La Maison de granit/2/Résurrection

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Plon-Nourrit (p. 101-104).


RÉSURRECTION



Je pense quelquefois que mon amour est mort,
Qu’il est enseveli dans une tombe étroite,
Et que si je suis là, silencieuse et droite,
C’est qu’autour de mon cœur l’oubli met son bras fort.

Une lente douceur envahit tout mon être,
Et je m’épanouis au blond soleil des jours ;
J’entends le gai printemps frapper à ma fenêtre
Comme pour m’inviter à de jeunes amours.


Je ne sais plus que j’ai souffert ; la vie est belle ;
Le ciel est une fleur de saphir au cœur d’or…
Mon âme est une mer calme où la barque frêle,
Sans crainte des récifs, peut errer loin du port ;

Tandis que, sur les bords du tranquille rivage,
Toutes blanches parmi les cyprès de velours,
Les paisibles maisons que n’atteint pas l’orage
S’ouvrent pour le repos des merveilleux retours.

Et, sur le mont sacré qui domine l’espace,
Pensive, sous les plis du voile de l’azur,
Une fière statue au noble geste trace
La route des sommets où souffle un air plus pur.

Je vais la suivre, elle m’attire et je t’oublie,
Ô toi, mon cher amour, qui m’enchaînais au sol ;
Secouant le fardeau de sa mélancolie,
Vers les plaines du ciel mon âme prend son vol.


Brusquement sur mes pas une vague se dresse ;
Elle monte et jaillit du sein profond des mers ;
La colonne d’onyx me cache la Sagesse
Et les ordres divins que dictent ses yeux clairs.

C’est tout le flot de ma tendresse inassouvie ;
C’est le remous puissant de mon rêve ancien :
— Être deux et marcher ensemble dans la vie — ;
C’est le chaste désir que mon cœur a du tien.
 
Mais avec mon amour ma peine est revenue…
Je ne goûterai pas dans la douceur du soir
La volupté d’errer sur la route inconnue,
Près de toi, sous le ciel beau comme un reposoir !

Je pleure de nouveau, seule dans le silence…
Nul bonheur désormais ne me consolera,
Pas même la beauté de la terre où j’avance
Sans savoir où, demain, le sort me conduira.


L’horizon lumineux s’est couvert de nuées,
Long regard de l’espace obscurci par les pleurs…
Lentement, comme un vol d’ailes exténuées,
S’abattent sur la mer les plaintives douleurs.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .



Au ras de ses eaux cruellement bleues
Tu pourrais les voir fuir devant la nuit ;
Elles franchiront mille et mille lieues
Sans que leur appel vers moi t’ait conduit.

Mais si quelque jour tu pouvais entendre
Le cri douloureux de mon cœur blessé,
Si ta main s’ouvrait, chaude, pour se tendre
Vers l’oiseau qui meurt dans le vent glacé :

Tu saurais alors le prix de la vie,
Car notre passage, un jour, ici-bas,
N’a qu’un seul bonheur digne qu’on l’envie,
Celui que, sans moi, tu ne vivras pas !