susdict Marsouin, qui ha le nez long a la façon d’une Oye, sẽblablement ils l’ont nõmé une Oye. Voila que i’avois a dire de la susdicte Oye & de ce qui ha meu les Frãçois a luy avoir baillé ce nõ. C’est une note infallible : pour scavoir biẽ distĩguer l’un d’avec l’autre, & de laquelle Aristote au iiiie. des parties ha faict mention. Car il ha dict en cest endroict la que le Daulphin ha le bec lõg & rõd, Quũ rostrũ Delphino (dit il) structura tereti ac tenui sit, facile scĩdi in oris habitũ nõ potest. Voila quãt a la premiere espece des Marsouĩs & la principale de toutes les autres, car c’est celuy qui est le vray Daulphin. L’autre espece de Marsouin, dict en Grec Phocæna, en Latin Torsyo, & duquel la cognoissance est plus vulgaire, & qui tient le vray nom de Marsouin est semblablemẽt appellé marsouin comme l’autre dessus dict, n’aiant en toutes sortes autre surnom François. Encor y a une autre tierce espece de Marsouin, dont i’ay semblablemẽt retiré la peincture, qui est un poisson que ie n’ay pas veu souvent trouve en commun usage. Et pource que i’en bailleray la description ailleurs ensemble avec la peincture, i’ay remis toutes choses a les specifier en leur chapitre. Ceste espece est seulement differente en grandeur aus deux premieres, & en quelques autres particulieres merques & pource que ie diray toutes les differẽces des trois en leurs particuliers chapitre ie cesseray den parler presentement car il fault que ie baille premierement leurs distinctions par noms propres.

XXVI.

La distinction de leur nom, & que l’Oye soit le Daulphin & que le Marsouin soit de son genre.

PUis donc qui’l est ainsi, que les Daulphins & les Phocenes fõt communeement nommez Marsouins, & qu’il n’est aucun poisson que nous cognoissons pour Daulphin que les susdicts, & qu’il n’y en a aucun de touts les autres qui iustement puisse tenir le nom de Daulphin que le Bec d’Oye, il m’a semblé bon apres que i’en ay baillé des portraicts retirez de l’antique, pour conferer avec l’Oye, en bailler consequemment la peincture, n’en faisant autre discours que cellui que i’ay peu observer sans faire amas des escripts de l’autruy, sinon en tant que ie m’en serviray a quelque propos qui puisse estre seãt a la distinction des susdictes especes. Car nommant le Daulphin, il fauldra entẽdre de l’Oye. I’ay mieuls aimé retenir la diction du Daulphin tant ancienne, que le nommer du nom de Bec d’Oye. Et a fin que le nom du Marsouin ne soit confus, ie l’escriray, pour exprimer le poisson que i’ay dict estre nommé en Latin Mirsyo, ou Tirsyo, & Phocæna en Grec & ainsi par ce poinct on n’engendrera point de confusion aus especes.

XXVII.

Qu’il ne soit moderne de veoir l’engraveure des Daulphins sur les monnoies.

APres que i’ay suffisamment parlé des Daulphins qui sont portraicts es monnoyes antiques, i’ay voulu consequẽment parler de ceuls qu’on voit gravés es monnoies modernes, desquels il est tout manifeste que la peincture en est faulse. Dõcques ce n’est pas chose moderne de veoir les Daulphins retirez en peincture & en armoyries, enseignes, ou sculptures des monnoies, & autres engraveures, en toutes especes de metauls. Car des le temps des plus anciens Troyens, Telemachus qui fut fils d’Ulysses (ainsi que Guido de Colona a escript en l’histoire de Troie) portoit un Daulphin peinct en son escu, en l’hõneur de celui qui l’avoit sauvé du peril de la mer. Et cõme i’ay dict de Taras qui fut lõg tẽps avant la puissance des Romains, les Tarentins l’avoyent retiré en leurs armoiries & monnoyes. Atheneus autheur Grec & Valturnus de rebus Britonum escrivent que Cæsar donna un Daulphin au seigneur du Daulphiné pour ses armes, en remuneration de ce qu’il luy avoit aydé en ses guerres cõtre les Gaulois, ie n’en diray autre raison sinon que Cæsar n’ignorant pas la nature du Daulphin, ne aussi le cœur du dict seigneur, le trouva digne qu’il portast un Daulphĩ pour armes. Et tout ainsi que le Daulphin ha dõné nom a la region qui est maintenant nommée le Daulphiné, pareillement le Daulphiné ha donné nom au fils aisné de France. Et en luy donnant ce nom, aussi elle luy ha baillé un Daulphin pour armoyries, desquelles armoyries ie ne pretens aucunement parler, sinon d’autant que le Daulphin tient le premier lieu es armes en icelle & aussi que monsieur maistre Iean le Feron, n’a rien obmis touchant ceci, qu’il ne l’ait amplement escript en ses livres d’armoyries.

XXVIII.

Que les peinctures modernes des Daulphins, ne tiennent rien du naturel ains representent un monstre de mer.

SI les Princes modernes faisãts engraver les Daulphins en leurs monnoyes, ou bien peindre en leus armoyries, eussent eu aussi grand soing de laisser memoire d’euls a la posterité, comme eurent ceuls que i’ay ici dessus nommez, ils eussent ensuyvi de plus pres la vraie peincture du Daulphin, & l’eussent faict representer au naturel dont il est moult esloigné. Car au lieu de le representer on a mis un monstre en peincture, qui ne fut iamais veu, auquel on faict porter des escailles, & plusieurs arestes crenelees par dessus le doz, & aus deux costez des ouyes, & plusieurs barbes pendãtes par dessoubs la gorge, cochees a la façon d’une creste de Coq : choses totalement fauises & estranges a ce poisson, & qui me sẽblent estre moins seantes, qu’il ne seroit convenable a la dignité du Prince, veu mesmement qu’on en eust bien facilement peu recouvrer la peincture. Car (comme i’ay desia dict) il n’y ha habitant au rivage de la mer Adriatique ou Mediterranee, qui encore pour le iourd’huy ne retienne l’antique appellation de Daulphin. Ie scay bien dont vient la faulte. C’est qu’il est advenu en sa peincture tout ainsi comme a ceuls qui faisoyent peindre les Aigles de l’Empire. Car comme les peinctres sont curieuls de monstrer leur artifice, & de faire mieuls apparoir les traicts de la peincture, aussi ont ils adiousté quelques ornements a cest Aigle pour la faire mieuls complaire a la veue, attendu mesmement que les peinctres l’estudient de bien remplir le champ de couleurs. Laquelle chose a esté de si long temps continuee, que cela est non seulement es peinctures des Aigles en forme plane, mais aussi es graveures, tant sur bois, marbres, que metail. Et tellemẽt leur ont desguisé les testes, & faict diversemẽt retourner les plumes, qu’elles ne retiennent quasi plus rien de l’Aigle.

XXIX.

Quelle raison ont eu les peinctres de desguiser le Daulphin, & luy faire perdre sa forme.

DE semblable occasion a esté desguisé le Daulphin cõme l’Aigle, lequel combiẽ que nature l’avoit fabriqué, sans luy avoir donné beaucoup d’ornements de beaulté, l’ayant seulement composé tout d’une venue comme une cheville, couvert d’une peau polie resemblant quelque cuir, sans escailles, n’aiãt point d’autres belles couleurs qu’on voit en plusieurs autres poissons, & n’aiant rien que du noir & du blanc. Ce neantmoins les peinctres de leur authorité luy ont adiousté quelque chose de leur artifice, le retirants en portraicture, estimants que s’ils suyvoient le naturel, la peincture en seroit mal plaisante a la veue. C’est la raison pourquoy ils luy ont changé sa figure, tellement qu’il ne retient note quelconque qui se puisse attribuer au naturel, & n’ha merque sur soy en quelque sorte que ce soit, qui ne soit faulse : ou bien il le fault prendre pour un monstre contrefaict a plaisir, qui n’est en estre, & qui ne fut iamais veu d’aucun. Estant donc si advancé en ces monstres, ie vueil monstrer que toutes manieres de gents ont indifferẽment permis qu’on leur ait portraict des monstres, qui iamais ne furent, ne sont ni ne seront.

XXX.

Qu’on ait grandement abusé en peignant les poissons sur les cartes, & que l’ignorance des hommes soit cause que plusieurs mõstres de mer aient esté faulsement portraicts sãs aucun iugement.

