La Mer élégante/Épilogue

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La Mer éléganteAlphonse Lemerre, éditeur (p. 109-112).

Épilogue


Me voilà de retour ! Oh ! comme je m’ennuie
En songeant dans ma chambre à mes rêves finis ;
Le vent d’automne gronde au dehors, et la pluie
Coule comme des pleurs sur mes carreaux ternis.

La vigne qui formait un cadre à ma croisée
Voit jaunir et tomber ses feuilles dans la cour,
Et mon âme, comme elle engourdie et brisée,
Voit s’effeuiller aussi ses beaux songes d’amour.


Les toits rouges au loin sur une mer de brume
Détachent leurs îlots dans le brouillard frileux,
Et moi je me souviens, le cœur plein d’amertume,
Du temps où je voyais le ciel dans ses yeux bleus.

Je me rappelle tout : les belles jeunes filles
Qui dansaient au Kursaal dans leurs robes d’été,
Les barques qui formaient de joyeuses flottilles,
Et les coins de la dune où nous avons été ;

Les enfants qui faisaient des forts à coups de pelle,
Les ânes qui trottaient sur le sable mouvant,
La messe, le dimanche, à la vieille chapelle,
Et la mer se pâmant sous les baisers du vent !

Tout cela reparait dans mon esprit morose :
Ainsi le lendemain d’un soir de carnaval
On croit revoir passer tout un cortège rose
De masques s’enlaçant pour le galop final.

Sans doute qu’aujourd’hui la digue est morne et vide ;
Car le soleil n’a plus que de pâles reflets ;
Comme des écheveaux emmêlés qu’on dévide
Les pêcheurs sur leur barque étendent leurs filets !…


Adieu les vérandahs chaudement parfumées !…
Comme au jour d’un décès, on a clos les villas ;
C’est pour l’Été défunt que toutes sont fermées
Et porteront le deuil jusqu’aux prochains lilas.

Mais quand l’été nouveau luira, le gai village
Les verra revenir, les amants de la mer
Qui s’ébattront encor sur la digue et la plage :
C’est pour mieux refleurir que l’arbre dort l’hiver.

Seul notre amour est mort sans qu’il puisse renaître ;
Le roman est perdu, sans qu’il soit achevé ;
Pourtant j’avais donné le meilleur de mon être
Pour qu’il fût aussi beau que je l’avais rêvé.

Comme Hercule filant au rouet d’or d’Omphale,
J’aurais voulu l’aimer pour la vie, épanchant
Comme un baume à ses pieds ma chanson triomphale,
Loin du monde orgueilleux, loin du monde méchant !

Seul notre amour est mort ! Est-ce donc bien possible
Que nos serments d’hier soient des serments passés,
Que le dard n’ait tremblé qu’un instant dans la cible,
Qu’au sable de nos cœurs nos noms soient effacés ?


Nous nous aimions pourtant avec force, avec fièvre,
Et nous nous l’étions dit en nous pressant la main
Quand, le soir des adieux, un baiser de sa lèvre
Avait mis sur mon front l’espoir du lendemain ;

Si bien que, reprenant mon ancienne énergie,
J’oubliais tout, mon spleen et mon doute moqueur,
Heureux de monnayer à sa seule effigie
Les lingots de tendresse enfouis dans mon cœur.

Seul notre amour est mort ! Tout mon courage tombe !
Pour se quitter si tôt, fallait-il tant s’aimer ?
Je sens là dans mon cœur un vide… c’est sa tombe !…
Mais le ver de l’oubli n’y pourra l’entamer !

Quand les vierges d’Égypte étaient mortes phtisiques,
On conservait leurs corps imprégnés de parfum,
Et j’ai de même, aux sons de funèbres musiques,
Embaumé ta mémoire, ô mon amour défunt !

J’ai tissé chaque vers comme une bandelette
Pour te garder intact et pour t’éterniser ;
Pauvre amour ! Dors en paix dans ta blanche toilette ;
Reçois mes derniers pleurs et mon dernier baiser !…