L’histoire naturelle des estranges poissons marins/Second Livre

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Le second livre de l’histoire naturelle des estranges poissons marins, avec la vraie peincture & description des parties interieures du Daulphin, & plusieurs autres de son espece,
Observee par Pierre Belon du Mans.

οὐ ῳ ἐίδει θὀύμοιο ἀλλά τῇ ἐυ ψυχίᾳ

A monseigneur monsieur le reverenidissime cardinal de Chastillon , liberal Mecœnas des hommes studieuls,
entiere prosperité.

MOnseigneur, aiant fini le premier livre, auquel i’ay amplement specifié ce qui appartient a l’exterrieure description tant du Daulphin, que de plusieurs autres poissons de son espece : & baillé le portraict de beaucoup d’autres, lesquels i’ay faict retirer du naturel, ainsi que les ay trouvez a propos, pour prouver ce que i’avoye entrepris de vous verifier : maintenant i’ay proposé descrire en ce second livre, les parties interieures, desquelles ie bailleray les vrayes effigies, en preuve de ce que i’en diray : puis apres i’adiousteray seulement quelque petit nombre d’autres peinctures des poissons convenables a ceste matiere, car combien que i’aye grand nõbre d’autres portraicts, lesquels vous avez veus, toutesfois ie n’y en mettray nonplus que ie trouverray convenir a ce que i’en escriray, craignãt que si i’en mettoye en ce lieu mal a propos, ne le trouvissies mauvais : veu mesmement que les reserve a vous les specifier en autre language, & aussi en faire ainsi qu’il vous plaira le me commander.

I.

De l’affinité qui est es parties interieures de l’oye du Daulphin
et du Marsouin conferees les unes avec les autres.


E Stãt ia arrivé a la descriptiõ des interieures parties du Daulphin & des autres poissõs de sõ espece, il m’a semblé estre cõvenable de cõmẽcer par la distinction des entrailles du Daulphin, cõferees avec le Marsouin. Car tout ainsi que les trois poissõs que i’ay dessus dicts ont grãd affinité en l’exterieur, aussi l’ont ils en l’interieur : qui est chose biẽ evidẽte a qui les veult observer. Et cõme ils ont quelques particulieres distinctiõs par le dehors, tout ainsi les ont ils par le dedẽs. Mais a fin d’exposer toutes choses le pl succĩctemẽt qu’il me sera possible, ie prẽdray chasque partie a parfoy en faisãt cõparaisõ de l’une a l’autre. Et pour n’escrire tãt de redictes, il fault entẽdre que ce qui convient a l’un, peult aussi convenir a l’autre. Les entrailles du Marsouin sont generalement plus robustes que ne sont celles de l’Oye ou Daulphin : car le Daulphin ha les intestins moult fragiles, & gresles au regard du Marsouin. La fistule de l’Oye qui entre au conduict de dessus la teste, est moins advancee leans que n’est celle du Marsouin. Touts deux ont les poulmons de semblable façon & en ce differents aux poulmons humains, qu’ils n’ont que deux lobes ou pieces, l’un a dextre, l’autre a senestre entre lesquels est le cœur, semblable a celuy de l’hõme, excepté que l’hõme estant un animal qui se tient tousiours droict l’ha pendu dessoubs, mais le Daulphĩ & Marsouin, estãts a dẽt, l’ont droictemẽt entre les deux pieces ou Lobes des poulmõs : & le cœur de l’Oye ou Daulphin, encor qu’il soit d’un poisson sans comparaison plus petit que le Marsouin, si est ce qu’il sera plus grand & plus rond que celuy d’ũ grand Marsouin, voire fust le Marsouin trois fois pl grãd que n’est l’Oye. Le foye de touts deux, n’est sinõ d’ũ piece non plus que est celuy de l’homme, aussi est il semblable a celui de l’homme mais les petits l’ont quelque peu plus divisé que n’ont les grãds. La ratte de tous deux, n’est toute en une masse, mais est esparse ça, & la, contre l’estomach attachee a de petits ligaments, & toutesfois celuy de l’Oudre n’est sinõ d’une piece ronde, & la ratte du Daulphin est plus grande que n’est celle du Marsouin. Et tout ainsi que l’Oye ha le bec long, aussi ha il la langue de mesme : mais le Marsouin a qui le nez n’est pas long, aussi n’ha il pas la langue si longue. Les langues de touts les deux, ne sont pas du tout a delivre, parquoy Aristote dict que le Daulphin pourroit bien faire quelque bruit, comme font les muets : mais pource qu’il n’ha pas la langue du tout desliee & delivre, ne aussi les levres, il ne pourroit pronõcer une voix articulee. Ie croy bien qu’il la puisse advancer entre les dents, mais non pas la tirer iusques hors de la bouche. Elle est sẽblable a la lãgue d’un animal terrestre, & principalement d’un porceau, n’estoit qu’elle est frangee par le bord. La langue de l’Oudre ne l’est sinon un petit par le bout de devant. Il reste encor a dire une merque infallible qui les distingue par le membre honteux : car le membre du Marsouin, estant mort, est aussi gros & grand, qu’est celui d’un homme en vie quand il l’ha tendu, voire des plus gros qu’on sache trouver : mais l’Oye, ne l’ha gueres plus gros qu’est le poulce, & ne passe pas huict ou neuf doigts en longueur. Touts deux l’ont poinctu comme ont les chiens, & aussi ont les genitoires qui sont longs cachez au dedens, gros comme un œuf de poulle, & sont cartilagineux a l’extremité. Touts deux ont le pertuis de la gueulle moult estroicte : dont ie me suys souventes fois esmerveillé commẽt ils pouvoient avaller de si gros poisson dõt ils se paissent, mais comme i’ay desia dict, il fault qu’ils se renversent en les prenant, ou bien qu’ils se renversent en l’eau pour aller gaigner le poisson qui naturellement s’en fuyt au fond vers terre, a celle fin de trouver les algues & autres bagages a se cacher dedens. Mais le Daulphin qui n’avalle iamais un poisson au rebours, s’advance pour le prendre par la teste, laquelle il met la premiere dedens son gosier, & cõsequemment l’avalle dedens son estomach. C’est une chose que i’ay facilement cogneu en plusieurs Daulphins & Marsouins que i’ay souventes fois ouverts, esquels i’ay trouvay plusieurs poissons que ie ne pensois pas qu’on les eust trouvez en l’Ocean. Car le Daulphin & le Marsouin avallants indifferemment toutes especes de poissõs en vie touts entiers, ont l’estomach fort calleux & dur par le dedens, & biẽ muni, contre les iniures des harestes des poissons qu’ils avallent comme Vives, Scorpiõs, Sargs, Perches, Pourpres, Orphies, Casserons, Seiches, Cõgres, Mullets, Rougets, & autres semblables qui ont fortes harestes. Lequel estomach est sẽblable a celuy d’un porceau, mais il est quelque peu plus long : & qui le vouldroit remplir de liqueur, & le croistre en l’estendant, il contiendroit facilement trois quartes d’eau : qui ne est pas chose difficile a croire, car mesmement ceuls de la mer Maieur ou Pont Euxin, envoient les Caviars rouges & noirs a Cõstantinoble dedens les estomachs des Esturgeõs : & ceuls de Mingrelie n’aiants usage de pots ou vaisseaulx de bois, remplissent les pances des animaux de leur beure, soit de vaches ou brebis, qu’on apporte vendre a Cõstãtinoble. Voila quãt a la Pãce ou estomach du Daulphin & Marsouin, auquel l’Omentum qu’on nõme en Françoys la Taye, est attachee au fond, comme elle est es autres animauls : & couvre quasi touts les intestins qui sont dessoubs, mais elle n’est guere grasse, & est fort simple, & moult deliee. Le ventre inferieur du Daulphin, & Marsouin, ou sont les intestins, est separé par le diaphragme, de celuy d’en hault. Leur cœur est envelopé dedens le Pericardium avec une bien grande quantité d’eau clere enfermee leans : lequel ha deux aureilles, & deux ventricules, & pour le faire brief, il est en toutes sortes sẽblable au cœur humaĩ. Pareillement les poulmons se peuvent enfler de vent, s’ils sont soufflez par la fistule ou fluste qui est attachee a l’herbiere ou artere : laquelle est en ce differẽte a celle de touts autres, qu’elle soit a delivre. Le Larinx du Daulphĩ que les François nomment la Luette, est longue comme un petit tuiau que nous voions servir de anches aux cornemuses, aussi est elle fichee en son conduict de la mesme maniere que les dicts tuiaux sont fichez en leurs boistes. Car la susdict Luette ou epiglotis qui ferme le conduict, est faicte a la maniere de deux petites charnures de la grosseur & quasi de la façon de deux demies noix, tellement qu’il n’y a aucune participation de conduict a respirer entrant en la bouche comme es autres animauls. Car posé que tout autre animal & l’hõme se estouppent le nez, ils ne laissent pour cela a aspirer par la bouche & aussi respirer, mais il n’advient pas ainsi au Daulphin, car le cõduict qui va a ses poulmons, n’est aucunement percé en l’endroict du gosier, ains ha seullement une cavité dessus le front, au dedens, separee en l’os d’un petit entredeux qui est pource que ceste fistule cartilagineuse s’en va inserer dedens les deux dictes pieces ou lobes des poulmons. C’est par icelle qu’il fait bruire l’eau en respirant, car il l’a iecté en l’air de tres grande roideur en saultant hors de la mer.

II.

A scavoir si le Daulphin & Marsouin sortants hors l’eau viennent en l’air pour respirer, ou pour aspirer.

I’Ay long tẽps esté en doubte voiãt le Daulphĩ & Marsouin venir en l’air scavoir s’ils venoiẽt aspirer ou respirer. Et cõme ceuls qui nouẽt entre deux eaux, ont aspire avãt se mettre en l’eau, & rẽplir leurs poulmõs de vẽt, tout ainsi se peult dire de touts autres animaulx de mer qui ont poulmons, comme Veaux, Tortues, Marsouins, & Daulphins, qu’ils viennent en l’air pour aspirer & reprendre leur haleine. Mais il fault dire qu’ils y viennent pour faire touts les deux : car apres qu’ils ont esté long temps en la mer sans prendre haleine, la chose qu’ils font la premiere est de iecter hors celui vẽt qu’ils avoiẽt porté en la mer, car sortãts hors, on les oit bruyre en iectant du vent & de l’eau en l’air, & fault soubdain qu’ils en reprennent d’autre, car il n’y en ha point en la mer, tellement que qui auroit lié un desdicts animauls au fond de l’eau, il seroit incontinẽt suffoqué par faulte d’haleine. Voila quãt aux instruments de la respiratiõ, & pourquoy l’on veoit tels animaux se monstrer hors l’eau si souvent. Mais encor y ha un autre poĩct digne de plus grande contemplation, qui gist en l’anatomie du Daulphin, & autres poissons cetacees, qui ne peult estre deschifré sans admiration de nature, cõme ie diray en ce suyvãt chapitre.

III.

Que le Daulphin ne se peult repaistre sinon tourné a la rẽverse en prenant l’autre poisson.

CE poinct monstre le grand soing de nature qu’elle ha des animauls qu’elle produict, c’est que ou les autres animauls ont l’artere encontre la gorge, cestuy ci y a le gosier : qui est une chose qu’on peult facilement appercevoir en luy fendant les maschoueres avec un cousteau, & suivant iusques a l’estomach. Car on ne trouvera point de pertuis qui responde a l’artere comme l’on veoit es autres qui ont poulmõs. C’est ce que Aristote avoit voulu entendre quand il escript, que les Daulphins ont la gueulle au dedens de l’endroict du revers, & si ils l’ont de la partie de la renverse, aussi fault il s’ils veulent manger, qu’ils soient rẽversez. Aussi dict il, Os infra parte supina Delphini habent, quam obrem nisi conversi resupinentur, cibum corripere nequeunt. C’est la vraye raison qui rend les Daulphins contraincts de se renverser, en mangeant & prenant leur proye en la mer.

IIII.

De l’anatomie des intestins & autres parties interieures du Daulphin & Marsouin.