L’Evident erreur de plusieurs hommes ignorants l’artifice de nature ne me permet passer oultre sãs m’esmouvoir, & les toucher de leur temerité. N’est ce pa une faulte digne de reprehension, de les veoir mettre tant de monstres marins en peincture, sans avoir discretion ? Inconstants espris, que ne considerent ils qu’il y a perfection en nature ? Voulants donc peindre & representer les choses naturelles, ne peuvẽt mieuls faire que suyvre le naturel. Et si ils ignorent la chose pourquoy la seignent ils ? Qui est cause de si grand erreur, sinon leur folie ? Qu’on voie les peinctures es cartes marines, combien leurs monstres sont esloignez du naturel. O quels estranges poissons marins ? Qui est celuy qui ne sache bien que les noms des animauls terrestres eurent anciennement leur appellation tant en Grece que ailleurs avant les marĩs. Par cela la plus grande partie des poissons marins prindrent le nom des animauls terrestres. Et fault ainsi entendre que les marins eurent le nom des terrestres, mais que ce fut par quelque accidẽt. Qui est celui qui ne cognoisse bien le Lievre terrestre ? quelle similitude ha il avec le marin ? Nous l’avons veu & manié tant en la mer, que dehors, mais il n’a aucune semblãce avec le terrestre. Semblablement le Regnard de mer qu’a il de commun avec celuy de la terre ? nulle certainemẽt, sinon au goust, & en couleur. Aussi le Singe de mer & le terrestre ont bien quelques merques qui les sont estre communs, mais au reste ils ne se ressẽblent pas. D’avantage qui est celuy qui ne sache cognoistre l’Ours de la terre ? & toutesfois qui luy mõstreroit l’Ours de la mer, il auroit beau songer avant qu’il devinast son nom, car il est semblable a un homar, sinon qu’il n’ha point de forces, non plus que la saulterelle de mer que ceuls de Marseille nomment une Languste. Oultre plus ie croy qu’il n’y ait hõme qui ne cognoisse un Chien de mer, car il retient son nom par toute la France : & toutesfois il ne ressẽble pas a un Chien terrestre. Quant a ce point, ie n’entens pas de ceuls qui de nostre cognoissance furent mis es estangs de Fontainebleau, & de Chantilli, qui tuoien tout le poisson de l’estãg, tellement que monsieur le Connestable, fut contrainct de les faire tuer a coups de traicts, & d’arquebuses, mais ie parle de ceuls qui sont communs par noz poissonneries, qu’on nomme vulgairement Chiens de mer, & desquels nous avõs encor pour le iourd’huy toutes les quatre especes que descrivit Aristote, & qui sont cogneus par les marchez des villes. Mais non par nom propre car ceuls qu’il nomme Spinaces, Nebrides, Caniculas, encores qu’elles soient toutes apportees de la mer, toutesfois on ne les distingue point a Paris, Rouen, ne es autres villes de l’Ocean : comme a Marseille car Nebrides ou bien Hinnuli sont appellees Nissoles, en provensal, & Canicula un Palumb, & Stellaris un Gat, qui est ce qu’on nomme une Roussette : aussi est ce le Chat de mer, que touts scavent cognoistre, & Spinaces & sont nommez Esgullats. Et le Homar n’est ce pas le Lion de la mer ? Et le Mulet de mer, encor qu’on le nõme de ce nom la, il n’ha aucune merque cõmune avec le terrestre, non plus qu’un Asne ha avec le Merlus : car le Merlus est l’Asne de mer, mais entendez que ce soit le Latin : car Asellus est un Merlus : & qui tourneroit Asellus, on le nommeroit un Asne de mer. Ie croy veritablement que si ie vouloye proceder oultre, que i’en trouveroye encor a nombrer deux fois autant desdicts poissons en la mer que i’en ay desia nommé, lesquels retiennent leurs noms des bestes terrestres a quatre pieds. Et au reste pour n’estre point distraict si loing de la matiere que ie pretens traicter, mais touchant legieremẽt plusieurs qui tiẽnent leurs nõs des oyseaux, cõme sont Corbeaux, Merles, Estourneaux, Grives, Hirondelles, Milans, Grues, Cigalles, & plusieurs autres sẽblables qui sont nommez du nom d’oyseaux & autres bestes terrestres, comme aussi ceuls qui ont trouvé leurs noms des choses a quoy ils ressembloiẽt comme est celuy qui a le nom d’une cheville ou scalme nomme Sphiræna que ceuls de Marseille nommẽt pes escome ou bien des signes celestes, Soleil, Lune, Estoilles : ou des fruicts qui sont sur terre, cõme Concõbres, Raisins, & Orties de mer : desquels ie me tais maintenant, remettant a les specifier ailleurs en chasque chapitre particulier. Touts lesquels nõs leur ont esté baillez pour quelque occasion. Car les accidents sont cause de cela. Les autres retiennent les noms de leur demeure, cõme ceuls qui habitent entre les rocs & lieux pierreux, on les a nõmez saxatilles. Les autres ont esté nommez des noms, ou ils font leur residence : comme ceuls qui frequentent les rivages sont appelles Littorales, au contraire des autres, qui se tiẽnent en la profõ de mer, qui ont nom Pelagii. Les autres ont leur nom des maladies dont lepras ou lelepris en fait foy, ou leprades, qui vault quasi autant que qui diroit Psorades. C’est un poisson ainsi appellé pource que la couleur de son escaille est semblable a ceuls qui ont la maladie nommee Psora, qu’on nomme en François le mal sainct Main. Telle maniere de poisson a Paris est appellé une vieille. Il y en a encor d’autres qui ont la couleur si elegante, qu’il n’y a papegault ne paon qui l’ait plus vive, ne plus belle. Et si lon a nommé quelquefois un poisson de ce nom de Paon ou Papegault, ce n’est pas a dire pourtant, qu’il doibue resembler un monstre en la mer qui fust de la forme d’un Paon terrestre. Un poisson d’excellente beauté fut quelques fois apporté par singularité a un grand personnage a Paris, que ie ne vueil nommer, lequel pource que touts le voiants d’une couleur si exquise, le nommoient Daulphin, mais c’estoit un poisson saxatile nommé un Paon, lequel ceuls de Marseille appellẽt un Roquau, & a Genes Lagione, a Rome Papagallo, a Venise Lambena. Ie l’appelle Paon car ie trouve que les autheurs Latins l’ont appellé Pavoun qu’ils avoient retenu du Grec, a la difference du merle qui est nommé Cossifos, mais pour ce que les noms susdicts sont diversement attribuez aus saxatilles comme au Sanut, a la Tanche de mer ou Phycis a la Canadelle, a la Cannerelle, a la Dõselle c’est a dire Iulis qu’on nomme Zigurelle, & au pic ou pivert, & que les Romains font distindiõ du Papegault au Paon : & qu’on ne suict point si exactement ceste difference a Venise, i’en ay bien voulu bailler la peincture.

Le portraict du Paon de mer.

Il n’y a persõne qui ne cognoisse bien la Vive, que les Grecs ont autres fois nommee Dragon de mer, & encor maintenant elle est nommee en Latin de ce nom la : & toutesfois elle ne resemble en rien au Dragon, sinon aucunement en couleur. Ceuls qui ne l’avoient pas entendu, nous peignoient des Dragons faicts a plaisir, tels que sont ceuls que nous voions cõtrefaicts avec des raies desguisees, a la façon d’un serpent volant. Il y a encor plusieurs autres poissons, qui ne tiennent sinon que bien peu de la tache qu’on leur attribue des choses dont ils tiennent les noms. Quelle similitude de Cithara ou Harpe ha Citharus, pour estre ainsi nommé, & dedié au Dieu Apollo ? Les uns le nõment Cantarus : les autres, comme a Marseille encor pour le iourd’huy, le nomment Pesce cantena. Il ne scait chanter, & n’ha la similitude de vaisseau cõme son nom en Italien le porte, car tout ainsi qu’ils le nomment una cantara aussi nomment ils un vaisseau a tenir du vin, un Cantaro. Mais quãt aus Françoys ne sachants ne d’Apollo, ne de Cantaro le nommẽt une Bremme de mer, a la similitude d’une Bremme d’eaue doulce. Car le voiants ainsi large, ils luy ont baillé ce nom la qu’ils scavoient de l’autre a qui il est moult semblable. Les Romains le nomment Zaphile, ceuls de Genes una tanua & les François une Bremme de mer : du quel poisson la presente est la vraie peincture.

Le naif portraict de Citharus vulgairement nommé Bremme de mer.

Qui vouldroit diligẽment chercher raisõ pourquoy nostre Brẽme de mer ha esté nommee Citharus, ie n’en scaurois autre chose qu’en dire, sinon qu’elle ait des lignes le long de ses escailles a la maniere d’un poisson nommé Salpa : lesquelles peuvent representer quelque semblance des cordes tendues en long, ressemblant la harpe d’Apollo. Ceci soit dict par maniere d’acquit en passant, d’autant qu’il me feroit difficile d’en trouver autre raison a dire. Mais pour ce que ce poisson Citharus a quelque affinité en diction avec Lyra & aussi qu’il y ait un autre poisson qui est particulierement nommé de ce nom, il m’a semblé bon en toucher quelque mot & en bailler la peincture. Car la Harpe & la Lyre dont ces deux poissons ont pris leur appellation, estants instruments de musique differents l’un a l’autre, que les Grecs ont aussi nommé separement, a fin que l’affinité du vocable de Cithara & Lyra ne trõpast le lecteur, prenant l’un pour l’autre, i’ay aussi baillé la peĩcture du poisson nommé Lyra. Lequel fut ainsi nommé pource qu’il ha le nez a la façon d’une Lyre instrument musical. Ceuls de Marseille l’appellent Malarmat, quasi mararmat. Ceuls de Genes le nomment Pesarmato, & veritablement c’est a bon droict, car il est tellemẽt armé tout autour du corps d’escailles poĩctues, qu’il sẽble estre tout d’os. C’est la cause pourquoy on luy ha baillé le nom de Holosteos. Il est si rare a Venise, qu’ils n’en voient poĩt du tout, & si frequent a Rome, qu’ils l’ont touts les iours en leur poissonnerie, & le nõment Pesce forcha, car il ha le bec long & fourchu comme une fourche : au reste il est sẽblable a un Gournault, Tumbe, ou Rouget. Et ce que nous appellõs Gournauts ou Rouget, les Romains les appellent Capons. Par ainsi Paulus Iovius escrivant des poissons Romains, a mis cestuy ci avec le Capõ, c’est a dire Gournault. Reperiuntur (dit il) & alii Capones, qui bifurcata habent rostra, & dorsum osseis squamis armatum, quos in genere Caponum piscatores ipsi mares esse testantur. Voila tout ce qui en a esté escript, sinon que on l’a aussi mis au nombre de ceuls qui font quelque son ou voix quand on les pesche.

La peincture du poisson nommé Lyra.

XXXI.

Que nature ne produit rien en quelque element que ce soit, qu’elle ne pourvoye premierement a ce qu’il fault pour le nourrir : & qu’une chose rare, encor qu’elle soit inutile, est tousiours estimee.

