La Maison de granit/2/Prière du Matin

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Plon-Nourrit (p. 76-78).


PRIÈRE DU MATIN



Un jour, un jour encore à travailler, à vivre !
Voici déjà venir, brillant à l’horizon
Dans son armure d’or, le matin qui délivre
Des embûches de l’ombre et nous rend la raison.

Voici le lumineux cortège d’espérance,
De tranquille sagesse et de ferme vouloir ;
Voici, pour un moment, l’oubli de la souffrance
Devant la grande joie austère du devoir.


Quand s’élève le vol des fécondes pensées,
Que la beauté vivante enfin naît du travail,
Les lointaines douleurs paraissent effacées,
L’âme victorieuse a pris le gouvernail.

Puis, c’est le bon repos dans la maison paisible ;
C’est, sur la nappe blanche, un reflet de cristal,
L’eau pure, le pain frais, le bien-être indicible
Qui flotte autour de la bouilloire de métal.

Et quand les êtres chers nous apportent la flamme
De leur pensée amie et de leur cœur offert,
Une telle douceur monte et pénètre l’âme
Qu’on ne sent plus le mal dont on avait souffert.

Et la journée ainsi reste belle et féconde :
Un peu de bien, beaucoup de travail et d’effort,
La fierté d’ajouter à la beauté du monde
Quelque chose de soi que n’atteint pas la mort.


Et le bonheur plus grand encore de voir luire
Aux yeux inconsolés une lueur d’espoir,
Et de donner, avec un fraternel sourire,
Un peu de paix à ceux qu’épouvante le soir.

Mais ne crois pas pourtant, ami, que je t’oublie
Quand je me prête à tous avec un clair regard :
Je te garde en mon cœur plus vivant que ma vie ;
C’est toi qui, de mon être, as la meilleure part.