La Maison de granit/1/Je vous ai vu passer

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Plon-Nourrit (p. 37-39).

JE VOUS AI VU PASSER…


 
Je vous ai vu passer ce soir sur mon chemin…

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C’était vous, je le sais… Je tremble, je vous aime,
Tout mon être s’émeut… Je ne suis plus moi-même,
Je ne suis qu’une part de vous ; et votre main,
Lorsqu’elle posera sa douceur caressante
Sur mon front, tout pâli des longueurs de l’attente,
Y mettra la fierté d’un bonheur surhumain.


Je vous aime ! Un plaisir merveilleux me soulève !
Le charme d’un regard vient d’emporter mon rêve.
Comme l’oiseau qui monte, enivré, dans l’azur !
Je vous aime ! Mon âme agrandie est meilleure,
Et mes yeux sont remplis de la beauté de l’heure,
Et ma lèvre est plus chaude, et mon souffle est plus pur


Je vous aime ! Et je vois la lumière plus blonde.
Je vous aime ! La joie éparse dans le monde
Ne vaut pas la douceur de mon grave tourment !
Je vous aime ! Et jamais la plus belle harmonie
N’égalera ce cri de l’extase infinie
Qui verse sur mes jours son tendre enchantement.


Je vous aime ! Ce mot est mon unique étude ;
C’est l’orgueil de ma chaste et noble solitude ;
Nul ne pourra jamais me dérober ce bien ;
Et je ne dirai plus que ma vie est perdue :
Ma ferme volonté, vous me l’avez rendue ;
Vous m’attachez à vous par ce puissant lien.


J’aime ! Ah ! j’ai bien compris ce que cela demande
D’entier renoncement et de complète offrande !
Je sais que pour l’amour il faut tout oublier !
Il faut lui dévouer une âme généreuse
Qui saurait, pour aimer, se passer d’être heureuse,
Et si haute que rien ne la fera plier.

Je sais qu’il faut avoir tout donné de soi-même
Avant de prononcer le mot sacré : Je t’aime !
Et déjà, mon amour, votre main m’a tout pris :
Ma paix et mon repos, mon cœur et ma pensée,
Mon âme, désormais à la vôtre enlacée,
Et ma vie, attendant de vous son plus haut prix.

Et j’ai perdu, ce soir, un peu de ma sagesse,
Puisque je lui préfère un rêve de tendresse.
Je la vois s’en aller avec un grave émoi…
Mais cet amour me fait une vertu plus forte :
La douleur avec lui frappe au seuil de ma porte,
Et c’est en souriant qu’elle avance vers moi.