La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition critique/Laisse 16

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XVI

230 Après iço i est Neimes venuz, Naimes alors s’avance à son tour ;
Meillur vassal n’aveit en la curt nul ; Dans toute la cour il n’est pas de meilleur vassal :
E dist al Rei : « Ben l’avez entendut, « Vous l’avez entendu, dit-il au Roi ;
« Guenes li quens ço vus ad respundut : « Vous avez entendu la réponse du comte Ganelon.
« Saveir i ad, mais qu’il seit entenduz. « Sage conseil, pourvu qu’il soit suivi !
235 « Li reis Marsilies est de guere vencuz, « Le roi Marsile est vaincu dans la guerre.
« Vus li avez tuz ses castels toluz, « Vous lui avez enlevé toutes ses forteresses ;
« Od voz cadables avez fruiset ses murs, « Vos machines ont brisé tous ses murs ;
« Ses citez arses e ses humes vencuz. « Vous avez brûlé ses villes, vous avez battu ses hommes.
« Quant il vus mandet qu’aiez mercit de lui,
« Or il ne vous demande aujourd’hui que d’avoir pitié de lui :
240 « Pecchet fereit ki dunc li fesist plus, « Ce serait péché que d’exiger davantage,
« U par ostages vus en voelt faire soür ; « D’autant que par ses otages il vous offre toute garantie.
« Ceste granz guere ne deit munter à plus. » « Il est temps que cette grande guerre prenne fin. »
Dient Franceis : « Ben ad parlet li dux. » Aoi. Tous les Français de dire alors : « Le duc a bien parlé. »


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Vers 230.Venud. O. Pour le cas sujet il faut venuz. On peut ajouter ici le vers suivant du remaniement de Versailles, ramené à notre dialecte :

Blanche out la barbe et tut le peil canut.

Naimes... C’est Girart d’Amiens qui nous a conservé, sur la généalogie et la naissance de Naimes, les plus précieux détails, qui nous paraissent d’ailleurs n’avoir rien de traditionnel. D’après ce compilateur (Ms. 778 de la B. N., f° 112, v° B), Naimes est le fils de la reine Seneheult de Bavière. Son père est Gasselin, ce fameux Gasselin qui joue un si beau rôle dans la Chanson d’Aubri le Bourgoing : Aubri lui-même est son oncle. Naimes connaît le malheur dès le berceau. Un traître, un usurpateur, Cassile, s’empare de la terre de Gasselin. Naimes échappe par miracle à ce furieux, et se réfugie en « Romanie » ; Seneheult meurt de douleur. C’est Charlemagne qui sera un jour le vengeur du bon droit, et rétablira Naimes en Bavière. De là l’affection du Bavarois pour l’Empereur. ═ Les deux Chansons où Naimes joue le rôle le plus considérable, c’est Aspremont et Acquin. Dans Aspremont, il est chargé, par le roi de France, d’une ambassade auprès d’Agolant. La reine sarrasine s’éprend de lui. Franceis, dist-elle, dites-moi vérité. — Avez moillier en ce vostre regné ? — E sunt si bel tuit li chrestienné ? Naimes répond très-dignement : Dame, dist Naymes, ne l’ai esprementé, — Mais de millor en i a grant plenté. — Se j’ai moillier, vos m’avez demandé. — Naie, ma dame, onques n’en fu pensé. — A mon signor ai tot mon cuer torné. (Ms. 2295, f° 100.) ═ Dans Acquin, Naimes est sur le point de périr dans l’île de Cesembre, et n’est sauvé que grâce au dévouement du comte Fagon. (B. N., 2223, f° 26-33.) Et cette guerre se termine par un combat singulier entre Naimes et Acquin. (Ibid., f° 51-53.) Le Bavarois est vainqueur. ═ Dans toutes nos Chansons, Naimes est représenté sous les traits d’un vieillard prudent et sage : c’est Nestor. Gui de Bourgogne dit de lui : Sa barbe se baloie jusc’au neu del’ baudré. — Par deseur les oreilles ot les guernons tornez. — Mult resamble bien prince qui terre ait à garder. (Vers 2888-2890.) Dans Aspremont, il ne cesse de donner à l’Empereur les plus généreux, les meilleurs conseils : Bien devez Deu amer et tenir chier. — Amez les povres... etc. (Éd. Guessard, p. 1, vers 51 et suiv.) Et le Prologue de ce poëme fait de lui un éloge magnifique : Tel conseiller n’orent onques li Franc, etc. (Vers 4 et ss.) ═ La mort de Naimes est racontée à la fin d’Anséis de Carthage. (B. N., 793, f° 72.) ═ Notre ms. nous offre les deux orthographes Naimes et Neimes : adopter partout la première.