MAis pour parler des choses que nous estimõs admirables en nature, nous les trouvõs plus rares d’autant qu’elles nous sõt moins communes : & par consequent elles en sont d’autant plus estimees. Car cõme ainsi soit que nous voiõs quelques endroicts non seulement en la terre, mais aussi en touts autres elements ou nature produist quelque chose particuliere qu’õ ne le scauroit trouver ailleurs, semblablement les hommes la reçoipuẽt d’une particularité speciale, attribuãt tel douaire a la vertu singuliere du lieu qui l’a produicte : & pour exemple mettãt les mines de divers metauls ou biẽ diverses especes de pierreries, qui ne se trouvent qu’ẽ un endroict, les hommes le referẽt a ce que i’en ay ia dit, comme aussi les Serpents produicts es deserts, esquels combien que la terre soit sterile pour autres animaux terrestres, toutesfois nature leur a dõné abõdant pasturage a leur nourriture, en sorte que qui les transporteroit ailleurs ou la terre seroit fertille pour autres animaux, toutesfois on la trouveroit sterile & mal consonãte a leur naturel. Pareillement la mer est en quelques parts fertile d’une herbe, qui ne croist point ailleurs : aussi nourrist elle quelque poisson qu’on ne voit point autre part. Pour exemple de quoy ie prens le Scarus, lequel ie n’ay iamais trouvé es rivages de Crete, sinon en celle partie qui regarde le levant : car la mer n’engendre point de l’herbe dont il se nourrist sinon en cest endroict la. Aussi la mer produict un Serpent qui n’est pas terrestre, mais est Serpent de mer, lequel ie di estre si rare, qu’il est peu de gents qui le aient veu. Et pource qu’il est rarement prins en toutes mers, il m’a semblé estre tant plus digne d’estre adiousté en ce lieu. S’il estoit des especes des poissons que i’ay descripts par le menu, ie le descriroye semblablement. Mais le mettant ici comme chose hors de mon propos, il me suffit d’enseigner par sa peincture, que c’est luy dont Aristote ha parlé en le nommant Serpent de mer. Et a dire la verité, encor qu’il soit bon a manger comme un Congre, ou une Murene, Anguille, Lamproie, & Gallee, toutesfois le commun peuple le voiant si approchant du Serpent terrestre, l’ha en horreur, comme s’il n’estoit pas poisson, & faict difficulté d’en menger, lequel i’ay faict peindre en circuit, car autrement ie n’eusse sceu exprimer sa longueur.

La peincture du Serpent de mer.

XXXII.

Que le nom de Marsouin ne signifie sinon Porceau de mer, & que le Porc marin ne soit pas le poisson que nous appellõs Marsouin.

POurce que i’avoye au paravant escrit, que ce mot Marsouin rendu en nostre lãgue, ne signifie autre chose qu’un Porc marin, & qu’il y avoit d’autres poissons en la mer ausquels il convenoit, il ma semblé necessaire d’en bailler la peincture, en prouve de ce que i’en ay desia dict. Mais le nom de Porc marin n’ha pas esté constant & arresté a un seul poisson, car plusieurs ont obtenu ce nom selon diverses regions, comme est advenu a Constãtinoble en nommant l’Hippopotamus, que les uns nõmoyẽt le Porc marin, les autres le Bœuf marin. Semblablemẽt Nicander escrit au livres des lãgues, que le Congre, & celuy qu’ils nõmoyẽt Grillus, c’est a dire une Lotte de mer, estoit appellé Porc marin. Ie le puys aussi prouver, par ce que Pline a escript du Mario, disant ces mots In Dannubio Mario extrahitur, porculo marino simillimus. Les Veniciens ont aussi un poisson en commune appellation, qu’ils nomment une porcelette diminutif de porceau, laquelle est de moindre corpulence que l’Esturgeon, & croy que soit le poissõ qui anciennement estoit nommé Acipenser, car ie n’en cognois point d’autre qui soit en forme triãgle que ceste porcellette la. Plusieurs autres nations ont aussi des poissons qu’ils nomment du nom de Truye, comme a Milam ils ont un petit poisson semblable a la Scardola que les Milanois (parlants leur vulgaire) le prononcent une Trueue qui est a dire une Truie. Pareillement les Marseillois en ont aussi un qu’ils nomment une Truega, c’est a dire une truie qui est le mesme poisson que ceuls de Grenes nomment un rotulo, & a Venise pesce San Piero, & a Paris une Doree. Doree i’entẽs a la difference de celle qui est nõmee Aurata, laquelle l’on ne voit point a Paris. Strabo aussi nõmant les poissons du Nil en ha appellé un Porcus. Ce poisson nommé Porc marin n’a point esté autrement exprimé des Grecs, sinon en tãt que Aristote en ha cogneu un qu’il ha nommé Aper, c’est a dire Porc sauvage, ou Sanglier, lequel il nomme en sa langue Hys, c’est a dire Sus, & en Françoys Porceau, duquel i’ay aussi voulu bailler la peincture.

Le portrait du poisson nommé Aper, autrement nommé le Sanglier.

Ce Sanglier icy n’ha pas les escailles comme ont les autres poissons : car il ha sa peau si rude, qu’on en pourroit polir du bois, cõme l’õ faict de la peau des Roussettes, des Singes marĩs, des chiẽs des Lamies, & Amies, & Regnards de mer. Car mesmemẽt le poisson que quelques uns avoient par ci devãt descript pour Aper, est le Regnart de mer. Ce Sanglier est un poisson assez hardi a combatre ses ennemis, car en oultre ce qu’il ha bõnes dẽts, & l’escorce dure quasi comme cuir, il ha aussi des aguillõs dessus son doz, qui sont fort aspres & robustes. Il ha les ouies cachees dedens, comme la Murene, qui fut une cause que ie pẽsasse quant ie le trouvay la premiere fois, que ce fust l’Exocetus, mais i’ay depuis trouvé Exocetus qui est semblable a Glinos. Ce Porc sãglier ici est rare a trouver, parquoy l’avons seulement veu pẽdu es eglises rẽpli de bourre, comme a Ragonse. Au reste, ceste peincture a esté retiré du naturel, dont ie n’ay voulu nonplus parler qu’il a esté besoing de dire pour faire entendre qu’il avoit nõ Aper, c’est a dire Porc sauvage, duquel la grandeur vient a estre en comparaison a la Carpe. Il m’a semblé que il me cõvenoit bailler toutes les susdictes peĩctures pour demonstrer l’erreur de ceuls qui peignoient des mõstres contrefaicts a plaisir. Or laissant ces mõstres contrefaicts a plaisir, avec les inventeurs de tels portraicts faicts sans consideration, ie retourneray prendre mon propos que i’avoye encommencé, poursuivant l’histoire du Daulphin.

XXXIII.

Qu’on ha attribué plusieurs merques au Daulphin, qui sont faulses.

SUyvant le propos de ce qui ha esté faulsemẽt attribué au Daulphin, il reste que ie declare quelques notes, en son exterieure peincture, qui luy ont fabuleusement esté adiugees, a fin que quelque autre ne les ensuyve. Et pource que ie les ay observées de biẽ pres, & regardé attentivement, & que ie n’ay onc trouvé une telle note qu’est celle que aucuns luy ont voulu attribuer, ie l’ay biẽ bien voulu declarer, a fin de la reprouver. C’est que quelques uns veulent qu’il ait un aguillon caché dedens son fourreau en l’arreste qui est dessus son doz, & que d’icelle il tue le Crocodile dedẽs le Nil : & aussi que le petit garson d’Iasso qu’il aimoit tant, se tua par erreur, s’estant picqué du susdict aguillon en tumbant dessus & rencontrant l’espine qu’il se ficha dedens le corps. Lesquelles choses sont dicts sans consideration, qui sentent plus la fable que quelque apparẽce de verité. Ie ne nie pas qu’il ne puisse estre vray, touchant son amour & celle du petit garson de Iasso : mais il ne peult estre vray qu’il y ait un aguillon sur son dos, car Aristote n’en ha onc parlé & luy qui en ha escript si amplement, ne l’eust pas laissé en arriere, s’il y en eust eu quelqu’un : & aussi que l’experience en fait foy, veu mesmement qu’en une telle difficulté, l’œil en peult donner certificatiõ quãd lon ha la chose devant soy. Ie ne puis aussi convenir avec plusieurs qui ont escript que les Daulphins saultants par la mer, font un presage annonceant la tempeste advenir. Ceci soit dict saulvant l’honneur de ceuls a qui il est deu. Mais il me semble qu’ils se sont trompez en ce cas la. Car i’ay expressement observe maintes fois en plusieurs voyages, que les Daulphins alloient aussi bien avec le vent, que contre le vent, & qu’ils se monstroient aussi bien quãd la mer est esmeue en tempeste, que quand elle est tranquille & sans vent, chose qui appert quand les Daulphins se monstrent en l’air pour respirer hors l’eaue, laquelle chose ils fõt aussi bien apres le mauvais tẽps, que durant la tempeste, & semblablement aussi bien devãt comme apres, car les Daulphins ne peuvent vivre en la mer sans respirer.

XXXIIII.

Qu’il soit vray que les Daulphins aydent grandement aus pescheurs qui peschent a la traine.

