La Guerre de 1870/06

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Traduction par Ernest Jaeglé.
Librairie H. Le Soudier (p. 38-44).
BATAILLE DE COLOMBEY-NOUILLY[1]


14 août. — Le général commandant la place de Metz avait déclaré que, abandonné à lui-même, il ne pouvait pas tenir quinze jours ; d’autre part, la position fortifiée qu’on avait choisie sur la Nied pour l’armée qui devait défendre Metz avait été trouvée désavantageuse à cause de la configuration du terrain : l’état-major français espérait qu’en rétrogradant jusqu’à Verdun il lui serait possible d’en trouver une autre plus favorable et où l’armée pourrait tenir tête à l’ennemi.

Cette fois-ci les considérations militaires avaient eu le dessus : on s’était décidé à moins compter avec les dispositions de l’opinion publique. L’empereur, quoiqu’il eût remis le commandement supérieur au maréchal Bazaine, n’en resta pas moins à l’armée ; il lui eût été impossible, étant donné la situation, de rentrer à Paris. Dès le 14 août, de grand matin, les nombreux fourgons et voitures de l’armée traversaient Metz, et vers midi les 2e, 4e et 6e corps d’armée se mirent en mouvement, tandis que le 3e restait dans ses positions derrière la profonde vallée de Colombey, afin de couvrir la retraite.

Quand à 4 heures de l’après-midi les Allemands sentirent que la retraite s’effectuait, le général von der Goltz, à la tête de l’avant-garde du VIIe corps, attaqua vivement l’ennemi et lui enleva, sur son flanc droit, le village de Colombey et le château d’Aubigny.

Mais dès qu’elles eurent entendu les premiers coups de canon, les colonnes françaises avaient fait demi-tour ; elles étaient absolument prêtes à engager la lutte et brûlaient du désir, après tant d’échecs subis jusqu’alors, de changer la face des choses en livrant une bataille décisive. Disposant d’une supériorité numérique considérable, la division de Castagny se jeta sur le faible détachement isolé dans la position de Colombey, et celui-ci ne parvint à s’y maintenir qu’au prix d’efforts inouïs.

Mais l’avant-garde du Ier corps d’armée s’avançait déjà sur deux routes, celles de Sarrebruck et de Sarrelouis ; ses batteries avaient pris les devants et ouvrirent immédiatement le feu. L’infanterie qui les suivait, s’avançant par Lauvallier, gravit la pente orientale du plateau de Belle-Croix et plus à droite encore elle refoula l’ennemi hors du bois qui s’étendait à l’est de Mey. Mais sur ce point-là aussi il se produisit un temps d’arrêt dans la lutte, quand cette infanterie se trouva en face du gros du 3e corps français.

Pendant ce temps, la 13e division[2] ainsi que la 1re et la 2e[3] avaient suivi leurs avant-gardes. En effet, le général de Manteuffel, ayant observé, depuis les avant-postes, les mouvements de l’armée, avait fait prendre les armes à ses deux divisions. Le général de Zastrow arriva également sur le champ de bataille et prit la direction des opérations à l’aile gauche. Bientôt 60 pièces eurent ouvert le feu contre l’ennemi ; le général d’Osten-Sacken, avec la 25e brigade[4], s’avança par la dépression de Coincy et gravit le rebord du plateau. Le bois de sapins qui s’étend le long de la route de Belle-Croix est enlevé, on l’enveloppe de trois côtés, l’ennemi le reprend en faisant subir à la brigade des pertes énormes ; puis enfin celle-ci parvient à s’en emparer de nouveau. Peu de temps après, on réussit à porter en avant, par Planchette, deux batteries qui font reculer les Français jusqu’à Borny ; mais de part et d’autre on continue la lutte avec le plus grand acharnement.

À ce moment la droite allemande se voit grandement exposée à être tournée. En effet, lorsque le général de Ladmirault eut été informé que l’une de ses divisions, celle du général Grenier, avait été refoulée hors de Mey, il fit immédiatement demi-tour avec ses deux autres divisions afin de lui porter secours, il reprit la localité et continua sa marche en avant sur la route de Bouzonville.

