La Capucinière, ou le bijou enlevé à la course/05

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Chez les Marchands de Nouveautés (p. 52-64).


Chant 5. Pl. VI.
Les Plaisirs de l’ancien régime, et de tous les âges, Illustration.
Les Plaisirs de l’ancien régime, et de tous les âges, Illustration.
La voilà donc le dos sur sa bedaine,
A nos paillards présentant ses appas.




CHANT CINQUIÈME.


Oui, c’en est fait, je veux me convertir :
L’impiété ne sied bien à personne ;
Un jour ou l’autre, il nous faudra mourir ;
Et savons-nous si le Dieu qui l’ordonne
Nous laissera le temps du repentir ?
Soyons dévots, c’est un parti plus sage ;
Le rôle en est peut-être fatigant.
Bon ! Chaque rôle a son désagrément ;
Mais n’a-t-il pas aussi son avantage ?
Nous ne devons songer qu’au dénoûment.
On n’est d’ailleurs que quelque temps en scène :
Par-ci, par-là l’on peut bien s’éclipser,
Et dans les bras d’une aimable mondaine,
Aller le soir, sans bruit, se délasser,
Sauf à s’en faire ensuite confesser.
Cette ressource est bien imaginée ;
Pour deux Pater, et peut-être un Ave,

Être lavé, mais proprement lavé
De cent forfaits commis en la journée,
Vous conviendrez que rien n’est plus charmant.
Ah ! servons-nous d’un si beau sacrement,
Et sur-le-champ ; nous ne saurions mieux faire.
Dès ce jour donc… Non, ce sera demain.
Un jour de plus ne fait pas une affaire :
Or celui-ci, j’irai le même train,
Je le consacre à la Capucinière ;
Mais pour demain, point de rémission,
Je tâterai de la confession.

Vous le savez : non loin de la Morée,
Dans cette mer si célèbre autrefois,
Est de l’Amour la demeure sacrée.
Là, de ce Dieu, tout reconnaît les lois :
On n’y voit point de maîtresses cruelles,
D’époux jaloux, ni d’amans infidelles.
Aimer, le dire, et toujours le prouver,
Est, dans cette île, alors qu’on a su plaire,
Tout ce qu’on veut et tout ce qu’on sait faire.

Voilà des lois qu’il est doux d’observer !
Heureux ! heureux l’habitant de Cythère !
Dès qu’il s’enflamme, il n’a pas, comme nous,
A surmonter et grilles et verrous.
Les préjugés, ces tyrans du vulgaire,
Ne lui font pas à tout moment la guerre.
Il aime, on l’aime, il soupire, on se rend ;
Et ses désirs sans cesse renaissant,
S’augmentent même après la jouissance.
Hélas ! pourquoi dans nos tristes climats
L’Amour ainsi ne commande-t-il pas ?
Que n’étend-t-il une telle puissance
Du nord au sud, de l’aurore au couchant !
C’en serait fait : dès cet heureux instant,
Tout l’Univers quitterait tout pour elle ;
Et Mahomet et Jésus et Brama,
Et des sots dieux la longue kyrielle,
Pourraient fort bien dire : Meâ culpâ.

De Saint-François le léger équipage,
En un clin-d’œil, conduisit dans ces lieux,

Lui, la pucelle et ses quatre amoureux.
En les voyant sortir d’un gros nuage,
L’Amour les prit tout au moins pour des dieux ;
Mais son erreur fut de courte durée.
Chacun le sait, et lui-même encor mieux,
Les habitans du céleste Empirée,
D’un capucin n’ont pas l’habit crasseux,
Ni l’air commun, ni la sotte tournure.
Toujours puant, et mal propre et brutal,
C’est beaucoup trop, lorsqu’un tel animal
A des humains conservé la figure.

L’Amour leur dit : « Soyez les bien venus ;
Vous paraissez des soldats de Jésus,
Et je les aime ; or, puis-je en quelque chose
Vous être bon ? répondez-moi. — Je n’ose,
Dit Saint-François.

L’Amour.