QUant aus autres histoires fabuleuses qui ont esté recitees des Daulphins, ie n’en eusse pas escript un mot, si ie ne les avoye ouy n’a gueres racõpter en Grece. Car le commun peuple en retient encore pour le iourd’huy plusieurs qui ont esté anciennement racõptees, & qu’on trouve maintenant escriptes. Et touchant celle qui a esté dicte, qu’ils donnent grand secours a ceuls qui peschent le poisson, & qu’il leur aydent a le mettre dedens les rets, & en recompanse qu’ils participent du butin qui est departy entre euls. Quant au premier, ie trouve bien qu’il soit vray semblable, mais (comme ie diray cy apres) cela adviẽt par accident, de laquelle chose ie puis porter tesmoignage de l’avoir veu en plusieurs lieux, & divers ports, & plages de la mer. Ie me suys trouvé en compaignies de plusieurs gents que ie pourroye bien nommer, & entre autres de Benigne de Villars appoticaire de Diion, qui d’une observation expresse avons eu souventes fois plaisir en plusieurs Isles d’Æsclavonnie & de Grece, regardants venir les Daulphins de plaine mer, quelquefois en compaignie, les autres fois deux a deux. Car ils s’acouplent masle & femelle, sans se laisser iamais l’un l’autre, & n’allants point seul a seul. Lesquels en faisant la chasse en la spacieuse campaigne de la mer. Apres que d’une grande industrie ils ont reduicts plusieurs petits poissons des lieux descouverts en la mer & contraictns & serrez en quelque destroict, ou es endroicts de la mer qui ne sont pas parfonds, cognoissants les estres des rivages, a lors entrent avec une impetuosité sur celle multitude, ils se paissent indifferemment tant de l’un que de l’autre. Et si ils se trouvent dedens quelques compaignees de Selerins, ou de Sardines, d’autant qu’elles sont si especes qu’elles s’entretouchent en la mer, ils en font si grand degast, n’en mangeants que la teste, ne faisants estime du reste des corps. Qui est chose qu’on cognoist a les trouver flottants sur l’eaue, en grande multitude ou bien deiectez es rivages en grand nombre. Mais les autres paouvres poissons qu’ils ont ainsi reduicts par les destroicts, en sont si espouventez de l’arrivee des Daulphins & tant craintifs de leur impetueuls assault, qu’ils se trouvent mal asseurez en leur propre element. Et en cherchant leur salut en un autre, ils se mettent encore en un plus grand danger. Car sachants qu’il n’y a espoir de se saulver en l’eaue, ils saultent en l’air, ou ils ne peuvent guere longuement rester. A lors on les voit recheoir si dru en la mer, qu’il semble proprement que ce soit pluye tombãt du ciel. Mais pour cela encore ne sont ils pas saulvez, d’autant que les oyseaulx qui suyvent les Daulphins a grands bandes, font tout ainsi en leur endroict comme font les chasseurs a l’endroict de l’Esmerillon. Car les chasseurs avec une grande troupe de chiens courants, chassants au lievre par la campaigne, dõnent souvent moyen a l’Esmerillon & Hobreau qui les suyt, de se repaistre des alouettes & petits oyseaux que les chiens contraignent de s’eslever de terre, lesquelles appercevãts l’esmerillon qui les attent, se sentãts combatues de deux necessitez, l’une des chiens, & l’autre de leur ennemi capital, aiment mieuls chercher salut entre les iambes des chevauls, ou bien se rendre en la gueulle des chiens, que d’experimẽter la merci de celuy duquel elles n’esperẽt que la mort. Semblablement les poissons craignants les Daulphins, esperent se saulver en l’air, mais les oyseaux que les Grecs nõmerent Laros, les Latins Gavia, & les François Mouettes, & les autres nommez Carulos, ou Caniards, qui suivẽt les Daulphins a grãdes bandes, cognoissants leur effect (aussi sont ils causes de les enseigner : car quelque part que les Daulphins aillent, lesdicts oyseaux vollent tousiours au dessus) descendent de roydeur sur toute la multitude de ce poisson espouvanté, qui mieuls avoit aimé se mettre en leur misericorde, que d’essayer celle du Daulphin qui le va pourchassant par la mer. Mais estant tourmenté de toutes parts, fuiãts les deux inconvenients & cherchãt son dernier refuge tel que nature luy a apprins, il se renge au rivage de la mer : ou encore pour la tierce fois, il tombe en plus grande necessité qu’au paravãt. Car il se donne en la puissance de celuy lequel il ne peult fuir, estant si estonné de la paour qu’il ha eu, que mesmement il se laisse prẽdre avec la main, ou bien demeure pris es rets. Voyla comment les Daulphins errants par la mer vagabons, maintenant ça maintenant la, & commençants du matin, vont celle part ou ils ont constitué l’estape de leur desieuner. Tout ainsi font ils de leur disner, & finablement font le semblable de leur soupper : par ainsi ils font quasi tout le iour en pourchas. C’est la raison pourquoy ils sont tant aimez des pescheurs, pource qu’ils ameinent le poissõ de toutes parts iusques dedens leurs rets. Aussi en ont ils recompense, car les pescheurs ne leur font iamais mal. Et encor s’ils les trouvent prins en leurs filets, il leur donnent liberté. Ie ne vueil entendre que cela se face en toutes mers, mais principallement en Grece & autres lieux ou les habitants ne mangent point de Daulphin.

XXXV.

Que nature n’ha permis aus Daulphins de prendre librement les autres poissons, s’ils ne sont tournez a la renverse.

QUand les Daulphins poursuyvent les autres petits poissons pres du rivage, il est moult facile de les veoir pescher. Car en prenant le poisson pour le manger, il est necessaire qu’ils se rẽversent, & a lors leur ventre apparoist blanc a ceuls qui les regardẽt, lesquels on peult veoir clairement. Car le Daulphin estant de si grosse corpulẽce qu’õ le peult veoir de biẽ loĩg, & que apres qu’õ l’a veu se lãcer hors l’eaue pour prẽdre l’air, puis rẽtrer en la mer, le Daulphin qui au paravant apparoissoit noir, se tourne incontinẽt en blancheur : mais celle blancheur provient de son vẽtre, lequel on peult biẽ veoir des navires iusques la bas au parfõd de la mer. Et mesmemẽt il ne se pourroit repaistre, s’il ne se renversoit dess l’eschine, qui est une note que Aristote ha expressement escripte au huictiesme livre de l’histoire, & au quatriesme des parties des animauls. Et pour parler au vray de ce renversement du Daulphin, apres y avoir regardé expressement, y cherchant quelque raison, observant toutes choses : ie voy touts les autres animauls non pas seulement les terrestres, mais aussi les poissons, avoir une grande espace & cavité en leurs gueulles, que ie n’ay point trouvee es Daulphins : veu mesmement que les muscles qu’ils ont par dedens le palais en la bouche, & par la force desquels est fermé & ouvert le conduict de la fistule qu’il ha sur sa teste, ne luy permettẽt a cause de leur grosseur, avoir le palais cavé ou vouté : desquels ie parleray plus amplemẽt au secõd livre en l’interieure anatomie. Mais pource qu’il m’a semblé que ceste merque appartenoit en ce lieu, ie l’ay bien voulu amener, pour la difficulté de la leçon qui est en Pline & Aristote. Et me semble qu’il n’y auroit aucune difficulté es mots de Pline parlant ainsi du Daulphĩ, Velocissimum omnium animalium, non solum marinorum, est Delphinus, sed ocyor volucre, acrior telo, ac nisi multum infra rostrum os illi foret, medio pæne in ventre, nullus piscium celeritatem eius evaderet, sed adfert moram providentia naturæ, quia nisi resupini, atque conversi, non corripiunt : pourveu qu’on entẽdist bien ce qu’il veult dire par ces parolles, car quand il dit, ac nisi multum infra rostrum os illi foret medio pæne in ventre. Il doibt estre entendu de son estomach, car venter en Pline est souvent mis pro ventriculo : chose qu’on peult prouver de plusieurs autres passages. Et qu’il soit vray, ce mesme autheur au livre huictiesme, chapitre vingt & un ha escript en ceste sorte : Crocotas AEthiopia generat, velut ex cane lupoque conceptos, omnia dentibus frangentes, protinusque devorata cõficientes ventre. Oultre plus au dixneufiesme livre chapitre cĩquiesme il dit ces parolles : Cibus saluber ac lenis pluribus modis, ex his tamen, qui perfici humano ventre non queant, sed non intumescant. Vẽter aussi en quelques autres autheurs est leu pour le ventricule. Macrobius Saturnales, livre septiesme chapitre quatriesme, escrit en ceste maniere : Ventris duo sunt orificia, quorũ superius erectũ recipit devorata, & in follem ventris recõdit. Hic est stomachus, qui paterfamilias dici meruit, quasi omne animal solus gubernans. Inferius vero demissũ intestinis adiacentib{ꝰ inseritur &c. Il ne fault dõc pas entẽdre que Aristote ne Pline veuillẽt dire que le Daulphin ait la bouche dessoubs quasi au milieu du vẽtre : mais qu’il l’ait biẽ avãt dessoubs le bec, quasi au milieu de l’estomach : & mesmemẽt Aristote au viiie de l’histoire ha escript que touts les poissõs du gẽre chartilagineux, & touts autres qui ont grãde corpulence, cõme la Baleine, & les Daulphĩs, ne prẽnent poĩt les poissõs, qu’ils ne soiẽt rẽversez. Cæteris piscibus (dict il) captura minorum à frõte agitur ore, ut solent meare. At cartilaginei, & Delphini, & omnes cetacei generis resupinati corripiũt, habẽt enĩ os subter, unde fit, ut periculũ minores facilius possint evadere. Ie ne voy aucune difficulté en ce passage, qui ne puisse biẽ convenir a nostre intention : c’est a dire que les Daulphins ont la bouche au dedens de la partie de la gorge, & qu’elle soit de la partie du dessoubs. C’este chose se peult facilement prouver, par une raison qu’il adiouste puis apres au quatriesme livre des parties, parlant du Daulphin en ceste sorte. Quoniam etiam cum rostrum eorũ structura tereti ac tenui sit, facile scindi in oris habitum non potest. Cela disoit Aristote conformemẽt a ce que i’ay desia escript : scavoir est que les Daulphĩs ne peuvẽt prẽdre le poissõ s’ils ne sont rẽversez. Et en rẽdãt la raisõ, dict qu’ils ont le bec gresle & rõd en lõgueur. Parquoy ne se peult bõnement ouvrir en forme de bouche.

XXXVI.

Que nature n’a baillé le gosier au Daulphin, oultre la coustume des autres poissons sãs raison, mais que soit tant pour sa sãté, que pour le salut des autres.