LES foies de ces deux, & autres sẽblables, touchent le diaphragme, aussi sõt ils dessoubs la partie du dehors, & ẽbrassẽt l’estomach par dessus, & le munissẽt de touts costez : lequel est entẽdu en longueur. Leur Pylorus, qu’õ nõme une Caillette en Frãçois, pour ce que les villageoises prennent la tourneure en telles Caillettes dõt elles font cailler leur laict : lequel Pylorus est si grãd, qu’il contient quasi la tierce partie d’autant, comme faict l’estomach, & aussi est long quasi de demy pied. Les autres intestins suivants cestuy la, comme est le Ieiunium, & le Ileon sont repliez en maints destours, comme nous voions es frases de veau. Et celuy qui est nommé Cæcum, n’est point trouvé entre les intestins du Marsouin & Daulphin, & le intestin, ou est le pertuys de l’excrement qui est nommé Rectum, est contre la reigle des autres animaux pl gresle au Daulphin, que ne sont touts les autres intestins : & toutesfois il debveroit estre plus gros & plus large. Ils descẽdent d’en hault le lõg de l’espine tout droict, sans se destourner nulle part. Touts lesquels intestins, sont ainsi attaches au dos par la liaison des veines meseraiques, & par les ligamẽts, & par les tuniques du Peritoneum, en sorte que si on les destache d’un seul endroict ou elles s’entretiennent, elles se peuvent enlever toutes ensẽble. Leurs veines sont inserees par les extremitez au tour des intestins : qui võt se terminer a la grosse veine nommee Porta : laquelle leur est moult apparente & plus grosse que le doigt. Nous y avons compté douze costes de chasque costé, n’y comprenant point les clavicules, ne les autres courtes nõmees les faulses costes, sur lesquelles la veine Azigos est couchee au costé droict moult apparente, & s’estend en plusieurs rameaux en chascune des veines ou elle se va terminer.

V.

Comparaison des mamelles du Daulphin contre celles de touts autres animauls. Desquels les uns les ont en la poictrine, les autres le long du vẽtre, les autres aus eynes.

SEmblablement aussi est veue la veine cave, c’est a dire la veine creuse, qui sort du foie, laquelle il ha enflee plus grosse que le doigt, plaine de sang, estendue le long du dos : laquelle puis se depart en rameaux, & monte par le derriere du membre honteux de la femelle, & va porter l’aliment tant en la matrice que aux mamelles ou se faict le laict : desquelles mamelles, ie parleray cy apres plus amplement. Leurs rongnons sont gros de chasque costé & spongieux, lesquels i’estimoye au paravant estre les mamelles : mais les mamelles sont cachees dessoubs la peau entre les muscles de l’epigastre le long du ventre, il est facile a les trouver incontinent, si lon suit le petit bout exterieur : car environ d’une paulme loing des bouts des tetins, il y ha une charnure ou caruncule, qui s’estend en long, cõposee d’une chair molle, spongieuse & rouge, qui reçoit le sang, tant des veines de la poictrine, que de celles des eines, lequel nature y converti en laict. Le Daulphin & Marsouin & plusieurs autres poissons qui ont poulmons, n’ont que deux bouts es mamelles : mais nature ne l’ha pas faict sans raison, car comme nous voions la femme enfanter le plus souvẽt un seul au coup : aussi nature ne luy ha donné que deux tetins, sachant bien qu’ils peuvent suffire a un seul. Semblablement les autres animauls aquatiques ou terrestres qui n’ont qu’un petit a la fois, n’ont eu affaire de plusieurs mamelles : desquels il y en ha qui les portent en la poictrine, cõme sont les chauves souris, que Pline avoit au paravant escript, laquelle chose i’ay n’a gueres trouvé estre vraye par leurs anatomies faictes dedens la grande Pyramyde d’Aegypte, & dedens le Labyrinthe de Crete, car i’ay veu les meres baillants a teter a leurs petits de leurs mamelles du lait qu’elles ont en la poictrine. Une chose qui ma semblé digne de grande admiration en elles, est qu’elles ne font point nid. Car elles se pendẽt en l’air de leurs crochets des aelles, en allaictãts leurs petits qui sont semblablement pendus aux pierres des voultes. Les Singes pareillement ont des mamelles en la poictrine. Ce qu’on ha aussi escript des Sphinges. Mais les autres animauls qui ont grand nombre de petits a nourrir, comme Taulpes, Sãgliers, Herissons, Porcs espis, & autres semblables ont eu besoing de plusieurs bouts es mamelles, lesquelles sont estendues le long du ventre, comme nous voions es chiennes. Les autres qui ne nourrissẽt qu’un petit a la fois, comme Girafes nommees en Latin Chamelo pardales, Elephants, Chameauts, Iuments, Chamois, Boucs estains n’õt eu affaire que de deux bouts. Toutesfois les tettes de to les susdicts animauls sont eminents au dehors. Mais ils sont cachez au Daulphin de moult grand industrie d’autant qu’ils participẽt de l’artifice dont ha use nature en les dessusdicts. Car leur position est comme sont les tettes de ceuls qui portent plusieurs animauls, qui les ont le long des muscles de l’Epigastre ou Abdomen sinon qu’ils sont cachez dessoubs la peau. Mais les bouts des tettes du Daulphĩ que les Latins nõment Papillas, & que les Frãçois champestres appellent traions, ont leur situation a la maniere des animauls a quatre pieds, qui ne rendent qu’un petit a la fois, lesquels nature luy ha cachez au dedens, pour la discõmodité qu’ils eussent faict au poisson, s’ils eussent esté dehors, d’autant que cela eust esté empeschement a sa vistesse. Les ureteres du Daulphin sont veues manifestes descendre en la vescie tant des masles que des femelles : laquelle vescie est aussi grande comme celle de la Grenoille de mer. Nous l’avons enflee & emplie, ou nous avons trouvé qu’elle contient une chopine d’eau. Ne les Daulphins ne la reste des autres de leur genre, n’ont point de fiel, qui me semble chose estrange : car mesmement en mangeant expressement de leur intestin nommé Pylorus, lequel est celuy qui envoie les excrements au fiel, nous l’avons trouvé amer, comme s’il eust esté participant de quelque amertume de fiel : & toutesfois ne l’estomach, ne l’autre intestin d’apres n’avoient point ce goust la, ne aussi le foie, lequel quand il est bien accoustré, est semblable en saveur & au goust du foye d’un porceau : & de quelque endroict qu’on en sache manger, il n’est point trouvé amer. Si est ce que le fiel sert grandement a touts animauls qui ont sang, & est grand chose que le Daulphin qui est un animal tant sanguin, n’en ait point, mais nature luy ha baillé quelque autre voye pour luy repurger le mauvais sang. Les autres animauls qui n’ont poĩt de sang, n’ont aussi point de foye & par consequent n’ont point de fiel. Combien que les Daulphins & Marsouins digerent toutes les harestes des poissons qu’ils avallent, lesquelles ils consommẽt en l’estomach, voire les plus dures espines & harestes des poissõs, toutesfois ils ne digerẽt iamais & ne consõmẽt les pierres qui sõt trouvees es testes : car nous leur en avons souventes fois trouvé avec les excrements dedens le droict boyau, qui estoient prestes a mettre hors, & toutesfois elles estoient demourees toutes entieres, cõme Cynediæ, Synodõtides, Triglites, & autres pierres sẽblables. Ils ont les intestĩs mal aisez a nettoier pour mãger : si est ce qu’on ne les iecte pas a Paris: car l’on trouve assez de personnes friãdes qui les achettent, & les habillent pour manger delicatement.

VI.

Que toute l’anatomie du cerveau du Dalphin convienne en toutes les parties avec celuy de l’homme.

LA chose de ceste anatomie du Daulphin qui nous a esté la pl admirable & sẽblé artificielle, est le cerveau & ses parties, car les nerfs qui võt deux a deux, qu’on appelle les sept coniugatiõs, sõt beaucoup pl apparẽtes es Daulphĩs, qu’ils ne sont es nostres mesmes. Et aussi quãd l’os de sõ test est descouvert de sa peau de dessus, il sẽble propremẽt estre le test d’un homme : car qui auroit couppé le bec a l’Oye ou au Marsouĩ, le test en resteroit rõd, lequel regardé de toutes parts par le devãt & par le derriere, par la sũmité & par les tẽples, on le trouveroit mieuls ressẽbler a celui de l’homme, que nul autre test qu’õ sache choisir de to autres animauls : car il ha les mesmes sutures, qu’a le test de l’hõme, & entre autres notes les plus insignes sõt les os pierreux, nõmez Lithoydi : desquels il en a un de chasque coste, & au dessoubs duquel le nerf de l’ouie entre au dedens du test. Ces os sont inegauls & durs cõme pierres creuses ou encavez par le dedens. I’ay parlé par cy devant des susdicts nerfs, qui se rendent es conduicts de l’ouye, lesquels sont si estroicts es petits, qu’on ne les peult gueres bien veoir. Car en tant que nature luy ha nyé les aureilles, elle luy ha baillé ces petits trous. Son cerveau est enclos de ses meninges ou membranes, qui sont fort robustes. Les ventricules & les destours du cerveau, sont correspondãts a celuy de l’hõme, & ha ainsi la posterieure partie separee de celle du devant, dessoubs lequel cerveau les productions des nerfs tant Optici, scolicoides, Adenes, que les autres, sortent a couples hors le test, les uns par l’anterieure partie du cerveau, pour venir aux naseaux, & aux yeulx, & a la lãgue : les autres par les costez, qui se referẽt aux ouyes & aux cõduicts de la sexte coniugation. Touts lesquels sont veus percer les meninges du test. Et d’autant qu’il est moult sanguin, les veines & arteres y sont veues plus apparẽtes. Or apres que i’ay amplemẽt descript l’interieure & exterieure anatomie du test du Daulphĩ, scavoir est de la cervelle & des os, suyvãt ce que i’ay par cy devãt promis. I’en baille maintenant la peincture : laquelle ie fey premirement portraire en Italie sur celle qui est dessus la porte de la ville de Rimini, iaçoit que nous l’eussions au paravant veue a Romme chez maistre Gilbert, & a Bologne la grasse chez Cæsar Odoneo medecins : toutesfois nous en avons aussi a Paris en nostre puissãce, qu’un chascũ pourra voir cõforme a ceste presente peincture.

Le portraict des ossements de la teste du Daulphin.

VII.

Comparaison faicte de la nourriture des petits Daulphins, es ventres de leurs meres, avec celle des animauls terrestres.

