La Maison de granit/2/L'Ombre

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Plon-Nourrit (p. 69-72).


L’OMBRE



J’avais dit : J’entrerai seule dans la maison,
Droite, les yeux tournés vers la lumière blanche,
Les doigts pieusement refermés sur la branche
Du lys pur qui s’élance à travers le buisson.

Et j’ai cueilli la fleur d’ivoire, transparente,
Pâle comme ma joue et trop lourde des pleurs
Que versent dans la nuit le ciel et les douleurs ;
Et j’ai franchi le seuil, grave, pensive et lente.


Quoi ! c’est bien la maison de granit dont les murs
M’ont coûté tant de peine et tant d’austère étude !
Comme une tombe étroite, en mon inquiétude,
Je la voyais déserte, avec ses coins obscurs !

J’ai regardé longtemps la retraite sacrée
Où je viens abriter mon cœur silencieux ;
Ma fenêtre encadrait le parterre des cieux,
Où la rose du soir s’ouvrait, chaste et pourprée.

Et la pure clarté descendait sur mon cœur,
Encor tout palpitant des passions humaines ;
Et j’ai tout oublié, les amours et les haines :
Je n’ai su que la paix des vierges du Seigneur.

Ô paix bénie, ô paix bienfaisante et divine,
J’ai senti ton baiser s’appuyer sur mes yeux !
Tes mains ont soulevé le poids mystérieux
Qui depuis tant de jours oppressait ma poitrine.


Mes livres m’attendaient, mes maîtres, mes amis,
Avec l’enchantement de leurs nobles pensées ;
Les caresses des mots, sur mes lèvres posées,
Éveillaient la douceur des rêves endormis.

Près de moi souriaient tant de figures chères !
Ceux qui furent mon sang, ma race, mon amour
Me regardaient venir… Dans le calme du jour
J’oubliais mes douleurs comme des étrangères.

Voici le clavecin au son grave et cuivré ;
Et, sous mes doigts, le vol des notes dénouées
Monte, emportant le cri des douleurs avouées,
Mais dont l’esprit se croit à jamais délivré.

Comme une tendre fleur lentement se replie
Lorsque la nuit descend lui verser le sommeil,
Dans la paix de la chambre où s’éteint le soleil,
Je me repose enfin, je me tais, et j’oublie…


J’ai dit à ma maison tranquille : Me voilà !
Comme je serai bien dans cette solitude
Pour attendre la mort après le chemin rude…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Je me suis retournée, et ton ombre était là !