ARistote au iiiie livre des parties, parlant des poissõs & prĩcipalemẽt du Daulphin dict ces mots : Sunt & oris discrimina. Aliis enĩ os ante, & pronũ est. Aliis infra parte supina: ut Delphinis, & cartilagineo generi. Quã ob rẽ hæc nisi cõversa resupinẽtur, cibũ corripere nequeũt. Quod natura non modo salutis gratia, cæterorũ pisciũ fecisse videtur (dũ enim sese ista cõvertunt mora intercedit, qua piscis quem insectãtur, evadere possit : nã omnia id genus rapina pisciũ vivũt), verũ etiam ne nimis suã devorandi aviditatẽ explerent. Quũ enim facilius caperẽt, brevi per ĩmodicã satietatẽ perirẽt. quoniã etiã quũ rostrũ eorũ structura tereti ac tenui sit, facile scindi in oris habitũ nõ potest. Et au viiie livre de l’histoire : Cæteris piscibus captura minorũ à frõte agitur ore, ut solẽt meare. At cartilaginei, & Delphini, & omnes cætacei generis resupinati corripiunt, habẽt enim os subter. Unde fit, ut periculũ minores facilius possint evadere. Alioquin pauci admodũ servarentur quippe quũ Delphini celeritas, atque edendi facultas, mira esse videatur. En ces lieux Aristote ha faict descriptiõ correspõdẽte en toutes qualitez a nostre Bec d’oye, cõme ie prouveray par sõ anatomie, principalement en descrivãt celle de la gorge qu’il a moult estroicte. Ce que nature ha expressemẽt voulu faire, pour le salut des autres poissons. Car pendãt le temps que les Daulphins se renversent, les poissons qu’ils pourchassent ont espace de fuir, tellement que par ce moien ils eschappent. Autrement si cela n’estoit, il ne s’en saulveroit pas un de leurs gueulles, veu mesmement que leur vistesse est quasi incomparable : Et que leur appetit de manger est quasi insatiable. Mais nature la faict aussi pour leur profit, a fin qu’ils ne se remplissent par trop en devorant ardemment. Car s’ils eussent peu prendre facilemẽt les autres poissons, ils n’eussent pas long tẽps vescu, mais ils se fussent incontinent gastez de gourmandise, en se saoullant oultre raison. Et aussi ne peuvent ils pas facilement prendre le poisson, pource qu’ils ont le bec long & rond & delié, qui ne se peult pas aisement ouvrir en une ample espace de gueule. Et quand ils ont grand faim & sont hastez de poursuivre quelque poisson iusques bien bas en la profõdité de la mer, ne pouvants plus long temps se contenir leans sans respirer, ils se dardent si viste pour retourner trouver l’air, ils vont plus roide que ne faict une flesche d’escochée d’un arc par un fort bras. Et n’y ha point de faulte que ils ne s’eslancent moult hault en l’air en saultant, mais quant a ce que Aristote ha dict qu’ils saultent par dessus les mas des grosses navires, il peult estre vray, car autrement il ne l’eust pas escript. Toutesfois ie n’ay onc aperceu qu’ils saultassẽt si hault. Les Daulphins sõt tousiours en perpetuel mouvemẽt, en sorte qu’ils ne arrestent iamais en une place, & mesmement dormants a la renverse, descendent petit a petit iusques a tant qu’ils trouvẽt terre au parfond de la mer : lesquels lors se resveillants, puis de tresgrande roideur viennent a mont pour respirer en l’air, & se r’endormants, font plusieurs fois le semblable.

XXXVII.

Que la vistesse des Daulphins, ne leur proviẽnt pas de leurs aisles comme aus autres poissons, & que le poisson nommé Amia face de grandes cruaultez au Daulphin, quand il en peult estre le maistre.

TOut ainsi que le Daulphin est le plus viste de touts les autres poissons de la mer, aussi est il le plus hardy : & de faict il les maistrise quasi touts, car aussi est il leur superieur. Non obstãt cela, il ne laisse pas d’avoir quelques ennemis qui luy font fascherie & guerre mortelle, & desquels il est quelques fois vaincu : & principalement d’un nommé Amia, lequel le deschire cruellemẽt de ses dents, quand il peult avoir l’avantage sur luy, car si par fortune une bande de Amies le rencontrent s’il ne le gaigne a fuir, elles mettent toutes la dent dessus, & ainsi le tenants ensemble de toutes parts ressemblent une boulle ronde roullant par la mer, iusques a tant qu’il soit tout en pieces. Car aussi elles sucent tout son sang comme faict une Sansue. C’est a bon droict qu’on ha iugé les Daulphins estre les animauls qui surpassent touts autres en vistesse, non seulement ceuls qui sont en la mer, mais aussi touts autres qui sont sur terre : & en l’air, car mesmement Aristote dit en avoir entendu merveille & choses incroiables. Lesquelles i’ay veu moymesme estant sur divers genres de vaisseaux de marine, & en plusieurs mers, esquels il nous falloit naviger en passant d’une isle ou bien d’un pais en un autre : ou nous avons veu les Daulphins aller plus viste que ne faisoit nostre vaisseau, aiant la voile desployee avec vent en pouppe, en sorte qu’il gaignoit de vistesse tousiours devant nous. Le Daulphin en nageant n’est pas aydé de la grandeur des aisles, comme les autres poissons : mais il est seulemẽt aidé de la pesãteur de sõ corps, car les aisles ou pinnes qu’il ha, sõt moult perites au regard de la proportiõ de son grãd corps, qui est moult gros & lourd & pesant & toutesfois, il n’y ha oyseau en l’air qui volle si viste, qu’il va en la mer. Ie puis donc prouver, que ce ne sont pas les grandes aisles, qui dõnent la grãd vistesse aux gros poissons, car si cela estoit vray, les Hirondelles, & les Milans de mer, seroient plus vistes que les Daulphins, car d’une de leurs aisles l’on en couvriroit bien l’aisle d’un Daulphin, & toutesfois les Daulphins avec leurs petites aisles, sont les plus vistes des poissons.

XXXVIII.

Que les histoires anciennement racõptees des Daulphins, sont encor pour le iourd’hui en la memoire des hommes, es pais du levant, quasi comme si elles estoient freschement faictes depuis huict iours.

IL reste encor quelque point a dire des histoires qu’on avoit anciennemẽt recitees des Daulphins, dõt plusieurs sont pour l’heure presente racomptees par les habitants du pais d’Albanie & Esclavonie, ou l’on dict qu’elles furent faictes en sorte qu’il n’y a celui pour le iourd’huy qui ne les sache raconter, comme s’il n’y avoit pas un mois qu’elles en ont esté faictes. Chose que nous scavons estre vraye par le recit des habitants de l’isle de Corsula, & de ceuls des rivages de Grece & d’Albanie, ou il n’y ha paisãt qui ne sache racõpter l’histoire de celui Daulphin qui venoit prendre la mengeaille es mains des gents du pais, & adioustent d’avantage que plusieurs d’entre euls qui sont encor vivants l’ont manié, tant il estoit privé : & qu’il portoit sur son dos ceuls qui alloient nouer en la mer, se iouant avec euls, & qu’il aimoit sur tout a se esbatre avec quelques ieunes garsõs : & aussi qu’il aidoit grãdemẽt aux mariniers a pescher : mais qu’il avoit esté tué il n’y ha pas lõg temps, & pour mieuls affermer la chose, on les oit dire en ceste maniere. Que le paillart qui luy avoit faict oultrage, fut n’agueres mis en quartiers, meurtri d’estrange maniere. Voila quant a l’une des fables ou pour mieuls dire histoire tãt anciẽne qui sera tousiours moderne en ce pais la, tant que le monde sera en estre. L’autre de celui qui aimoit un enfãt, & le portoit dessus sõ dos, se iouant avec luy par la mer, & puis le rapportoit au rivage, & l’aimoit si ardemment, que a quelque heure du iour & quelque loing qu’il fust, quand l’enfant venoit au rivage & l’appelloit, incontinent le Daulphin se rendoit la, se presentant a luy pour le recepvoir sur son dos, & le mener iusques en pleine mer s’esbatant & de la le ramener quand il plaisoit a l’enfant. Toutes lesquelles choses & plusieurs autres semblables tant anciennes, sont recitees de fresche memoire par les paisants de Grece & Esclavonie, comme si cela estoit advenu de nostre temps, & toutesfois elles ont ia esté escriptes plus de treze cẽts ans ha. Quãt a toutes autres sẽblables ie n’en vueil escrire autre chose. Car qui les vouldra entêdre, pourra veoir les autheurs qui les ont escriptes.

XXXIX.

Que les habitants du Propontide estiment que les Daulphins soient passagers de la mer Mediterrane au pont Euxin, & qu’il leur soit plus tolerable vivre long temps hors l’eau que dedês la mer sans prendre haleine.

I’Ay ouy que les Grecs qui demeurent au rivage du Propontide disoient qu’ils cognoissent que les Daulphins sont passagers a la maniere des autres poissons, scavoir est qu’ils se partent touts les ans en quelque saison de l’an, venants de la mer Mediterranee passants par l’Hellespont & le Propontide, & de la se rendants au Pont Euxin, dedens lequel ils sont un certain temps avant s’en retourner. Et que quand le temps leur ha apprins qu’il est saison de revenir, lors chascun s’en retourne dont il estoit party. Dient d’avantage qu’ils cognoissent deux distinctions & differences de Daulphins : scavoir est des grands, & des petits. Toutes lesquel les choses Aristote a mon advis ha voulu entendre, escrivant que les Daulphins de Pont sont moult petits, & qu’il n’y a point de autres bestes malefiques aux poissons en Pont que le Daulphin & le Marsouin : & que les plus grands Daulphins sont bien avant au profond du Pont Euxin. Parquoy me semble qu’il veult entendre que les uns puissent estre nommez les plus grands, les autres les moindres. Les Daulphins ont cela de particulier, qu’ils aimẽt a s’aprocher des navires, & les mariniers les voiants venir, font quelque bruict & les siflent, a fin que les Daulphins aiants entẽdu le son, restent plus long temps au tour du navire. Et iceuls Daulphins s’approchants, on les oit faire un grand bruict en sortant hors la mer, en iectant le vent qu’ils avoient lõg temps contenu en leurs poulmons : lequel bruit ils font par le conduict de leur fistule. Ils entrent quelques fois, en l’eaue doulce : ou ils se peuvent bien contenir une espace de temps, & vivre des poissons des rivieres ou estangs, comme en la mer : toutesfois l’on voit ordinairement qu’ils n’y demeurẽt pas long temps. Entre autres choses qui sont les plus notables du Daulphin c’est, qu’il luy seroit plus tolerable de vivre long temps en l’air estant sur terre sans avoir mal, que d’estre detenu en la mer sans prendre haleine, tellement que souvent les Daulphins qu’on ha prins es rets, demeurẽt suffoquez en l’eau par faulte d’air, car ils ne peuvẽt vivre sans respirer, non plus que touts autres poissons qui ont poulmons.