LES Daulphins ne les Marsouins & touts autres poissons Cetacees de leur espece, que nous avons peu observer, ne portent point plus d’un petit a la fois. Et croy que nature ne leur ait voulu permettre autrement. Car les petits sont dix moys en leurs vẽtres, ou ils deviennent moult grands, tellement que quand ils en sortent hors, ils sont desia d’une inusitee grandeur. Et si les Daulphins en portoient deux au coup, il fauldroit qu’ils ne creussent pas si grands dedens la matrice, car elle en seroit trop remplie, & n’y auroit suffisante espace dedens le ventre des meres pour les comprendre : veu mesmement qu’elles les rendent en vie desia parfaicts. Et encore que la matrice ait deux cornes, toutesfois elles sont assez occupees d’un seul Daulphineau. L’une des cornes de la matrice n’est pas si grande que l’autre. La queue du Daulphineau est quelque peu recourbee dedens la petite corne de la matrice, & aussi la secondine ou tunique en laquelle est envelopé le petit, laquelle les Grecs nomment chωrion, les François l’arriere fais, ha une longue partie cõme une queue pendante, qui est repliee iusques au fõd de la susdicte petite corne. Laquelle sort hors la matrice avec le petit, quãd il est parvenu au terme de sa iuste grãdeur. Elle est composee d’une infinité de rameaux, de veines, ligaments, nerfs, & arteres, tellement qu’elle semble estre quelque mẽbrane saignãte moult espoisse : touts les vaisseauls dessus dicts dont elle est tissue, vont se referer de l’un a l’autre, iusques a tant qu’ils soient parvenuz en un corps composé de quatre rameaux qui est nommé Urachus, auquel les François n’ont encor point trouvé de nom propre a l’exprimer, sinon que en quelques lieux cõme au Maine, ils l’appellent la Trippe du nombril, les autres la corde : laquelle trippe ou corde va se inserer dedens les membres interieurs du petit, par le nombril. Les uns entrent d’un costé, & les autres de l’autre. Car en tant que le nombril est colloqué au milieu du corps, l’une partie du dict Urachus descend contre bas, & l’autre partie monte contremont, scavoir est que la moitie va finir iustement en une coche entre les lobes ou lopins du foye, assez pres de la veine cave, & nommeemẽt baillent le nourrissemẽt du sang & l’esprit Vital, Animal, & Naturel, provenant de la mere, envoyé leans par les dicts ligamẽts tant au cœur, au cerveau, & membres principauls, qu’au foye. Ce n’est donc pas merveille si les douleurs des matrices que nous nommons la mere, sont si vehemẽtes, veu qu’elles ont si grãde familiarité & cõmunicatiõ avec les plus nobles parties de tout le corps, & aussi que touts les corps sont grandement transpirables, attendu que les petits mesmes inspirent & aspirẽt dedẽs les secõdines es vẽtres de leurs meres. Et pour prouver ceste chose. Qu’on tue un animal pregnãt & soubdain qu’on ouvre la poictrine de son petit, l’on voirra remuer ses poulmons & son cœur. Touchant ce poinct ie n’auray pas faulte de tesmoing de l’avoir veu en un Chameau de laisse soubs sa charge en une plaine d’Arabie au voiage de monsieur le Baron de Fumet gentilhomme de la chambre du Roy, en descendant a la ville nommee le Tor du mont Sinai au rivage de la Mer Rouge. Ie n’ay point eu de Daulphĩ en vie qui fust pregnãt pour experimẽter cela, toutesfois le Daulphin ha toutes ces merques, mais il vit en autre element. Or le sang envoyé au foye est distribué leans & a l’estomach & aux intestins, ou il est cuict par la chaleur du foye : & entre par l’extremité des vases en chasque partie interieure, tellement que toutes sont nourries du sang exterieur, que leur envoie la matrice par la communication de la secondine. Et encore qu’il n’entre par la bouche en l’estomach, & de la aux intestins, si est ce qu’il n’y a partie de dedens qui soit oyseuse, car lon trouve mesmement le droict boyau, autrement nommé le gras boyau, en quelque temps qu’on le regarder tousiours plein de l’excrement provenant du sang, dont le petit est nourri. Car comme il reçoit du sang exterieur dont il est nourri, lequel il ne peult tout digerer, par consequent il fault qu’il s’en face de l’excrement : duquel quand il est superflu, le petit s’en descharge en la secõdine, comme lon peult veoir chasque fois qu’õ vient a l’ouvrir, & en ce temps la le susdict droict boyau nommé Rectum intestinũ, que i’ay dict estre le plus petit es intestins des peres, il est le plus gros es enfants. Voila quant a l’un des rameaux de Urachus qui monte au foye. L’autre partie des rameaux desẽd en bas, & se vient semblablement inserer dedens la veine cave, en tenant la vescie tendue contremont, & distribue de cela qu’il porte tant aux veines des eynes que aux nerfs & arteres, pour le nourrissement de toutes les parties interieures. Au milieu de ces quatre vaisseauls, il y a un conduict qui se va rendre leans en une membrane nommee des anciens Amnios, laquelle est robuste & claire, mais elle n’est pas du corps de la tunique du chωrion autrement dict la secondine. Car aussi est elle par la partie de dedens, composee de deux pellicules enfermee avec le petit dedens la secondine, esquelles est contenu une liqueur ressemblant a l’eau, sinon qu’elle est un peu plus visqueuse, & y en a quantité selon l’eage du petit : car quand il ha six moys, on y trouve bien une quarte de liqueur. I’eusse pẽsé que ce fust esté son excremẽt de l’urine, n’eust esté que ie me suys trouvé a la fin du moys de septembre & d’octobre en diverses contrees & a plusieurs fois a les observer, auquel temps les Daulphineaux & Marsouineaux estoient encor si petits en leurs vẽtres, qu’a peine pouvoient ils avoir la grosseur d’une noix, & toutesfois ils avoient desia ceste liqueur, auquel temps la secondine ou chωrion estoit bien proportionnee a la grãdeur des petits, car consequẽment elle s’augmente & croist quãt & quant euls. Et ainsi suyvant le temps en portant leurs petits durãt l’hyver, primtemps, & bonne partie de l’esté, les rendent a une parfaicte grandeur : tellement qu’ils les peuvent garder dix mois. Et en cela ie vueil bien conforter le dire d’Aristote. I’ay observé en plusieurs Marsouins & Daulphins ce que i’ay dict, car durant l’hyver leurs petits sõt si petits, qu’ils ne sõt gueres pl gros qu’est un barbeau : & toutesfois ils ont desia grande quantité de liqueur claire dedens l’Amnios : & au primtemps estants fort proches de leur iuste grandeur, ils en ont plus grande quantité : & consequẽment l’esté ensuyvant estants parvenuz a terme, les femelles sõt trouvees delivres, & les petits qu’elles ont mis hors en la mer, incapables de se paistre d’euls mesmes : mourroient de faim, n’estoit que nature pourvoiant a tout ce quelle produit, aiant soing de les nourrir, ha dõné deux mamelles a la mere, dõt les petits bouts sont de chasque costé a un poulce loing de leur membre hõteux, mais ils sont cachez au dedens, & le pertuis qui les cache est comme une fente en la peau estendu en longueur : lesquels les petits tettent comme un autre animal terrestre. Aristote ha dict toutes ces choses en moins de parolles, car il escript qu’ils portẽt dix mois, & qu’ils vont deux a deux masle & femelle. Un passage en Pline m’a semblé doubtable, quand il escript qu’ils s’acouplent au printemps. Agunt (dit il) vere coniugia. Et si ainsi estoit, il fauldroit pour les raisons que i’ay dictes, qu’ils enfantassent en yver. Mais les autres exẽplaires de Pline ont, Agunt ferè cõiugia. Et quand ores on liroit vere, peult estre que ce mot n’est poĩt nom, ains adverbe verè. De moy sachant qu’ils s’acouplent deux a deux & qu’ils ne se laissent point l’un l’autre, ie oseray penser qu’ils habitent indifferemment selon leur affection comme aussi font plusieurs autres animauls. Ou bien voiant qu’ils ont un temps deputé par nature a s’engrosser & a enfanter : il me semble que ie ne fauldray point en disant qu’ils s’engrossent en la fin de l’esté, ou (cõme dit Aristote) en Autõne s’accouplãts masle & femelle, & se mettãts le ventre de l’un contre celuy de l’autre, a la maniere des hommes : qui est une chose qu’on a aussi escript des Ours. Reprenant maintenant les choses de plus loing, aiant par cy devãt parlé des membres honteuls des masles, il reste a parler de l’anatomie de la matrice des femelles, & de leurs petits, & comme ils sont contenus dedens l’Embryon : car apres que i’ay trouvé que les Daulphĩs commençoient des l’autõne a avoir forme desia gros comme une noix, & qu’en yver ils estoient de la grosseur d’un Carpion, & ainsi voutez leans : & que au primtemps ils sont desia si gros qu’õ ne les peult empoigner des deux mains : & qu’en esté ils soient parvenus a quelque desmesuree grãdeur telle qu’on n’estimeroit pas : il ma semblé en bailler la peincture, tant des petits que de la matrice, lesquels estoient au paravant enfermez d’une tunique que i’ay souvẽt nõmee secondine, laquelle apres l’avoir rompue i’ay couché le petit dessus, & faict peindre ainsi attaché par le nõbril, comme le present portraict demonstre. Ce que i’ay nommé tunique, les François le nomment l’arriere faix, de laquelle (comme i’ay dit) l’une des parties entre en l’autre corne de la matrice. Le petit est trouvé creu leans en yver de la grosseur d’un Carpiõ, alors il ha sa queue remplie a plat, mais sur la fin du primtemps il l’ha quasi en cercle luné : & ha l’hareste de dessus, couchee contre le dos : & si c’est un masle, un petit bout du mẽbre hõteux luy sort hors: & si c’est une femelle, le mẽbre feminĩ apparoist fort evidẽt. Ils ont aussi les aelles couchees contre le corps. Les masles oultre le pertuis de l’excrement en ont un autre au dessoubs : lequel pertuis n’est point trouvé es plus grãds : & encor que i’aye voulu suyvre le dict conduict, ie n’ay sceu scavoir quelle part il va : car il se depart incontinent en deux rameaux. Les petits ont une merque memorable, qui est un enseignemẽt de leur sens d’odorer, cest que aux deux costez de la levre d’en hault assez pres de l’extremité du bec, ils ont des poils de barbe, qui sortent hors la peau assez longuettes, & durs comme soye de cheval : lesquels poils ne sont pas en l’un comme en l’autre. Car l’Oudre en ha quatre de chasque costé, mais le Marsouin n’en ha que deux. Suyvant ce que i’ay promis bailler la figure d’un petit avec sa matrice, i’ay biẽ voulu premierement dire, que tout le portraict ainsi que ie le baille, est nõmé Embryõ : car aĩsi est nõmee toute la matrice entiere avec le petit.

La peincture de l’Embryon d’un Marsouin.

LE petit est en peincture dessus le Chωrion, ou tunique, ou l’arriere faix, estendu sur la matrice, ainsi qu’il ha esté trouvé dedens l’une des cornes, auquel l’Urachus est attaché au nombril. Les testicules de la femelle sont de chasque costé dessoubs les cornes de la matrice. Les ureteres de la femelle sont de chasque coste de la vescie, qui est peincte sur le col de la matrice. Voyla une briefue explication de ce que l’œil veoit exterieurement.

VIII.

Explication de ce que la susdicte peincture contiẽt interieurement.

I’Ay desia dict que les membres honteux des Marsouins masles avoient plus d’une paulme en longueur : scavoir est autant que comprend l’extremité du poulce & du petit doigt, qui autremẽt est la mesure de douze doigts : & que les mẽbres des Daulphĩs n’estoient pas si lourds ne gros, & qu’ils n’avoiẽt point plus de huict doigts de longueur : par consequent aussi fault il croire que les semelles des susdicts, aient membre correspondant & proportionné aux masles : & que les Marsouines, aient autre cõduict que les Daulphines. Voulant donc maintenant poursuyvre d’ordre a nõmer chasque chose de la susdicte peincture, ie commenceray au premier conduict de sa nature, lequel est fort spatieux par dedẽs, mais l’entree en est frõcee de rides qui la font estrecir : & combiẽ que la Daulphine soit blãche dessoubs le vẽtre, si est ce qu’elle ha le conduict honteux noir a l’ẽvirõ, & a un poulce loing aux deux costez, il y a deux petits trous fendus en lõgueur, qui sõt les trous des mamelles : & au dessoubs de la susdicte bouche hõteuse cõtre bas, est le pertuis de l’excremẽt, qui est fort rõd & petit au regard du dessusdict qui est tẽdu en lõg : & a l’ẽtree de ce dessdit cõduict hõteux il y a quelq ; petite pellicule ou ressort, qui pẽd de la partie d’en hault, laquelle ie ne vueil nõmer en François, cõbien qu’elle ait nom propre, car il est honteux : laquelle cache le conduict de l’urine venant de la vescie. Entrant quelque peu au dedens l’on trouve deux callositez ou durtez des deux costez quelque peu eslevees correspondantes aux hymenes, lesquelles tiennent le pertuys du conduict honteux renfermé. La capacité de ce conduict de la femelle, par le dedens, est longue de quinze doigts de l’intervalle ou distance de l’une entree ou bouche a l’autre : scavoir est de celle du dehors a l’autre qui est interieure. Elle est fort tissue de rides, qui la tiẽnen estrecie, & est moult blãche par le dedens, aussi qui veult, elle s’estend en telle largeur, qu’on y pourroit faire entrer un œuf par l’exterieure entree honteuse, & le conduyre sans le rompre iusques a l’autre seconde entree, laquelle est la premiere closture, entrant par le dedens en la matrice. Ceste seconde entree est moult estroicte, & pour la bien veoir, il fault la regarder par le dedens de la matrice, alors on trouve changement de couleur : car ou celle subsdicte capacité consistoit en blancheur, alors elle prend fin ou la seconde entree commence, & la elle est composee aussi d’une chevelure, qui est faicte des extremitez de plusieurs veines & arteres, qui sont de diverses couleurs, comme noires, rouges, blanches, bleuẽs, grises, se touchants l’une a l’autre. C’est la que commence celle secõde capacité qui s’estẽd en la matrice, dedens laquelle le petit est enclos avec la secondine. La matrice est embrassee par dessoubs de touts costez d’une infinie chevelure de veines, qui se terminent par les bouts de toutes parts en la dicte matrice, lesquelles sortent des rameauls de la veine cave, par le derriere du membre honteux, & suyvẽt par les costez montant contremont, & se inserent par le dessoubs sur la matrice. Mais le petit est leans envelopé de sa secondine, laquelle sort quant & quant luy, dedẽs laquelle il est totalement entourné de toutes parts. C’est une note qui ne convient pas a touts animauls qui rendent leurs petits en vie, ne mesmement aux poissons cartilagineux. Car les Rhines, que les François nomment Anges de mer, & les Roussettes & les Chiens de mer, rendent leurs petits en vie, lesquels ne sont pas envelopez de tuniques, mais seulement sont conioincts de l’Urachus par le nombril a la matrice : nous avons trouvé telle fois qu’un chien de mer de petite corpulence en porte unze d’une ventree, mais disposez en sorte que la teste en sort la premiere : chose cõmune a touts animauls.