Dit Saint-François.Pourquoi donc ? Un enfant
Vous effrairait ! Oh ! je ne suis terrible
Que lorsqu’un cœur veut rester insensible ;

Et vos habits me sont un sûr garant
Que je n’ai pas de plus zélés apôtres.
Parlez, parlez.

Saint-François.

Parlez, parlez.De tout temps, en effet,
Les Capucins en ont bien valu d’autres :
Le monde entier est d’accord sur ce fait.
Aimable Enfant, dont j’ai dans ma jeunesse,
Pour mes péchés, trop peu suivi les lois,
A tes genoux, tu vois le Grand François…

L’Amour.

Comment, un Saint !

Saint-François.

Comment, un Saint !Oui, j’ai cette faiblesse,
Et Jésus-Christ l’aurait tout comme moi.
Nous autres Saints, nous faisons, sans effroi,
Une folie, et même une sottise,
Quand c’est sur-tout pour le bien de l’Église :
Car c’est ainsi qu’on établit la foi.
Ah ! qu’en mon temps, j’en ai fait dans Assise,
Où je suis né. L’on disait : Il est fou !

Et je l’étais. Courant le guilledou,
J’ai… Mais ceci n’est pas trop à ma gloire.
N’en parlons pas. Aussi bien je ne veux
Te raconter mon incroyable histoire,
Mais t’implorer pour ces religieux,
Pour cette enfant en dépit d’eux pucelle.
Elle est coupable ; ils le sont autant qu’elle…

L’Amour.

Suffit, j’entends. Ma foi, tant pis pour eux.
Tes protégés, en manquant à ma mère,
M’ont outragé. Leurs méprisables feux
Méritent bien ce châtiment sévère.

Saint-François.

J’en suis d’accord ; mais je puis me flatter
Qu’en ma faveur tu leur en feras grace.
J’ai quelque droit pour la solliciter.
Au fondateur de la sainte besace,
Tu dois beaucoup : mes couvens sont tous pleins
De tes sujets, tous fieffés libertins.
Amour, c’est là qu’on te rend bien hommage !
Qu’au fond d’un cloître, on te brûle d’encens !

Qui sait le mieux satisfaire ses sens,
Passe chez nous pour être le plus sage.

L’Amour.

Jamais l’Amour ne sait rien refuser :
Je cède donc.

Saint-François.

Je cède donc.Bravo ! bravo ! mes Frères :
De ce pardon il vous faut bien user,
Et le plutôt. Je n’en fais pas mystères :
Sur certains points, vous pouvez déroger
A mes statuts, et ne pas m’outrager :
Tout n’y doit pas être pris à la lettre ;
Mais, je l’ai dit, je ne saurais permettre
Qu’un seul couvent soit sans père gardien.
Le vôtre encore est à nommer ; hé bien,
Ceux d’entre vous qui désirent de l’être,
Vont essayer d’enlever, en courant,
Le doux bijou de cette aimable enfant.
Qu’en penses-tu, charmant Dieu de Cythère ?

L’Amour.

Que cette idée est bien digne d’un Saint !

Saint-François.

Mais, tout au moins, tu l’approuves, j’espère ?

L’Amour.

Certainement. Un si noble dessein
Me plaît beaucoup, et bien plus je l’admire.

Saint-François.

Admire donc ; mais garde-toi de rire.

« En vains discours ne perdons pas le temps ;
Allons, allons, Messieurs les concurrens,
Nuds comme un ver, qu’à l’instant on se mette ;
Et vous, Églé, point de sottes façons,
Dépouillez-vous de ce tas de chiffons,
Qui nous dérobe une jambe parfaite,
Un sein d’ivoire et ce charmant séjour
Fait tout exprès pour les jeux de l’amour. »

Enfin ici le Saint reprit haleine ;
Et nos vauriens, déjà prêts aux combats,
Se disputaient l’honneur du premier pas,

Tous à la fois voulaient entrer en scène,
Mais Saint-François réprima tant d’ardeur.