XL.

Que plusieurs choses nommees de propre nom, aient pris leur appellation du Daulphin.

AVant que de mettre fin a ce mien discours touchant la narration de la nature du Daulphin, i’ay bien voulu adiouster un poĩt que i’avoye laissé en arriere qui debvoit estre escript au chapitre des antiques engraveures des Daulphins. C’est que Vlixes portoit l’effigie d’un Daulphin engravé en son cachet : & aussi portoit le Daulphin portraict en son escu, en l’honneur de celui qui avoit saulvé son fils Thelemacus qui estoit tumbé en la mer s’estant mis dessoubs luy, l’avoit amené iusques au rivage. Il y eut anciẽnement une espece de vaisseau que les Romains nõmoiẽt de nõ propre Delphinus dõt ils se servoient en leurs repas, du quel Pline a escript, en parlãt des tables antiques en ceste maniere Delphinos quinis milibus Sesterciis in libras emptos. C. Grachus habuit. Ie croy que fussent tels vaisseauls dont usent les panetiers du Roy & des Princes lesquels il nomment vulgairement Navires. Les pasticiers aussi en quelques parts en ont de sẽblables qu’ils appelẽt gardemãger, lesquelles me sẽblẽt tenir quelque chose de la forme du Daulphĩ & que telles navires estoiẽt les Daulphĩs des Romaĩs. Semblablement le Daulphin ha donné nom a une herbe qui anciennement estoit nommee Delphinion : car les fueilles d’icelle herbe luy ressembloiẽt : semblablement il ha aussi donné nom a une masse moult pesante, qui estoit de fer ou de plomb, faicte a la similitude d’un Daulphin, a la quelle les François ont mué le nom car telle masse est maintenant nommee un Saulmon. Si nous croions a l’interprete d’Aristophanes c’estoit une grosse masse de plomb ou de fer, aiant figure de Daulphin qu’on pendoit a l’antẽne du navire, quand l’on livroit la bataille sur mer, laquelle masse on laissoit tomber dedens la navire des ennemis, pour le faire aller en fõd. Et telle maniere de navire Thucydide nõmoit Delphinophorõ, c’est a dire navire portant Daulphĩ. Sẽblablemẽt il ha donné le nõ a la region qui maintenãt est nommee Daulphiné. Aucuns ont eu quelque apparence de raison, d’avoir nõmé le Daulphin du nom de Pompilus, car il accompaigne voluntiers les navires, comme faict le Daulphin. Toutesfois Aristote descrivant, Pompilus separement du Daulphin, monstre bien que le Daulphin ne le Marsouin ne soient pas Pompilus duquel ie ne vueil point parler d’avantage, car il me suffit d’avoir touché ce poinct, pour faire entendre que Pompilus soit un autre poisson que le Daulphin.

XL.

Description des exterieures parties du Daulphin.

APres que i’ay long tẽps pourchassé toute l’histoire de ce qui se doibt dire du Daulphĩ, il ma sẽblé estre tẽps de retourner prẽdre mon principal propos ia commencé, & prendre les susdictes especes de Marsuins chascun a part soy, a fin de tellement les specifier qu’elles soient entendues. I’ay dict que celuy qui est le plus communement apporté de la mer, & qui n’ha pas le nez long, estoit celuy que ie vueil entendre par le nom de Marsouin : & que celuy qui ha le nez long, appellé des Françoys un Oye, soit le Daulphin, duquel ie vueil premierement donner la descriptiõ, tant du masle que de la femelle, a fin que chasque note exterieure soit diligemment examinee, prenant les parties de son corps a part en les considerant diligemment. Et cõmençant par la grosseur, la plus commune qui soit veue es Daulphins, c’est autant qu’un homme peult comprendre dedens ses bras, les embrassant au travers du corps. La longueur est autant ou quelque peu moĩs qu’un homme peult mesuter en estendant les bras, touchant la queue d’une des mains, & de l’autre a la teste, aiant le corps du Daulphin appuié contre sa poictrine. Voyla la cõmune grãdeur & la plus vulgaire qu’on veoit ordinairement en noz becs d’Oyes. La grandeur de la corpulence du Daulphin ha esté exprimée en comparaison du Heron de mer : car Aristote a laissé par escript, que le poisson nommé Xiphius ou Gladius, que les François appellent un Heron de mer, croist quelquefois iusques a telle corpulence, qu’il devient plus grand que ne faict le Daulphin. Et pource que nous cognoissons bien quel poisson est le Heron de mer, aussi par consequent devons nous estre asseurez de la grãdeur du Daulphin. Le plus grand que i’aye onc veu, fut apporté a Rouen l’an mil cinq cents cinquante, au mois de Iuillet, duquel i’observay la grandeur. La lune de sa queue avoit en l’intervalle d’une des cornes a l’autre, plus d’un pied & demy. Car elle contenoit trois fois autant que ma main s’estend en longueur de l’extremité du poulce & du petit doigt : c’est a dire trois paulmes : l’espesseur de son corps embrassee avec une corde, puis mesuree, avoit six paulmes. Sa longueur estoit autant qu’un homme peult atteindre des deux mains estendant les bras. Son bec commenceant de la ou il estoit camus, estoit long d’une paulme : & commenceant dont il estoit fendu, il avoit une paulme & demye. Il avoit un bõ pied en l’ouverture de sõ bec : Et estant vuidé de ses interieures parties comme on l’avoit apporté, il poisoit bien trois cents livres, aussi un cheval a peine l’avoit peu apporter depuis le Haure de grace a Rouen. Les Daulphins n’ont que trois aisles en tout, dont une seule est eslevee dessus leur dos, laquelle demeure tousiours en un mesme haulteur, car ils ne la peuvent baisser : ne haulser a la maniere des aultres poissons. Vray est qu’ils la tournent bien ça & la vers les costez. Les deus autres aisles qu’ils ont, une de chasque coste, situees assez pres de la teste, me semblent estre bien petites mises en comparaison a la proportion de leurs corps. Nature n’ha armé le Daulphin d’armures exterieures, & sil domine ou commande aux autres, c’est par sa vertu, & non par force d’armes. Car en tout ce qu’il ha pour nuyre aux autres, ou se deffendre, sõt seulement les dents. Il ha sa peau totalement lubrique & glissãte comme aussi touts autres poissons nombrez es especes de son gẽre c’est dire Cetacea. Il est sans escailles, & ha la queue contre la reigle & coustume des autres poissons, lesquels suyvant la forme de leur corps qui est plat, la portent a la mesme maniere, mais le Daulphin la porte oblique comme sont les oyseauls. Car un oyseau estant de forme ronde en longueur, & volant en l’air, en estẽdant sa queue, il use d’icelle comme d’un gouvernail, & s’en sert pour se soulager en volant, chose que nous pouvons veoir es Millans Hirondelles & es Cresserelles, qui se tiennent long temps en l’air en un mesme endroict se soustenants de leur queues & des aisles, sans point se remuer. Mais puis se voulants darder vont comme une flesche, aiants retiré leurs aisles, lesquelles ils ne remuent point, se gouvernants seulement de la queue, ils vont d’une vistesse incomparable. Semblablement les Daulphins, aiãts la queue oblique, nagent seulement de la pesanteur de leur corps sans point y travailler leurs aisles, mais seulement leur suffit estre aidez de la queue qui conduyse le corps. Laquelle ils ont compassee a la façon d’un croissant, non pas du tout en vray façon de Lune comme les Tons. Car ils ont d’avantage quelques autres entailleures. La dicte queue leur baille une tresgrand force en nouant, car elle est robuste. Tellement qu’on pourroit dire que leur queue les soustient en l’eau quasi en balance, comme la queue des oyseaux en l’air. Le Daulphin ha les yeulx fort petits, veu la grandeur de son corps. Il peult ciller a la maniere des bestes terrestres amenant la paupiere pour couvrir la prunelle des yeulx. Les conduicts de son ouye sont si petits que n’y apparoist aucune cognoissance de pertuys, si l’on n’y regarde exactement. Celuy qui les vouldroit trouver, les cherche en ceste maniere : qu’il commence au coing de l’œil, & suyve de droicte ligne allant vers les aisles, & il les trouvera distants a six doigts de l’œil. Et s’il prẽd un brin de paille, & choisisse la partie deliee a laquelle est attaché l’espi, & la fiche dedens les conduicts de l’ouye du Daulphin, & puis trenche la chair avec un cousteau suyvant la paille, il voirra decliner les conduicts a costé contrebas, & se eslargir quelque peu au dedens, & finablement parvenir aux os pierreux, & entrer dedens le test. Les conduicts pour odorer, quelque diligence qu’on sache faire, ne sont apparoissants sinon es petits, nouvellement naiz, comme d’un mois ou de deux mois. Car commenceants a devenir grands. Ils perdent cela. On les voit aussi en ceuls qu’on a tiré de la matrice, lesquels ont des petits poils blancs comme barbeaux, de chasque costé de la partie de dessus la machouere d’en hault, mais ils sõt durs, lesquels trenches a la racine, & suyvis avec le cousteau, sont veus se inserer es extremitez de certains nerfs esquels ils se terminent. Touts les autres poissons ont des ouyes, qui sont ouvertures par les deux costez. Mais le Daulphin n’en ha point. Car comme nature luy ha nyé cela, elle luy ha baillé une fluste, au cõduict dessus la teste, droictement entre les deux yeulx, par laquelle fluste ou tuyau il respire & aspire en l’air, & iecte l’eau, & fait bruit. Le Daulphin est espois par le milieu au travers du corps a la maniere d’un retournouer de guantier, car il se termine de chasque costé en se agreslisant & diminuant en agu, tant de la partie de la teste que de la queue, il ha le nez long, rond, & droict, son dos est de couleur plombee tirant sur le noir. Il est blãc par dessoubs le ventre. Les aisles qu’il ha de chasque coste & sa queue, & l’arreste de dessus son dos sont moult noires. Ses dẽts sont de compte faict cent soixante en tout, moult poinctues & rondes, en longueur disposees par ordre, quarante en chasque costé de la maschouere : desquelles celles qui sont de la partie d’embas, sont plus petites que celles qui sont en la maschouere d’en hault, laquelle maschouere est continuee d’un seul os. Si est ce qu’il y ha bien apparoissance de quelque petite separation. Mais par dedens elle monstre estre d’un seul os a la maniere de celle d’un Crocodille, en laquelle les quatre vingts dents qui y sont, descendent iustement & se rencontrent en se inserant dedens les autres de la maschouere d’en bas. Il ha quasi la langue a delivre, comme est celle d’un porceau : mais elle est en ce differẽte, qu’elle est couchee au bord par le devãt, a la maniere des lãgues des Cygnes, Oies, ou autres oyseaux de riviere.