IX.

Que plusieurs animauls rendent leurs petits sans secondines, mais qu’ils avoient esté formez en œufs en la matrice.

QUant a ceuls qui sont ainsi attachez a la matrice par le nõbril sans tunique, il fault entendre qu’ils aiẽt premieremẽt esté leans creez en œuf : & puis de la petit a petit prẽnent leurs formes dedẽs les ventres, dont a la parfin sont produicts les petits, lesquels en apres les meres mettent hors touts nuds sans secondine. Voyla quant aux poissons cartilagineux qui en naissant sont exclos sãs aucun enveloppement. Mais des terrestres la Salmandre rend ses petits en vie ia parfaicts, & qui scavent cheminer des l’heure mesme qu’ils sont hors : & de quarãte ou cinquãte qu’elle rend, il n’y en a pas un ẽvelopé de tunique, nõ pl que les petits de la Vipere, laquelle rẽd aussi ses petits en vie, sãs secõdine : car ses petits furent premierement en œuf en la matrice, mais a les esclorre elle les rẽd sãs tuniques, cõme maistre Pierre Geodõ, tres expert appoticaire, ha veritablemẽt observé. La Chauve souris aussi, rend ses petits en vie sãs tunique : ce que ne fõt les Rats, Souris, Taulpes, & autres a qui elle est sẽblable. Les Insectes aussi cõme sont Phalangiõs, & Escherbots, cõçoipvent sẽblablemẽt les œufs en leurs ventres, dont puis est procreé l’animal sans tunique, lequel ils gardent ia parfaict soubs leurs poictrines. Mais le Daulphin, le Chauldron, l’Oudre, le Veau de mer, & la Baleine, ne font pas ainsi : ains font leurs couches sans l’aide de ceuls qui relievent les petits, & toutes fois il ne laisse a sortir grande quãtité de sang du nombril du petit qu’ils enfantent, & principalement quand ils separẽt les tuniques ou secõdines. Et fault necessairement apres que le petit a esté rendu hors la matrice de la Daulphine, que la mere luy separe la secondine avec les dents, & la luy couppe & separe du nõbril, comme aussi font touts autres animauls a quatre pieds, ainsi qu’ils sont apprins de nature. I’avoye cessé de parler des veines qui sortent du corps de la veine cave, & entrent par les eynes en la matrice, qui sont celles qui baillent la nourriture au petit : laquelle nourriture luy est premieremẽt cõmuniquee par le moyen de sa tunique : car elle est comme une esponge humide, laquelle appliquee a une autre, la rend humectee, tellement que de la matrice, le nourrissemẽt peult facilement passer a la secõdine, laquelle n’est aussi qu’une masse de veines, non plus qu’est la matrice. Ceci ne soit trouvé difficile car toutes se rẽdent a l’Urachus, qui est un seul corps ou se referẽt toutes autres ligatures de la secõdine a son nombril. La matrice des Daulphins est cochee a la summité, car elle ha deux cornes qui se retrecissent contre bas, lesquelles sont voultees de chasque costé a la maniere d’un arc tẽdu : & croy que nature l’a faict pour donner lieu a l’estomach, & a chasque corne il y a un genitoire, qui sont deux en nombre, beaucoup moĩdres que ceuls qu’õ veoit es masles, lesquels envoiẽt un conduict de chasque costé qui se rẽd aux parastates, pour porter la semence laquelle ils ne rendent pas en la matrice, car les vaisseaux la conduisent dedens la capacité du membre honteux de la femelle, & non pas en la matrice, scavoir est entre les deux cõduicts ou ouvertures du membre hõteux, que i’ay desia descript, mais plus pres de celle de la matrice que de l’autre exterieure. Laquelle chose se peult prouver, comme ie diray cy apres : mais il fault premierement entendre que c’est la raison pourquoy quãd les femelles ont conceu, encor que la semence soit entree par l’ouverture de leur matrice, & que la matrice soit si estroictement fermee durãt qu’elles sont grosses, qu’il n’y entreroit ne sortiroit de leans chose qui fust de la grosseur d’une poincte d’esguille delie, toutesfois estants ainsi pregnantes elles ne laissent pourtant a iecter leur semence & la mettre hors par le membre hõteux que i’ay dict quand elles s’accouplent avec le masle, tout ainsi cõme quand elles n’estoiẽt pas grosses. Or si cela est vray que la matrice soit si estroictement fermee quand elles sont grosses, aussi fault il qu’il soit vray que leur semence ne passe pas par dedens la matrice, car elle y demeureroit enfermee avec le petit : mais comme i’ay dict, la semence des femelles suivant le conduict des parastates, passe par les costez de la matrice, & est rendue a l’entree de dedẽs la capacité du mẽbre honteux, lequel puis ne l’empesche poĩt de sortir. Ceci soit entendu de toutes especes d’animauls. Mais le petit Daulphin, ou autres de son espece, estant en la matrice, porte plus sur l’une corne que sur l’autre, laquelle est plus spatieuse & large que n’est l’autre qui est vuyde.

X.

D’un Marsouineau trouvé au ventre de la mere, lequel pource qu’il estoit si grand, fut presenté au Roy Françoys.

IE ne veul passer oultre sans escrire une chose notable que i’ay ouy racompter touchant le Marsouin. C’est qu’il soit advenu a un maistre d’hostel de chez le Roy, d’avoir trouvé un si grãd Marsouin dedens le ventre de sa mere, qu’il ne le peut veoir sinõ par grand admiration, parquoy il le trouva d’autant plus digne de le faire veoir au Roy Françoys, lequel fut si grand admirateur des œuvres de nature, qu’il vouloit expressẽent qu’on luy presentast tousiours quelque chose de nouveau, aussi on le luy presenta onc chose tant fust petite, qu’il ne l’estimast grandement, & usast de grande liberalité a celuy qui la luy presentoit. Mais apres qu’il eut veu un si grand poisson qu’on avoit trouvé au vẽtre d’ũ Marsouin, alors il commanda qu’on luy appellast ceuls desquels il attendoit en avoir certain iugement, mais ils furent d’opinion touchant cecy, que le Marsouin l’avoit ainsi avallé : disants que les poissons se mengeoient l’un l’autre, non sachants que les Marsouins portassent leurs petits si grands, & qu’ils les rendissent en vie. Or ceste fois la on avoit aussi amené un poisson Chauldron quant & le Marsouin, lequel Chauldron il voulut veoir departir en pieces, & le bailler aux Souisses de sa garde, car il n’en voulut pas manger. Toutes lesquelles choses ie n’ay pas veu moimesme, mais ceci me fut dict en regardant ouvrir un Marsouin a Sainct Germain en laie, presents les Escuiers & quelques maistres d’hostel, qui disoient en avoir trouvé une cinquantaine de petits en leurs vies es ventres de leurs meres : mais qu’ils n’ont souvenance d’en avoir onc trouvé plus d’un petit au coup. Semblablement nous avõs tousiours eu soing de recouvrer les petits de ceuls qu’õ apportoit aux halles a Paris, car la coustume est de les envoyer iecter en la riviere. En sorte que nous en aions eu telles fois quatre a un iour de vendredy, du moys de May. Mais ie n’en sceu onc veoir plus d’un a la fois, combien que ie seroye bien d’opinion qu’ils en peuvent avoir deux, comme Aristote l’ha escript. Voyla touchant le nombre des petits que le Daulphin, & Marsouin portent en leurs matrices.

XI.

Description de l’interieure anatomie de l’Oudre, que les Latins nomment Orca.

A fin de distinguer chasque chose en son chapitre particulier, apres que i’ay baillé l’anatomie interieure, & tout le discours tant du Daulphin que du Marsouin, i’ay bien voulu bailler l’anatomie interieure du susdict grand Marsouin que i’ay nommé une Oudre, dont i’ay desia descript l’exterieure. Et fault noter que l’anatomie interieure du Daulphin, du Marsouin, & de l’Oudre est semblable en toutes choses. Et en regardant exactement, & cherchãt quelque merque qui les discernast, ie n’ay trouvé differẽce aucune, sinon en la ratte, que l’Oudre ha d’une seule piece : & la langue qu’elle n’ha pas cochee, sinon un petit par le bout. Cela est tout arresté & manifeste, que iamais toutes ces especes, ne font leurs petits qu’en temps d’esté : car oultre que Aristote homme veritable nous l’ha asseuré, nous l’avons aussi trouvé par experience, suivant l’observation que nous en avons faict iournellement. Il ne reste rien d’insigne a descripre de l’Oudre sinon, qu’il luy advient (comme aussi au Marsouin, Daulphin, & Baleine) d’avoir la gueule estroicte, & le conduict de la gorge depuis la langue iusques a l’estomach de la partie du revers, c’est a dire que le tuiau de l’artere est entre deux : tellement qu’elle ha la gueule de la partie du revers : aussi fault il qu’elle se renverse a la maniere de la Baleine, & des autres poissõs qui ont poulmon. On luy trouva diverses sortes de poissons dedens l’estomach, cõme Rayes, Gournaux, & Vives. Semblablement avoit le foye sans fiel, & mesmes poulmons & diaphragme que le Daulphin : & si grande quantité d’intestins, que a peine y en auroit il autant en un bœuf.

XI.

Qu’il n’y ait point de difference en la description de la matrice du Daulphin avec celle de l’Oudre ou Orca.

Ie n’escriray autre chose de sa matrice, en tãt que i’ay faict peĩdre celle du Marsouin, a laquelle celle de l’Oudre est semblable. Toutesfois i’ay aussi biẽ voulu faire peĩdre le petit Oudreau dess sa tunique ioignãt sa mere, ainsi que le peinctre industrieux maistre François perier l’a veu hors de sa matrice, ou le petit est quelque peu replié, tout ainsi qu’est celuy du Daulphin : il ha quatre petits poils de barbe de chasque costé des levres. Les Marsouineaux n’en ont que deux : & toutesfois nul des grands ha ceste chose la, & mesmement Aristote s’esmerveille, que il n’y ait aucune apparence des conduicts du sens d’odorer es Daulphins : lesquels toutesfois odorent soigneusement, laquelle chose ie puis aussi biẽ referer au Marsouin & Oudre. Les susdicts poils tumbent aux Oudreaux en croissant : & quand ils ont passé demy an, il ne leur en demeure aucun vestige, ne de poil, ne de pertuys. Les petits Oudreaux sont beaucoup plus camus que ne sont les meres : car de force qu’ils sont camus, ils ont une coche enfoncee dedens le front. Oultre la secondine encor ha une petite pellicule deliee, qui est la premiere peau dont ils sõt couverts, laquelle est moult delicate & tendre & polie : car celle qui est par dessus le dos, ne est sinon une confusion de veines tressees. Et les ligaments de sa secondine, qui sont attachez au nombril, sõt marquettez de quelques asperitez, comme s’il y avoit des petites perles semees par dessus : lesquels sont aussi au Daulphin, & au Marsouin.

XII.

Comment la chair du Marsouin est distinguee de celle du Daulphin, & a scavoir quelle est la meilleure.

