La Mer élégante/Les Femmes mièvres

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La Mer éléganteAlphonse Lemerre, éditeur (p. 10-12).

Les Femmes mièvres

 
Toutes ces femmes sont adorablement mièvres
Découpant sur les flots leurs profils amaigris
Où rayonne en tons vifs la rougeur de leurs lèvres
Sur la mate blancheur de la poudre de riz.

On croirait sur du sucre en poudre voir des fraises,
Si bien qu’on les voudrait goûter à belles dents
N’étaient ces yeux bistrés plus luisants que des braises
Qui vous effraient de loin avec leurs feux ardents.


Elles lèvent un peu leurs voilettes de tulle
Pour mieux voir écumer les flots sur le brisant ;
Au bord de leurs chapeaux leur chevelure ondule
Sous le vent de la mer qui chante en les frisant.

Dans leur corsage étroit leurs seins, comme deux vagues,
Montant et s’abaissant, font frémir le tissu ;
Et dans leurs doigts gantés qu’enrichissent des bagues
Se fane le bouquet que chacune a reçu.

Leurs robes aux tons clairs, blanc, bleu, gris, jaune et rose
Où sont cousus des nœuds de soie et des rubans,
Se mêlent, comme on voit dans le grand ciel morose
Des nuages teintés se fondre aux soirs tombants.

Dans un coin de la plage elles sont là, groupées :
Le parasol leur fait comme un fond de portrait
Où s’accuse en relief leur tête de poupées
Qu’un artiste mignard et raffiné peindrait.

Elles sont là lisant, riant, jasant sans suite ;
L’eau monte et vient mouiller leurs souliers mordorés,
Car l’eau veut les baiser ces petits pieds en fuite
Qu’elle aime à voir courir sur leurs talons cirés.


Moi je les aime aussi ces belles étrangères
Qui babillent avec des gestes séduisants,
Les plus jeunes surtout, rieuses et légères,
Qui sortent du couvent dans l’éclat des seize ans.

Et puisque toutes ont des grâces sans pareilles,
Un corps digne du marbre, un teint digne des fleurs,
Je voudrais en passant suspendre à leurs oreilles
Comme des pendants d’or, des mots ensorceleurs !

Je voudrais que mon cœur vibrant de poésie
Fût grand comme un sérail pour toutes les aimer,
Et qu’il pût à son gré comme un prince d’Asie
Dans un harem d’amour toutes les enfermer ;

Car alors chaque soir, quand se lève la lune,
À leurs pieds parfumés j’irais me laisser choir,
Puis ayant fait mon choix, je jetterais à l’une
Avant que de partir, mon cœur et mon mouchoir !…