XLII.

La difference exterieure du Daulphin d’entre le masle & la femelle.

APres que i’ay descript les exterieures parties du Daulphin, qui conviennent tant au masle qu’a la femelle : il reste que ie mette la difference de l’un a l’autre discernant le masle de la femelle, car il y a quelques merques entre euls deux assez manifestes qui les separent evidẽment. C’est queles Daulphins masles, ont une ouverture par le milieu du vẽtre, en laquelle se retire le fourreau de leur membre honteuls, qui est enclos la dedés : lequel on peult tirer hors en le prenant par le bout : & quand on le tire bien fort, il sort hors moult gros : & ha plus de huict poulces de long. Il ha encor un autre petit pertuis au dessoubs, qui est le conduict de l’excrement, lequel est beaucoup plus bas vers la queue. Mais la femelle n’ha point de telle ouverture au milieu du ventre, sinon qu’elle en ha une plus bas que celle du mafle, qui est le pertuis de la nature, ioignant lequel un peu au dessoubs est sẽblablement le pertuis de l’excrement, separé comme es animauls terrestres. C’est une note infallible qui distingue exterieurement le masle de la femelle. I’ay desia baillé les portraicts du Daulphin retirez de l’antique, ainsi que les y avoye trouvé gravez, comme es statues & medalles des republiques & empereurs tels qu’ils les y avoyent faict portraire. Consequemment il m’ha semblé raisonnable, d’ẽ donner un retiré du naturel contrefaict au vif : lequel nous avons faict faire en Paris, de telle peincture que l’ouvrier industrieuls maistre François Perier, aiant le poisson devant les yeulx, ha retiré de son pinceau. Laquelle peincture de Daulphin monstree a touts vivants cognoissãts le bec d’Oye, que soit son naif portraict & croy qu’il ne se trouvera hõme qui ne l’advoue pour telle.

Le vray portraict du Daulphin.

XLIIII.

Description du Marsouin, & la difference de Phoca, & de Phocæna.

POur n’engẽdrer confusiõ, es choses que i’ay descriptes du Daulphin, avec celles que i’escriray du Marsouin, i’ay bien voulu cõferer l’un avec l’autre, car le Daulphin n’ha rien qui ne puisse aussi bien convenir aus autres especes de Marsouins, tant du masle que de la femelle : & n’estoit que celuy qui est vraiement appellé Marsouin, c’est a dire Phocæna, n’ha pas le nez si long, il seroit quasi semblable au Daulphin. Mais pource que Phocæna est un nom moult prochain de Phoca, & toutesfois Phoca, est un aultre animal, appellé en François Veau de mer, ou bien Veau marin, de la peau duquel l’on faict les ceinctures de cuir pelu, ie l’ay bien voulu nommer en ce lieu, a fin que l’affinité des appellations de Phoca & Phocæna n’abusast personne. C’est donc a Phocæna a qui le nom de Marsouin est proprement deu, & qui est beaucoup plus commun que n’est l’Oye ou Daulphin : aussi est il generalement le mieuls cogneu par les poissonneries des villes, & principalement de Paris. I’ay veu souventes fois advenir qu’on y en ha apporté quatre ou cinq pour un vendredy, mais cela n’est pas ordinaire : car telle chose adviẽt l’une fois plus l’autre fois moĩs. Aussi il y a un temps auquel les Marsuins sont peschez plus frequents, car lon en voit plus au printemps qu’en autre saison, plus en yver qu’en autõne, & plus en automne, qu’en esté : si est ce qu’on en veoit quasi en toutes saisõs : mais moĩs en esté qu’en nulle autre. Et pour cinq Marsouins qu’on y apportera, a peine l’on y voirra un Daulphin ou Oye. Car les Daulphins sont peschez plus rarement que les Marsouins. Or voulant exactemẽt descripre le Marsouin, il ne me sera difficile apres avoir descript le Daulphin, car il est de mesme corpulence, qu’est le Daulphin : n’estoit qu’il est quelque peu moindre. Il est brun dessus le dos tirant sur la couleur celeste, mais il est blanc dessoubs le ventre. Il n’ha qu’une hareste ou aelle dessus le dos, il en ha deux, une de chasque coste, & ha la queue tournee en croissant. Toutes lesquelles aelles, queue & hareste, sont de couleur noirastre, a la propre maniere de celles du Daulphin. Il ha le nez mouce quasi comme arrondi. Somme que son exterieure description, convient en toutes merques avec celle de l’Oye. Quant aux yeulx & autres conduicts d’odorer, & respirer, & au conduict de l’excremẽt & de la nature de la femelle, & du membre honteux du masle, & toute la reste des parties exterieures ressemblent au Daulphin, & pour le faire brief, ie pretens que la presente peincture le representera au naturel.

Le portraict du Marsouin.

ARistote au sixiesme & huictiesme de l’histoire, ha parlé assez amplement de ce Marsouin, lequel il ha nõbré entre les poissons Cætaceos c’est a dire qui sont de grande corpulence, & qui rẽdẽt leurs petits en vie, & qu’il ait du laict comme les Daulphins. Pareillement Pline parlant de Torsione, ou Tursione, qui est a dire Marsouin dict qu’ils sont semblables aux Daulphins : mais quelque peu plus rigoureux, malfaisants a la maniere que les chiens de mer font de leurs becs, naissants en la mer de Pont. Cela a escript Pli. de nostre Marsouĩ, l’aiãt pour la plus grãd partie traduict d’Aristote. Mais pour Phocæna il ha tourné Tirsyo ou Tursyo, nous avons changé une lettre disants Marsyo pour Tursyo. Les Veniciens ont une semblable diction pour exprimer le plus petit poisson qui se pesche en la mer, lequel pource qu’il est de petite stature, i’l n’a point de singulier : mas d’une voix pluriele ils le nomment Marsyoni : lequel petit poisson ceuls de Marseille nõment Cabasoni. Et pource que telle maniere de petit poisson ne se voit point par deça, ie ne sache point quel nom François il obtienne entre nous.

XLV.

Description d’un autre espece de Marsouin surnommé une Oudre.

AIant achevé toute l’exterieure anatomie du Daulphin & du Marsouin, avant que proceder a l’interieure partie, il m’a semblé convenable de commencer a descripre, l’exterieure peincture d’une tierce espece de Marsouin, comme i’ay promis : laquelle i’ai faict portraire au naturel, sachãt bien que la peincture peult mieuls representer les choses a l’œil en un instant, que ne font les escripts en longue espace de temps. Elle fut trouvee dedens l’Ocean, & peschee au rivage du Treport, qui est un haure en la coste de Normandie, & fut apporté par charoy a Paris. Ce fut l’un des plus grands poissons que i’eusse onc veu. Ie vueil prendre cestuyci en foy, que touts poissons qui ont quelque similitude avec le Marsouin, soient indifferemment appellez Marsuins. Car encor qu’il fust particulierement nommé de quelques uns du pais une Oudre, si est ce que generalement touts autres en le voiant l’appelloient du Marsuin. On l’envoya du Treport a l’hostel de Nevers a Paris, & ceuls qui l’envoyoient le nommoient du Marsouin, comme nous avons veu par les lettres qu’ils escripvoient au maistre d’hostel, ne usants d’autre nom, sinon qu’ils disoient luy envoyer un Marsouin. Mais ceuls qui l’avoient amené, & plusieurs autres qui le venoient veoir, le nommoient une Oudre, ou un Neutre, les autres une Ouette. Mais pource que Ouette est un nom qui semble estre diminutif d’une Oye, & l’Oye est le nom du Daulphin, il me semble que le nom d’Ouette luy seroit donné mal a propos : car il est quatre ou cinq fois plus grand que n’est le Daulphin. Somme que les appellations les plus communes estoient de la nommer une Oudre, & Oudre en François est a di Uter, qui est une espece de vaisseau a mettre quelque liqueur, soit eau, vin, ou huille, comme sont les boucs, & peauls de chievres, esquelles l’huille nous est apportee en temps de quaresme du Languedoc en France, mais ie l’exposeray cy apres, quant i’auray mis la description de ce poisson.

Et pour commencer a le descripre par sa grandeur, plusieurs iugeoient qu’il estoit pesant de plus de huict cents livres.