LES vivendiers & autres gents qui voient iournellement trencher les Oyes ou Daulphins, & les Marsouins es poissõneries, scavent bien lequel des deux est le plus requis pour estre le meilleur a manger. Et combien que les interieures parties des deux comme sont les trippes, foye, poulmon, & le cœur, ne soyent pas eu goust si differents qu’est la chair, toutesfois avant escripte le goust d’entre leurs chairs ie vueil premierement donner une particuliere note qui distinguera l’une de l’autre quand ils serõt veus trenchez dessus l’estal en pieces. C’est que le Daulphin ou Oye n’est pas si gras qu’est le Marsouin. Et pour autant que le Daulphin n’est pas si gras, aussi est de meilleur goust, & beaucoup plus profitable & plus delectable que n’est le Marsouin. Par cela ceuls qui sont coustumiers de veoir souvent touts les deux & en acheter, prennent plus voluntiers du Daulphin ou Oye que du Marsouin, suyvant le proverbe François qui dit, que les plus maigres poissons sont les meilleurs, c’est a dire que ceuls qui sont naturellement gras, ne sont pas si bons que ceuls qui sont naturellemẽt maigres. Mais qu’un Marsouin ou autre poisson gras de nature, extenué & amaigri soit bon, cela n’entens ie pas, ains de to poissons de quelque nature qu’ils soient les plus gras en leur espece sont tousiours les meilleurs. C’est assez parlé d’une telle viande comme est celle du Marsouin & du Daulphin, dont ie me esmerveille comment elle soit devenue tant chere, qu’il n’y ait que les grands seigneurs qui en puissent avoir, & toutesfois il n’y ha autheur qui ait iamais dict qu’on en mengeast anciennement.

XIIII.

Que les anciens n’avoient point accoustumé de manger du Daulphin.

QU’on lise les escripts des autheurs anciens, tant des Philosophes & aussi medecins, que des modernes, & si lon en trouve quelqu’ũ qui ait iamais escript, qu’on ait anciennement mãgé de la chair du Daulphin, ne qu’elle fust iamais mangee de leur tẽps, ie suys content qu’on ne me croie pas. Galien ha bien escript, que les grands poissons deviẽnent meilleurs d’estre salez, & qu’õ pourroit bien manger du Daulphin, mais non pas qu’on en mãgeast, aussi pour bien le louer, c’est une viande qui seroit plustost a laisser en la mer qu’a estre mise en l’usage des hõmes, car mesmement ne les Loups ne les Regnards affamez n’auroient cure d’en mãger, encor qu’ils deussent mourir de faim, chose que no avons trouvé estre vraie aux rivages du Pont Euxin, ou nous en avons veu un mort, qui demeuroit sans estre mangé. Et croy que si les oyseaux & bestes sauvages eussent eu cure d’en manger, on ne l’eust pas trouvé la tout entier. Et toutesfois il est au goust des François le plus delicieux de touts autres poissons : & monte a si hault pris detaillé & vendu en pieces, que souventes fois un seul sera vendu plus de cinquante escuts, aussi il n’y ha aucun autre poisson a qui l’on s’esforce de faire meilleure saulse qu’a luy, ne regardant point a la despẽse qu’on y faict pour la faire bonne ie seroie bien d’opinion que de n’en manger point seroit pour le meilleur.

XV.

Que l’artifice des hommes puisse excuser le default de nature, & donner bonne grace au mauvais goust des poissons.

SUyvãt cecy, ie veul racompter combien l’artifice des hõmes peult adiouster a nature : car les paovres mariniers & pescheurs, aiants pris des poissons qui d’euls mesmes sont de saveur ingrate, comme sont les especes de Chiens nommez en Latin Galei, ou plusieurs autres cartilagineux, comme Lamia, Amia, & cestui ci que i’ay icy portraict nommé Zygena, ou Libella : ils leur scavent faire une saulce si propre, que la saveur de la saulce surpasse la saveur ingrate du poisson, laquelle leur oste la mauvaise odeur, & les rend delectables : & tout ainsi que les pl riches font telles saulces avec bonnes Muscades, Girofles, Macis, & Canelle battue, Beurre, Succre, Vin aigre, Pain rosti : lesquelles choses les cuisiniers asaisõnent si bien au Marsouin, que encor qu’il sentist le Regnard escorché, toutesfois ils le rendrõt d’un goust plus friãd, & d’une saveur plus exquise que ne sont les Rougets, Barbez, ou Lãproyes. Aussi les paovres gents n’aiants point tant de choses a commandement, aiants tant seulement des aux & des noix, qu’ils battent avec du pain & de l’huille, & du vin aigre, ils feront une saulce a leur poisson, qu’ils rendront a leur appetit si delicieuse qu’on n’en peut mãger, sinon par grande singularité : & telle maniere de saulce est generalement cogneue de touts pescheurs, qu’ils nomment vulgairement de l’Aillade.

Le portraict de Libella que les Grecs nõment Zigena, et les Romains una Balesta, c’est a dire une arbalestre.

IL fut un temps qu’on avoit accoustumé de iecter les deux aelles ou bras & les queues des Daulphins, & Marsouins, ou biẽ les attacher aux portes : mais ie ne scay quelle nouveauté ha inventé que maintenãt on les prefere a toutes les autres parties du corps, chose que i’ay apprĩse a Rouẽ : car ceuls qui ont le droict des poissonneries, apres qu’ils ont faict delivrer les Daulphins aux poissõnieres : elles leur raportent les trois pieces pour leur droict, qui sont les deux aelles & la queue.

XVI.

De l’anatomie des os du Daulphin, Marsouin, & Oudre.

I’Ay escript tout l’exterieur & l’interieur de l’anatomie du Daulphin, Marsouĩ, & Oudre. Il reste a parler quelque chose de leurs os. Il me souviẽt avoir trouvé un Schelete tout entier d’un Daulphin, au rivage du Bosphore Cimmerius, celle fois que nous estions allez avec monsieur Gillius, veoir quelle latitude il avoit en ce destroit d’une rive a l’autre : lequel scheletos ou compaction des ossements, osté qu’on n’y trouve point les ossements des iambes, il est semblable a celuy de l’homme, & y peult on discerner vingt & quatre grosses vertebres : dont celles qui descendent iusques bien pres du pertuys de l’excrement, sont percees en icelle part, ou est la mouelle qui descend depuis le test le long de l’espine du dos. Mais les autres vertebres qui descendent iusques a l’extremité de la queue, sont seulement comme frequentes petites rouelles rondes, attachez les unes contre les autres sans estre percees. Aussi la queue est seulement composee d’une matiere nerveuse sans autres ossements. Mais les aelles ou bras des deux costez du Daulphin, encor qu’ils soient courts, si est ce qu’ils ont touts les mesmes ossements de l’homme. I’ay dict par cy devant combien il ha des costes, i’adiousteray qu’il ha les os du sternõ pl approchãts de l’humain, que les animauls a quatre pieds. Au surplus il ha les omoplates qui sont appellees en François les palettes. Aussi ha les clavicules, qui se peuvent bien recognoistre d’avec les autres ossements. Et consequemment l’os du coude y est trouvé seul, comme il est en nous, & en apres le Radius & Ulna cõioincts ensemble, dont l’un est plus grand, & l’autre plus petit, tout ainsi comme il est es hommes. Il ha aussi une main eslargie en cinq doigts : & esquels doigts, lõ trouve les articulatiõs : & cõmençant au poulce, lõ y trouve deux os, au second d’apres trois : au maistre doigt qui est le plus long de touts les autres, il y en ha quatre, & a l’autre d’apres trois : & au petit un. Semblablement on luy trouve les os des pongnets in Carpo, au dedens de la main. I’ay parlé des ossements de la teste, dont i’ay baillé la peincture : & m’a semblé avoir satisfaict aiant deschifré succinctement l’anatomie de ces os.

XVII.

Que les Daulphins soient pris plustost par hazart que de propos deliberé, & de la maniere de les pescher.

I’Ay descript ailleurs plusieurs manieres de pescher les poissons que i’ay observees au Propontide, lesquelles i’ay mises en descripvant les singularitez des pais estranges. Maintenant ie veul seulement parler de la maniere qu’on ha accoustumé d’user en peschant les Daulphins en nostre mer, lesquels sont pris plus souvent par fortune que par aguet : car a dire la verité, les poissonniers qui tendent les filets de propos deliberé pour prendre les autres poissons, n’esperent pas que les Daulphins y viennent frapper pour se prendre : & toutesfois les Daulphins sont plus souvent pris par telle maniere que autrement. Voila quanta a une maniere de les pescher. Les Daulphins estants contraincts de sortir souvent pour prendre l’air, & puys retournants en la mer a leur pasture, sont guettez des mariniers, car incontinent que les mariniers les ont veu approcher de leur vaisseau, ils se preparent sur le bord du navire avec des Harpons, attẽdants que les Daulphins & Marsouins retournent prendre l’air vers le vaisseau : alors ils les sifflẽt a fin de les faire approcher plus pres. Et si les mariniers les veoient a leur avantage, ayants le Harpon eslevé, tenu du bras dextre en l’air, avec bõ pied bõ œil, ils dardẽt le Harpõ : lequel est attaché a une cordelle lõgue de pl de vingt ou trẽte aulnes, a fin qu’elle suive avec le Harpõ quãt & quãt le Daulphĩ : & quand le Daulphin qu’ils aurõt atteint sera descẽdu, biẽ bas, & sera prest de retourner cõtremõt, alors les mariniers petit a petit retirãs leur cordelle, l’attirẽt iusques au bord du navire : & soubdain qu’il y est, ils õt quelques fourches recrochees, desquelles ils le tirẽt dedens le navire. Ceste cordelle ainsi longue attachee au Harpon, sert que quand ils l’ont atteint dessus le dos, qui est beaucoup mol, ils l’ancrent si avãt, en sorte que le Harpõ y demeure fiché. Car il ha les arrests des deux costez, qui ne sortent pas aiseemẽt. Toutesfois si le harpon n’estoit attaché a si longue corde, le Daulphin se sentant frappé, de la vistesse qu’il desloge, il deschireroit plustost sa chair, qu’il n’eschapast. Et pour eviter la premiere violence & secousse, on l’attrempe avec tel artifice. Ce que nous nõmons Harpon, les Italiens l’appellent una Delphiniera. Les mariniers qui vont en voiage loingtain, en portent expressement en leurs navires pour lancer indifferemment sur toutes especes de poissons Cetacees. Et cõbiẽ que i’ay dict que les Italiens ne mãgent point de Daulphin, i’entens du commun peuple, qui aiant d’autres choses a commandement, n’estime rien la chair du Daulphin ou Marsouin. Mais les gents de marine, estants sur mer en leurs vaisseauls, & principalement sur navires qui ne touchẽt terre quasi pas en un mois ou deux une fois, n’auroient esgard a mãger d’un Regnard de mer, cõbiẽ qu’il est du plus mauvais goust qu’õ sache poĩt trouver en la mer, du quel la presẽte est la figure.

Peincture du Regnard de mer.

VOila donc une maniere de pescher les Daulphins au harpon. L’autre maniere dont i’ay parlé, est qu’ils s’enuroullent & empestrent quelques fois dedens les fillets qu’on avoit tendu a prendre les Celerĩs & Harẽs, & autres poissõs sẽblables : tellemẽt que ne se pouvants desfaire, demeurent prins en ceste sorte. On les frappe quelques fois de l’arbalestre, & de l’arquebouse en la mer, & aussi avec des picques : mais ils ne viennent pas en la puissance de ceuls qui les ont frappez : laquelle chose est aussi faicte rarement & se faict en temps calme lors que les mariniers sont de loisir, ne sachants a quoy s’amuser ne passer le temps.

XVIII.

Qu’õ ne salle le Marsouin & Daulphĩ sinõ en Frãce.

