La Mer élégante/Fantaisie céleste

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La Mer éléganteAlphonse Lemerre, éditeur (p. 104-108).

Fantaisie céleste

I

 
Fatigué de ce monde élégant et frivole,
Je vais parfois tout seul devant la mer, le soir ;
Ma rêverie alors comme un oiseau s’envole
Et par dessus les flots plane dans le ciel noir.

Les astres dans la nuit rayonnent par centaines ;
Aux quatre coins du ciel ils sont éparpillés,
Dans l’ombre dégageant leurs clartés incertaines
Comme sur du velours des diamants taillés.


La Terre marche aussi dans la tiède atmosphère,
Comme un agneau de plus de ce troupeau divin
Que la lune attentive, ainsi qu’une bergère,
Par les champs de la nuit semble mener sans fin.

C’est une même loi qui lança dans le vide
Tous ces astres errants, voyageurs lumineux,
Et la Terre, creusant un sillage livide,
Roule fatalement dans son cercle comme eux.

Pourquoi donc supposer que seule elle est peuplée,
Elle la plus perdue au fond du firmament ;
Pourquoi ne pas chercher dans la voûte étoilée
Ces frères que l’esprit y voit confusément.

Dans ces globes lointains des hommes innombrables
Sont sans doute tordus de doute et de remord,
N’ayant pour adoucir leurs maux irréparables
Comme nous que l’Amour en attendant la Mort.

Mais s’ils étaient peuplés tous ces millions d’astres,
Nous ne serions plus rien que des spectres vivants ;
Nos triomphes, nos chants, nos plaintes, nos désastres,
Mourraient comme un appel d’oiseaux battus des vents !…


Nous ne serions plus rien qu’une ombre insaisissable,
Que ce « roseau pensant » dont Pascal a pitié,
Rien qu’un peu de poussière et rien qu’un peu de sable
Que Dieu soulèverait un instant sous son pied ;

Infiniment petits dans l’immense rouage,
Nos efforts seraient nuls et nos cris superflus ;
Les astres vainement poursuivraient leur voyage :
Dieu les verrait à peine, et ne nous verrait plus !…


II


Mais tandis que je songe ainsi, loin de la foule,
Au néant de la vie, au calme du tombeau,
Et que le désespoir autour de moi s’enroule
Comme un crêpe de deuil à l’entour d’un drapeau,

Je découvre soudain une étoile de flamme
Qui file dans le ciel par un rapide essor,
Et je me dis alors que c’est peut-être une âme
Qui va d’un astre à l’autre en creusant ce trait d’or !…


Je crois voir au travers de la mort transparente
Des horizons de vie et de bonheur sans fin ;
Je rêve que j’irai comme cette âme errante
Renaître infiniment dans chaque astre divin.

Oh ! le songe étoilé de la métempsycose
Qui dans l’ombre éclairait Pythagore et Platon ;
Oh ! le songe qui veut que tout se recompose
Et que les lis ne soient qu’un produit du chardon.

Ainsi je partirais avec le vent qui passe,
Et plus je serais bon, doux, indulgent, soumis,
Plus je m’en irais haut au travers de l’espace
Pour jouir de l’amour dans le repos promis.

Par une affinité délicate et suprême,
Je me retrouverais, dans ces nouveaux séjours,
Avec tous ceux qui m’ont aimé, tous ceux que j’aime,
Ceux dont rêvaient mes nuits, ceux qui charmaient mes jours.

Tandis que languiraient dans les astres infimes
Ceux-là qui m’ont jeté l’ironie ou l’affront,
Impuissants à souffler du fond de ces abîmes
Sur les rayons de gloire auréolant mon front !


Plus je m’envolerais dans les sphères lointaines,
Plus le ciel serait bleu, plus le vent serait doux ;
Les roses n’auraient plus d’épines ; les fontaines
Plus de vase ; et le fond des grands bois plus de loups.

On y vivrait ainsi qu’au paradis terrestre
Ne mangeant que des fruits et dormant dans les fleurs ;
Les oiseaux chanteraient comme un céleste orchestre,
Et les enfants naîtraient sans tragiques douleurs.

Puis ayant traversé cette flotte d’étoiles
Qu’on voit pendant la nuit s’avancer lentement
Dans l’océan du ciel comme de blanches voiles,
J’atteindrais le dernier soleil du firmament,

Pour y trouver enfin dans la vie immortelle
La femme que j’aimais et qui m’aimait jadis,
Et, séparé de tous, vivre seul auprès d’elle :
Ce serait tout mon ciel et tout mon paradis !