Qui le mesuroit aux pas en cheminãt, on luy en trouvoit trois : mais mesuré plus seurement & plus iustemẽt, il avoit neuf pieds & demy. Il estoit si gros par le travers du corps, que deux hõmes se tenants par les mains a peine l’eussent sceu embrasser. Mais iustemẽt empoigné par le travers du corps avec une corde, puis mesuree, elle avoit sept pieds : & depuis le nombril du poisson qu’il ha au milieu du ventre, iusques a l’espine du dos en travers, il havoit trois pieds & demi. La lune de sa queue entre les espaces des cornes, avoit demie aulne. Ceste est la description d’un bien grãd poisson : lequel toutesfois prins aux rets, n’a non plus de force que auroit un autre petit poisson, & principalement si la queue est empestree : car il ha les aelles moult petites pour la grandeur de sa corpulence : & estant prins, n’aiant point de secousse a soy darder, par cela il demeure affoibli, n’aiant plus de force a se remuer. Il ne pourroit aussi estre longuement en vie pris dedens les rets, qu’il ne mourust suffoqué par faulte d’air, non plus que touts autres poissons qui ont poulmons, comme Veaux de mer, Tortues de mer, Rats d’eau, Marsouins, Baleines, Lutres, Castors, Daulphins, Chauldrons. Celui duquel le parle maintenãt, est Orca, il ha le nez beaucoup plus camus & mouce que n’ha le Daulphin : & pource qu’il est de plus grand corpulẽce, aussi ha il son bec ou nez beaucoup plus gros, mais le Daulphin l’ha biẽ plus estendu en lõgueur : car combien qu’il soit de moindre corpulence, toutesfois il ha le nez plus lõg. La maschouere d’embas de cest Orca, est plus lõgue que celle de dessus, ronde, & moult charnue. Les deux aelles dont il en ha une de chasque costé, dont il se sert pour nager, me semblent plus petites, qu’il ne convient a la proportion de la grãdeur de son corps. L’hareste qu’il ha dessus son dos, est eslevee droicte & petite au regard du demeurant. Tout ce poisson semble estre entierement couvert de quelque cuir cõme le Daulphin & Marsouin : aussi est il sans escailles, noir sur le dos, & blanc dessoubs le ventre. Il est de forme toute ronde en longueur, gros par le milieu du corps, & est estroict en diminuant par les deux bouts, cõme est un pot a l’antique, ou un fuseau panzu. Il ha les yeuls moult petits, entre lesquels dessus le sommet de la teste, est le cõduict de la fistule, par laquelle il inspire & expire. Sa langue n’est entierement libre, & est semblable a celle d’un Daulphin. L’endroict de sa gorge par le dehors aux basses racines de la langue, est gros comme pourroit estre a ceuls qui ont un second mentõ. Les deux petits pertuis de son ouye, encor qu’ils soient moult estroicts comme au Daulphin, toutesfois ils apparoissent quelque peu. La maschouere de dessoubs est si pesante, qu’elle tumbe d’avec celle d’en hault, quant le poisson est dessus le ventre & luy tiẽt la gueulle ouverte, qui est fort bien armee de bonnes dents. Au surplus, quant est de ce que nous pouvons escripre de son exterieure anatomie, ie puis dire qu’il est en toutes notes correspondant au Daulphin, excepté qu’il est quatre ou cinq fois plus grãd. Tellement que ie pensoye au cõmẽcement que ce fust un Daulphin, d’autant que ie n’y trouvoye difference sinon en une excessive grãdeur. Vray est que i’ay trouvé quelques particulieres choses que i’ay observees, lesquelles m’ont enseigné que cestui ci soit particulierement de son genre, different au Daulphin. Mais pour ce que i’ay tousiours eu la coustume, que en l’endroict ou i’avoie difficulté des animauls qui se ressembloient, de leur regarder les dents, apres diligente inspection & cõsideratiõ de celles de Orca, i’ay cogneu l’evidente difference d’entre luy & le Daulphin. Car le Daulphin ha iustement autant de dents en une des maschouere, comme cestui ci en ha en toutes les deux, ou bien diray mieulx, qu’il ha autant de dents en l’un costé de la maschouere, que cestuy ci en ha en toute une entiere. Laquelle chose i’ay facilement peu experimenter a l’œil : car nous l’avons cõferee a l’encontre des maschoueres des Daulphins que nous gardons de long temps : maintenant les maschoueres avec les dents du susdict Orca, ia nettoyez & descharnez sont chez monsieur le garde de feaux Bertrandi : lesquelles dents nous avons compté estre quarante en chasque maschouere, ne cõprenant point quatre petits rudiments qui sont devant, & les plus grosses sont au nõbre de vingt de chasque costé des maschoueres, qui sont mouces, mais celles du derriere sont poinctues. Il y en ha en tout quatre vingts, moult blanches, longues en rond, disposees par ordre, distantes l’une de l’autre comme au Daulphin. L’os de la maschouere d’ẽ bas est quelque peu voulté & est lõg d’un pied & demy. L’ouverture de sa gueulle n’est guere plus fendue qu’est celle du Daulphin, mais toutesfois il ha biẽ la gueulle plus large. La figure de sa queue approche plus de celle du Daulphin que du Marsouĩ, toutesfois elles se ressemblent toutes trois. Ce poisson n’ha pas seulement esté veu pour un coup, car il advient quelques fois qu’õ en prend d’autres semblables & de plus grands, mais si rarement que en dix ans a peine en sera pris une douzaine en tout le rivage. Il ne reste rien a descrire de son exterieure peĩcture, sinõ que celuy dõt ie parle maĩtenãt, estoit femelle, qui avoit un petit dedẽs le vẽtre, lequel pour lors n’estoit encor pas parvenu a iuste grãdeur, car c’estoit au commencement de may, mil cinq cents cinquante & un, toutesfois il estoit desia si grand, qu’il avoit deux coudees de long, qui est vray argument que ce poisson fust en espece different au Daulphin, & Marsouin. Ceste femelle avoit des mamelles, une de chasque costé, qui estoient moult manifestes, tellement qu’il ha esté libre a un chascun de les veoir, desquelles les petits bouts estoient cachez dedens une fente, mais on les tiroit facilement hors de la dicte fente quand on les pinsoit avec les ongles : on pas que le bout de la tetine eust une teste comme ha un autre animal terrestre, mais seulement un petit bout delié, duquel les petits Oudreaux tettent le laict des mamelles, qui sõt cachez cõme ie diray en descrivãt sõ interieure anatomie. Voila ce que i’avoye a dire touchãt l’exterieur de ce moult grãd poissõ, qui ha esté spectacle au peuple de Paris, car ils le venoient veoir a l’hostel de Nevers par grande singularité.

XLVIII.

Discours prins des autheurs, touchant ce qu’ils ont escript du poisson nommé Orca.

I’Avoye desia descript ce poisson avant l’avoir nommé de nom antique : mais apres que i’eus long temps songé dessus, & que ie trouvay tant de merques qui le me distinguoient du Marsouin, Chauldron, & Daulphin, ie songeoye quelle antique appellation il pourroit obtenir. Desia n’est ce pas Pristes ou Pristis : car il est manifeste que le poisson que les François nomment un Chauldron est Pristes. Lequel ie n’ay point voulu descripre d’avantage en ce lieu (combiẽ qu’il eust peu convenir a ceste matiere) pource que ie n’en avoye point la peincture. Aussi n’est ce pas Physeter, car il fault (s’il est vray ce qu’on en escript) qu’il soit plus grand poisson que cestuy ci. Mais quand i’eus enquis, particulierement des noms que ceuls qui l’avoient amené luy bailloient & que i’eu entendu que plusieurs le nommoient un Oudre, les autres un Outre (vray est comme i’ay dict, que generalement le cõmun populaire le nommoient Marsouin) & sachant bien que une Oudre tient l’appellation d’un vaisseau a contenir de l’eaue ou du vin : & aussi que Orca tient le nom d’un vaisseau en Latin signifiãt quasi la mesme chose que faict une Oudre, il ne m’a esté trop difficile de luy trouver une appellation antique : veu mesmement que la propre appellation françoise me l’a enseigné. Ie l’avoye descript ignorant son nom ancien : & n’ay rien adiousté depuis en la description, sinon ce mot Orca : a fin que si ie failloye en le nommãt de ce nom ancien, sa description demeure entiere, pour celuy auquel il appartiendra. Toutes les notes de ce poisson me confortẽt a le nommer Orca, il fut ainsi nommé des anciẽs, pource qu’il ressembloit a un long vase, que les anciens nommoyent Orca, lequel avoit deux bouts, ou extremitez estroictes, & estoit gros & rond par le milieu. Voila quant a la description du vase, dont il ha gaigné ce nom. Mais quant a la description du dict poisson recitee par les anciens, ie trouve aussi qu’elle soit correspondante en toutes merques a l’Oudre. Car Pline dict qu’il ne peult estre proprement representé ou descript sinõ d’une grosse masse de chair aiant cruelles dents : & que son eschine est comme le dos d’un bateau renversé monstrant la carenne. Et qu’un tel poisson fut veu au port d’Ostie a la bouche du Tybre : & qu’il fut cõbatu par l’Empereur Claudius, qui estoit lors a Ostie pour y faire edifier le port. Maintenant l’on peult iuger, que les medalles de Claudius Cæsar, esquelles il feist portraire un Neptune assis dessus un poisson tenant un trident en la main, aient une Orque ou Oudre, & que ce ne soit pas un Daulphin qu’on y veoit portraict : aussi la peincture retire plus a une Oudre qu’a un Daulphin. Ce poisson, dict Pline, avoit suivy des cuirs d’ũ navire qui venoit des Gaulles qui s’estoit peri, & desquels s’estãt repeu plusieurs iours a Ostie, il s’estoit faict un canal dedẽs le sable, ou seillõ dõt il ne pouvoit sortir, ne retourner en la mer : & ainsi deiecté au rivage, il demeura a sec, & luy apparoissoit seulemẽt le dos cõme la carẽne d’un bateau renversé, & que les souldards de l’Empereur luy coururent sus avec leurs picques & le tuerent, & qu’il en feist celle fois un spectacle au peuple Romain. Qui vouldra en veoir d’avantage, & aussi de la guerre cruelle qui est entre elle & les Baleines, lise le cinquiesme livre d’Opian, & le neufiesme de Pline, car ie ne veuil racõpter toute l’histoire : il me suffit d’en avoir escript ce qui me peult servir a prouver ce que i’en pretens escrire. Et avant proceder a son interieure partie, apres que ie l’ay descrite par le menu, il ma semblé consequẽment estre tẽps d’en bailler le portraict.

La peincture de l’Oudre, que les Latins nomment Orca ou Orcynum.

N’aiant rien oublié a descrire en ce premier livre de ce qui appartient a l’exterieure peincture du Daulphin, & des autres que i’ay peu recouvrer qui sont de son espece, il m’a semblé estre temps de faire fin, & de commencer a ce qui reste a escrire des parties interieures.

Fin du premier livre.