Entre les salures frãçoises des poissõs Cetacees ne cognoy que la Baleine, le Marsouĩ & l’Oye : dõt no ayõs quelque usage, desquels il n’y a point es autres pais du Levãt, mais ils en ont d’autres a l’eschãge, dõt aussi no n’avõs point d’usage. Aristote ha entẽdu, que les poissõs nõmez en Latin Cetacei, sõt ceuls qui sont de grande corpulence & qui rendent leurs petits en vie : toutesfois les autres Grecs ne l’ont pas du tout ensuyvi en ce dernier poinct : car ie trouve que le poisson nõmé Ichtyocolla, & aussi Libella ou biẽ Zygena, & le Ton, comme les Roussettes & les Chiens de mer, ont esté nommez Cetacees. Dont les vendeurs de tels grands poissons, comme est la Tonnine, ont esté nommez Cetarii, qui indifferemment vendent toutes especes de poissons sallez en leurs boutiques. Les Marsouins & Daulphins peuvent bien estre escorchez pour en garder la peau iusques a quelques annees : chose que i’ay experimentee estre vraie, dont mesmement monsieur Rondelet medecin de Monseigneur le Cardinal de Tournon, docteur regent de Montpellier ne me desdira pas : car luy qui sur touts autres personnages est diligent a recouvrer les peinctures des poissons, & qui en ha ia assemblé pres de mille differẽts, lequel cõbien qu’il eust veu plusieurs autres Marsouins, & en eust les portraicts toutesfois il eut plaisir de veoir cestuy la ainsi rempli que ie lui fei veoir. I’avoye a dire ceci du Daulphĩ, Marsouĩ, & Oudre, en prouve des peinctures des Daulphins que i’ay maintenu, & maintiendray estre les vraies. Quãt a l’anatomie que i’ay descripte ie veul bien faire entendre ne l’avoir faicte en cachettes, ains l’avoir faicte publiquement, l’an passé au College de medecine, lors que Monsieur Goupil lisoit le Dioscoride en Grec, avec moult frequent & tres grand auditoire, a laquelle anatomie assista une multitude de plusieurs scavants escoliers medecins : & m’asseure qu’il ne s’en trouvera un de ceuls qui estoient presẽts, qui ne die que ie ne l’aye monstree beaucoup plus par le menu que ne l’ay descripte en ce present livre. Parquoy ayant ainsi touché les principauls poincts, & achevé ce que i’avoye a descripre, i’ay icy posé pour faire fin.

XIX.

Vray portraict de Hippopotamus avec toute sa description

En descripvant le Daulphin, i’ay promis que ie comprendray quelques autres animauls, qui se referent a un genre de ceuls qui sont nommez Cetacees : scavoir est de ceuls qui sont de grande corpulence, & enfantent leurs petits en vie : desquels ie trouve que l’Hippopotamus en est l’un. Car il est un animal du gẽre de ceuls qui sont nommez Amphibia, c’est a dire qui vivent en touts les deux elements : c’est a scavoir en l’eau, & sur la terre. Ie le veul dõc descripre avec le Daulphin, pource que le Daulphin est animal aquatique, convenant en ce avec l’Hippopotamus, qu’il ne puisse vivre lõg tẽps plõgé en l’eau, qu’il ne lui cõviẽne pareillemẽt sortir pour respirer en l’air : mais l’Hippopotamus ha cela de particulier differẽt au Daulphin, qu’il est animal aiãt quatre pieds, & vivãt lõg tẽps sur terre, ce que ne faict pas le Daulphin. Parquoy faisãt fin, me taisãt du Daulphĩ, ie prẽdray l’Hippopotamus. L’Hippopotamus est un nõ, que les Latĩs ont ẽprunté des Grecs, ne signifiãt autre chose qu’un Cheval de riviere : lequel iamais les Latins ne voulurẽt tourner en leur lãgue, aĩs l’õt tousiours retenu : sẽblablemẽt a leur imitatiõ en le descrivãt, ie retiẽdray la mesme dictiõ Greque d’Hippopotamus : duquel les autheurs ont parlé tãt diversemẽt, qu’ils ne cõviẽnẽt ensẽble en le descrivãt. Et tout ainsi que la Loutre, & le Veau marin, le Castor, & le Crocodille se peuvẽt tenir lõg tẽps en l’eau, & plus lõguemẽt en terre, sẽblablemẽt aussi faict le Hippopotamus. Quãt aux desusdicts, ce sõt animauls esquels il n’y a difficulté aucune, mais elle est moult grande en l’Hippopotamus : duquel ie pretẽs bailler la vraie peĩcture. Car no l’avõs veu en vie, lequel avoit desia demeuré hors l’eau l’espace de deux ou trois ans sãs point y rentrer, selõ ce que nous en avõs peu entẽdre de ceuls qui en avoiẽt le gouvernemẽt. Pline a escript que Marcus Scaurus fust le premier qui le monstra a Rome. Põpee aussi triũphãt des Egyptiẽs en feit spectacle au peuple Romain. Dion escrit, que D. Augustus triũphãt de la Reyne Cleopatra, en feit aussi le sẽblable. Les anciens autheurs, qui ont descript l’Hippopotamus, ne l’ont pas descript fort amplemẽt : mais ont esté cõtents de l’avoir passé legieremẽt : & n’y a persõne d’ẽtre euls qui en ait escript plus a la verité que Aristote : lequel ia soit qu’il eust peu lire la descriptiõ de l’Hipopotamus en Herodote en une autre maniere : toutesfois il l’a mise autrement que n’a faict Herodote. De moy ie l’escriray n’aiant esgard a autre chose, sinõ a ce que i’en ay veu. Et pour demõstrer la grãdeur de celuy que i’ay veu, il fault premieremẽt supposer qu’õ voie un porceau biẽ gras, bien nourri, biẽ trappe, & assez hault, qui ait cõme une teste de vache sãs cornes : laquelle soit de mesme la reste du corps. Ce porceau dõnera la perspective d’un Hippopotamus. Car l’Hippopotamus est couvert d’une peau qui cõvient avec celle du porceau, tãt en couleur qu’ẽ autres notes. I’entẽs un porceau domestique qui n’est pas noir. Mais l’Hippopotamus a la teste si enorme & grosse, & la gueule si grãde quãd il l’ouvre, que mesme le Liõ baillãt n’ẽ approche aucunemẽt, tellemẽt qu’õ y mettroit facilement un globe pl gros que n’est la teste d’un hõme, ou autre chose sẽblable. Il ha les naseaus enflez cõme ceuls d’ũ Beuf : aussi paist il l’herbe a la mode d’un Bœut, ou Cheval. Il ha les levres si eminẽtes & eslevees, tãt celles de dess que les autres de dessoubs, qu’il en apparoist, tout cam, ioinct qu’il ha le frõt biẽ bas, a la maniere de l’Orca. Il ha les dẽts de cheval faictes de mesme façõ, biẽ fortes & lõgues hors des maschoueres, qui ne sõt pas aygues, cõme es animauls qui vivẽt de chair : car il vit des rouseaux & cãnes de succre & fueilles de l’herbe de Papier. Il ha les yeulx moult grands cõme les yeux d’un Bœuf. Il ha sa langue du tout a delivre : mais ie ne scay quelle grãde voix il fait. Biẽ est vray que Herodote ha escrit qu’il hẽnit cõme un cheval : ie lui ay seulemẽt ouy faire quelque voix du gosier ouvrãt sa gorge. Il ha la queue courte rõde & grosse cõme d’une Tortue ou Porceau. Ses aureilles estoient courtes comme celles d’un Ours, rondes, & me semble aussi qu’il avoit les pieds ainsi que sont ceuls d’un porceau, qui n’estoient pas beaucoup distinguees, voila quãt a l’exterieure peincture de l’Hippopotamus. Nous n’avons rien a dire de l’interieure : car aussi ne l’avons nous pas eu en nostre puissance pour le pouvoir anatomiser. Au demeurant il me semble que ceuls qui ont pensé que Hippopotamus fust un animal terrible & cruel, se soient trompez : car nous l’avons veu tant douls qu’il n’ha les hommes en horreur, ains les suit amiablement : & aussi est il tant pacifique & aisé a dompter, qu’il ne s’esforce de mordre. Le vulgaire des Italiens, & principalement de ceuls qui sont residents a Constantinoble, le nomment en leur langage le Bo marin, c’est a dire le Bœuf de mer. Car comme i’ay desia dict, il ha la teste comme un Bœuf sans cornes : mais les Turcs & les Grecs le nommants en leur lãguage, ont une diction qui signifie autant que si nous disions porceau de mer : car il ha le corps de porceau. C’est l’une des bestes qui est en Constantinoble, que les estrangers qui viennent la, appetent le plus a veoir : mais il n’y ha personne de touts ceuls a qui i’aye onc parlé, qui me l’ait nommee Hippopotamus. Et combien qu’il y ait un lieu en Constãtinoble moult voisin de l’Hippodrome, sur le chemin de Saincte Sophie, auquel sont gardees les bestes cruelles, ou nous avõs veu des Lynces ou Onces, des Tygres, des Lions, des Liepards, des Ours, des Loups : lesquels les Mores gouvernent, ne se saignants de les manier non plus que nous ferions un chat privé. Toutesfois ils n’ont l’Hippopotamus en ce lieu la, mais ailleurs en un lieu qu’ils nõment le Palais de Constãtin : auquel lieu sont monstrez les Elephants. Quand quelque estrãger vient la pour veoir le dict Hippopotamus, on le luy monstre dõnant quelque piece d’argent. Ils le font sortir de son estable sans estre lié, & sans avoir aucune crainte qu’il morde. Alors ses gouverneurs voulãts plaire d’avãtage a celuy a qui ils le font veoir, ils se font bailler quelque teste de chous cabus, ou quelque piece de melon, ou quelque pongnee d’herbe, ou bien du pain, lequel ils tiennent en l’air en le monstrant a l’Hippopotamus : mais luy qui entent qu’on luy veult faire ouvrir la gueulle, aussi l’ouvre si grãde, que la teste d’un Lion baillant, pourroit trouver place leans. En apres son gouverneur luy iecte cela qu’il luy avoit monstré, comme qui le iecteroit en un grand sac : laquelle chose l’Hippopotamus masche, puis l’avalle. Voila que i’avoye a dire de l’Hippopotamus que i’ay veu en vie.

XX.

Que Aristote ne convient pas avec les autres autheurs qui ont escript de l’Hippopotamus.

ET a fin que quelqu’un ne pensast pas que ie me soye trompé en prenant celuy que i’ay nommé pour un Hippopotamus : & qu’il fust un autre, & m’allegast Herodote le plus ancien de touts les Historiens, qui dit que l’Hippopotamus est grand cõme un grãd Bœuf, aiant queue de Cheval : & que l’Hippopotamus dont ie parle, n’ait pas cela : ou suyvãt les merques de Diodore qui escript qu’il ne soit guere moindre en grandeur que de sept pieds & demy, & qu’il ait quatre pieds, desquels l’ongle est fendu comme celle d’un Bœuf, trois dents de chasque costé, les oreilles hault eslevez, & plus apparentes que de nulle autre beste sauvage, & la queue & le hennissement semblable au cheval : & que celuy que i’ay cy dessus escript, ne convienne pas non plus avec celuy d’Herodote que de Diodore : a cela ie respondray, que i’ay amené les merques bien notables que Aristote ha escriptes touchant l’Hippopotamus : avec lequel pourront convenir celles que i’ay escrites du Bœuf ou Porc marin de Constantinoble : car Aristote ne veult pas que les Hippopotames aient le corps plus grand que les Asnes : & aussi n’entent pas qu’ils soient du tout si grands : qui est une moult repugnante note aux escripts des Historiens. D’avantage, il veult qu’ils ayent la queue de Porceau, & les dents de Sanglier, qui est semblablement contraire aux subsdicts. Voyla donc comment il y a grande controverse entre leurs escripts, & qu’ils ne conviennent pas ensemble. Mais quant a moy, ie me retireray tousiours d’avec Aristote. Et voulant bailler la vraie peincture de l’Hippopotamus, ie la veul prouver par les anciennes statues des Egyptiens, & Romaĩs, ou biẽ par les antiques medalles des Empereurs Romains, esquelles les figures des Hippopotames sont si exactement representees en Porphyre, en marbre, en cuyvre, en or, & argent, que facilement en les regardant, l’on cognoistra evidemment toute l’habitude de l’Hippopotamus, qui convient avec celuy que i’ay veu en vie a Constantinoble. Aussi est il mal aisé a croire que quand les anciens ont faict si grande despense en la portraicture de ceste beste, la faisant graver sur marbre, qu’ils ne l’aient faict veoir au graveur : & le graveur en faisãt son debvoir, n’a peu moins faire que de la representer au naturel. Or maintenant si celles qui sont gravees es marbres & en Porphyre, sont correspõdantes aux autres qui sont sur cuyvre : ne dira lon pas, que ce soit une mesme chose ? Semblablement si les figures gravees sur metal & marbre conviennent avec celle que nous avons veue en vie, pareillement ne conclurons nous pas, que ce soit une mesme chose ?

