La Goutte

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Les Amours jaunesGlady (p. 291-293).


LA GOUTTE


 

Sous un seul hunier — le dernier — à la cape,
Le navire était soûl ; l’eau sur nous faisait nappe.
— Aux pompes, faillis chiens ! — L’équipage fit — non. —

— Le hunier ! le hunier !…
— Le hunier ! le hunier !…C’est un coup de canon,
Un grand froufrou de soie à travers la tourmente.

— Le hunier emporté ! — C’est la fin. Quelqu’un chante. —
— Tais-toi, Lascar ! — Tantôt. — Le hunier emporté !…
— Pare le foc, quelqu’un de bonne volonté !…
— Moi. — Toi, lascar ? — Je chantais ça, moi, capitaine.
— Va. — Non : la goutte avant ? — Non, après. — Pas la peine :
La grande tasse est là pour un coup… —
La grande tasse est là pour un coup… —Pour braver,

Quoi ! mourir pour mourir et ne rien sauver…

 
— Fais comme tu pourras : Coupe. Et gare à ta drisse.
— Merci —
— Merci —D’un bond du singe il saute, de la lisse,
Sur le beaupré noyé, dans les agrès pendants.
— Bravo ! —
— Bravo ! —Nous regardions, la mort entre les dents.

— Garçons, tous à la drisse ! à nous ! pare l’écoute !…
(Le coup de grâce enfin…) — Hisse ! barre au vent toute !
Hurrah ! nous abattons !… —
Hurrah ! nous abattons !… —Et le foc déferlé
Redresse en un clin d’œil le navire acculé.
C’est le salut à nous qui bat dans cette loque
Fuyant devant le temps ! Encor paré la coque !
— Hurrah pour le lascar ! — Le lascar ?…
— Hurrah pour le lascar ! — Le lascar ?…— À la mer !
— Disparu ? — Disparu — Bon, ce n’est pas trop cher.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— Ouf ! c’est fait — Toi, Lascar ! — moi, Lascar, capitaine,
La lame m’a rincé de dessus la poulaine,
Le même coup de mer m’a ramené gratis…
Allons, mes poux n’auront pas besoin d’onguent-gris.

 

— Accoste, tout le monde ! Et toi, Lascar, écoute :
Nous te devons la vie… — Après ? — Pour ça ?… — La goutte !
Mais c’était pas pour ça, n’allez pas croire, au moins…
— Viens m’embrasser ! — Attrape à torcher les grouins.
J’suis pas beau, capitain’, mais, soit dit en famille,
Je vous ai fait plaisir plus qu’une belle fille ?…
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le capitaine mit, ce jour, sur son rapport :
Gros temps. Laissé porter. Rien de neuf à bord.


(À bord.)