« Chacun son tour, dit-il avec douceur :
D’abord Albin ; puis Jean, ensuite Ignace,
Et puis Éloi. Chez nous, en fait d’honneur,
Les plus âgés ont la première place. »
Il dit : Bientôt, à l’aide de ses doigts,
Sort de sa bouche un bruit insoutenable.
On aurait cru qu’un chasseur aux abois
Sifflait après sa meute infatigable :
Et sur-le-champ, deux jolis Séraphins
Sont à ses pieds, baisant ses saintes mains.

Le Grand François, d’un air grave et capable,
Donne à chacun son rôle et son emploi.
« Amour, dit-il, tu seras Juge, toi.
Moi, je tiendrai la charmante pucelle ;
Les Séraphins debout, ainsi que moi,
S’empareront des jambes de la belle.
Vous, mes lurons, voilà votre chemin ;
Suivez-le bien : le reste est notre affaire.

Pour vous, Églé, votre rôle est divin !
Ne faites rien, mais laissez-vous tout faire. »
Il dit : Églé se jette dans ses bras.

La voilà donc le dos sur sa bedaine,
A nos paillards présentant ses appas.
Les Séraphins exécutent, sans peine,
L’ordre précis du révérend Patron ;
Et père Albin s’élance dans l’arène…
Hélas ! ce fut à sa confusion.
Son successeur aussitôt le remplace :
Comme un éclair il part… Même disgrâce…
L’autre en sourit, et regarde l’Amour.
Plein d’assurance, il s’élance à son tour…
Nouveau malheur… Il faut pourtant le dire :
Moins bien armé, le formidable sire
Eût mérité nos applaudissemens.
(Le don heureux ne l’est pas en tout temps,
Comme l’on voit). Vous présumez peut-être
Que pere Éloi va nous les arracher :
Attendez donc, vous allez le connaitre.

Éloi s’élance, Éloi… veut se cacher.
Son infortune anime ses confrères ;
Et tous les quatre ils redoublent d’ardeur.
L’un après l’autre, on vit ces pauvres pères
Sur la pucelle épuiser leur valeur.
C’en était fait : Elle en pleurait de rage,
Quand de nouveau, les cheveux hérissés,
Les yeux en feu, la luxure au visage,
L’air menaçant et les bras élancés,
Éloi revient où la gloire l’appelle.
Heureux mortel ! te voilà dans le port…
A ce succès, il sent croître son zèle.
Églé se trouble… Il s’agite sur elle,
La presse… Hélas ! un obstacle plus fort
Semble vouloir rendre vain son transport.
Plein de fureur, il serre alors la belle
En cent façons ; la pousse, la harcelle,
La serre encor, fait un nouvel effort…
Effort vainqueur ! Églé n’est plus pucelle !…
Au même instant, l’air retentit des cris
De vive Éloi ! vive le jeune père !

Et Cupidon, avec un doux souris,
Dit : « Grand François, il mérite le prix ;
Qu’il soit gardien de la Capucinière.
Il le sera, lui répond notre Saint ;
Il en est digne, et c’est bien mon dessein.
Sur ce, je pars. Adieu : l’heure me presse ;
J’aurais voulu demeurer quelqu’instant ;
Je ne le puis, il est tard, cher enfant,
Et pas un d’eux encor n’a dit sa messe.
Tu le vois donc, il est très-important
De regagner au plutôt le couvent. »
Il dit : Soudain, l’équipage ordinaire
Les reçoit tous. Un nouveau coup de vent
Vous les reporte à la Capucinière.

Pour cette fois, les suive qui voudra.
J’ai vu d’Églé prendre le pucelage ;
Il me suffit. Amen, Alleluia :
J’ai terminé mon saint et fol ouvrage.

O mon Aglaure ! ô toi qui jusqu’ici
Fus attentive aux accords de ma lyre,

Toi que je vis quelquefois y sourire,
Et plus souvent prête à me dire : Fi !
Ces rimes-là sont toutes à refaire.
Tu le veux donc ; il faut te satisfaire.
Dès que j’aurai corrigé mes enfans,
Un imprimeur en fera son affaire ;
Et si, contr’eux, les cagots, les pédans
Font éclater une sainte colère,
Je m’en rirai. Trop heureux si mes Chants,
A des lecteurs d’une humeur moins sévère,
Ont, comme toi, l’aimable don de plaire.