XXI.

Que les Romains anciennement peignoient des fleuves ou rivieres, a l’imitation des Egyptiens, pour exprimer leurs richesses, & que l’Hippopotamus est representé en la statue du Nil de Belveder, a Romme.

IE puis prouver par plusieurs ãtiques statues & graveures, & prĩcipalemẽt par celle tãt insigne & anciẽne du Nil qui est maintenant a Rome au iardin de Belveder, que l’Hippopotam, dont ie parle est le vray Hippopotamus. Car anciẽnemẽt les Romaĩs voulãs laisser memoire d’euls a la posterité, & luy exprimãts ses richesses, faisoiẽt entailler de tres grãdes statues qui represẽtoiẽt les fleuves lesquelles choses ils avoien apprinse, des Egyptiẽs, qui n’ont la fertilité en leur pais sinon par le benefice du Nil : lesquels le representants faisoient le portraict d’un Geãt qui espãdoit de l’eau, aiant autour de luy plusieurs petits enfãts iusques au nombre de treze, en signe des treze coudees de sa crue, & desquels le treziesme coronne son cornucopie. Mais les Romains voulants representer le Tybre faisoient faire entailler la figure d’un tres grand Geant qui avoit une longue chevelure, & aussi une fort longue barbe, quasi comme limon neufe, ainsi assise tenant un cornucopie en la main : par laquelle ils vouloient signifier fertilité & abundance de touts biens & grande felicité : laquelle chose ils ne faisoient pas seulement d’une seule riviere, mais aussi de to, autres cõme du Rhĩ, du Pau, du Tybre, & du Nil. Ils faisoiẽt le Tybre accoudé dessus une Louve allaictant Remus & Romulus. Mais le Nil est accoudé dessus un Sphynge, & par la base de la pierre il y a plusieurs Hippopotames, Crocodiles, Ichneumons, & Ibis, touts en sculpture, ausquelles peinctures ie veul adiouster autant de foy, comme si i’avoye l’animal present : car il fault estimer que quand les Princes Romains les faisoient portraire, qu’ils avoiẽt l’Hippopotame present. Il y ha encor plusieurs autres sculptures d’animauls en la subsdicte pierre : mais i’ay seulement faict retirer un Hippopotamus de la mesme figure qu’il est dessus la pierre de marbre, tenant un Crocodile par la queue estant en l’eau, du quel ceste cy est le portraict.

XXII.

Le portraict de la figure, retiré de la statue du Nil, du iardin de Belveder au palais du Pape a Rome.

VOyla donc quant a la figure de l’Hippopotamus retiré des marbres tres antiques, duquel les tailleurs voulants ensuyvir le naturel pour le plaisir de leur prince, ont fort biẽ observé toutes ces parties, lesquels n’ont rien oublié qu’on y sache desirer : comme lon peult veoir regardant les aureilles, les yeux, les narines, les levres, les dents, le col, les iarets, le dos, les costez, le ventre, la queue, les iambes. Somme toute la reste de cestui animal, n’est rien differente d’avec celuy qu’on voit a Constantinoble : dont ie puys faire foy, mais non sans autheur. Car un nommé Iaques Gassot, escrivant quelque petit discours du voiage de Constantinoble, entre autres choses qu’il ha escript de Constantinoble, ha touché ceste beste en quelque petite clausule, duquel les propres mots sont comme s’ensuyt. Il y a aussi (dit il) plusieurs lieux en Constãtinoble, ou lon mõstre beaucoup de bestes sauvages, Liepards, Ours, Asnes sauvages, Autruches, en quantité, aussi une certaine beste, que les uns appellent un Porc marin, les autres Bœuf marin, mais ie ne veoy point qu’il ressemble ny a l’un ny a l’autre, & en verité c’est la plus villaine & laide beste que ie vey onc, l’on dit qu’elle a esté apportee du Nil. Tout cela disoit Gassot de l’Hippopotame, non pas (comme i’ay dict) qu’ils sachent a Constantinoble le nommer d’un nom ancien, mais ils le nomment selon ce qu’ils en peuvent veoir a l’œil.

XXIII.

Que plusieurs Empereurs, ayent anciennement faict graver diverses especes de bestes en leurs medalles, & que entre autres on y veoit la figure de l’Hippopotamus.

APres que i’ay baillé la figure de l’Hippopotamus retiré du marbre, ie veul consequemment en bailler quelque autre retiree de l’or, laquelle l’Empereur Adrien avoit faict engraver en une medalle, en laquelle est contenu toute l’histoire du Nil tout ainsi comme en celle de Belveder a Rome. Mais pource que ie ne veul descrire ne les fleuves, ne les statues, ie retourneray a mon Hippopotamus, lequel monsieur le tresorier Grollier m’a permis retirer d’une de ses antiques medalles d’or, dont il ha grand nombre, & duquel la figure que i’ay retiree est totalement semblable a celle que i’avoye desia au paravant faict retirer des marbres de Rome, laquelle est tout ainsi en la dicte medalle comme on la veoit en la presente peincture. L’Hippopotamus est ainsi tout droict entre les iãbes de la statue qui represente le Nil, lequel n’ha que les iambes, de derriere dedens l’eau : & estoient sans articulatiõs en la medalle, mais ie luy en ay faict peindre, suivant la peincture de la statue de Rome. La statue qui tient le cornucopie, n’est pas peincte selon qu’on ha accoustumé de peindre le Nil, car elle ha le visage d’Adrien. Le Crocodille est au dessoubs de la statue comme plongé dedens le Nil. Voila quant a l’Hippopotame que nous avons retiré de la medalle de mondict sieur le tresorier Grollier, lequel en ha encor plusieurs autres en argent & en cuivre, esquelles sont pareillement representez les Hippopotames en peincture, mais il me suffit en avoir faict retirer la figure de l’une, qui cõvient aussi avec la beste qui est a Cõstantinoble que i’ay desia descripte : parquoy il me semble n’avoir point failly de l’avoir descrite soubs le nom de l’Hippopotame. Sẽblablement oultre les marbres & monnoies, aussi en avons nous veu es Obelisques, qui n’avoient rien de differance avec les trois que nous avons desia descriptes.

Portraict de l’Hippopotamus d’une antique medalle de l’Empereur Adrien gravee en or, retiré d’une des medalles de monsieur le tresorier Grollier.

PEndant le temps que nous avons esté en Egypte en la ville du Cayre, ie interroguay plusieurs s’il y avoit aucune nouvelle de ce Cheval de riviere ou Hippopotamus: mais ils n’ẽ ont de reste que la fable en leur memoire. Quelques uns retiẽnent celle mesme qu’on en ha escript anciennement, scavoir qu’il est fort terrible & cruel, & qu’il faille faire des fosses pour le prendre, toutesfois iamais hõme ne m’a sceu dire a la verité qu’il en ait veu d’autre que celuy que i’ay descrit. Celuy qui est a Constãtinoble fut pris entre la ville qui est maintenant nomee le Saet, & le Cayre: & mesmes ceuls du Saet l’apporterẽt au Cayre au Bacha, ou il demeura quelques sepmaines attendant qu’on l’envoyroit a Constãtinoble par mer. Cela est cõforme a ce que Pline en ha escrit. Car il dit qu’il est pris au dessus du Saet, entre les iurisdictiõs d’Egypte. Ie croy que c’est le mesme lieu ou anciennement furent prins les autres que Marcus Scaurus feit porter a Rome.

XXIIII.

De la nature de l’Hippopotamus.

QUãt a ce qui est de la nature de l’Hippopotamus, ie n’ay nõ plus a en escrire que ce qui en ha esté desia dit par les anciẽs. C’est qu’il se depart la nuict du Nil, ou il ha demeuré caché tout le iour & va aux bleds qu’il paist toute nuict: mais il chemine a recullõs a fin que par telle astuce lon ne cognoisse poĩt ses pas. Au surplus l’on ha escript qu’il a esté nostre maistre & enseigneur en quelque partie de medecine, c’est a scavoir en la phlebotomie, de laquelle il est inventeur: car quand il s’est par trop engressé par se saouler oultre mesure, il vient a la rive du Nil, & la trouvãt quelques Cicots ou troncs des cannes qu’on y a taillees, choisit les pl agues qu’il peult, & se picquant certaine veine de la iambe, se fait saigner: & apres qu’il ha assez saigné, il restoupe la plaie de limon. Les cuirs des Hyppopotames estoient bien requis le temps passé pour faire des salades & boucliers: car ils estoient impenetrables aux flesches & aux espieus, dont les esclaves des Ethiopiens en avoient grãd gaing, d’autant qu’ils en apportoient beaucoup vẽdre aux foires qu’on tenoit en une ville des Troglodites nómee Aduliton. Les medecins n’ont faict grande mention, qu’il fust grãdement requis en l’usage de medecine. Vray est que quelques parties de ceste beste ont esté en usage, cõme sont ses testicules, & sa gresse, laquelle guarit les fiebures, cõme aussi faict la fumee de ses excrements : & aussi la pouldre de son cuir bruslé garissoit les taches du visage & de tout le corps. I’avoye ia fini la descriptiõ de cest Hippopotamus, lors que trouvay monsieur de Codognac varlet de chambre du Roy, qui venoit de Constantinoble, lequel me dist que le subsdict animal estoit n’agueres mort : & me dist aussi suyvant un doubte que i’avoye, qu’il avoit les pieds correspondants aux pieds d’une Tortue, & sa queue ressembloit mieuls a celle d’une Tortue, qu’a celle d’un porceau : au parsus qu’il estoit en quelques merques participãt avec la nature de la Tortue d’eau.

Fin de l’Hippopotamus.

XXV.

D’un petit poisson du Propontide fort admirable, & qui entre tous autres est d’estrange nature.

ENtre touts les animauls que i’aye onc faict peindre : celuy qui m’a semblé le plus digne d’estre adiousté avec les peinctures des Daulphins, est ce petit Nautilus, ou Nautonnier. Car oultre ce qu’il est rare, aussi est il d’estrange nature & admirable, & pour autant qu’il ressemble a un navire, il ha esté nommé de touts en toutes langues Nautonnier. Si les Grecs & Latins n’en avoient assez amplemẽt escrit, ie le vouldroye entieremẽt descrire, mais sera ailleurs mieuls a propos. Car maintenãt que i’ay adiousté la figure de ce present petit poisson, il suffira que i’en escrive briefuemẽt, & que ie face entendre qu’õ le trouve aussi bien en la mer Mediterranee, que en la mer du Propontide, & qu’il est aussi trouvé en la mer Adriatique aux rivages d’Esclavõnie & du Friol. Car monsieur maistre Iehan de Rochefort eloquent Philosophe & excellent medecin de la maison des Rocheforts de Blais, le me feist veoir la premiere fois a Padoue, lequel luy avoit esté envoyé par un sien amy de Muggia, qui est une ville en Friol, au rivage de la mer Adriatique. Mais depuis ie me suis trouvé a enveoir de ceuls qu’on avoit peschez en la mer Mediterranee car aussi advient il qu’on en trouve quelques fois comme a Missine & a Naples, ou encor pour le iourd’huy lon en pourroit voir des coquilles au logis du capitaine nommé Guischard, lequel estant n’a pas long temps general des galleres de Sicile, un sien souldard en se pourmenant par les rivages luy en apporta un en vie. Nous avõs ouy son appellation vulgaire que luy ont baillé les Italiens, qui le nommoient Moscarolo. Mais Moscarolo ou Muscardino est nom qui est deu a un autre nommé Osmylus. Vray est que comme Osmylus ha odeur de musc, aussi ha ce Nautilus, parquoy les habitãts du far de Missine le nõmẽt en leur vulgaire Muscardino. Il ha l’escorce tẽdre & subtile cõme papier, toute faicte a petits raiõs : lõ appelle cela estre strié ou cãnelé. Elle n’est pas de si exquise couleur d’argẽt, cõme est une autre espece de coquille qui luy ressemble, de laquelle estoient faicts les vaisseaux qu’on nõmoit Murrhina vasa, & qui est appellee en François coquille de Nacre de perle, ou bien grosse Porcelaine mais elle est de couleur tirant sur le laict, moult biẽ reluisante, de laquelle la presente est la vraie peincture.