═ Le couplet précédent était en un, et la présente laisse est en u. Ces deux systèmes de consonnances sont distincts et donnent lieu à deux familles de couplets. Or c’est la première fois que nous les rencontrons dans notre texte : c’est donc ici l’occasion de rectifier et de compléter ce que nous avons dit en notre Introduction au sujet de ces laisses en u, un, etc. Nous prions le lecteur de remplacer, dans notre tome I, les lignes 12 et suivantes de notre page li par les propositions suivantes, qui sont le résultat d’une étude plus approfondie. ═ Il y a ici à distinguer trois familles de couplets masculins : 1° Laisses en u (quand cette voyelle ne se diphthongue pas en ou dans la prononciation). Telles sont les laisses 64, 84, 121, 149, 155, 158, 178, 204, 268, 294, 296, où nous notons les assonances suivantes : u, ud, ui, uist, uit, ul, uls, um (Hum et Loüm), un et uns (aün et brun), ur, us, ust, ut, ux, uz. (Une seule fois l’on trouve un mot tel que herbus.) 2° Laisses en un. Tels sont les couplets 15, 17, 50, 63, 72, 115, 145, 169, 226, 242 et 284, où nous ne trouvons que les assonances suivantes : um, (om, oem), umpt, ums ; un, (on), uign, oign, uins, uinst, uinz ; unc ; und ; uns, (ons), unt, unz. On y trouve aussi, mais une fois chacune et en quatre couplets différents, uld, ur, (or), urt. 3° Couplets mixtes en un, ur et u, ce dernier se diphthonguant en ou dans la prononciation. (C’est sur ce dernier fait que nous n’avions pas assez fixé notre attention et nous avions confondu entre elles les deux notations u.) À ce troisième groupe appartiennent les couplets 34, 70, 82, 96, 100, 108, 114, 140, 165, 181, 189, 197, 211, 235, 274, 280, où nous notons les assonances suivantes : ub, (od), uls, uilz, (olz), old, um, (om), umpt, un, (on), uign, (oign), uinz, (oinz), uns, (ons), unt, (ont), (unz), ur, (or), urs, (ors), urt, (ort), urz, us, (os), (ous), uz, (oz), oiz (?). Remarquons, pour être complet, que les laisses 16 et 68 sont plus particulièrement en ur, u (sans un). ═ Il en est à peu près de même pour les couplets féminins, et il faut les partager en deux ou trois groupes : 1° Laisses en u (quand cette voyelle ne se diphthongue pas dans la prononciation). Il n’y en a que trois dans le Roland, et non pas cinq : ce sont les 106, 174 et 272, où nous notons les assonances uble, ude, ue, uet, ues, uie, uiet, uigne, uisent, une (cumune), ure (cheveleüre, etc.), uret (duret, asoüret) ; urent, ustes. ═ 2° Laisses beaucoup plus nombreuses, où les sons un et u sont suivis d’autres consonnes et d’un e muet ; mais il s’agit ici de l’u qui se diphthongue. Tels sont les couplets 2, 52, 76, 101, 117, 136, 153, 190, 194, 241, 266, 271, où se trouvent les assonances : ubles, uce, uche, uchet, ucle, ucles, ode (?), ue, uissent, uisent, uisset, oisset, oiset, uindre, oigne (onie, onies), ulce, ulces, ulcet, ulchet, ultre, umbe, umbre, umbrent, umbret, ume, (ome), umes, umpet, umpre, umtes, une, (one), (ones), unces, unches, unchet, uncle, uncles, unde, (onde), undet, undre, unent, unes, unge, unget, ungres, unkes, unne, unte, untes, untre, ure (amure, desure) ; urne, urnet, urnent, usche, usches, use, (ose), uset, ustet, ustret, ute, utes, utent, utet. 3° Enfin, l’on peut signaler deux couplets féminins en un pur (31 et 263) ; mais il ne serait pas impossible de les faire rentrer dans la famille précédente. (Cf. au vers 96, p. 51, ce que nous avons dit des couplets en er et en ier.) On peut également ne distinguer que deux groupes de couplets féminins en e, suivant que l’e est ouvert ou fermé. (V. p. l de notre Introduction.)

Vers 231.Meillor. O. À cause de la phonétique du manuscrit, il faut meillur, comme nous l’avons montré dans la note des vers 17, 45 et surtout 51.

Vers 232.Entendud. O. V. la note des vers 2 et 122.

Vers 233.Respondud. O. Pour l’o changé en u, voy. la note des vers 17, 45, 51. ═ Pour le d final changé en t, voy. la note des vers 2 et 122.

Vers 234.Entendud. O. V. la note des vers 2 et 122.

Vers 235.Marsilie. O. Pour le cas sujet, il faut Marsilies. ═ C’est pour la même cause que nous avons substitué vencuz à vencud. O.

Vers 236.Vos. O.

Vers 239.Vos. O.

Vers 241.Vos. O. ═ Soürs. O. Naimes ne parlant qu’à Charlemagne, il faut au régime singulier : soür.

Vers 242. Grant. O. À cause du cas sujet, il faut granz. Sur les adjectifs à une seule terminaison pour le m. et le f., voy. la note du v. 19.

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