La Mer élégante/Dans les dunes

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La Mer éléganteAlphonse Lemerre, éditeur (p. 67-69).

Dans les Dunes


Pour un peu nous soustraire aux chaleurs importunes
Qu’il fait dans les villas par ces beaux jours d’été,
Nous avons pris un livre et nous avons été
Passer l’après-midi sur le sommet des dunes.

Dans un pli de terrain aux aspects imprévus
Ayant la mer devant et derrière la plaine,
Nous nous sommes couchés, rêvant, parlant à peine
Et dans ce coin ombreux voyant sans être vus.


Des insectes grimpaient sur nos jambes ; le sable
Se creusait sous le poids de nos corps étendus,
Et les chardons de mer épineux et tordus
Dégageaient dans la brise un rythme insaisissable…

Ma bien-aimée était près de moi, sans chapeau,
Des brins d’herbe aux cheveux, en simple robe noire.
Elle nous récitait quelques vers de mémoire
Très rose, et son sang vif affluait sous la peau.

Puis elle prit soudain sur la dune fleurie
Le volume de vers que j’avais apporté ;
C’était Brizeux, le triste amant désenchanté,
C’était son doux poème idyllique : Marie.

Elle en lut une pièce à voix haute et d’un ton
Si tremblant qu’on eût dit un chant de cornemuse,
Et tous nous écoutions vibrer dans cette Muse
Les amours éternels du vieux pays breton.

Ensuite elle nous lut la poésie exquise
Où les amants, assis ensemble au pont Kerlo,
« Laissent pendre en riant leurs pieds au fil de l’eau, »
Et soufflent dans l’air pur la mouche qu’ils ont prise.


Puis se tournant vers moi : « Dites-nous maintenant
Quelques-uns de vos vers ; j’en sais par cœur, » fit-elle ;
Mais comme elle est un peu moqueuse ou paraît telle,
J’ai cru qu’elle disait la chose en badinant.

Elle insista pourtant, la chère enfant que j’aime ;
Alors je leur ai dit quelques vers, les plus doux,
Dont le simple récit les a fait pleurer tous,
Et les voyant pleurer j’étais ému moi-même !…

Quand j’eus fini, songeant aux poètes fameux,
J’ai senti dans mon cœur leur souvenir éclore :
Dante aimant Béatrix et Pétrarque aimant Laure,
Et soudain j’ai souffert de n’être pas comme eux.

Je vous ai jalousés, poètes des vieux âges,
Qui faisiez, pour mieux plaire à vos belles, les soirs,
Des sonnets odorants comme des encensoirs
Et les leur récitiez dans de frais paysages.

Ô toi que j’aime tant ! Que ne puis-je à mon tour
Te chanter d’un cœur ferme et d’une voix ardente
Comme a chanté Pétrarque et comme a chanté Dante,
Puisque, sans leur génie, au moins j’ai leur amour !…