Dans l’intervalle, le général de Manteuffel avait pris les dispositions voulues pour être à même de se maintenir, quoi qu’il pût arriver, dans la coupure du ruisseau de Vallières qui couvrait le flanc de la position. Il posta la 1re brigade[5] en arrière de Noisseville afin qu’elle constituât sa réserve générale ; la 4e brigade[6], avec une partie de l’ar tillerie du 1er corps, alla s’opposer de front au général de Ladmirault, à Poix, sur la route de Bouzonville, tandis que le restant des batteries prenait ses divisions en flanc depuis le bord sud de la vallée, à l’est de Nouilly.

À l’aile gauche, la division Glümer[7] s’était maintenue pendant ce temps à Colombey ; à 7 heures du soir, la brigade de Woyna[8] vint la soutenir, et s’empara du petit bois qui s’étend à l’ouest de Colombey.

Sur ce point, des secours, fournis par la deuxième armée, retenue sur la Seille, furent les bienvenus.

La 18e division d’infanterie[9] s’était, après une longue marche, établie dans des bivouacs près de Buchy, dans le courant de l’après-midi. Mais quand on vint prévenir le général de Wrangel qu’on entendait le canon, et que sans doute la première armée était engagée, il remit aussitôt sa division en marche dans la direction indiquée. Après avoir chassé l’ennemi de Peltre, elle occupa Grigy, de concert avec la brigade de Woyna. De la sorte, elle se trouvait quelque peu déjà sur les derrières de la position ennemie de Borny.

À la droite de la ligne de bataille, la 2e division s’était de nouveau portée en avant, par Nouilly et les vignobles avoisinants, contre le village de Mey et, à la tombée de la nuit, elle l’avait enlevé à l’adversaire, de même que le petit bois situé tout à côté. Les Français n’avaient pas dépassé Villiers-l’Orme, et de cette localité ils commencèrent à battre en retraite sur toute la ligne. Seuls les forts, notamment celui de Saint-Julien, lancèrent au milieu des ténèbres leurs pesants projectiles contre les Prussiens, qui serraient l’adversaire de près.

L’engagement livré dans la soirée du 14 août occasionna aux Prussiens, qui avaient pris l’offensive, des pertes graves : 5000 hommes, dont plus de 200 officiers, tandis que les Français ne perdirent que 3600 hommes, la plupart appartenant au 3e corps. Il est de toute évidence que, vu la proximité des ouvrages d’une grande place de guerre, il fut impossible de tirer parti de la victoire en se mettant immédiatement à la poursuite de l’ennemi. À cause de cette proximité, l’état-major n’avait eu nullement le dessein de faire livrer ce jour-là une bataille à la première armée, mais il avait parfaitement admis la possibilité d’une rencontre.

La lutte ayant été engagée fort tard, une seule division de la deuxième armée avait pu se porter au secours de la première ; mais son intervention sur le flanc gauche de l’adversaire n’en a pas moins eu des conséquences très appréciables.

La manière dont la bataille s’est engagée a rendu impossible l’unité de direction.

La lutte avait été principalement soutenue par les avant-gardes de quatre divisions, et comme des fractions de troupes numériquement faibles et ne pouvant être immédiatement secourues, attaquaient, avec une grande audace, un ennemi disposant d’un effectif considérablement supérieur, il se produisit à plusieurs reprises des phases critiques dans la lutte. L’issue eût pu en devenir défavorable, si l’adversaire, dont toutes les forces se trouvaient massées sur un terrain resserré, avait marché en avant avec plus d’énergie. Mais il est juste de dire que le 3e corps français ne fut pas soutenu par la garde impériale postée en arrière d’elle et dans son voisinage immédiat. Tout au contraire, pour les Prussiens, on constatera, dans cette bataille comme dans les précédentes, que l’esprit de solidarité des différents chefs présents sur le champ de bataille s’y révéla brillamment ; cet esprit de solidarité leur faisait prendre, de leur propre initiative, la résolution d’accourir immédiatement au secours les uns des autres.

