La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition critique/Laisse 4

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IV

Dist Blancandrins : « Par ceste meie destre, « Par ma main droite que voici, dit Blancandrin,
« E par la barbe ki al piz me ventelet,
« Et par cette barbe que le vent fait flotter sur ma poitrine,
« L’ost des Franceis verrez sempres desfere : « Vous verrez soudain les Français lever leur camp,
50 « Franc s’en irunt en France la lur tere. « Et s’en aller dans leur pays, en France.
« Quant cascuns ert à sun meillur repaire,
« Une fois qu’ils seront tous de retour en leur meilleur logis,
« Carles serat ad Ais, à sa capele, « Charles, à sa chapelle d’Aix,
« A seint Michel tendrat mult halte feste. « Donnera pour la Saint-Michel une très-grande fête.
« Vendrat li jurz, si passerat li termes, « Le jour où vous devrez venir arrivera, le terme passera,
55 « N’orrat de nus paroles ne nuveles. « Et Charles ne recevra plus de nouvelles de vous.
« Li Reis est fiers, e sis curages pesmes : « L’Empereur est terrible, son cœur est implacable ;
« De noz ostages ferat trencher les testes ; « Il fera trancher la tête de nos otages.
« Asez est melz qu’il i perdent les testes, « Mais il vaut mieux les voir décapiter
« Que nus perdum clere Espaigne la bele, « Que de perdre claire Espagne la belle
60 « Ne nus aium les mals ne les suffraites. » « Et de souffrir tant de maux et de douleurs. »
Dient païen : « Issi poet-il ben estre. » Aoi.
« — C’est peut-être là ce qu’il y a de mieux, » s’écrient les païens.


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Vers 47.Pa ceste. O.

Vers 49. — Sempres. Un certain nombre d’adverbes ont pris une s finale par extension ou analogie : Unkes et unches (v. 2639, 3531, 629, 1638, 1647, etc.) ; primes (v. 1924, 2845) ; alques (v. 95) ; sempres (v. 3721, 3729), etc. etc. Cette s n’a rien d’étymologique.

Vers 50.Francs. O. Il faut Franc. Les substantifs masculins, dérivés des noms de la 2e déclinaison latine, ne prennent pas d’s en français, au cas sujet du pluriel. (V. la note du v. 1.)

Vers 51.Meillor. O. Quoique la forme meillor se rencontre plus souvent dans notre texte que meillur, nous n’avons pas hésité à adopter cette dernière : 1° parce qu’une loi de phonétique tourne en u l’o latin dans la plupart des cas offerts par notre manuscrit ; 2° parce que cette loi s’applique particulièrement, dans notre texte ; à presque tous les mots dérivés des vocables latins en or, oris, ores. Nous ne pouvions manquer ici à une loi générale dont on trouve d’ailleurs plusieurs applications au mot qui nous occupe. (V. meillur et meillurs, v. 620, 1,850.) Notre but est, encore un coup, de restituer le texte d’Oxford tel qu’il aurait été écrit, au même temps et dans le même dialecte, par notre scribe lui-même, s’il eût été plus attentif, plus intelligent et plus instruit.

Vers 52.Ad Ais, à sa capele. Le Palais d’Aix-la-Chapelle, d’après nos vieux poëmes, se composait de douze Palais splendides groupés autour d’un Château plus magnifique encore. Au sommet du Palais principal était un aigle d’or colossal. (Karlamagnus Saga, Ire branche, 12-20, et Richeri Historia, lib. III, § 71, cités par G. Paris en son Histoire poétique de Charlemagne, p. 369.) Quant à la Chapelle, elle avait été construite sur les ordres de l’Empereur avec une incomparable magnificence. Par malheur, quand elle fut achevée, elle se trouva trop petite. Mais Dieu fit un miracle et l’élargit surnaturellement. (Karlamagnus Saga, I, 12, citée par G. Paris, l. I, et Girart d’Amiens, Charlemagne, B. N. ms. fr. 778, f° 105, r°.) Devant le Palais était ce perron, cette masse d’acier sur laquelle les chevaliers essayaient leurs épées. La légende assurait que c’était là l’antique résidence de « Granus », père de Néron, et l’auteur de notre Chanson de Roland, évoquant une tradition meilleure, affirmera tout à l’heure (v. 154) que Dieu, par un nouveau miracle, y fit jaillir une source d’eaux chaudes pour en faire présent à Charlemagne. (Cf. Philippe Mouskes, Chronique rimée, v. 2,410 et ss., et surtout le faux Diplôme présenté par les chanoines d’Aix à Frédéric Barberousse. ═ V. G. Paris, l. I, p. 109, et nos Épopées françaises dont nous venons de résumer deux pages, t. II, pp. 113-115.)

Vers 55.Nos. O. Dans la traduction de ce vers, lire nous au lieu de vous.

Vers 56.Curages. Ce mot peut fort bien ne pas être considéré comme dérivant d’un neutre latin : coraticum. On peut très-légitimement supposer la forme masculine : coraticus, qui explique très-naturellement le vocable français.

Vers 58.Mielz. O. Nous avons partout préféré melz. Melz est la forme la plus ancienne, la plus étymologique. On la trouve moins fréquemment dans notre manuscrit que mielz, mais assez cependant pour justifier ici notre application d’une loi générale sur la suppression de l’i parasite. (V. melz, vers 44, 516, 1091, 1872 ; meilz, v. 536.) Cf. notre note du v. 34 sur bien et ben.

Vers 59.Perduns. O. V. notre note du vers 42.

Vers 60.Aiuns. O.

Vers 61.Issi. Dans tout le texte d’Oxford il y a entre Issi et Ici bien plus qu’une différence orthographique. Issi, partout et toujours, a le sens d’ainsi et dérive d’in-sic. Exemple : Issi est neirs cume peiz (v. 1635). Tut issi cum il sunt (v. 2435). Issi seit cum vus plaist (v. 606), etc. Ici est toujours adverbe de lieu : E ! reis amis, que vus ici nen estes (v. 1697). D’ici qu’en Oriente (v. 401 et 3594). Plus près d’ici (v. 2735). D’ici qu’al nasel (v. 1996). — (Cf. les v. 1956, 3835, etc.)

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