Portraict du Nautilus, lequel Pline nõme Põpilus ou Nauplius.

ELle resẽble a un navire qui anciẽnement estoit nõmé Acatiõ, vaisseau plus commun en la mer du Propontide qu’il n’estoit ailleurs. Mutianus parlãt de ceste espece de cõche, l’a descripte cõme il la veit au Propontide, elle ha une enfonsure proprement cõme un navire, & la dicte enfonsure est ce qu’on nomme la carẽne : a laquelle enfonsure ou carenne l’on ha coustume d’attacher les aix du navire aux deux costez. Il semble que la dicte coquille soit de trois pieces, scavoir est que l’enfonsure soit separee des deux costez. Mais cela n’est que de l’industrie de nature : car elle est d’une seule piece, toute a beauls petits raions. Elle porte la proue devant, comme faict un navire : & la pouppe derriere, ainsi retournee en rondeur de compas, comme estoit celle espece de navire qui avoit nom Acation : ceste coquille est toute cochee aux bords, & seroit quasi de forme ronde, si elle n’avoit ouverture par l’endroict ou se nourrit son animal. Sa grandeur ne surpasse point une paulme : car estendant la main dess son escorce par la lõgueur, les extremitez du poulce & du petit doigt pourront bien arriver aux extremitez de la coquille. Il la fault manier doulcement : car elle est fragile. Voila quãt a la coquille. Mais quand le poissõ sent le temps douls, & la mer sans tempeste, lors il sort hors de la mer avec sa coquille, & vient s’esbatre sur l’eau, le ventre contremont : qui est chose moult admirable en nature, qui n’est cõmune a nul autre. Il laisse une espace vuide, sachant que sa coquille en sera plus legiere, a fin que mettant hors & estendant une membrane ou pellicule qu’il ha, & d’icelle faisant voile, laquelle il renforce avec deux de ses iambes ou cirres, l’une de ça l’autre de la, il ait le plaisir qu’il pretent estant poulsé legierement du vent par dessus l’eau. Il ha quatre iambes de chasque costé, desquelles deux tiennent la voile dressee, & les autres luy servent d’avirons & de gouvernail, & a le voir lon diroit proprement que c’est un navire. S’il sent quelque peril eminent, tant des oyseaux nommez Lari, qui estants en l’air luy font la gueree comme a l’Exocetus, ou bien les autres appellez Caniards de mer, alors il retourne sa coquille qui avoit le ventre contremont, & la remplit d’eau, & se retire dedẽs, pour retourner trouver le fond de la mer. Et sa aiant tourné la coquille sur son dos, il retient puis la vraie façon d’un Limas.

XXVI.

D’une autre coquille presque semblable au Nautilus, dont anciennement on faisoit les plus beauls vases qu’eussent les Romains en usage.

LA comparaison que i’ay naguere faicte de mon Nautilus, a la grand coquille de Porcelaine, m’a baillé occasion de la descrire. Elle est autrement nommee Coquille de Nacre de perle : il l’avoyt au paravant soupsonnee estre celle a qui le nom de Nautil deust convenir. Mais depuis aiant trouvé le Nautilus, ie me suys mis en esfort, de trouver un nom ancien a la susdicte Coquille de Porcelaine, qui ne m’a esté chose moult difficile, veu mesmement que le commun peuple la nommé vulgairemẽt grosse Porcelaine, a la difference des petites. Desquelles l’appellation n’est pas moderne. Car ie trouve des autheurs qui en ont faict mẽtiõ, expresse les nõmãts en Latĩ Porcelliones : desquelles les medecĩs ont quelque usage, comme on peult veoir en l’autheur des Pãdectes & au Nicolas. Cela m’a faict autrefois penser que les ouvriers eussent l’industrie de les scavoir accoustrer pour en faire ces beaus vases que nous nommons de Porcelaine. Or ces Coquilles que i’ay dit estre nommees Porcelaines, sont moult petites, aiãts quelque affinité avec celles qui ont nom Murices, & Murex est a dire Purpura, qui se resent de Murrha. Parquoy sachant que les vaisseaus qui anciennement s’appelloient Murrhina, surpassoient touts autres en excellence de beauté & en pris lesquels toutesfois estoiẽt naturels : sachant aussi que ceuls que nous nommons de Porcelaine sont artificiels. I’ay bien osé penser que les vases vulgairement nommez Porcelaine ne soient pas vraiement Murrhina. Car Murrhina me semble retenir quelque affinité avec Murex, & aussi la diction de Murex se resent ie ne scay quoy de la Porcelaine. Parquoy ie ne pourroie conceder que les vaisseauls de Porcelaine artificiels faicts de terre, puissent obtenir ce nom antique, tant insigne & excellent de Murrhina vasa : mais trop bien que les vases faicts de la subsdicte grosse Porcelaine ou Coquille de Nacre de Perle, le pourroient obtenir : car c’estoient d’elles que tels vases estoient faicts. Il y ha une autre espece de Coquille moult grosse, pesante, & lourde, que les uns nõment improprement Porcelane. De ceste n’entens ie pas, ne aussi des vignols dont ceuls du Bresil font les patenostres, ne aussi des Nacres ou meres de perles, qui ressemblent a l’escaille d’une huistre, ne aussi de plusieurs autres qui sont nommez Nacres de perles. Mais i’entens de ces belles Coquilles, rondes & caves, faictes en maniere de navire, tant luysantes & poliees, dont la couleur est plus excellente & exquise, que n’est la naifue couleur des perles : & la desquelles mesmemẽt splendeur faict apparoistre un arc en ciel, d’une infinité de couleurs reluisantes qui se referent es yeulx de ceux qui les cõteplẽt. Dont i’estime que les vaisseauls qui en furẽt anciennemẽt faicts, prindrent ceste appellation de Murrhina, d’autant qu’ils tenoient quelques merques de la couleur de Murex qui est a dire Purpura. Mais ie veoy maintenant une maniere de vaisseauls que ie croy estre de l’invention moderne quasi correspondants aux antiques nommez en vulgaire vaisseauls de Porcelaine, & croy bien que leur nom moderne se resente quelque chose de l’antique appellation de Murrhina. Ces vases de Porcelaine sõt les plus celebres qu’õ veoit pour le iourd’huy. Lesquels sont en ce differents aux anciẽs que ceuls ci sont artificiels, & les autres nõ. Ie trouve que les vaisseauls de Porcelaine sont faicts la pluspart de la pierre nommee Morochthus, ou Leucographis : de laquelle les Egyptiẽs se servoient anciennement a blanchir leurs linges : mais ils en ont tourné l’usage a donner les couvertures & enduicts ou revestemẽts aux subsdicts vaisseauls. Et combien qu’il y ait de telle pierre au pais Vicẽtin, au territoire Venitiẽ aupres de la tour Rousse, qu’on porte a Sallo, & de la par le lac de guarde pour distribuer es villes d’Italie, dont ils fõt les couvertures des subsdicts vases de Porcelaines toutesfois il n’y ha nulle comparaison d’excellence d’ouvrage aux vaisseauls de Porcelaine faicts en Italie, avec ceuls qu’on faict en Azamie & Egypte, lesquels sont transparents & excellents en beaulté, & dont nous scavons que la piece pour petite qu’elle soit est vendue au Caire deux ducats, comme est une escuelle ou un plat. Il y en ha au Caire qui y ont esté apportez de Azamie, c’est a dire Assirie & disent qu’on en faict aussi en Inde : dont une grãde aiguiere ou coquemart est vendu cinq ducats la piece. Si est ce qu’ils sont vaisseauls mal cõvenants a mettre au feu. Tels vases sont artificiels faicts de ce que i’ay dict. Mais les vases dont usoient les Romains, estoient naturels, n’aiants autre artifice de l’ouvrier, sinon belle pollissure : & enchassement de la Coquille. Or pource que i’ay entrepris d’expliquer ceste chose, & la prouver par la peincture, & par les vases qu’on en faict, il m’a semblé bon ne passer oultre que premier ie n’en baille leur description que ie prendray de Pline & consequemment le portaict. Si i’entreprenoye descrire toute l’histoire des vaisseauls de Porcelaine, i’entreroye en un grãd Labyrinthe hors de mõ propos, dont ie ne pourroye ayseement sortir. Parquoy ie finiray des vaisseauls de Porcelaine, & prendray a parler des vaisseauls de Murrhina, que i’ay desia distingué des vaisseauls de Porcelaine, desquels Pline ha amplemẽt escript au secõd chap. du xxxvii livre, dõt il me suffit en toucher legierement quelque petit mot en prouve de ce que i’ẽ ay desia parlé. Au lieu dessus allegué Pline dict, qu’on n’en avoit encor point veu a Rome avant la victoire Asiatique de Pompee lequel en dedia premieremẽt six de son triũphe a Iupiter. Mais tantost apres par excellence chasque grand seigneur en voulut avoir. Il en dict beaucoup d’avãtage, que ie laisse a cause de briefueté : toutesfois i’ay bien voulu adiouster ce qu’il en escript sur la fin du chapitre. C’est que tels vaisseauls estoient apportez du pais d’orient a Rome, & qu’on y en trouvoit en plusieurs endroicts, mais grandement au roiaulme des Parthes, & principalement en Carmanie. L’on estime (dit il) qu’ils soient procrées soubs terre d’ũ humeur espessie par la chaleur. Leur grandeur n’excede iamais les petits Gardemãgers, & peu souvẽt, sont si espes qu’est un vaisseau a boire. Ces vaisseauls (dit il) ont splendeur sans force, & plustost niteur que splendeur. Mais la diversité des couleurs les faict estre en estime & hault pris, scavoir est de taches se changeants en circuit de couleur de pourpre & blancheur, & tiercement d’une vive & enflammee couleur entre les deux, comme par pourpre surpassant la rougeur, ou blanchissant en couleur de laict. Aucuns louent principalement en euls les extremitez, & quelques reverberation de couleurs, telles qu’on voit en l’arc en ciel, c’est a dire celeste. Les taches grasses ou espesses y sont plaisãtes : mais la transparence on palle couleur y est vicieuse, & aussi les inequalitez & verrues non eminentes, mais plates, comme es corps. Ils ont aussi quelque louenge en l’odeur. Cela dict Pline. Ie ne di pas qu’on ne puisse bien appeller les subsdicts vases Porcelaine : mais il les fault distinguer, les nõmant vaisseauls de Porcelaine antiques, a la difference des vaisseauls de Porcelaine modernes. Car ceuls que nous avõs pour le iourd’huy, sont vaisseauls faicts de terre, que les Latins nomment Fictilia : ce que n’estoient les vases de Porcelaine des antiques, comme il appert en un passage de Pline au livre trentecinq, chapitre douziesme, duquel il ma semblé convenable mettre les mots Latins. Vitellius (dit il) in principatu suo cc. sestertiis condidit patinam, cui faciendæ fornax in campis exædificata erat : quoniam eò pervenit luxuria, ut etiam fictilia pluris constẽt, quàm Murrhina. Ce passage de Pline est grandement a noter, car par iceluy appert que Murrhina n’estoient point faicts de terre, que les Latins dient Fictilia : & neantmoins ceuls qui afferment les vases vulgairement appellez de Porcelaine, estre ceuls que les anciens nommoient Murrhina, ne scavroient nier que les dicts vases au iourd’huy nommez de Porcelaine, ne soient Fictilia, c’est a dire faicts de terre. Ie croy que qui vouldra regarder de bien pres a la Coquille dont ie baille le portraict, trouvera toutes les merques que i’ay n’agueres escriptes de Murrhina, par quoy il me semble ne faillir point en nommant Murrha Concha de nom antique, la Coquille dont icy est le portraict.

Portraict de la Coquille, vulgairement nommee grosse Porcellaine, ou grand Coquille de Nacre de perle.