On devra attribuer à l’artillerie une part prépondérante au succès de la journée. Elle avait pris les devants et soutenait de la manière la plus efficace les avant-gardes qui, avant même que le gros des divisions eût eu le temps d’entrer en ligne, étaient parvenues à refouler complètement les Français hors de la position qu’ils occupaient en avant de Metz et à les contraindre d’aller s’abriter derrière les ouvrages de la place.

L’ennemi ayant sous la main cette place de refuge, les Prussiens ne pouvaient forcément conquérir des trophées après la victoire de Colombey-Nouilly, mais le généralissime n’en avait pas moins le droit de s’en déclarer satisfait. En effet, le mouvement de retraite de l’ennemi avait été interrompu et l’on avait gagné toute une journée pour faire franchir la Moselle à la deuxième et à la troisième armée.


15 août. — Le 15, de très grand matin, la cavalerie allemande s’était avancée au trot jusque sous les remparts de Metz. À l’est de la place, elle ne trouva plus d’ennemis. Quelques obus, lancés sur la rive gauche de la Moselle, portèrent le trouble dans le grand quartier impérial établi à Longeville.

Le roi Guillaume s’était rendu à cheval au milieu de la première armée. De l’autre côté de la place, on voyait s’élever d’énormes nuages de poussière ; il n’y avait pas à en douter, les Français avaient commencé leur retraite et, dès lors, la deuxième armée fut autorisée à faire franchir la Moselle à tous ses corps d’armée. Quant à ceux de la première armée, le 1er dut rester au sud de Metz, à Courcelles, afin d’occuper la voie ferrée ; les deux autres appuyèrent à gauche, dans la direction de la Seille ; eux aussi devaient sous peu passer la Moselle en amont de la place, afin d’éviter que les forces allemandes ne fussent coupées en deux tronçons, séparés l’un de l’autre par la ville.

Les Français avaient repris leur mouvement de retraite interrompu la veille. Mais, ce jour-là, ils ne s’éloignèrent guère de plus de 7 kilomètres et demi de Metz. Leur cavalerie seule s’avança un peu plus loin sur les deux routes menant à Verdun.

La deuxième armée fit franchir à l’un de ses corps, le IIIe, la Moselle, par le pont de Novéant qu’on avait trouvé intact et par une passerelle de pontons ; l’artillerie de ce corps dut faire un détour et passer à Pont-à-Mousson.

Les troupes ne purent, en partie du moins, s’établir dans leurs bivouacs tout contre la rive gauche, que fort tard dans la nuit. Le Xe corps laissa l’une de ses divisions à Pont-à-Mousson et porta l’autre à Thiaucourt. La cavalerie courut plus loin en avant dans la direction de la route de Metz à Verdun. Aux environs de Mars-la-Tour, elle rencontra la cavalerie ennemie. Il s’engagea quelques escarmouches, mais quand, peu après midi, 24 escadrons prussiens furent réunis dans ces parages, la cavalerie française se retira sur Vionville. Plus en amont, le corps de la garde et le IVe avaient passé sur la rive gauche à Dieulouard et à Marbache.

La troisième armée vint occuper la ligne Nancy–Bayon.

Ce jour-là, on avait tenté de s’emparer de la place de Thionville par un coup de main. Cette entreprise avait échoué.

  1. Ou bataille de Borny. (N.d.T.)
  2. La première du VIIe corps (Zastrow). (N.d.T.)
  3. Les deux divisions du Ier corps (Manteuffel). (N.d.T.)
  4. La première de la 13e division. (N.d.T.)
  5. La première de la 1re division. (N.d.T.)
  6. La seconde de la 2e division. (N.d.T.)
  7. La 13e (VIIe corps). (N.d.T.)
  8. La 28e (14e division). (N.d.T.)
  9. La première du IXe corps. (N.d.T.)