La Maison de granit/2/Prière du soir

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Plon-Nourrit (p. 105-107).


PRIÈRE DU SOIR



Dans tes bras adorés j’aurais voulu dormir,
Dormir comme un enfant qu’une caresse apaise
Et dont le corps léger dans le sommeil ne pèse
Pas plus qu’un jeune oiseau dont l’aile va s’ouvrir.

J’aurais voulu poser sur ta chaude poitrine
Mes membres fatigués, mon cœur fragile et lourd,
À l’heure où, sur nos fronts, plane la nuit divine,
Entraînant dans son vol tous les soucis du jour.


J’aurais voulu mêler mes rêves à ton rêve,
Murmurer avec toi la prière des soirs ;
Puis sentir ton amour, quand l’aurore se lève,
M’emporter avec lui vers de nouveaux espoirs.

Dans tes bras adorés où j’ai rêvé de vivre,
N’aurai-je pas, du moins, la douceur de mourir,
Pour que de son fardeau mon âme se délivre
En disant son secret dans un dernier soupir !

Ce jour-là seulement tu saurais la tendresse
Que j’ai dû te cacher, car tu ne m’aimais pas ;
Tu n’aurais eu que la pitié de ma détresse,
Et j’ai de ton chemin écarté tous mes pas.

Je voulais être à toi, délicieuse et bonne,
Car je sais qu’un cœur d’homme est fait pour le bonheur,
Et que seul le bonheur d’un être nous le donne,
Alors que gémirait en vain notre douleur.


Je t’aurais apporté cette joie attendue,
Si ta main caressante avait touché les mains
Qui s’ouvraient pour t’offrir, à travers l’étendue,
La paix des jours et la beauté des lendemains.

Tu n’as pas deviné le secret de ma bouche,
Close sur mon amour comme un tombeau scellé ;
Tu m’a crue insensible, inhumaine, farouche ;
Mon regard douloureux ne t’a rien révélé.

Et nous avons suivi des routes différentes ;
Et jamais entre nous un mot de vérité
N’a jailli, transformant nos deux longues attentes
En une heure d’orgueil sublime et de beauté.

Mais s’il peut te venir quelque fierté d’apprendre
Que je t’avais voué le temple de mon cœur,
Penche-toi sur mes yeux où tu pourras surprendre
Ton image adorée avec mon dernier pleur.