La Maison de granit/1/Vous ne savez pas

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Plon-Nourrit (p. 40-42).


VOUS NE SAVEZ PAS



Vous êtes mon bien, vous êtes ma chose,
Je vois l’univers à travers vos yeux,
Mais votre regard où le mien se pose
N’a jamais voulu lire mes aveux.

Vous ne savez pas que je vous adore,
Depuis tant de jours si vides d’espoir,
Que je vous attends, là, depuis l’aurore,
Et que j’attendrai dans l’ombre du soir.


Vous ne savez pas quel flot de tendresse
Envahit mon être avec votre nom ;
Vous ne savez pas sous quelle détresse
Va sombrer mon cœur lorsque tout dit : non !

Je n’aurai de vous pas une pensée
Pas un mot d’amour, pas même un regard ;
Mais si je savais quelle fiancée
Doit vous rendre heureux, j’irais sans retard ;

J’irais la chercher jusqu’au bout du monde
Car la solitude est lourde à porter…
Il faut qu’une voix douce vous réponde
Pour que vous n’ayez rien à regretter.

Je ne peux avoir pitié de moi-même ;
Je sais tout souffrir, mais je ne veux pas
Voir pleurer vos yeux, vos beaux yeux que j’aime
Pour celle vers qui vous tendez vos bras.


Moi, je resterai la silencieuse,
Grave de mon deuil et de ma douleur ;
Si vous m’oubliez pour votre amoureuse,
Vous ne pouvez rien pour changer mon cœur.

Et vous êtes là, mon tourment, ma joie ;
Vous chérir ainsi m’est amer et doux ;
Vous ne savez pas que mon être ploie
Sous la volupté de souffrir pour vous.

Vous ne savez pas que mon âme est vôtre :
Je vous appartiens jusqu’au dernier jour ;
Mais vous, le regard tourné vers une autre,
Vous ne voulez pas savoir mon amour.